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origine : http://astree.ifrance.com/num16/entretien.htm
Quand on regarde de manière comparative, on constate qu’il
n’existe aucun rapport statistique entre le taux de criminalité
qu’affiche un pays et son taux d’incarcération.
Ainsi, si l’on prend l’exemple de la Hollande, ce pays
a un taux de criminalité relativement élevé,
à l’échelle internationale — on a par
exemple plus de chance d’être cambriolé en Hollande
qu’aux Etats-Unis—, mais son taux d’incarcération
est très bas. Le taux d’incarcération en Hollande
est d’environ 50 détenus pour 100 000 habitants ; c’est-à-dire
la moitié de la France et le douzième des Etats-Unis.
À l’inverse, il y a des pays dont le taux de criminalité
est relativement bas, comme les pays soviétiques, l’Europe
de l’Est, où le taux d’incarcération est
plus élevé.
En fait, ce qui détermine le taux d’emprisonnement,
c’est un choix politique et culturel. C’est le type
de société qu’on décide d’être.
On le voit bien dans les pays scandinaves. Un bon exemple, que l’on
peut reprendre, est le cas de la Finlande. La Finlande est un pays
qui avait un taux d’incarcération très élevé,
proche du taux pratiqué dans les pays de la zone soviétique,
et qui dans les années 80 a fait un choix, politique, destiné
à marquer sa volonté de se rapprocher des Etats d’Europe
de l’Ouest, qui était de faire baisser le taux d’incarcération.
Ils l’ont mis en œuvre par une politique volontariste
de décarcération qui s’est traduite par une
véritable " fonte pénitentiaire ", puisqu’ils
sont passés de 300-400 détenus pour 100 000 habitants
à 80 pour 100 000 en l’espace de quatre ans. Il y a
eu une décision politique d’utilisation de peines alternatives
à l’emprisonnement, des peines de substitution, des
peines en milieu ouvert, des amendes, des travaux d’intérêt
général, etc.
En élargissant leur gamme de peines, en transformant leur
politique pénale, ils ont désengorgé leurs
prisons très rapidement, et sans que cela ait le moindre
impact sur la criminalité. On croit souvent que la prison
sert à dissuader, à neutraliser, à rétribuer,
ou réhabiliter.
Ce sont les quatre missions traditionnelles dans la théorie
pénologique, les quatre missions possibles de la prison.
En fait, quand on regarde en détail, la prison rétribue
peut-être, elle fait souffrir très certainement, mais
les trois autres fonctions n’ont jamais été
remplies à aucun moment de l’histoire.
Si on prend l’exemple américain, où l’on
a un système pénitentiaire très répressif
: est-ce que la prison dissuade ? Envisageons les infractions pour
lesquelles on a le plus de chance d’être emprisonné,
les violences contre les personnes, homicides, viols, etc. On sait
bien que ces actes sont, dans la plupart des cas, des actes commis
sous l’empire de l’émotion, ce sont des actes
passionnels, qui ne répondent pas du tout à un calcul
du type : je sors mon couteau et j’égorge ma compagne.
Si je risque dix ans de prison, je le fais, si je risque vingt ans
de prison, je ne le fais pas. À l’évidence,
des raisonnements de type rationnel ne sont pas du tout opérants
dans ce genre de situations. Donc, si l’on réserve
en priorité la prison à ces comportements, la prison
ne peut avoir d’effet dissuasif.
On pourrait dire que l’emprisonnement réhabilite.
Il suffit de passer un après-midi dans une maison d’arrêt
pour voir que tout dans la prison, que ce soit l’emploi du
temps, les missions du personnel de surveillance, l’agencement
physique, l’organisation temporelle d’une prison, tout
est tourné vers la sécurité et le maintien
de l’ordre interne. Et puis, ensuite, s’il reste un
peu de temps, on fera peut-être de la réinsertion,
ou du travail thérapeutique. Mais en fait, on s’aperçoit
que cette mission est complètement secondaire. Dans les faits,
elle est foulée aux pieds de manière routinière,
y compris dans les pays qui sont restés attachés à
la philosophie réhabilitionniste.
Pour ce qui est de la neutralisation, si on regarde les Etats-Unis,
il y a eu dans les années 70 toute une série d’enquêtes
qui ont montré que la plupart des programmes existant n’avaient
pas d’impact. Pourquoi ? Parce que c’étaient
des programmes en quelque sorte génériques, des programmes
de travail, de formation, d’éducation etc., qui ne
prenaient pas en compte la spécificité des situations
personnelles, juridiques, sociales des détenus. Qui plus
est, les déterminants de la délinquance, des carrières
délinquantes, sont des déterminants externes très
puissants. Donc, il faudrait que ces politiques thérapeutiques
et de réinsertion soient, elles-mêmes, très
puissantes. Or en général, ils n’ont pas les
moyens. Elles peuvent fonctionner un moment, tant que le détenu
est dans le cadre carcéral. Mais dès que le détenu
ressort, il est à nouveau soumis aux mêmes déterminismes
socio-économiques qui l’avaient amenés à
une carrière criminelle et qui vont produire le même
effet : c’est-à-dire le mener vers la récidive.
On parle de récidive, mais finalement, " récidive
" est un mot très mal choisi, car il suggère
que l’individu a fait un choix rationnel en recommençant
son geste, alors qu’en fait, il s’est retrouvé
dans les mêmes conditions sociales qu’auparavant. Et
les mêmes causes produisant les mêmes effets, il se
trouve ré-injecté dans une carrière criminelle.
Dans le cas des Etats-Unis, on a complètement mis au rebut
les politiques réhabilitionnistes sous l’effet d’une
double critique : une critique de gauche, et une critique de droite.
D’un côté on disait : " Regardez ces études,
elles montrent que de tels programmes n’ont aucun effet. Alors
pourquoi dépenser de l’argent public, quand on voit
que cela n’a aucun impact sur les taux de récidive
? ". Les tenants de cette position de droite étaient
plutôt contents de suggérer de revenir à une
politique de pure rétribution : mettre les gens en prison
pour les punir, pour leur faire mal. On avait également une
critique radicale, une critique de gauche, inspirée de Foucault,
des historiens radicaux sur la prison, qui tendait à dire
que finalement, mêmes les peines de substitution à
la prison, les peines en milieu ouvert, etc., ne sont que des versions
plus douces, mais aussi plus sournoises, de dispositifs de contrôle,
de dressage de l’individu. En quelque sorte, entre la prison
et le travail social, il n’y avait pas grande différence.
Tout acte — même un acte de réinsertion —
était vu comme un acte d’imposition. Ces deux critiques
du pouvoir comme présent partout se sont rencontrées,
et la conflagration qui a suivi a complètement délégitimé
la philosophie de réhabilitation. Par défaut, on est
tombé d’abord dans une philosophie de la neutralisation.
Francis ZIMRING et Gordon HAWKINS ont fait une très belle
étude de cette théorie de la neutralisation, qui montre
en fait une constatation de bon sens. Prenez, dans un quartier donné,
un dealer de drogue. Si vous le laissez faire, il deale. Mais si
vous l’arrêtez, on fait baisser la criminalité
puisqu’il ne deale plus, ne commet pas non plus d’éventuels
actes de violence. Mais dans la réalité, ce n’est
pas si simple que ça. Beaucoup d’actes de délinquance
sont ce que l’on appelle des crimes d’opportunité
auxquels quelqu’un s’adonne parce qu’il y a une
demande. L’opportunité de le faire est là.
L’exemple du dealer de drogue est un cas d’école.
