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La "réalité" carcérale vue par le Contrôleur des prisons
Prisons : pour le contrôleur général des prisons, la "sécurité passe aussi par le respect de l'intimité"
Prisons: "La sécurité augmente au détriment de la dignité des détenus"
Portrait de la « France captive »

La "réalité" carcérale vue par le Contrôleur des prisons

Le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté présente en 250 pages "la description froide d'une réalité qui ne se laisse pas voir" derrière les murs des 5.800 lieux d'enfermement de France.

AFP - le 08 avril 2009

- GARDE A VUE : tout arrivant se voit retirer ses lunettes et, pour les femmes, son soutien-gorge. Les médicaments sont confisqués jusqu'à l'arrivée d'un médecin. Quand ce dernier en prescrit, les fonctionnaires de police ou de gendarmerie "n'ont pas de quoi les payer". Ces dépenses étaient financées par les frais de justice mais "c'est fini".

- RETENTION : "le port d'armes par les fonctionnaires ou militaires, dans l'enceinte même des lieux de rétention, ne s'impose pas d'évidence".

- PRISON : "lieux de violence et de crainte", "les établissements pénitentiaires, à de rares exceptions près, notamment dues à la petite taille de certains d'entre eux, vivent sous un régime de rapports de force".

- SOINS A L'HOPITAL : "devoir être examinée par un chirurgien en présence des surveillantes a été pour moi une grande humiliation... De plus, en restant menottée, avec la chaîne! Vous comprendrez à quel point je me sens aujourd'hui considérée comme une bête" (lettre d'une détenue au Contrôleur).

- PSYCHIATRIE : "en comparaison avec les conditions de détention ou de garde à vue, les hôpitaux psychiatriques apparaissent comme des havres de confort" mais sont confrontés à de "très grandes difficultés dues à la réduction du nombre de lits et de personnels".

- CONFIDENTIALITE : le rapport constate que "les noms des personnes entendues par les contrôleurs" sont "soigneusement relevés" par les responsables des locaux concernés. "L'un des interlocuteurs a indiqué a posteriori avoir été traité de +balance+ par le personnel. Ces errements doivent être évités".



Prisons : pour le contrôleur général des prisons, la "sécurité passe aussi par le respect de l'intimité"

LEMONDE.FR| 08.04.09

http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/04/08/prisons-pour-le-controleur-general-des-prisons-la-securite-passe-aussi-par-le-respect-de-l-intimite_1178110_3224.html

"Devoir être examinée par un chirurgien en présence des surveillantes a été pour moi une grande humiliation… De plus, en restant menottée, avec la chaîne ! Vous comprendrez à quel point je me sens aujourd'hui considérée comme une bête." Cette lettre d'une détenue a été placée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, au centre de son rapport annuel, rendu public mercredi 8 avril. La prisonnière, opérée dans un service d'urologie, confie qu'elle préfère à l'avenir mettre sa "santé en danger" que "d'être humiliée encore une fois".

Même privée de sa liberté, une personne ne doit pas voir son intimité sacrifiée aux impératifs de sécurité, affirme le contrôleur général, dont c'est le premier rapport depuis sa nomination en juin 2008. En garde à vue, en prison, dans les centres de rétention et dans les hôpitaux psychiatriques, M. Delarue et la vingtaine de contrôleurs de son équipe ont recensé de nombreuses atteintes à ce droit "qui est une part de la dignité humaine". Dans tous ces lieux, regrettent-ils, "la recherche de sécurité prévaut sur la préservation de la personnalité". En outre, "les conditions de viegénèrent en elles-mêmes des atteintes à l'intimité".

La prison, où vivent 63000 personnes, est "le lieu le plus difficile pour la sauvegarde de l'intimité". Cela commence par les fouilles à corps portant jusqu'aux parties intimes : "Dans certains endroits le détenu dénudé [peut] se voir exposé à d'autres regards que celui du surveillant procédant à la fouille." Ces fouilles se répètent à chaque entrée et sortie, pour aller à l'hôpital par exemple, où le détenu est menotté, "ce qui en fait une sorte de pilori moderne", écrit M. Delarue.

