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De la figure du monstre à l'infigurable monstrueux

De la poïesis Open source à la poétique de l'apparaître

Spectrographie des pratiques micromédia

Métamodélisation et inframodélisation

 

Voir dans le profil du monde, de la figure du monstre à l'infigurable monstrueux

Par Sophie Gosselin (présenté dans le cadre du colloque “Les monstres qui parlent”, à Strasbourg le 15 mai 2009)

En tant qu'il renvoie à un écart par rapport à la norme, à un excès, à une aberration, le monstrueux indique le travail du différend dans le monde. Le monstrueux manifeste les forces de la vie dans des formes qui défient les lois de développement et de reproduction du vivant. Il rend sensible à un débordement de la vie sur le vivant et des forces sur les formes. Il provoque une crise du sens en nous confrontant à quelque chose dont on ne peut répondre, à une démesure. Il nous fait face comme une béance dont on n'arriverait jamais à voir le fond. Le monstrueux est à la fois une trouée et la manifestation d'un excès dans l'ordonnancement du monde. Cette trouée par et dans l'excès libère une parole, elle génère une multiplicité de récits cherchant, sinon à donner sens, du moins à donner forme. Les récits mettent en scène le conflit des forces et des formes. La force, c'est cette poussée qui résiste à la forme, cette part spectrale qui accompagne et déborde tout devenir, cette puissance du négatif que porte la vie dans son débordement. Or c'est le plus souvent depuis la forme que le monstrueux est pensé/théorisé, notamment dans le cas des sciences naturelles, et plus particulièrement de la biologie, qui, comme nous le rappelle Donna Haraway, se veut avant tout « science de la forme visible, de la dissection de la forme visible, de l'acceptation et de la construction de l'ordre visible » 1). La science cherche à rendre raison du visible, de ce qui est vu en tant qu'il se manifeste à nous sous les apparences d'un ordre. La science, comme avant elle la religion qui avait un ordre du monde à défendre et à justifier, ne traite pas tant du monstrueux que des monstres 2), cas particuliers faisant signe d'un désordre. La crise du sens provoquée par l'apparition du monstrueux dans un corps physique se trouve soumise à l'impératif d'un faire signe. Le corps monstrueux devient objet de monstration et de démonstration. Le signe vient après, comme pour suturer la crise du sens. Pour l'Eglise chrétienne tout autant que pour la science, ce qui fait signe exige que l'on en réponde. Faire du monstrueux un signe c'est se mettre dans la situation d'avoir à en répondre, d'avoir à répondre précisément de ce dont on ne peut répondre, de ce qui se manifeste à nous comme démesure, comme ce qui échappe à toute mesure, à toute pondération.

La question que nous voudrions poser est celle-ci : l'humain, en tant qu'humain, est-il capable de recevoir ce dont il ne peut répondre ? Car c'est toujours l'humain qui cherche à en répondre, à répondre non seulement de sa propre existence mais aussi de l'existence du monde. De quoi l'humain peut-il ne pas répondre en tant qu'humain ? Passer au-delà de la nécessité d'avoir à en répondre c'est passer au-delà du jugement, c'est en finir non seulement avec le jugement de Dieu (Artaud), mais aussi avec le jugement de l'Homme. L'humain se rend infiniment responsable, responsable de sa condition et de la condition du monde, tant pour le construire que pour le détruire. Ne serait-ce pas là la plus grande irresponsabilité ?

Le phénomène du monstrueux nous invite alors à reconsidérer l'humain dans son rapport au monde. Il nous y invite d'autant plus à une époque où nous assistons à la formation d'une alliance monstrueuse entre la techno-science et l'écologie, à une époque où la monstruosité même devient le paradigme d'une construction du monde par l'humain se projetant comme post- ou trans-humain. Je dis « construction » du monde, car en dehors d'une volonté humaine de construire le monde, le monde ne répond d'aucune construction : ni création ni production. Il y a du monde. Et cet il y a est traversé, travaillé par du différend, celui de la spectralité. Le monstrueux ce serait le travail du différend dans le monde, le travail des forces spectrales. Si le monstrueux indique une ouverture ce sera alors en tant qu'il nous permet de repenser la condition humaine, non pas dans un post- ou trans-humanisme, mais au-delà de l'anthropocentrisme.

1) Du corps immatériel au corps figuré

Lorsque dans son Cyborg Manifesto Donna Haraway nous invite à nous faire monstre, elle répond à une nécessité tant politique qu'ontologique : celle de repenser la question du corps aujourd'hui. Non pas tant « que peut un corps », mais qu'entendons-nous même par corps ?

« Nous avons une notion très floue de la frontière entre ce qui est physique et ce qui ne l'est pas. […] Les machines modernes sont la quintessence des procédés microélectroniques : partout présentes, elles sont invisibles. La machinerie moderne « incarne » un dieu parvenu et irrespectueux, qui se moque ouvertement de l'omniprésence et de la spiritualité du Père. La puce électronique est une surface d'écriture ; elle est gravée à l'échelle de molécules que seul trouble le bruit des atomes – ultime interférence pour partitions nucléaires. Si l'écriture, le pouvoir et la technologie sont des associés de vieille date, dans les histoires occidentales sur les origines de la civilisation, la miniaturisation transforme notre expérience du mécanisme. […] Nos plus belles machines sont faites de signaux, ondes électromagnétiques, section du spectre. Elles sont par excellence portables, mobiles […]. Concrets, opaques, les gens sont loin d'être aussi fluides. Le cyborg n'est qu'éther, quintessence ». (p274).