Si dans un quartier pauvre vous avez dix dealers de drogue, et vous
les arrêtez par centaines : vous faites, comme aux Etats-Unis,
de la politique d’incarcération de masse, vous les
arrêtez tous. Le lendemain matin, à votre coin de rue,
à la place des dix dealers que vous avez arrêtés,
il y a dix nouveaux dealers. Pourquoi ? Parce qu’il y a une
demande : des consommateurs. Et ce sont les meilleurs emplois possibles
du quartier par rapport aux emplois déqualifiés ou
au chômage. Vous avez en fait recruté dix nouveaux
dealers. Loin d’avoir fait baisser la criminalité,
vous l’avez fait augmenter : vous avez amené une nouvelle
génération de jeunes dealers ! Qui plus est, vous
avez recruté des délinquants qui ont moins d’expérience,
ont moins de relations entre eux, vont devoir se repartager le marché,
et le feront en se livrant à des actes de violences. Dans
ce marché-là, on régule l’économie
informelle par la violence. Donc vous avez mis dix dealers en prison,
vous en avez recruté dix autres, et vous avez aggravé
les actes violences entre les dealers. Quand vos dix dealers arrêtés
vont ressortir, ils seront replongés dans les mêmes
conditions que celles qu’ils connaissaient avant leur incarcération,
et recommencer leurs infractions. En mettant dix dealers en prison,
vous avez augmenté l’activité criminelle, à
court terme et à long terme. Il y a maintenant des études
qui ont montré que dans les années 80 et au début
des années 90 une partie de l’augmentation des actes
criminels dans les rues est due à la politique d’emprisonnement
massif qui justement écrème la collectivité
criminelle et crée un appel de nouvelle main-d’œuvre
criminelle, moins bien expérimentée et régulée,
qui commet donc plus d’actes de violence. On a là un
bon exemple, montrant que, malheureusement, il ne suffit pas de
mettre un criminel derrière les barreaux pour faire baisser
la criminalité, ce qui semblerait pourtant être un
raisonnement de bon sens.
Si on se pose la question du sens de l’enfermement, est-ce
que la seule réponse que vous pouvez apporter est la suivante
: c’est une solution de facilité ?
Je pense qu’aux Etats-Unis, on a éliminé la
doctrine de réhabilitation, qui est caduque. Pour ce qui
est de la neutralisation, ça ne marche pas non plus. La dissuasion,
ça n’a pas d’impact. Il ne reste que la philosophie
rétributionniste, qui veut faire mal, punir pour punir. Là,
quand on regarde des enquêtes d’opinion, les gens n’y
sont pas si favorables que cela. En fait, aujourd’hui, il
n’existe pas véritablement de philosophie pénale.
Punir. Pourquoi ? Il n’y a pas de réponse. Il n’y
a pas de réponse à une question qui du reste n’est
jamais véritablement posée. Ce n’est pas la
question qu’on soulève, on pose d’autres questions.
C’est tout le débat qui a eu lieu en France sur le
livre du " bon docteur Vasseur ", qui a permis en fait
d’avoir un faux débat autour des conditions de la détention.
Est-ce qu’il faut améliorer les conditions de détention
? Dans les sociétés civilisées, oui, sauf si
justement on emprisonne pour faire mal. A ce moment-là, au
contraire, il faudrait même faire baisser le niveau des conditions
de détention, réintroduire le travail obligatoire,
casser des cailloux, nettoyer des fossés, comme on l’a
fait dans certains Etats du sud des Etats-Unis qui ont réintroduit
l’enchaînement des détenus, le port de l’uniforme
pour l’humiliation, le boulet, etc.
Tout ce débat en France, cette explosion médiatico-politique
autour des conditions de détention ! Personne n’a posé
la question : " Pourquoi enferme-t-on ? ".
En fait, on enferme par inertie, par routine, par peur de poser
la question proprement politique de savoir à quoi, à
l’aube du 21ème siècle, sert la prison. On a
peur de se poser la question et de faire face à l’échec
historique incroyable de cette institution, qui paradoxalement se
nourrit de son échec même ; puisque plus elle échoue
à réhabiliter, plus elle nourrit et entretient la
criminalité, et plus elle est justifiée de continuer
d’exister dans l’état où elle existe aujourd’hui.
On ne pose pas cette question, qui est une question qui demande
une réflexion de fond sur le type de société
dans laquelle on veut vivre : " A quoi sert la peine ? Punir.
Comment ? A partir de quelle échelle ? ", etc.
C’est un débat difficile puisque toutes les catégories
traditionnelles pour penser le châtiment sont aujourd’hui
caduques. Puisque l’on ne dispose pas des outils pour penser,
on évite d’y penser, on reste dans une sorte d’inertie.
Et puis, la prison a quand même une fonction : " invisibiliser
" les problèmes auxquels on ne sait pas faire face,
" invisibiliser " les catégories sociales qui posent
problème. Et " invisibiliser " les problèmes
auxquels on ne sait pas faire face sans une remise en cause fondamentale
des catégories politiques, des formes d’intervention
politique, des rapports sociaux, etc. De la même façon,
on ne sait pas quoi faire des personnes qui se droguent : on les
met en prison. On ne sait pas bien traiter toutes les formes de
maladie mentale : beaucoup de malades mentaux sont en prison. On
peut aujourd’hui exhumer des rapports faits au Ministère
de la Justice qui montrent que ce que le " bon docteur Vasseur
" a dénoncé était bien entendu connu de
tout le monde. En fait, la prison est surtout utile comme technique
d’invisibilisation des problèmes sociaux auxquels on
ne veut pas sérieusement faire face.
Au-delà de l’incarcération proprement dite,
que serait pour vous le sens de la peine ? Vous parlez essentiellement
des prisons, mais au-delà des prisons, d’autres peines
existent.
Je ne suis pas pénologue. Je ne suis pas non plus philosophe
de la pénalité. Mon travail consiste plutôt
à montrer comment paradoxalement, à une époque
où l’on semble entrer dans une société
nouvelle, on se sert à nouveau de la prison de la manière
dont on s’en servait à son origine historique, c’est-à-dire
comme instrument brut, direct, de régulation des pauvres,
des classes précaires, des gens qui ont été
désarrimés de leur position sociale et qui ne sont
arrimés nulle part. Il faut se rappeler que la prison, à
l’origine, provient de l’époque où le
mouvement d’enclosure débute et les paysans sont chassés
de la terre, rejetés du mode de production féodal,
mais le mode de production capitaliste ne s’est pas suffisamment
développé pour absorber toute cette masse de vagabonds.
Alors on va les mettre dans des maisons de correction, des maisons
de redressement, des maisons de travail, etc. pour les plier à
la nouvelle discipline du travail salarié émergent.
Eh bien aujourd’hui, on a à nouveau une mutation du
travail salarié, avec une désocialisation du salariat,
une émergence de formes de salariat " à la carte
", flexible, précaire, sans garantie, sans sécurité.
Il faut faire accepter ce nouveau salariat précaire à
la nouvelle classe ouvrière, au nouveau prolétariat
urbain des services. Et pour le faire accepter, il faut l’imposer,
par des innovations institutionnelles et idéologiques. C’est
aujourd’hui tout le nouveau discours moralisant…
Le discours du PARE1 ?
Oui, le discours sur le PARE, le discours également sur
le RMI, où l’on dit que vous recevrez une aide, mais
que vous devrez rendre quelque chose : tout un discours qui tend
à re-sacraliser le travail et qui tend, en quelque sorte,
à augmenter les profits symboliques attachés au travail
au moment où les profits matériels qui y étaient
attachés diminuent.
Il faut surtout que les gens " d’en bas " gardent
leur foi dans le travail au moment où celui-ci est de moins
en moins valorisé et valorisant. Alors, on le sur-valorise
moralement : " Travailler, c’est bien. ". Pour imposer
cette nouvelle norme du travail désocialisé, on va
l’imposer comme une norme civique en quelque sorte. Ceux qui
ont des titres universitaires, des diplômes techniques, ne
sont pas concernés puisqu’ils sont toujours dans un
marché du travail relativement protégé, organisé.
Pour les autres, il faut leur faire accepter cet horizon du travail
désocialisé, en utilisant à la fois tous ces
discours et dispositifs moralisants, mais également en augmentant
le coût des stratégies de résistance et des
stratégies de fuite hors du salariat précaire. Or,
quelle est la première stratégie de fuite du salariat
précaire ? C’est d’aller vers l’économie
grise, l’économie de la rue, l’économie
informelle. Mais si, par une répression policière
et pénale, vous augmentez drastiquement le coût de
la participation à cette économie, en surveillant
particulièrement ces quartiers-là, en faisant des
opérations de police, en réprimant fortement le trafic
de drogues etc., par contrecoup vous encouragez tous ceux qui auraient
trouvé le moyen de survivre à la marge du salariat
à accepter ce que mes amis du ghetto de Chicago appellent
des emplois d’esclaves.
Je vais vous donner un exemple très concret pour illustrer
cela. C’est mon ami Ashante, mon partenaire de sparring de
la salle de boxe de Chicago où j’ai fait mon travail
de terrain pendant trois ans. C’est un jeune issu du ghetto.