"ATTEINTE À LA DIGNITÉ"

La surpopulation empêche toute intimité. Le rapport donne l'exemple d'une cellule de 10,5 m2 avec trois lits et un matelas au sol. Le cloisonnement des WC est insuffisant : "Dans la plupart des cellules, les personnes assises sur la cuvette doivent maintenir ouverts les battants de porte." Il s'agit là, pour M. Delarue, d'"une atteinte à la dignité". La lettre de la détenue au contrôleur témoigne bien, selon lui, que "l'accès au soin ne respecte pas la confidentialité de la situation médicale". Dans un établissement, les dossiers médicaux sont accessibles aux surveillants. L'intimité est, aussi, difficile à obtenir dans les relations avec la famille. La durée des parloirs est "trop limitée". Plus généralement, "le système pénitentiaire a de mauvaises relations avec les familles de détenus".

Dans les centres de rétention, qui abritent 35000 étrangers, les atteintes à l'intimité sont aussi fréquentes. Au-delà de la fouille, le contrôleur juge inexplicable le fait d'interdire les stylos et crayons dans certains centres pour des raisons de sécurité. Alors qu'elles sont en principe libres, les visites aux personnes retenues ont parfois lieu dans des espaces ouverts sans possibilité de s'isoler.

Au quotidien, les retenus subissent une vie en commun vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils doivent partager leur chambre avec deux, trois, voire six personnes. Souvent, ils ne disposent même pas d'un placard fermant à clé pour leurs effets personnels. Ils sont contraints d'utiliser des sanitaires communs. C'est en garde à vue (578000 comptabilisées en 2008) que l'intimité des personnes est "la plus malmenée".

Là, l'omniprésence de la sécurité écarte de façon "manifeste" toute prise en compte de cette préoccupation. Les cellules des locaux de police et de gendarmerie sont les "lieux les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres". Fermées par une grille ou une façade vitrée, les cellules sont sous constante surveillance. La lumière, souvent maintenue de jour comme de nuit, comme la dimension de la cellule empêchent tout repos réel. Une situation d'autant plus grave, que certains gardés à vue sont jugés en comparution immédiate, juste après leur sortie.

Pour illustrer ces excès, le contrôleur a pris le ton d'une "fable" : "Le soutien-gorge et les lunettes", objets retirés car considérés comme dangereux au même titre que les lacets et les chaussures. Pourtant, relève-t-il, "on conçoit difficilement que la baleine [de soutien-gorge] devienne un tranchant redoutable. (…) La chronique des commissariats et des brigades recèle peu de récits d'attaques au soutien-gorge…".

Pour M. Delarue, il n'est pas possible de laisser se développer sans limites les mesures de sécurité. "La sécurité, insiste-t-il, passe aussi par le respect de l'intimité nécessaire, puisque la vie dans les lieux de privation de liberté sera d'autant plus pacifiée que les droits de la personne y sont reconnus." Cela vaut pour les établissements concernés, mais aussi pour le reste de la société : "Il n'y aura de modifications importantes en prison qu'au jour où l'opinion aura compris que sa propre sécurité passe par une amélioration substantielle de la détention."

Les saisines du contrôleur sont surveillées

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté se dit "irrité" par le fait que le nom des détenus qui lui écrivent, comme celui de toute personne qu'il rencontre lors de ses visites, soit "soigneusementrelevé", en particulier dans les lieux dépendant de la police nationale et de l'administration pénitentiaire. Cette dernière tient même un tableau nominatif national des saisines du contrôleur. "Les personnes privées de liberté, vulnérables de ce fait, peuvent être soumises à toutes sortes d'indications erronées ou de persuasions insistantes, ou même, dans certains cas, davantage", s'alarme Jean-Marie Delarue, dont un des interlocuteurs lui a ainsi indiqué avoir été traité de "balance" par le personnel.