C'est bien sur cette frontière de plus en plus floue entre le physique et le non physique que le corps doit être repensé. Mais le repenser cela ne veut pas dire immédiatement l'arraisonner dans une figure. Contrairement à ce que nous dit Donna Haraway, il ne s'agirait pas de choisir la figure du monstre cyborg contre celle de la déesse, mais plutôt d'interroger le projet même de figuration qui hante l'histoire de l'occident depuis l'incarnation christique.

Depuis la seconde guerre mondiale, l'humanité ne sait plus à quelle figure se vouer. Car c'est radicalement défigurée qu'elle sort de cette guerre.

Face à la catastrophe qui voit les corps défigurés par la bombe atomique rejoindre les corps défigurés par le projet nazi, Norbert Wiener, pionnier de la cybernétique, s'engage à redonner figure à l'homme et au monde en le (re)configurant. C'est comme si, après la seconde guerre mondiale, l'humain ne pouvait plus s'apparaître à lui-même que sous la forme d'un être monstrueux. L'être humain s'est défiguré lui-même ainsi que le projet humaniste qu'il portait. Sans doute ne lui est-il permis de retrouver figure que dans la (con)figuration de son propre dépassement. La cybernétique se constitue alors comme relève paradoxale d'un certain humanisme, de cet humanisme qui croyait en la science et la technique comme moteur de progrès. Or cette relève s'accomplit dans un geste apparemment paradoxal, celui d'un dépassement de l'humain par son amélioration… dans le post-humain.

2) Le corps façonné

Avant de s'instituer en figure, le cyborg prend corps dans le contexte de la seconde guerre mondiale avec le projet AAPredictor, à travers lequel Norbert Wiener et à ses collègues mettent au point un dispositif servo-mécanique de tir aérien capable de prévoir sur une base probabiliste les mouvements de l'ennemi. Du point de vue de AApredictor, « il y a fusion opérationnelle du pilote à son engin, les deux devenant constitutifs d'un même système » 3). Le pilote et l'engin sont défaient de leur singularité pour être pensés comme éléments d'un système communiquant, comme parties d'un système dont les éléments interagissent à travers des émissions d'information. Cette vision mi-humain mi-machine sera au coeur du projet de science cybernétique, science des systèmes auto-régulés dont le principe premier est l'information. Avec la théorie de l'information, l'être mi-humain mi-machine qu'est le cyborg devient plus qu'un personnage de science-fiction, il devient le paradigme même à l'aune duquel le corps humain est pensé dans son rapport au monde 4).

La cybernétique mise sur la technologie pour pallier aux faiblesses de l'humain. Son principe est double : efficacité et contrôle. Pour opérer la jonction entre organisme et machine, la cybernétique allie théorie de l'information et biologie : le vivant est pensé sur le modèle de machines communicantes et inversement la pensée des machines intègre la dimension génétique du vivant. La conséquence la plus immédiate, et qui aura des retentissements fondamentaux sur les recherches scientifiques ultérieures - notamment en génétique-, c'est la possibilité de traduire le processus du vivant en code informationnel. Au-delà des conséquences techno-scientifiques d'une telle opération, il est sans doute nécessaire aujourd'hui d'en interroger les conséquences ontologiques.

Première conséquence : le vivant, pensé comme information ou comme code à déchiffrer, devient objet de manipulation.

Dans les perspectives ouvertes par la génétique contemporaine s'accomplissent alors les fantasmes tératologiques d'un Geoffroy de St Hilaire qui au moment même où il naturalisait les monstres en inventant la tératologie 5), fabriquait expérimentalement des poulets monstrueux. C'est en révolutionnant l'embryologie que la génétique accomplit ce projet, car ce n'est plus de l'extérieur que l'humain agit sur le processus du vivant pour le contrôler, mais en s'inscrivant au plus proche du vivant 6) dans le mouvement de sa genèse. Elle greffe sur le processus du vivant une prothèse technologique de plus en plus miniaturisée qui doit en contrôler et en orienter le déploiement. Le corps se trouve inscrit dans une économie de l'immatériel qui le rend infiniment manipulable et monnayable. L'objectivation répond à l'impératif d'efficacité qui régie le projet scientifique et politique de la cybernétique. Ainsi la science, servante soumise de l'industrie, se fait techno-science. La chair se manifeste alors comme opacité à éradiquer au profit d'une transparence totale du corps et de la matière. Avec la cybergénétique la fiction se fait science et la science se fait fiction : elle se donne les moyens de façonner le monde, et d'agir non plus seulement sur les représentations du monde mais sur le monde lui-même dans sa présentation. Façonner le monde, cela veut dire le soumettre totalement à l'intentionnalité humaine, le soumettre à son contrôle. Le monstre, d'écart par rapport à la norme qu'il était, se trouve, en tant qu'objet de mutation génétique, institué en norme. Du récit de la science-fiction à la techno-science, le conflit des forces et des formes laisse place au pur règne des formes, du visible, de la visibilité prise dans la visée intentionnelle d'un logocentrisme. Dans le paradigme techno-scientifique, le récit est traduit en figure. La figure du monstre fait signe en s'incarnant dans un corps transformé, mutant. Le monstre n'est plus un signe à interpréter, mais un signe de puissance, le signe d'un pouvoir cherchant à contrôler et à soumettre les forces de la vie 7).