Son père était camionneur, sa mère faisait
des ménages, sept gosses, vivant dans la misère pendant
toute son enfance. Il me racontait comment, lorsqu’ils étaient
tout petits, sa mère leur faisait des sandwichs à
la moutarde, au ketchup, parce que c’était tout ce
qu’il y avait à manger. Il a été élevé
dans un quartier très dur, avec des écoles en banqueroute
complète qui les menaient dans le mur, littéralement.
Il a été jeune délinquant, membre d’un
gang très jeune, il est tombé à 17 ans pour
une affaire de braquage, il a pris 12 ans, il a fait 7 ans. Donc,
il est sorti à 28 ans de prison, et quand il raconte sa propre
jeunesse, il raconte comment il cherchait à éviter
ces emplois d’esclaves, éviter les emplois où,
comme il dit, il faut faire des claquettes et sourire, comme ces
personnages des films racistes, de l’ère ségrégationniste
des années 50. Pour lui, participer à cette économie
violente, de prédation, de la rue, c’était une
manière de résister à ces emplois d’esclave.
Après ce premier passage en prison, il est sorti, et il est
tombé sur la salle de boxe. La salle de boxe lui a donné,
en quelque sorte, un bouclier protecteur contre la rue, et il a
commencé une seconde carrière, où il utilisait
sa capacité à supporter la violence pour résister
là encore à ces petits emplois précaires de
misère. Tant que sa carrière de boxe a marché,
il a continué. Quand la salle de boxe a fermé, sa
carrière de boxe est tombée, et il est reparti vers
l’économie de la rue, vers les métiers qu’il
connaissait. Et là, il a été condamné
à nouveau, une première fois à deux ans, il
a été condamné une seconde fois à six
ans ; et là, la dernière fois où je suis retourné
à Chicago en 1998 pour aller témoigner à son
procès, il était jugé pour trafic de drogue,
en raison d’une simple possession de moins de 5 grammes de
crack, pour laquelle il encourait entre 6 et 30 ans de prison. En
fait, il aurait probablement dû faire entre 20 et 25 ans,
et donc je suis allé témoigner, et comme un blanc,
professeur, universitaire est venu témoigner, il n’a
été condamné qu’à 6 ans. Cette
peine était de toute façon automatique, le juge n’a
aucune possibilité de modifier cette peine. Donc il a fait
ses six ans. Quand on s’est quitté, il partait donc
en prison pour ces 6 ans, et quand il est sorti, il m’a écrit
une très belle lettre, en me disant : " Tu vois, je
suis sorti de la " petite prison " pour rentrer dans la
" grande prison " du ghetto. ". Et pour me dire,
que maintenant, il a des gamins de 10-11 ans, il sait que s’il
est repris, la perpétuité sera automatique, quelle
que soit l’infraction pour laquelle il serait arrêté.
Il m’a dit que les boulots d’esclaves étaient
sa dernière solution. On voit ici l’effet de cliquet
: à chaque passage par le système pénal, en
vertu des lois sur la récidive, il fait face à des
peines de plus en plus disproportionnées, de plus en plus
lourdes. Là, il est arrivé, en quelque sorte, au bout
de sa résistance. Maintenant il accepte. Il a 38 ans, et
il a accepté un boulot de magasinier dans un grand magasin
de Chicago, il a accepté un boulot d’esclave.
Ceci dit, vous qualifiez la boxe de boulot d’esclave, dans
un récent article du Monde Diplomatique.
Oui, c’est un système esclavagiste également,
mais dans lequel on entre volontairement, et dans lequel on peut
trouver une dignité. L’article du Monde Diplomatique
est consacré à une face du monde de la boxe. Il existe
toute une autre face, qui n’est pas dans cet article : la
boxe est un monde très moral. On peut y être connu
et estimé. C’est un monde structuré, qui met
à l’abri de la rue. Et puis il y a l’honneur
masculin, qui y est très important. Il s’agit là
d’un des grands griefs qu’ils ont contre les boulots
d’esclaves : ce sont des boulots féminisants, des boulots
où il faut s’humilier en permanence, devant le patron,
devant les clients. Il ne reste même plus ce dernier rempart
de l’honneur masculin. Ces boulots sont donc en quelque sorte
doublement vexatoires, à la fois économiquement, mais
aussi culturellement. Ils sont humiliants, ou en tout cas, perçus
comme tel.
Donc, pour vous, le système pénal agit comme une
sorte d’injonction : soit on s’intègre à
la société qui nous est proposée, soit on est
neutralisé finalement.
C’est ça. Il y a deux fonctions, analytiquement :
deux fonctions économiques indirectes qui sont jouées
par le système pénal aujourd’hui, ou plutôt
jouées par le renflement du système pénal.
Le système pénal sert à tous moments une pluralité
de fonctions. Il y a différentes formes de l’enfermement.
C’est la sociologue Claude Faugeron qui a introduit cette
distinction très utile. Il y a trois formes, trois modalités
de l’enfermement.
Il y a l’enfermement de sécurité, qui vise
à mettre derrière les barreaux l’individu qui
nuit aux autres. Cette forme d’enfermement correspond à
une réalité. Je ne fais pas partie de ces naïfs
qui pensent qu’on pourrait avoir un emprisonnement zéro.
Il y a des individus qui sont dangereux. Il y a ensuite un enfermement
d’autorité, qui vise à réaffirmer l’autorité
de l’Etat, en tant que représentant collectif de la
société, pour édicter des règles et
marquer son autorité. Ensuite, vous avez un troisième
enfermement, qui est l’enfermement de ségrégation,
visant à mettre à l’écart des groupes
considérés comme indésirables ou déviants.
Et là, on voit très bien que dans la conjoncture
présente, ces 15-20 dernières années, il y
a eu tout un renflement de l’enfermement dans les sociétés
avancées qui n’est pas dû à une augmentation
de l’enfermement de sécurité. La plupart du
temps, il n’y a pas eu d’augmentation de la criminalité
violente, par exemple, il y a même eu une diminution constante
en France, en Europe. Aux Etats-Unis, c’est encore plus flagrant
puisque sur les 9 dernières années, il y a eu une
décrue très marquée de la criminalité
violente. Il y a donc eu plutôt augmentation de l’enfermement
de ségrégation, des catégories qui désiraient
ne pas se plier à cette nouvelle forme de salariat précaire,
ce qui devient une forme de déviance par rapport à
la nouvelle norme sociale. On se sert donc de la prison pour imposer
cette norme, pour discipliner le nouveau prolétariat des
services à leur avenir. Et puis, il y a aussi une nouvelle
forme de l’enfermement ségrégatif qui est une
mise à l’écart. On se sert de la prison comme
d’une sorte d’entrepôt de catégories surnuméraires.
Il y a une partie du prolétariat qu’on va forcer à
accepter le nouveau travail désocialisé, et une autre
partie qui, en l’état actuel de l’offre d’emplois,
est en fait une population en surplus. Il faut bien entreposer ces
gens quelque part ! On va donc les entreposer dans des quartiers
de relégation que sont devenus les anciens quartiers ouvriers
désindustrialisés, laissés à l’abandon
urbain, mis en jachère urbaine par les politiques économiques
et sociales des gouvernements, pas par l’opération
du Saint-Esprit ! Mais si dans ces quartiers-là, ils créent
trop de désordre, trop de disruption, trop de violence, ils
font trop parler d’eux, à ce moment-là, on les
entrepose ailleurs : dans les prisons. Ces quartiers de relégation
et les prisons se trouvent donc jouer des fonctions équivalentes,
de mise à l’écart, et de ségrégation.
Segregare signifie mettre à l’écart. La prison
sert à mettre à l’écart des catégories
qui sont en fait déviantes au regard des nouveaux requis
de l’ordre économique et social, pas déviantes
au regard, nécessairement, de la loi pénale.
On a donc une première fonction de l’emprisonnement
qui est de discipliner le salariat et de le forcer à accepter
l’emploi précaire et désocialisé. Une
deuxième fonction qui est d’entreposer les fractions
les plus dévalorisées du sous-prolétariat,
qui n’ont pas d’utilité économique. Et
une troisième fonction, qui est très importante également,
qui est proprement politique, et qui renvoie à l’enfermement
d’autorité : réaffirmer la légitimité
de l’Etat et compenser le déficit de légitimité
dont souffrent les politiciens, justement du fait qu’ils organisent
la dérégulation économique et sociale. Quand
vous avez une élite politique qui vous dit que " l’Etat
ne peut pas tout faire " comme le disait M. Jospin au moment
de l’affaire Michelin, alors que Michelin annonçait
des profits records et en même temps annonçait des
licenciements par milliers. Quand l’Etat " ne peut pas
tout faire ", qu’il ne peut plus garantir la sécurité
de l’emploi, la sécurité des revenus, la sécurité
de vie, qu’il dérégule l’économie
et se retire de ses missions sociales, on pourrait se poser la question
: " Alors, pourquoi des politiciens ? Pourquoi des partis ?