Alain Salles et Laetitia Van Eeckhout



Prisons: "La sécurité augmente au détriment de la dignité des détenus"

Par Emilie Cailleau, publié le 09/04/2009 1

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/prisons-la-securite-augmente-au-detriment-de-la-dignite-des-detenus_752931.html

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a rendu public son premier rapport annuel. Le constat est sans appel: la situation est "grave" dans la plupart des établissements qu'il a visités. Jean-Marie Delarue revient sur les principaux points pour LEXPRESS.fr.

Dans les 52 établissements pénitentiaires que vous avez visités, quels sont les dysfonctionnements les plus graves?

Les conceptions sur la sécurité et les droits des détenus divergent selon les prisons, alors qu'elles sont normalement encadrées par les mêmes règles. Il existe de grandes différences entre les maisons centrales, où les cellules individuelles ont un minimum de confort, et les maisons d'arrêt où le vivre ensemble est beaucoup plus difficile. Dans ces dernières règne une véritable promiscuité, les douches sont des lieux d'affrontement très durs ainsi que les cours de promenade, où certains détenus ont peur de se rendre.

Autre donnée alarmante, l'accès aux soins. Un tiers des détenus souffre de troubles mentaux, or les prisons souffrent d'un déficit de psychiatres.

Les détenus qui mériteraient des soins à l'extérieur des établissements pâtissent également d'un manque de moyens. Ils attendent derrière les barreaux qu'on vienne les soigner parce que les escortes coûtent très cher en effectifs et en temps.

Au 1er mars on comptait 62 700 détenus pour 52 535 places. Comment cela se traduit cette surpopulation dans le quotidien des détenus?

Ce phénomène ne se limite pas aux matelas par terre. C'est aussi la croissance de la pauvreté avec des accès moindres aux activités et au travail. C'est également la diminution des parloirs: plus il y a de détenus, moins les détenus peuvent voir leurs familles. L'accès aux soins est également rendu plus difficile... Bref, le surpeuplement aggrave les conditions des prisonniers et génère des facteurs aggravants, qui peuvent conduire certains au suicide.

L'engorgement des prisons a également des conséquences sur le personnel. Ils sont tous exténués. Et je suis persuadé que plus mal on traite le personnel, plus mal on traite les détenus...

Vous observez également un déséquilibre entre les besoins de sécurité et les droits de la personne...

Oui, il y a une course à la sécurité qui se fait au détriment de la dignité des détenus. Il faut faire preuve de discernement selon le type de personnes. Une détenue quinquagénaire m'a exprimé sa lassitude d'être fouillée au corps à chacun de ses déplacements, avant et après le parloir. Les femmes représentent environ 15% des gardés à vue. Elles me disent qu'elles se sentent profondément humiliées quand on leur demande d'enlever leur soutien-gorge avant d'aller en comparution immédiate. Combien y a -t-il eu de suicides ou d'agressions avec un soutien-gorge? D'accord pour augmenter la sécurité mais à condition que ce soit dans le respect de la dignité.

Comment améliorer l'univers carcéral?

Comme l'a souligné le Dr Louis Albrand (auteur d'un rapport sur les suicides en prison commandé par la garde des Sceaux et qu'il a refusé de lui remettre directement, ndlr), il faut une humanisation des conditions de détention. La prison ne doit pas priver les captifs d'un droit d'expression et d'une réinsertion.

Tout ça coûtera certes très cher en termes d'investissement et de personnel mais la France doit prendre conscience qu'elle paye là des décennies de retard. Je reste relativement optimiste, même si la réponse de l'Etat ne se fera pas du jour au lendemain.



Portrait de la « France captive »

http://www.humanite.fr/2009-04-09_Societe_Portrait-de-la-France-captive

Prison . Pour le contrôleur des lieux de privation de liberté, la situation est « grave ».