Aussi lorsque Donna Harraway mobilise la figure du monstre comme fiction politique subversive, est-il bien sûr qu'elle ne reconduise pas la technologie de pouvoir qui lui a donné le jour ? Ne serait-elle pas en train d'épuiser le même vieux filon métaphysique sur lequel s'appuyait le patriarcat et l'anthropocentrisme ?

3) Le corps trans-figuré

Ce qui intéresse Donna Haraway et les mouvements trans-féministes qui se revendiquent du Cyborg Manifesto, c'est la possibilité de (re)façonnement perpétuel ouverte par la traduction du vivant en code.

« La détermination technologique n'est qu'un des espaces idéologiques ouverts par de nouvelles façons de concevoir la machine et l'organisme sous forme de textes codés, par le biais desquels nous pouvons nous engager dans le jeu d'écriture et de lecture du monde » (p273).

Dans le contexte de ce qu'elle appelle « l'informatique de la domination », « tout objet, toute personne peuvent désormais être raisonnablement pensés en termes de désassemblage et de réassemblage » (p289). « Le cyborg est une sorte de moi postmoderne individuel et collectif, désassemblé, réassemblé. Le moi que les féministes doivent coder » (p291). […] « Mon mythe du cyborg est donc une histoire de frontières transgressées, de fusions redoutables et de possibilités dangereuses que les progressistes pourraient explorer en considérant qu'elles font partie de l'indispensable travail politique ».

Dans la perspective d'Haraway, le cyborg n'est ni un personnage de science-fiction, ni un produit de laboratoire, mais une figure mythique qui doit permettre la jonction de trois éléments : la fiction, la techno-science et la politique. A la différence du cyborg cybernétique comme figure (re)configurée de l'humain en post-humain, le cyborg harawayen constitue une figure trans-figurée, une figure faite d'hybridation et de transgression des frontières.

En effet, la construction par Haraway d'un mythe du cyborg répond à d'autres impératifs que ceux d'un Norbert Wiener. Elle répond au problème politique de la fragmentation du mouvement féministe. Cette fragmentation est le fruit de plusieurs facteurs, dont l'émergence du mouvement Queer, où s'opère une jonction entre féminisme et mouvement gay, mais aussi la convergence des problématiques féministes et des problématiques post-coloniales sur les minorités ethniques, sans compter toutes les autres formes de minorités : handicapés, drogués, etc.. Les qualificatifs pour désigner les sujets de ces mouvements sont multiples : on passe des « anormaux » aux « subalternes », aux « exclus ». Mais chaque fois, il s'agit d'une qualification par la négative. Le mythe du cyborg constitue une tentative de réunir sous une même figure la multiplicité proliférante des minorités.

C'est ainsi que Haraway formule la nécessité du mythe cyborg : « Ce texte se propose de bâtir un mythe politique ironique fidèle au féminisme, au socialisme, au matérialisme. (p267) […] Quel type de politique pourrait embrasser toutes ces constructions d'identités collectives et personnelles, partielles, contradictoires et poreuses à la fois, tout en restant fidèle, efficace et, ô ironie, socialiste-féministe ? Jamais à ma connaissance le besoin d'une unité politique qui permette efficacement de contrer les dominations fondées sur la « race », le « genre », la « sexualité » et la « classe » ne s'est autant fait sentir. » (p. 281).

Or le problème ne résiderait-il pas plus profondément dans la nécessité même d'en passer par une figure ? Depuis l'aube de la modernité et la naissance de l'humanisme, l'identification à une figure universelle, figure messianique, semble être le seul moyen pour les individus humains de se constituer en corps politique : figure de l'Homme générique, puis figure du Prolétariat 8)… et maintenant la figure du Cyborg. Autant de figures qui ne font que reconduire la première des figures, la figure divine incarnée dans le Christ. Or nous devrions maintenant savoir à quelles défigurations nous conduisent les différentes tentatives de figuration du corps politique, défigurations qui se font d'autant plus violentes lorsque la figuration cherche à prendre corps, à s'incarner dans la multiplicité des corps vivants 9). Même la figure la plus hybride ne peut échapper au caractère totalitaire contenu dans toute tentative politique de donner corps à une figure. Car si le cyborg échappe à l'univocité des figures politiques traditionnelles, il n'échappe pas au mouvement totalisant qui consiste à soumettre l'humain et le vivant de manière plus générale à l'intentionnalité d'un façonnement, au règne de la pure intentionnalité.