". Les politiciens eux-mêmes se sont mis dans une situation
de déficit de légitimité qu’ils comblent
en réaffirmant les prérogatives de l’Etat. Il
y a un domaine intéressant à cet égard, un
domaine où l’on ne dit pas que l’Etat ne peut
pas tout faire. C’est le domaine de la criminalité
qui est pourtant un domaine où, paradoxalement, l’Etat
est très, très faible, en termes de moyens. L’impact
des politiques pénales sur la criminalité, partout,
est très faible. Les pays qui ont des taux de criminalité
bas sont plutôt des pays où l’inégalité
sociale est réduite et n’ont pas de situations de grande
pauvreté. En fait, ces pays jouent sur les mécanismes
de production de la délinquance et de la criminalité,
et donc, ils ont là un impact. Mais ils n’ont pas un
impact parce que leur système judiciaire, pénal a
adopté telle ou telle forme. Partout, les systèmes
policiers, judiciaires et pénaux n’ont que très
peu d’impact sur la criminalité. J’ai l’habitude
de dire, dans les conférences publiques, que la tactique
de pénaliser la misère est foncièrement injustifiable
dans un régime républicain, car ce n’est pas
la fonction du système pénal, même pour ceux
qui veulent lutter contre le crime et qui se plaignent aujourd’hui
de la violence et de la criminalité. D’accord, c’est
vrai, luttons contre le crime. Je suis d’accord avec vous,
moi aussi je veux faire baisser les chiffres de la criminalité.
Ils disent, on va se servir de la police, de la justice, et de la
prison, ça va de soi. Après tout, ils sont là
pour ça. Très bien, regardons alors tout simplement
l’impact que cela va avoir. On va prendre l’exemple
des Etats-Unis qui a surdéveloppé son appareil policier
et pénal, qui dépense 40 milliards de dollars chaque
année pour le contrôle du crime, pour l’emprisonnement,
plus de 400 milliards de dollars pour toutes les dépenses
liées au crime et qui a 700 prisonniers pour 100 000 habitants,
soit sept fois le taux de la France, 2 millions de détenus
derrière les barreaux, dont 1 million de détenus non-violents.
C’est un pays qui a surdimensionné son système
de justice et son système pénitentiaire. Regardons
l’impact que cette politique a, non pas sur la petite et moyenne
délinquance, mais sur les actes violents contre les personnes
: meurtres, homicides, viols, agressions à main armée.
Il y a chaque année 4 millions d’atteintes, sur ces
4 millions d’atteinte que l’on décide donc de
ne traiter qu’à l’aide de l’appareil policier
pénal, on va pouvoir constater ce que les criminologues appellent
l’effet d’entonnoir. Sur ces 4 millions d’atteintes
aux personnes, il n’y en a qu’1,8 million qui sont déclarés
aux autorités. Si vous ne décidez de traiter la violence
qu’à l’aide de votre appareil policier et pénal,
vous ne pourrez traiter que moins de la moitié des violences
puisqu’on en a déjà la moitié qui s’est
évaporée au stade de la déclaration. Sur les
1,8 million qui sont portés à la connaissance des
autorités, seulement 800 000 vont faire l’objet d’une
plainte au pénal, et ces 800 000 vont encore fondre, puisqu’on
n’aura que 200 000 procès. Et ces 200 000 procès
ne donneront lieu qu’à 150 000 condamnations à
de la prison. 150 000 condamnations à de la prison contre
4 millions d’actes de violence annuels, cela représente
3% ! Donc dans le meilleur des cas, dans la société
américaine qui a surdéveloppé son système
judiciaire et pénal avec des politiques extraordinairement
répressives, on traite avec le bras pénal de l’Etat
3% des violences les plus graves. C’est vous dire qu’on
ne traite pas la petite et moyenne délinquance ne manière
efficiente. Si demain, les Etats-Unis doublaient encore leur population
incarcérée, dans le meilleur des cas, ils traiteraient
6% des violences les plus graves. Donc, on voit bien que s’engager
dans la voie qui consiste à traiter la délinquance
et la criminalité simplement avec l’appareil policier
et pénal, c’est se condamner à l’inefficience.
Donc, ce n’est pas une question de se montrer de droite ou
de gauche, progressiste ou régressiste. Si vous êtes
sérieux et que vous voulez vraiment faire baisser la délinquance,
vous êtes forcé d’avoir comme première
stratégie, une stratégie économique et sociale
; c’est-à-dire de vous servir des autres bras de l’Etat
pour agir sur les mécanismes producteurs de la criminalité,
plutôt que sur les mécanismes répressifs, qui,
en fait, partout, sont pratiquement sans effet sur la criminalité.
On peut avoir donc la même analyse en France et critiquer
sur ce fondement-là les références que l’on
fait à la théorie de la vitre cassée.
Pour critiquer la théorie de la vitre cassée, encore
eut-il fallu que ce soit une théorie !
Il faut savoir, déjà, qu’il s’agit au
départ d’un article écrit par deux politologues
d’extrême droite, dans une revue qui s’appelle
Atlantic Monthly, publié en 82, et qui est une revue comme
l’Express : ce n’est pas une revue scientifique, mais
un news magazine mensuel, dans lequel cet article a été
publié en vue de justifier des politiques policières
qui avaient déjà pris cette forme. Cette pseudo-théorie
n’a pas reçu le moindre début de preuve empirique.
Il existe un livre que l’on cite souvent, c’est un livre
écrit par le politologue Wesley Skogan, il existe une note
critique assez longue parue en 1993 dans Les Actes de la Recherche
sur ce livre qui s’intitule Désordres dans la Ville,
et cette enquête est supposée montrer qu’effectivement,
les quartiers dans lesquels il y a le plus de désordre de
la vie quotidienne, de dégradations du bâti, etc.,
sont aussi ceux dans lesquels qu’on a aussi le plus de crimes.
Mais quand on lit bien cette enquête, on se rend compte qu’effectivement,
ce sont les quartiers qui sont aussi les plus ségrégués,
et aussi les quartiers les plus pauvres. En fait, ce sont surtout
la ségrégation et la pauvreté qui créent
la violence criminelle, corrélée avec les dégradations
du bâti, et les petits désordres dans la vie quotidienne.
Mais corrélation n’est pas causalité.
Cette étude a récemment été reprise
par un juriste qui s’appelle Bernard Hardcort, qui est d’ailleurs
francophone, qui a écrit un long article où il décortique
toute la politique new-yorkaise de tolérance zéro
basée sur cette pseudo-théorie de la vitre cassée.
Il montre que toutes les données dont on se sert sont en
fait complètement fausses et prouvent l’inverse de
ce que l’on prône. Ce n’est donc pas une théorie,
elle n’a jamais reçu la moindre preuve empirique, par
contre elle a été présentée comme une
théorie. Il y a eu un marketing idéologique très
efficace, qui l’a présentée comme la base criminologique
sur laquelle s’est déployée la politique de
répression, de nettoyage des rues à New-York. Cette
politique est en fait une politique visant à toucher l’électorat
blanc des classes moyennes supérieures qui voulait réinvestir
la ville, et la nettoyer des sans-abris, des mendiants, des gens
considérés comme déviants ou dangereux. On
a donc engagé cette politique que l’on a voulu justifier
par une théorie qui, en plus, n’a rien à voir
avec la baisse de la criminalité à New-York.
N’est-on pas en France sur la même pente avec la politique
en matière de droit des étrangers et l’intrusion
du droit pénal dans le droit des étrangers ? Ne s’agit-il
pas également d’une logique d’enfermement par
ségrégation pour les mêmes motifs ?
Tout à fait, en France, pourquoi traite-t-on les infractions
à la législation sur l’entrée et le séjour
sur le territoire sur le terrain pénal ? Ce ne sont que des
infractions administratives. On pourrait choisir de ne les traiter
qu’administrativement. Or on choisit de les traiter par l’enfermement.