Hier, Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, rendait son premier rapport annuel. C’est à cette occasion qu’on a appris qu’au sein de l’administration pénitentiaire (AP) certains l’auraient surnommé « le Cloporte ». Il est clair qu’il appuie là où ça fait mal. D’ailleurs, interrogé à propos de ses premières recommandations, un membre de l’AP nous dira : « Plutôt que se payer telle ou telle prison ou de faire croire que c’est par plaisir qu’on scrute l’anus des détenus, il ferait mieux de s’intéresser à la garde à vue, aux centres de rétention… » C’est pourtant ce qu’il fait. Commissariats, dépôts, hôpitaux, prisons… : depuis sa nomination, en juin, lui et ses équipes n’ont pas chômé, tablant sur un rythme annuel de « 150 visites » et sur « 400 à 500 saisines ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce « portrait de la France captive » qu’il esquisse est tout sauf flatteur. D’ailleurs, il prévient : « Soit la France engage les réformes pour se mettre en conformité avec ses engagements, soit ce sera au juge de le faire. » Et pourtant, assure-t-il, « les droits fondamentaux, c’est simple : c’est le droit à la vie, à un travail, à une vie de famille, à l’intimité. Le droit de s’exprimer, d’être en bonne santé… »

Las, le constat est accablant. D’emblée, le contrôleur déplore le « déséquilibre entre les besoins de sécurité » - qu’il qualifie d’« ogre jamais rassasié » - et « les droits de la personne ». Pour lui, il est absurde de retirer, « par sécurité », en garde à vue « lunettes et soutiens-gorge », tout comme, en rétention, « stylos et crayons, alors qu’en prison, on remet à chaque entrant de quoi écrire ». De ce déséquilibre naissent « des tensions, des souffrances, des rapports de force et de la violence », souligne ce contrôleur, qui comprend aisément que « la France captive » ne puisse « se défaire d’un certain sentiment d’arbitraire ».

Si, en 250 pages et malgré les « disparités », il décline ce constat dans les différents lieux de privation de liberté, c’est la prison qui est au centre de toutes les attentions. Objet d’une loi dont le fondement - les régimes différenciés - avait été critiqué par la première recommandation du contrôleur (lire l’Humanité du 7 janvier), ce lieu où « la loi est omniprésente et où, paradoxalement, tout peut arriver » défraie régulièrement la chronique à chaque nouveau suicide. Pour lui, « la situation est cataclysmique et il n’est pas besoin d’attendre le 42e (suicide) pour crier au scandale. Maintenant, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, et, entre une évasion et un suicide, il n’y a qu’une différence de degré. D’ailleurs, les tentatives de suicides sont dix fois plus nombreuses. Et il n’y a même pas de décompte pour les blessures non accidentelles ni pour les automutilations ».

S’il se refuse à chapeauter une enquête indépendante sur le suicide, comme le lui a demandé l’Observatoire international des prisons (suite à l’enterrement par la Chancellerie du rapport Albrand), il assure que ce travail, peu ou prou, sera fait. Sans vouloir stigmatiser, promet-il, « tel ou tel établissement » (reconnaissant au passage les difficultés rencontrées par les personnels) mais « en rendant public tout ce qui aura une portée générale ». De quoi satisfaire tant la CGT pénitentiaire que Patrick Marest de l’OIP, plus circonspect en revanche sur la capacité de l’AP à entendre les remarques du contrôleur. Qui se sera étonné de voir « l’administration relever les noms des détenus » qui le saisissent : « D’après les Nations unies, les personnes entendues devraient être protégées. Mais la France n’a pas jugé utile de retranscrire une disposition qui, malgré tout, doit être respectée. »

Le contrôleur peut être saisi par simple courrier à l’adresse suivante : 16-18, quai de la Loire, 75019 Paris.

Sébastien Homer