4) la performativité du signe sur les corps

Dans la continuité du geste Harrawayen, Beatriz Preciado, s'inspirant des théories performatives du mouvement féministe, et plus particulièrement celle de Judith Butler, érige en paradigme l'auto-construction du corps par la technologie. Celle-ci permet de déplacer la puissance performative du langage de la sphère de la représentation au champ de la présentation, par une action directe sur le corps, par ce qu'elle appelle une « incorporation prothétique ». Ainsi, elle présente son ouvrage « Testo Junkie » comme « fiction auto-politique » : l'écriture du texte accompagne une écriture du corps par injection de testostérone. Ce qui chez Haraway fait office de mythe unificateur, devient chez Preciado l'acte performatif de fictionnement du corps. Le réinvestissement technologique du concept de performativité va de pair avec l'adoption du postulat « cybergénétique » de la traduction du vivant en code.

Preciado s'inscrit dans la continuité du mouvement féministe qui a problématisé la question du genre à travers des performances dans l'espace public. Dans « Troubles dans le genre », Judith Butler a théorisé le genre comme performance en s'appuyant sur les travaux du linguiste Austin. Dans son essai « How to do things with words » Austin distingue les énoncés de type performatif des énoncés de type constatatif. Les énoncés performatifs se caractérisent par le fait qu'ils n'ont pas pour fonction de décrire un état du monde, mais bien plutôt de permettre d'agir dans le monde : promettre, demander, prévenir, avertir… A la différence des énoncés constatatifs qui sont soumis à la détermination vrai/faux, les énoncés performatifs sont soumis à la possibilité de l'échec ou de la réussite. « La description typologique des actes performatifs, permet de relativiser l'approche sémantique du langage, au profit d'une analytique de la force, constitutive de la valeur pragmatique des énonciations » 10). La réussite d'un énoncé performatif en tant qu'acte illocutoire (à distinguer de l'acte perlocutoire) dépend du contexte dans lequel il s'énonce, c'est-à-dire d'un système de conventions validant la réalisation d'actes à teneur normative. Alors que chez Austin, la réussite ou l'échec de l'acte est déterminée par le système des conventions qui le valide, Butler relisant Derrida 11), inverse le schéma et pose le système de conventions comme résultat de l'acte performatif. Cela lui permet de voir derrière l'apparence constatative du discours médico-légal un discours performatif instituteur de normes. C'est par la répétition qu'un acte performatif se transforme en convention. Le genre est donc une fiction imaginaire produite par le discours scientifique. Or si les normes sont produites par des actes performatifs, il est tout autant possible de les défaire, c'est-à-dire de jouer sur la possibilité de leur échec pour mettre en péril les normes instituées. Alors qu'Austin cherche à minorer l'échec en tant que facteur contingent de l'acte, Derrida pose la possibilité de l'échec comme condition de possibilité du performatif : c'est précisément parce qu'il risque toujours d'être mis en échec que le performatif doit se répéter. L'acte performatif serait un processus sans cesse renouvelé d'auto-confirmation de sa propre institution. C'est pourquoi selon Derrida le processus d'itération précède l'acte performatif. L'itération, c'est-à-dire pour Derrida, l'écriture. Le signe écrit se maintient dans le temps par la répétition. Mais la répétition contient aussi la force de rupture qui lui permet de passer d'un contexte à un autre, d'un système de conventions à un autre. C'est sur cette force de rupture que vont s'appuyer les théories féministes et post-féministes. Mais Derrida mentionne une troisième caractéristique de l'écriture qui est généralement laissée de côté : la « force de rupture tient à l'espacement qui constitue le signe écrit : espacement qui le sépare des autres éléments de la chaîne contextuelle interne (possibilité toujours ouverte de son prélèvement et de sa greffe), mais aussi de toutes les formes possibles de référent présent (passé ou à venir dans la forme modifiée du présent passé ou à venir). Cet espacement n'est pas la simple négativité d'une lacune, mais le surgissement de la marque. Il ne reste pourtant pas, comme travail du négatif au service du sens, du concept vivant, du télos, relevable et réductible dans l'Aufhebung d'une dialectique » 12).

C'est ici qu'apparaît le différend entre la pensée Derridienne et le courant féministe et post ou techno-féministe défendu par Butler, Harraway ou Preciado (élève de Derrida). Car pour Derrida l'écriture ne peut être assimilée à un code qu'il suffirait de modifier, jouant d'une performativité contre une autre performativité, opposant un pouvoir à un autre, chacun partageant au fond les mêmes postulats ontologiques que l'autre, les mêmes réductions et les mêmes mécanismes. Lorsque Preciado se définit comme « gender hacker » (pirate du genre) et qu'elle affirme « appartenir à ce groupe d'usagers de la testostérone » qui s'envisage comme « usagers copyleft » et considère « les hormones sexuelles comme des biocodes libres et ouverts, dont l'usage ne doit être ni réglementé par l'Etat, ni confisqué par les compagnies pharmaceutiques », que fait-elle au fond si ce n'est valider tous les postulats ontologiques et politiques de l'industrie pharmaceutique ? Que fait-elle sinon accompagner par défaut une transformation du monde qui se ferait aussi bien sans elle, ainsi qu'elle semble l'indiquer tout au long de ses écrits 13) ?

La simple force de rupture ne suffit pas à la dissidence si elle n'est pas pensée dans le mouvement plus général des forces, si elle ne se laisse pas travailler par la puissance du négatif qui travaille et rend possible le jeu des forces. La différance derridienne ne peut être pensée comme simple écart d'une répétition à une autre, mais comme espacement de la différance, c'est-à-dire comme puissance du négatif qui rend possible l'écart lui-même.