Ça correspond à l’enferment de ségrégation.
C’est une manière de marquer que ce sont là
des indésirables que l’on extirpe du corps national
et que l’on met à part. On se sert à nouveau
de la prison pour gérer un problème qui est un problème
administratif. Par ailleurs c’est un phénomène
qui nourrit la mythologie collective selon laquelle les étrangers
sont particulièrement représentés dans la criminalité,
et que la montée de l’immigration et la criminalité
seraient liées. En fait, il est vrai que les étrangers
sont fortement sur-représentés dans les prisons françaises.
Mais quand on fait la part des arrestations pour les infractions
spécifiques aux étrangers, on s’aperçoit
qu’en fait ils sont déjà moins sur-représentés.
Et quand on contrôle leur origine de classe on s’aperçoit
qu’ils sont en fait ni plus ni moins ouverts à la criminalité
que les habitants du pays.
Donc, les clivages ici se superposent, c’est-à-dire
un clivage à la fois ethnique et économique.
Oui, un clivage ethnique et de classe.
On se sert ici de l’emprisonnement pour tracer encore une
frontière, entre ceux qui appartiennent au corps national
et ceux qui ne lui appartiennent pas. Donc on rejette les étrangers
de l’autre côté, on se sert de la prison pour
marquer cette frontière. En même temps qu’on
va faire plier économiquement une grande partie de ces étrangers
qui sont aussi des prolétaires, des sous-prolétaires
au bas de la classe ouvrière ; on va leur signifier que s’ils
veulent rester sur le territoire, il faudra qu’ils se plient
à la nouvelle discipline du salariat désocialisé.
N’est-on pas ici à la frontière également
d’un enfermement d’autorité où l’Etat
cherche à récupérer un peu de sa légitimité…
Et réaffirme parallèlement et paradoxalement à
côté de sa soi-disant incapacité à réguler
l’immigration qu’au moins sur ce terrain pénal,
il est présent. Il fait du spectacle, en se servant du système
pénal comme un théâtre moral et symbolique dans
lequel on va réaffirmer les frontières. C’est,
par exemple, toute la dramaturgie qui se joue autour des aéroports.
On nous fait croire que les entrées de l’immigration
délinquante se jouent dans l’aéroport, comme
si les gens rentraient par milliers dans les aéroports qui
est le lieu où il est le plus facile de les contrôler.
Et donc, on a cette théâtralisation des arrestations,
des zones dans lesquelles l’on retient les gens, des hôtels
dans lesquels on les met, des expulsions en avion, etc. pour marquer
que l’Etat fait quelque chose, que l’Etat ne se laisse
pas bafouer, pour affirmer que les frontières du corps national
sont gardées. Alors que parallèlement vous allez à
la frontière espagnole, italienne, etc. et tout le monde
peut passer. Mais pour l’opinion publique, pour le théâtre
collectif, le théâtre civique, il faut marquer qu’il
y a toujours une frontière nationale. Parce qu’un corps
sans frontière, sans limite, c’est un corps dévalorisé,
un corps sans forme. Donc pour donner une forme, une physionomie
au corps national, il faut en permanence réaffirmer ses frontières,
et on se sert de l’appareil policier et pénal pour
le faire. Il se développe aujourd’hui tout un discours
critique sur la police, qui est inefficace, qui ne résout
que 10% des cambriolages, 30% des vols à main armée…
Mais ce n’est pas nouveau, ça a toujours été
le cas ! La police n’est pas là pour lutter contre
le crime, elle est là pour réaffirmer l’autorité
de l’Etat, pour faire respecter un ensemble de règles
minimales. Sa capacité de lutte contre le crime est aujourd’hui
très faible. Mais elle a toujours été très
faible ! Et elle sera toujours très faible ! D’attendre
de la police qu’elle lutte contre le crime, de manière
efficace, c’est tomber dans une espèce de mythologie
de feuilleton télévisé !
Plusieurs fois au cours de cet entretien, vous parliez de "
choix ", choix de politique pénale, etc. Pourriez-vous
préciser ? Car qui dit choix, dit décision, prise
par quelqu’un, comment, etc.
C’est un choix politique, pris par l’appareil politique,
c’est aussi un choix de société, sur le type
de société dans laquelle on vit. Je pense qu’en
France, aujourd’hui, si l’on disait que l’on veut
passer au taux d’incarcération des Etats-Unis, donc
nous allons passer d’environ 50 000 détenus en France,
mettons, à 500 000, nous allons passer de 84 établissements
pénitentiaires à 3000, ce ne serait pas le type de
société acceptable dans l’imaginaire collectif
des Français, dans la représentation qu’ils
ont de leur pays, même pour des gens de droite. Ce ne sont
pas des choix conscients, il n’y a pas de débat au
Parlement sur la question de savoir à quel chiffre on va
fixer le taux d’incarcération. Mais, il existe un ensemble
de mécanismes qui fait que, quand le taux est trop bas, on
va tendre à le réactiver. On va alors entendre des
discours sur le laxisme, sur l’impunité des criminels,
etc. Et puis quand ce taux a tendance à monter trop haut,
il y a un ensemble de mécanismes homéostatiques qui
rétablissent l’équilibre ou tendent à
le faire redescendre.
Si on emprisonne trop, les prisons vont être engorgées,
les juges prononceront alors des peines moins lourdes, notamment
pour les petits délinquants, etc. A tous les stades, les
policiers, commissaires, juges, administration pénitentiaire,
tous ces corps peuvent réagir pour réajuster le taux.
On se situe alors dans une sorte de moyenne de taux d’incarcération,
qui n’est pas consciemment décidée par la société
; mais qui correspond au type de société dans lequel
on veut vivre, dans lequel il est acceptable d’avoir tel ou
tel taux d’emprisonnement. Ce serait intéressant de
poser cette question-là. Au lieu de décider, à
l’aveugle en quelque sorte, à partir de critères
culturels et politiques, de fixer un taux d’incarcération,
on pourrait essayer d’avoir un débat rationnel. On
pourrait avoir des débats au Parlement, qui plutôt
que de tourner autour des conditions de détention pourrait
poser la question de savoir pourquoi nous enfermons tant de gens.
Et quelle est la raison de leur présence derrière
les barreaux ? Pourquoi des petits dealers ou consommateurs de cannabis
croupissent aujourd’hui en prison. Ils ne causent de dommages
ni à autrui, ni à eux-mêmes. Ils enfreignent
une règle morale selon laquelle on ne doit pas se donner
de plaisir. Bon, mais si on veut la faire respecter, pourquoi n’imagine-t-on
pas une peine autre que l’emprisonnement, quand, à
l’évidence, cet emprisonnement ni ne dissuade, ni ne
neutralise ? D’ailleurs, il circule en prison autant de cannabis
ou de shit que dans les quartiers dans lesquels on va arrêter
ces consommateurs.
Vous parlez de choix de l’appareil politique, mais qu’en
est-il des citoyens ?
Il y a en effet une pression des citoyens. Il y a une demande des
citoyens de sanction pénale. Et dès que l’on
parle de sanction, de sanction pénale, tout le monde pense
" prison " ; alors que l’on pourrait inventer et
utiliser une gamme de peines ajustées à l’acte
qui a été commis. Plutôt que de retomber, en
quelque sorte par défaut de réflexion politique et
pénale, sur la prison comme sorte de peine " réflexe
" quelle que soit l’infraction, et même quand cette
peine est totalement dépourvue de logique. Dans le cas d’un
quadruple meurtrier qui a promis de continuer d’assassiner
tous les membres d’une famille, bon, l’emprisonnement
a bien sûr une justification logique. Mais dans le cas du
petit consommateur de shit ?
Il faut savoir que la répression des petits consommateurs
de drogue — et pas des gros bonnets ! — a été
en France l’un des principaux vecteurs d’alimentation
de l’emprisonnement. Il y a une hypocrisie remarquable ici
! On fait de la répression, de l’enfermement d’autorité.
Il s’agit de marquer la règle et de marquer que c’est
l’Etat qui fixe la règle et pas l’individu. Mais
on peut se poser la question de savoir s’il n’existerait
pas des moyens plus intelligents d’affirmer la règle
: donner des peines de substitution, par exemple, faire de ces consommateurs
de cannabis des éducateurs, qui iraient dans les écoles,
qui feraient des campagnes d’information sur la consommation
des drogues ! Ce serait beaucoup plus efficace, ça créerait
moins de dépenses pénitentiaires, en éliminant
tout un volant d’emprisonnement qui est un non-sens pénologique.