S'ouvre alors nous la seconde conséquence, ou plutôt une corrélative du geste qui consiste à traduire le vivant en code, c'est de renvoyer le corps à sa dimension immatérielle.

5) L'ambivalence ontologique des corps

Or la seconde conséquence, ou plutôt une corrélative du geste qui consiste à traduire le vivant en code, c'est de renvoyer le corps à sa dimension immatérielle. Le corps est écriture. Au-delà du réductionnisme cybernétique, cette simple possibilité nous amène à penser le statut ontologiquement ambivalent de la matière. Penser le corps comme écriture c'est, dans la perspective ouverte par Derrida, penser le corps dans le travail des forces, dans le mouvement de la différance. C'est penser le corps dans son ambivalence ontologique. Cette perspective semble confirmée par les découvertes fondamentales menées tant dans le domaine de la biologie que de la cosmologie sur l'instabilité ontologique de l'étant. L'exploration du micro nous amène à découvrir les puissances inouïes de l'infinitésimal. Le moindre nano-espace se révèle chargé de forces vertigineuses, ainsi que nous l'ont montré les découvertes dans le domaine nucléaire, ou les recherches de la physique quantique. Il y a aussi la découverte que chaque particule de matière s'accompagne d'une anti-particule, composante de l'anti-matière. Pour le moment la symétrie permet de faire tenir l'ensemble dans un cadre encore envisageable dans les termes de la physique classique. Mais les chercheurs s'attendent à faire des découvertes qui entraînent un basculement dans leur approche même de la matière, allant jusqu'à remettre en question le postulat de l'Espace-Temps. Les forces débordent sans cesse de leur cadre d'analyse. Les physiciens désespèrent, après Einstein, de retrouver une grande théorie unificatrice de toutes les forces 14). Qui sait si ces découvertes n'auront pas à terme pour conséquence de remettre en question les principes même de la physique ? C'est ce que laisse entendre le physicien Carlo Rovelli (physicien italien inventeur de la théorie des boucles) qui en appelle à la nécessité de formuler une nouvelle métaphysique. C'est à côté de cette révolution majeure, fondamentale, radicale que les cybernéticiens et leurs affiliés sont en train de passer en s'obstinant dans leur volonté de pouvoir et de maîtrise sur le monde.

La chair du monde se révèle à nous comme un composé de corps ambivalents, matériels-immatériels, physiques et infraphysiques. Nous retrouvons alors la question de départ, celle qui a mobilisé la réflexion sur le corps réenvisagé à partir de la frontière indécidable qui sépare le physique du non-physique. Si c'est bien à partir de cette question de la frontière qu'il s'agit de repenser le corps, ce sera donc d'abord en le dégageant de la figure transgressive du cyborg harawayen. Penser la frontière, penser depuis la frontière de l'indécidable, c'est sortir de la figuration et de la configuration métaphysique dans laquelle elle nous enferme. Penser depuis l'indétermination qui sépare le physique du non-physique ce n'est pas non plus en revenir à l'idée d'un élan vital qui échapperait à toute objectivation. Car tout comme l'immatérialité de la force de travail a pu être captée par le capitalisme, la puissance vitale risquera toujours d'être capturée par les dispositifs du biopouvoir. L'indécidabilité des frontières entre physique et non-physique va de pair avec l'indécidabilité des frontières entre vivant et mort. C'est donc bien le concept de vie qui est complètement à repenser, dégagé qu'il doit être de sa réduction bio(logique). La vie ne se réduit pas au vivant. De la même manière que le logos (la logique) est toujours déjà altéré par son altérité, le bio (le vivant) est toujours déjà altéré par la mort. Ainsi, si la négativité du vivant est la mort alors le négatif de la Vie est le mort. La Vie advient dans l'élément de la spectralité comme jeu des forces qui agit à même le monde, forces de positivité et forces du négatif traversant chaque élément de l'intérieur. La vie est le jeu des forces spectrales : la vie-le mort. L'élan vital est toujours déjà travaillé de l'intérieur par le mort comme neutre, comme puissance du négatif 15). C'est pourquoi l'existence est une démesure du vivant. Cette puissance du de la vie est ce à partir de quoi le monde se donne à nous dans son différend. Accueillir ce différend ce sera pour l'humain revenir sur le geste conquérant qui l'anime pour apprendre à se déposséder du monde. Au lieu de s'effrayer de ses propres pulsions destructrices et de chercher à tout prix à les refouler en soumettant le monde à sa volonté, l'humain doit apprendre à redonner au monde ce qu'il lui a pris, à lui rendre les forces qu'il n'a cessé de s'accapparer. L'humain doit cesser de penser le monde comme sa maison, comme son oïkos, pour retrouver l'hospitalité du monde. « Il faut croire au monde » dit Deleuze à la fin de son texte sur la Société de contrôle. Alors humains, encore un effort ! Croire au monde, cela ne se fera sans doute pas sans en passer par une quatrième révolution anthropologique, après Galilée, Darwin et Freud. Or ce dont il faut se défaire ce n'est pas de l'anthropos (transfiguré dans on ne sait quel post- ou trans-humanisme), mais du centrisme qui soumet le monde à l'unique loi humaine. Le destin de l'homme ne repose donc pas tant dans sa mutation en monstre, que dans un devenir monstrueux.

6) Le regard du monde

Si le monstrueux désigne le travail du différend dans le monde, celui-ci ne peut plus faire office de figure d'identification ou de fictionnement, mais s'indique dans l'inaccessible jeu des forces qui traverse et travaille le monde. Sa figure est l'infigurable ligne du prosopon 16) (ligne de personne) pris dans son profil, comme dans la ligne du double profil de Rubin : ligne atopique et infraphysique où se déploie, à même le monde, le jeu des forces spectrales. Le monde advient depuis cette ligne, seuil ontologique inframince 17) où s'opère le passage du possible au devenir. Voir dans le passage c'est voir entre les corps physiques ou les corps objectivés par la technologie ces corps infraphysiques, spectraux. C'est voir dans le profil du monde. Le voir se constitue non pas depuis l'homme, mais depuis le monde.

Ça'nous regarde (et non pas nous regardons le monde). Ça'nous regarde : Ça, le Monde, apostrophe nous, Ça nous inter-pelle : le regard du Monde s'affectue, s'effectue par affect, dans cet entre, dans l'apostrophe - l'apostrophe comme langage. Le monde offre un regard, qui fait que quand il expose l'oiseau devant mes yeux il dit : « il y a oiseau ». Cette présentation ne se donne pas seulement comme perception (et conception), c'est-à-dire dans l'élément de la saisie, du capere, mais comme affectuation. Ça s'effectue en affectuant et en nommant dans le mouvement d'affectuation. Mais la présentation du monde n'est pas de pleine présence : elle est de persistance. En chaque moment de l'effectuation (moments qui ne sont pas pris dans le temps, mais qui composent autant d'aspects d'un même plan-moment, autant de 'strates') les corps spectraux persistent au sein des corps « ceptifs » (de capere), c'est-à-dire au sein des corps en tant qu'ils répondent d'une saisie (corps effectif, actualisé dans une forme).

Tous les corps se jouent en même temps, mais selon des plans de consistance différents. Le monde est fait de ces différents plans de consistance ou plans-moments constitués de différents corps. Dans le moment du passage du possible au devenir, les forces spectrales se fond corps spectraux (que nous appelons aussi les « -bodies ») : ceux-ci constituent en puissance les corps advenant. Les corps spectraux, corps inframondains, ce sont les corps sur le seuil inframince qui sépare le possible du devenir. Le devenir mondain des corps spectraux est multiple (de 3 ordres) : corps abstrait, corps sensible (ou « pathique »), puis corps ceptif. En chaque plan-moment du passage du possible au devenir, le moment précédent persiste. Les corps spectraux, abstraits et sensibles ne sont donc pas des corps autonomes, distincts des corps physiques, mais renvoient aux différentes « strates » de négatif qui composent le corps dans son mouvement d'effectuation (dans sa positivité). Tout corps porte en lui une inquiétude qui le constitue dans son devenir. Aussi, si la forme d'un corps m'interpelle, elle ne me touche que si je me rend sensible, attentif à sa part spectrale et à sa charge télépathique, c'est-à-dire tout à la fois à sa dimension de corps-sensible (pathique), de corps abstrait et de corps spectral. La forme ne me touche que si je me rend sensible à ce qu'il y a en elle de monstrueux.

Corps spectraux, corps abstraits, corps sensibles débordent le corps ceptif (les limites physiques du corps). Ces corps ne répondent pas aux coordonnées spatio-temporelles, mais traversent les corps selon d'autres agencements. C'est toute la question entre l'individu et le collectif qui se trouve reposée, car un corps qui apparaît dans une certaine autonomie individuelle au niveau de la perception, prend part à une autre configuration des forces à un autre niveau ontologique.

Dans ce moment où j'accueille l'advenue de la chose au-delà de son effectuation ceptive, lorsque j'accueille son inquiétante étrangeté, je me rend sensible à sa poétique, comme mouvement même de l'apparaître. Cette poétique c'est la technique défaite de sa définition instrumentale, anthropologique ou technologique. La poétique c'est la technique en tant qu'elle n'appartient pas seulement à l'humain, mais à la totalité du règne vivant. Il faut alors substituer à l'opposition nature/culture celle de intentionnel/non-intentionnel. En tant qu'elle oeuvre dans le double bind de l'intentionnel et du non-intentionnel la technique se fait géopoétique, dans le sens où elle produit l'espace dans lequel elle advient, où elle donne place à la jection au-delà de l'opposition sujet-objet. L'espace advient comme multiplicité de temps-en-espaces, comme multiplicité des temps jaillissant dans le même instant : la géopoétique agit par tempsification. Au contraire, la logique instrumentale et technologique cherche à soumettre la poétique au seul régime de l'intentionnalité et l'espace au temps linéaire (continu ou discontinu) de la chronologie. Aussi, la géopoétique ne doit pas être confondue avec l'autopoétique qui pense les organismes vivants comme des systèmes auto-régulés à l'intérieur d'un éco-système plus large. La géopoétique consiste dans la génération d'artifices au sein d'un jeu de forces : la forme est la résultante de la production d'artifice.