Quand je parle de choix politique et culturel, c’est un choix
qui n’est pas pris en tant que tel de manière consciente
à l’issue d’un débat rationnel. Mais on
pourrait justement imaginer, et agir, pour faire en sorte qu’il
y ait un vrai débat rationnel autour de la question de savoir
pourquoi les gens sont en prison. Et qu’est-ce qui le justifie
aujourd’hui ? On pourrait prendre les 54 000 détenus
des prisons françaises, par catégorie d’infractions,
en fonction de leurs parcours, de leur position sociale, etc. et
on s’apercevrait immédiatement que l’on a un
énorme volant, entre la moitié et les 2/3 des détenus
aujourd’hui, qui en fait seraient traités beaucoup
plus intelligemment par des peines alternatives à l’emprisonnement.
A la fois sur le plan social, puisque cela reviendrait moins cher,
sur le plan criminel, pénologique, puisqu’on sait que
le meilleur endroit pour devenir criminel, établir des réseaux,
etc. c’est la prison. Et puis, ça serait beaucoup moins
destructeur pour les personnes passant par le système pénitentiaire.
Pensez-vous que mettre à jour ce débat rationnel
soit l’un des rôles du chercheur en sciences sociales
?
Le rôle du chercheur social consiste à utiliser nos
compétences spécifiques pour à la fois déconstruire
le débat public quand il est mal construit, comme c’est
le cas ici, et apporter des instruments de réflexion, des
concepts, des données, un savoir historique, des comparaisons
avec d’autres pays, avec d’autres époques, pour
essayer de faire que le débat touche aux vrais problèmes
et s’appuie sur un fondement rationnel et non pas sur un simple
fondement émotionnel — comme l’a été,
et comme l’est toujours aujourd’hui le débat
sur les prisons. Encore aujourd’hui, le débat sur les
prisons est essentiellement un débat moral et émotionnel.
Voyez l’indignation de la " bonne Madame Vasseur "
qui a découvert ce que tous les visiteurs de prison savent,
ce que tout le personnel de l’administration pénitentiaire
sait, etc. que dans nos belles prisons de France, les conditions
de détention ne sont pas aussi roses qu’on pourrait
le croire quand on faisait du sanitaire en hôpital. En effet,
depuis peu, l’administration de la santé pénitentiaire
a été intégrée à la santé
publique, et maintenant, les mêmes médecins qui travaillaient
dans les hôpitaux travaillent dans les prisons. Et passant
des hôpitaux à la prison, ils sont complètement
effrayés des conditions sanitaires dans les prisons. Mais
pour quiconque avait travaillé dans les services de la santé
pénitentiaire, ce que Mme Vasseur décrit dans son
livre est d’une banalité effrayante.
Ce débat n’a été qu’un débat
d’indignation : " Ce n’est pas digne de la patrie
des droits de l’homme ! ". Que faire pour amener nos
standards sanitaires des conditions de vie pénitentiaire
au niveau de l’image du pays que l’on veut avoir ? Vous
voyez ici que cela correspond à un choix : on ne veut pas
détruire l’image que l’on a de la " France,
pays des droits de l’homme ". Pour cela, on veut améliorer
les conditions de vie en prison. On aurait pu imaginer que cela
se traduise par une baisse — légère —
de l’emprisonnement. Donc, il y a bien ici un choix. Il n’y
a pas un choix sur le taux d’emprisonnement, mais on fait
le choix du type de société que l’on veut être.
On n’accepte pas ici, par exemple, des conditions de détention
où l’on aurait quatre ou cinq personnes par cellule,
comme c’est le cas dans les pays de l’ancienne Europe
de l’Est ; ou comme au Brésil, où l’on
appelle les gens détenus dans les maisons d’arrêt
de Sao Paulo, " les jaunes ", parce qu’ils deviennent
tout jaunes à cause du manque d’air. Dans ces maisons
d’arrêt, ils sont vingt dans une pièce de deux
mètres sur trois. Il faut qu’ils prennent leur tour,
un par un, pour s’allonger, pour dormir, pour faire leurs
besoins, pour se relever, serrés comme dans le métro.
Cela serait intolérable en France. On n’accepterait
pas cela, et donc il y aurait des réactions, et donc il y
aurait des débats… et donc on réglerait le taux
d’incarcération de telle sorte qu’il corresponde,
en gros, à l’image du type de société
qu’on pense que l’on est.
Mais il pourrait y avoir un débat, explicite, rationnel,
systématique, sur le taux d’incarcération :
aujourd’hui le taux d’incarcération tourne autour
de 90-95 détenus pour 100 000 habitants. Regardons quelle
est la population incarcérée. Nous observons qu’il
y a 38% de personnes en détention provisoire, dont probablement
les 2/3 pourraient attendre leur procès chez eux, 20 000
personnes environ. Et nous avons, par exemple, un volant de condamnés
pour de petites affaires de stupéfiants qui pourraient faire
l’objet de traitements sanitaires systématiques. On
pourrait donc imaginer d’abaisser le taux d’incarcération
de la France à environ 50 pour 100 000. Ce faisant, nous
nous engagerions à une politique rationnelle, pénitentiaire
et pénale — non d’impunité—, mais
où l’on traite un certain nombre de catégories
d’infractions de telle sorte que l’on s’arrangerait
pour rester à un taux d’incarcération tournant
autour de 50 détenus pour 100 000 habitants.
On pourrait alors, comme certains pays scandinaves, instaurer un
numerus clausus, et ne plus construire de prisons. La grande erreur
— je crois, à l’heure actuelle — est de
croire que l’on va améliorer les conditions de détention
en construisant plus de prisons. Toute l’expérience
historique de tous les pays montre que, quand on construit plus
de prisons dans une période de répression pénale,
tout ce qu’on arrive à faire, est d’arrêter
et de condamner plus de gens à la prison. Donc, là
où l’on avait dix établissements pleins, on
en aura douze, et ils seront pleins ! En instaurant un numerus clausus,
on ne construit plus d’établissement. Donc, on maintient
la population carcérale au niveau où elle est déjà.
Et donc, pour toute personne qui entre en prison, il faut en faire
sortir une. C’est comme cela que fonctionnent les pays scandinaves.
Ce qui veut dire que l’on doit gérer en quelque sorte,
la ressource pénitentiaire comme une ressource rare, au lieu
de la gérer comme une ressource indéfiniment extensible
et de chercher à l’étendre.
Parce que quand on l’étend, cela conduit à
réprimer toujours plus, et cela conduit donc à ne
pas se poser la question de savoir pourquoi l’on enferme.
Faire plus de prisons, construire des prisons, dans lesquelles les
conditions de détention sont plus acceptables, c’est
en fait se mettre dans une situation où, à nouveau,
on n’aura pas à se poser la question : " Pourquoi
envoie-t-on les gens en prison ? ". Qu’on nous dise !
Pourquoi envoie-t-on les gens en prison ? Pourquoi Mme Guigou —
et aujourd’hui, Mme Lebranchu — nous annoncent fièrement
que l’on va construire à nouveau des prisons, que l’on
va débloquer des milliards de francs ?
Mais on pourrait poser la question suivante à Mme Guigou
et Mme Lebranchu : " Pourquoi va-t-on mettre quelques milliers
de personnes de plus en prison, quand on sait déjà
que sur les 54 000 qui croupissent derrière les barreaux,
pour les 2/3 au moins on est incapable de fournir la moindre justification
à leur présence derrière les barreaux, sauf
la routine et l’application de l’emprisonnement comme
peine automatique ? ".
On pourrait imaginer une politique systématique de numerus
clausus à la construction, numerus clausus du nombre des
détenus, voire même, une politique de décarcération
méthodique, fixant comme objectif de politique pénale
ayant pour objectif de passer par exemple à un taux de 75,
puis de 60, puis de 50 détenus pour 100 000 habitants sur
dix ans.
Dès que l’on dit cela, évidemment, les gens
bondissent, crient au laxisme, à l’impunité.
Pourtant, il n’est pas question ici de traiter le crime, mais
de traiter l’emprisonnement. Il faut évidemment dans
ce cas mettre en œuvre une vraie politique de développement
des peines alternatives à l’emprisonnement.