La forme monstrueuse ce sera alors l'artifice généré par un excès des forces. L'excès des forces provoque une trouée à laquelle l'artifice tentera de répondre. Chaque corps actualisé (effectif) est à un certain degré monstrueux, contient en lui une part de monstruosité, de négatif excessif, parce qu'il advient dans un jeu des forces qui toujours le déborde. C'est cette part de monstruosité qui le constitue comme singularité.

7) Devenir imperceptible, devenir impersonnel

Le devenir monstrueux s'indique alors comme processus de singularisation au-delà de la forme. Devenir paradoxal, car il propose le chemin inverse de l'effectuation. Son mouvement n'est pas de transgression mais de dissidence : une dissidence imperceptible. Le devenir monstrueux est donc d'abord un devenir imperceptible, comme nous le rappelle Deleuze dans Mille Plateux. Et le « devenir femme » ou le « devenir enfant » ne prend sens que dans l'horizon d'un devenir imperceptible.

« Devenir-soir, devenir-nuit d'un animal, noces de sang. Cinq heures est cette bête ! Cette bête est cet endroit ! ''Le chien maigre court dans la rue, ce chien maigre est la rue « , crie Virginia Woolf. Il faut sentir ainsi. Les relations, les déterminations spatio-temporelles ne sont pas des prédicats de la chose, mais des dimensions de multiplicités. La rue fait aussi bien partie de l'agencement cheval d'omnibus, que de l'agencement Hans dont elle ouvre le devenir-cheval. On est tous cinq heures du soir, ou bien une autre heure, et plutôt deux heures à la fois, l'optimale et la pessimale, midi-minuit, mais distribuées de façon variable. Le plan de consistance ne contient que des heccéités suivant des lignes qui s'entrecroisent. Les formes et les sujets ne sont pas de ce monde-là » 18).

Entre la mutation cyborg d'Haraway et le devenir imperceptible, il y a tout ce qui sépare la mutation de l'homme-mouche dans le film de Cronenberg et le devenir Tique du stoïcien dans Mille Plateaux. (p 323). Ce n'est pas en fusionnant son corps avec des tiques que le stoïcien devient Tique, mais en se laissant trans-porter par le jeu des forces. Le devenir nous engage à sortir de la figure et de la figuration pour retrouver la puissance des récits. Les récits se forment dans le battement des forces. C'est ce battement que réduit le fictionnement techno-scientifique et son industrialisation en design.

Le devenir imperceptible n'appartient pas au règne de la visibilité, mais au battement spectral des corps abstraits. Les corps abstraits forment le langage du monde, ce Personne qui dans Alice (« Through the looking glass », chap 7) rend possible tout autant le somebody que le nobody.

« 'Just look along the road, and tell me if you can see either of them'. 'I see nobody on the road' said Alice. 'I only wish I had such eyes', the King remarked in a fretful tone; 'To be able to see Nobody ! And at the distance too ! Why, it's as much as I can do to see real people, by this light' ! All this was lost on Alice, who was still looking intently along the road, shading her eyes with the one hand. 'I see somebody now !' she exclaimed at last. 'But he's coming very slowly – and what curious attitudes he goes into ! ».

Traduction de Henri Parisot, dans Tout Alice, chez Flammarion :

« -Regardez donc sur la route et dites-moi si l'un ou l'autre d'entre eux ne revient pas. Eh bien, que voyez-vous ? -Personne, répondit Alice. -Je donnerais cher pour avoir des yeux comme les vôtres, fit observer, d'un ton irrité, le monarque. Etre capable de voir Personne, l'Irréel en personne ! Et à une telle distance, par-dessus le marché ! Vrai, tout ce dont je suis capable, pour ma part, c'est de voir, parfois, quelqu'un de bien réel ! Cette réplique échappa tout entière à Alice, qui la main en visière au-dessus des yeux, continuait d'observer attentivement la route. 'Je vois quelqu'un à présent ! s'exclama-t-elle tout à coup. Quelqu'un qui avance très lentement et en prenant des attitudes vraiment bizarres ! ».

Entre le nobody (l'irréel) et le somebody (le corps réel), il y a une tierce personne : le corps abstrait du langage. L'écart du nobody au somebody ne provient pas tant d'une différence que d'une indifférenciation extrême dans l'horizon du langage : profil ambivalent du prosopon où les visages se rencontrent, ligne atopique d'où ils prennent forme (double profil de Rubin), battement du désir. Pure ligne qui fait passer du possible au devenir : un inframince qui engage un potentiel multidimentionnel et polyphonique. Au-delà du discernement d'un profil, d'une forme ou d'une figure distinguant une intériorité et une extériorité, il y a une tierce personne comme ligne-médium. La ligne-médium du langage échappe à tous les repérages, à tout discernement. Elle est cette tierce personne dont je ne peux faire le contour, qui ne répond pas de moi-même, de ma personne, ni d'autres personnes qui font mon entourage, si ce n'est par personnage(s) interposé(s).