Pour les 4/5 des atteintes en France qui dans la grande majorité
sont des atteintes non violentes et des atteintes aux biens, il
est tout à fait rationnel d’utiliser des peines alternatives
à l’emprisonnement. Prenez quelqu’un qui a commis
un vol à l’étalage, à la roulotte ou
les vols dans les voitures. Les principaux vols en France sont les
vols dans les voitures. Pour ce type de vol, on peut imaginer qu’ils
sont commis par des adolescents. On peut facilement imaginer pour
ces délits des peines de restitution, des peines de travaux
d’intérêt général, qui sont beaucoup
plus utiles, plutôt que de mettre un gamin, soi-disant "
sauvageon ", en prison quelques jours, quand ça n’aura
fait qu’encourager sa défiance à l’autorité,
sa conviction qu’il n’est pas respecté, qu’il
est mal traité, etc. Cela n’a pas rendu la victime
du vol plus contente ! Si on permet au jeune de faire un travail
d’intérêt général, de travailler
assez pour rembourser le dommage qu’il a causé, plus
une petite somme à donner à la victime, pour son dommage
moral ; une somme que le délinquant doit gagner. D’une
part, cela permet au jeune de se réinsérer dans le
cadre d’une structure liée au travail, qui n’est
pas désocialisante comme l’expérience de la
prison. Cela le couperait également de son réseau
de délinquants, le cas échéant. En plus, ça
le met dans un rapport très différent avec la victime,
un rapport moral, un rapport d’échange avec la victime.
Au travers de l’acte de réparation, c’est donner
un sens à la peine. Là, ce travail prend une signification.
On peut très bien imaginer de mettre en place des dispositifs
généralisant ces peines de réparation (jours-travail).
De même, pour les jeunes qui commettraient des dégradations,
qu’ils soient mis dans des brigades que l’on emploierait
pour nettoyer les graffiti. Ils seraient payés et cela leur
permettrait de rembourser les conséquences du dommage. Tout
cela, c’est donner un sens à la peine. Or qu’est-ce
que donner un sens à la peine ? C’est réfléchir
sur la peine. Or réfléchir sur la peine, on ne le
veut surtout pas ! Car dès qu’on le fait, on s’aperçoit
du non-sens qu’est le système d’emprisonnement
systématique tel qu’on le pratique aujourd’hui.
A ce propos, est-ce que vous pensez que vos collègues juristes
universitaires ont une réflexion sur la politique pénale,
est-ce qu’ils produisent une réflexion sur la politique
pénale, et ont-ils les moyens d’en produire une ?
Je ne connais pas assez l’état des recherches en France
pour me prononcer sur les universitaires français. Il y a
un travail de collaboration, je pense, à faire entre sociologues,
historiens, juristes, à la fois pour récupérer
de l’histoire, rapatrier de la connaissance historique sur
la peine dans toute sa diversité. Ensuite, de la part des
sociologues, expliquer dans quel contexte les peines prennent quelle
signification, et comment démonter les mécanismes
qui font qu’elles acquièrent du sens. Et ensuite, une
collaboration avec les juristes, qui eux traduiraient en dispositifs
juridiques, légaux, pénaux, de façon à
ce que ces idées soient efficientes, et puissent être
invoquées dans le cadre pénal : les cas, les contextes
et les autorités judiciaires appropriés.
Vous en appelez aux praticiens.
Tout à fait. Je pense qu’il y a une vraie collaboration
à monter entre historiens, sociologues et juristes, pour
que les juristes ne soient pas enfermés dans un discours
qui serait purement interne au droit et qui en fait cherche uniquement
à créer une cohérence interne à la tradition
juridique telle qu’elle existe aujourd’hui, sans prendre
en compte la signification sociale, l’enracinement, les implications,
les tenants et aboutissants sociaux du châtiment tel qu’il
est vécu. Parce qu’il y a le châtiment tel qu’il
est prononcé par le tribunal, et il y a le châtiment
tel qu’il est ressenti, vécu, par la personne qui subit
le châtiment, mais aussi par sa famille, par le milieu social
autour. Et très souvent, il n’y a aucune commune mesure
entre le prononcé de la peine tel qu’il existe dans
l’esprit du juge ou du législateur et la signification
réelle de cette peine, pour la personne qui la subit comme
pour les victimes. Les victimes elles-mêmes trouvent souvent
la peine dénuée de sens. Il y a un manque de sens,
un manque de lisibilité de la peine qui provient d’un
manque de réflexion, d’un manque de prise en compte
de la dimension sociologique de la pénalité. Cela
se traduit du côté des victimes par une demande de
sens, demande de sens à laquelle on répond par la
sévérité. On a parfois l’impression,
du côté des victimes, que le coupable n’a pas
été puni, qu’il n’a rien eu, qu’il
est sorti tout de suite, ou alors au contraire qu’il a disparu
dans une espèce de machine opaque, et donc la victime reste
avec ses récriminations, ses émotions. Même
sévère, la peine est dépourvue de sens, à
la fois pénologiquement, car elle ne résout pas les
crimes, et pour la personne sanctionnée et ses proches. Elle
est aussi dépourvue de sens pour la victime du crime qui
attend de la peine une espèce de restitution morale. Comme
la peine n’a pas de sens pour les victimes des crimes, alors
qu’elles formulent une demande, et exercent une pression sur
les politiques, on la traduit par un surcroît de sévérité.
Mais cette réponse quantitative ne répond pas du tout
à la demande. On prononce des peines plus longues, plus sévères…
Mais pourquoi ? Pourquoi sanctionne-t-on un individu. Est-ce pour
lui faire mal ? Est-ce pour marquer qu’il a violé une
règle ? Est-ce pour marquer du respect à l’égard
de la personne qui a été victime de l’acte criminel
? Est-ce pour le neutraliser, le dissuader ? On ne sait pas. Il
y a une opacité de la peine aujourd’hui qui est entretenue
par le refus des politiques, mais aussi des juristes, des pénologues,
de regarder en face le problème.
Et ceux qui sont confrontés le plus directement au problème,
ce sont les praticiens, comme les éducateurs, etc. Est-ce
que ces gens ne sont pas là pour donner du sens à
la peine ? N’y parviennent-ils pas ?
Je pense qu’ils le font, mais ils le font par défaut.
Ils le font en essayant, à l’intérieur du carcan
juridique, qui leur est imposé — carcan juridique,
administratif, concret — d’insuffler du sens à
des règles qui sont parfois du non-sens. Il faudrait pouvoir
créer des dispositifs faisant remonter leur expérience
de non-sens de la peine, ou comment on travaille à donner
du sens à la peine, concrètement au quotidien, dans
un tribunal, souvent dans des conditions qui sont complètement
antithétiques avec la mission du juge. On est censé
faire passer, par exemple, les jeunes délinquants par une
maison d’arrêt, pour leur donner une petite leçon,
pour qu’ils prennent peur, pour qu’ils ne s’engagent
pas dans la violence. Et en fait, on les envoie dans une maison
d’arrêt qui est un " bocal de violences ".
Là encore, il y a contradiction entre la peine sur le papier
et sa réalisation concrète dans des conditions administratives
et matérielles, qui souvent sont complètement antithétiques
avec le sens que la peine est supposée prendre. Ça,
les magistrats le savent. En situation concrète, parfois,
les juges biaisent avec la loi, l’utilisant pour ré-insuffler
du sens à la peine — en quelque sorte — malgré
elle, en dépit du non-sens juridique de cette peine, ou du
non-sens qui est créé par les conditions matérielles
dans laquelle la peine est administrée. Je pense qu’il
faudrait créer un dispositif pour que le savoir pratique
et les recettes pratiques — que les magistrats inventent au
jour le jour pour tenter, tant bien que mal, de donner du sens à
la peine, dans une espèce de machine pénale qui produit
de manière routinière du non-sens — remontent,
soient concentrés et ré-injectés dans les dispositifs
légaux, lors de la discussion et du vote de la loi. Sinon,
ça ne sert à rien d’écrire des lois,
qui dans l’abstrait, sont parfaites, lisibles, pleines de
bons sentiments, mais qui dans la réalité concrète
de leur mise en œuvre vont parfois donner l’inverse de
ce pour quoi elles ont été faites. Il y a un abysse
entre la justice telle qu’elle est pensée au niveau
du Parlement (lois et textes) et la justice telle qu’elle
est administrée au quotidien. Il y a donc un savoir pratique
que les magistrats ont, que toutes les personnes qui doivent travailler
dans cette immense machine ont. Et il faudrait qu’ils poussent
pour demander des lois plus réalistes, qui peut-être
paraîtraient moins généreuses, moins belles
et moins systématiques au plan des principes, mais qui, tenant
compte des réalités concrètes d’administration
de la peine, seront en fait plus sensées. Elles feraient
sens dans la réalité concrète de l’administration
de la justice telle qu’elle se déroule aujourd’hui,
et non pas dans cette espèce de pays imaginaire, dans lequel
un magistrat a tout le temps qu’il faut pour juger toutes
les affaires du monde, a toutes les ressources qu’il faut,
etc. — chose qui n’existe pas…
Je pense qu’il faut insuffler du réalisme sociologique
à la pénalité. Il faut le faire dans les lois,
le code pénal, dans leur mise en œuvre, etc. Il faut
être réaliste.