Devenir imperceptible ce sera alors tendre vers la part spectrale des corps, vers la ligne atopique, inframince qui traverse le monde, cette ligne où se déploie le jeu des forces. C'est prendre le monde dans le profil. Devenir imperceptible ou devenir impersonnel : c'est dans le mouvement de tension qui lui fait rejoindre la ligne de Personne que la subjectivité advient. Les visages ne prennent forme qu'à partir de la ligne et, toujours, leur advenue est multiple. Le devenir impersonnel tend vers 0 comme il tend vers l'infini, vers une infinité de temps et de personnages.
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1) p 47, Des singes, des cyborgs et des femmes, Donna Haraway, éd. Jacqueline Chambon, Actes Sud 2009
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2) p 174, La connaissance de la vie, Georges Canguilhem, éd. Vrin 1992.
3) p 34 , L'empire cybernétique, Céline Lafontaine,éd. du Seuil, 2004.
4) Le terme de cyborg a été inventé en 1960 par Manfred Clynes et Nathan Kline pour nommer un rat de laboratoire à qui avait été implanté une bombe osmotique et un système de contrôle cybernétique.
5) Canguilhem : « Quand la monstruosité est devenue concept biologique, quand les monstruosités sont réparties en classes selon des rapports constants, quand on se flatte de les pouvoir provoquer expérimentalement, alors le monstre est naturalisé, l'irrégulier est rendu à la règle, le prodige à la prévision ». (p 177, La connaissance de la vie).
6) « Au plus proche du vivant » : cela veut dire qu'à aucun moment le code ne touche/n'atteint le vivant lui-même. Il constitue seulement une grille de lecture et de manipulation du processus du vivant. La génétique prolonge la vision mécaniste du vivant, mais en intégrant ce que jusqu'à maintenant la vision mécaniste n'avait pu penser : la genèse du vivant lui-même (Canguilhem, p119). Le concept de plasticité nomme cette intégration de la genèse du vivant dans la vision mécaniste de la biologie génétique.
7) Des artistes contemporains tels que Stelarc, Orlan, Eduardo Kac et autres manipulateurs du vivant, ne font que reconduire cette logique de puissance.
8) Ce que Marx précisément n'a jamais fait : il n'a pas construit son Manifeste autour d'une figure politique d'identification, qui serait celle du Prolétariat (car Marx se méfiait de toutes les formes de réification), mais autour d'une stratégie politique de lutte opposant deux classes.
9) Cf. Le Mythe Nazi, Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, éd. de l'Aube, 1996.
10) Raoul Maoti, Derrida-Searle. Déconstruction et langage ordinaire, Paris, Presses Universitaires de France, coll. “Philosophies”, 2009.
11) « Signature, événement, contexte », in Marges de la philosophie.
12) Jacques Derrida, Marges de la philosophie, éd. de Minuit, p. 377/378
13) « Les savoirs dominants s’effondrent. Non comme les twins towers se sont effondrées, laissant derrière elles un nuage de poussière qui alimente la mythologie-guerre, mais plutôt comme s’affaisse une forme sur la surface d’un écran de Tetris, ou mieux, comme s’évanouit un corps venant de se faire embrasser jusqu’à la morsure par une amante vampire. », Beatriz Preciado, Savoirs Vampires @ war, http://www.hartza.com/vampires.htm N'aurait-elle pas pris un peu trop à la lettre le mot de Deleuze qui dans son texte sur la Société de contrôle disait qu'après le brouillage actif des machines industrielles des sociétés disciplinaires par le sabotage, viendrait l'époque d'un brouillage actif par le piratage et l'introduction de virus dans le contexte de la société de contrôle régie par les machines cybernétiques ? Actif peut-être, mais ni subversif ni révolutionnaire. Ce n'est sans doute pas le sabotage qui a permis les révoltes et révolutions…
14) « Seule la dernière voie – la voie de la Topologie – représente un espoir raisonnable de pouvoir inclure la Gravité dans le schéma d'ensemble. Et il est bien clair qu'une Théorie du Grand Tout devra inclure, non seulement la Gravité, mais encore la musique, les tragédies, les libellules, ainsi qu'une explication raisonnable du Désir d'Unité chez les physiciens ». p 115, Les Quarks, Histoire d'une découverte, Daniel Husson, éd. Ellipses, 2000.
15) Alors que la mort serait plutôt le négatif de la vie comme mouvement des forces spectrales. La répétition fait partie de la vie, mais lorsqu'elle se soumet à la logique d'identité elle se transforme en pulsion de mort. Ce n'est que dans l'espace de la différance que la vie peut se déployer, dans le mouvement qui accompagne le jeu des forces (Cf. p 302 « La scène de l'écriture », in L'écriture et la différence, Jacques Derrida). L'appareil se distingue du texte en tant qu'il donne un corps autonome à la performativité : il cherche à enfermer le jeu des forces à l'intérieur de la logique de répétition identitaire. L'appareil c'est comme si la pulsion de mort cherchait à se donner corps. L'écriture mondaine, tout comme les appareils techniques mondains, ne sont que des métaphores d'une dynamique ontologique.
16) qui veut dire à la fois masque et visage en grec.
17) concept que nous reprenons à Marcel Duchamp, in Notes, éd. Champs Flammarion, 1999.
18) p 321, Mille Plateaux, Gilles Deleuze et Félix Guattari, éd. de Minuit, 1980.