Je pense que la voix des magistrats est une voix que l’on
n’entend pas assez. Ce sont eux qui savent ce qui se passe
dans " la boîte noire " de la justice. Ils sont
un rouage important de la justice, et ils savent que la justice
au quotidien n’est pas du tout la justice dont on débat
au Parlement. Ils devraient avoir un impact beaucoup plus concret
sur la rédaction des lois. Quand on a débattu sur
la réforme du code pénal, il aurait fallu non pas
débattre à partir de la théorie, c’est-à-dire
du code pénal tel qu’il existe sur le papier, mais
du code pénal tel qu’il est appliqué : on devait
partir du droit pénal tel qu’il est appliqué
aujourd’hui. Faire de la loi réelle et non de la loi
imaginée. C’estun peu comme à l’époque
où on parlait de faire du socialisme réel et non du
socialisme imaginaire ou théorique.
Tout le débat actuel sur la prison raisonne sur des espèces
de juridismes de pays fictif, imaginaire. Une des raisons de l’indignation
grandiose à propos des prisons a été la suivante.
A propos des politiciens qui allaient faire des petits séjours
à la maison d’arrêt de la Santé, et en
plus dans des conditions tout à fait dérogatoires
aux conditions de détention habituelles, protégés
de l’ignominie la plus insidieuse qu’est la détention
: ce quarteron de VIP en avait été tout à fait
ahuri. Ils ont fait de grandes déclarations à la presse
pour dire la monstruosité qu’avait été
leur passage en maison d’arrêt. Ils découvraient
en fait la différence entre un texte de loi écrit
sur la présomption d’innocence, sur la préventive,
et la réalité concrète. Et tout à coup,
ils découvraient qu’il y avait un abysse entre les
deux. Cela va peut-être forcer un peu les politiciens, le
législateur, et aussi les juristes qui théorisent
la loi pénale, à réfléchir à
partir de la justice telle qu’elle existe réellement
et non pas la justice fictive telle qu’elle est décrite
dans les codes.
Ne pensez-vous pas que vous avez tendance, dans la théorie
que vous développez, notamment dans Les prisons de la misère,
à appliquer au système pénal français
une grille de lecture adaptée au système pénal
américain, alors que ces systèmes sont très
différents ?
Si je le fais, ce n’est parce que j’habite aux Etats-Unis.
Mais si j’écoute aujourd’hui le débat
politique qui a lieu en France autour de la pénalité,
je n’entends pas qu’on nous propose d’importer
en France le modèle scandinave. On ne nous dit pas : faisons
du numerus clausus comme les Norvégiens, faisons de la peine
de substitution comme les Suédois, appliquons le traitement
médical systématique, ou assurons-nous qu’il
n’y a aucune personne souffrant de pathologie mentale lourde
dans notre système pénitentiaire comme on le fait
au Danemark. On nous dit : faisons de la tolérance zéro
comme on fait à New York, importons la théorie de
la vitre cassée qui a prouvé sa réussite aux
Etats-Unis. Donc, si je rentre par ce biais-là, c’est
parce que c’est aujourd’hui l’idéologie
pénale dominante à l’échelle de la planète
entière !
Les prisons de la misère a été traduit dans
13 langues, parce que ce débat sur l’idéologie
sécuritaire est un débat qui est posé partout,
et posé en des termes identiques, parce que partout on importe
les slogans, les dispositifs et les politiques américaines.
Parce que l’Amérique est censée avoir résolu
le problème, avoir inventé ces dispositifs "
super-efficaces ".
Dans le débat de politique pénale en France, il n’y
a qu’à voir M. Bauer, idéologue-entrepreneur
de la sécurité n°1 en France, quand il fait des
comparaisons entre la France et un autre pays, ce n’est pas
entre la France et l’Allemagne, ou la France et la Hollande,
ou la France et l’Italie, qui sont pourtant des pays bien
plus comparables. Il compare la France et les Etats-Unis. Et il
va montrer dans un petit opuscule que le taux de crime en France
est plus élevé qu’aux Etats-Unis — banalité
que tous les criminologues connaissent depuis longtemps ! On a l’impression
que les Etats-Unis ont un très fort taux de criminalité.
Mais en fait, ils ont surtout un très fort taux de criminalité
violente. Si vous enlevez les homicides, meurtres, agressions à
main armée, que ce soient les taux de vol, etc. tous ces
taux-là sont plus élevés dans les pays d’Europe
occidentale, depuis longtemps. C’est très connu. Mais
il ne compare pas avec l’Afrique du Sud, l’Indonésie
ou le Japon, par exemple. Mais pourquoi ne pas comparer avec le
Japon ? Le Japon a un taux d’emprisonnement très, très
bas, et un taux de criminalité très, très bas
! Pourquoi ne se pose-t-on pas la question de savoir comment le
Japon, sans passer par la répression pénale, a un
tel taux de criminalité ? Son taux de criminalité,
est environ un cinquième de ce qu’il est dans les pays
occidentaux ; même chose pour le taux d’emprisonnement.
Comment font-ils ? Ils montrent en tout cas qu’il n’y
a pas besoin d’avoir un très fort taux d’emprisonnement
pour avoir un faible taux de criminalité. Alors, ils ont
tout un ensemble de mécanismes sociaux, différents
modes d’intégration familiaux, une tradition d’urbanisation
différente, etc. Il y a donc des mécanismes sociaux
et culturels qui expliquent le faible nombre de délinquants.
Le recours à un système pénal a peu d’impact.
Dans le même ton que la question précédente
: les travaux de Rusche et Kirchheimer ne vous apparaissent-ils
pas un peu dépassés dans leurs analyses ?
Rusche et Kirchheimer ont écrit Peine et structure sociale.
C’est un livre un peu passé de mode, c’est vrai,
archéo-marxiste, pré-foucaldien, que Foucault cite,
mais critique. Il entendait d’ailleurs aller au-delà
de la vision de ces deux auteurs.
Il y a chez Rusche et Kirchheimer une intuition historique qui
est très juste et historiographiquement irréfutable,
il me semble. Ils disent qu’il y a une histoire de la peine.
Il y a une autonomie du système pénal qu’il
faut comprendre dans ses propres déterminations. Mais il
ne faut pas la comprendre comme se présente le système
pénal : un instrument de lutte contre le crime. Ça
c’est la vision juridique. Eux, disent qu’il faut comprendre
l’histoire et le développement propres du système
pénal, non pas à partir de son concept juridique,
de son idéologie propre en quelque sorte — " être
là pour lutter contre le crime " — ; mais en rapport
avec sa fonction réelle historique qui est d’être
un instrument de contrôle et de gestion des pauvres.
Historiquement, c’est irréfutable. Même Foucault,
avec sa critique et sa révision, participe de cette thèse-là.
On ne peut comprendre la pénalité qu’en la re-situant
dans le système complet des instruments de contrôle
des pauvres. Voilà leur thèse en quelques mots. Alors
ensuite, ils font un ensemble d’erreurs historiques et conceptuelles.
Moi, je reviens à leur intuition, leur thèse centrale
qui est que, l’une des missions du système pénal
— sinon la mission principale — est de gérer
la misère et de gérer les classes populaires.
L’une des missions ou l’un des effets ?
Mission ou effet... L’une des fonctions, disons.
Ensuite, là où je me sépare d’eux, c’est
que : premièrement, eux, voient un lien direct, univoque,
entre conditions économiques et pénalité. Ils
veulent trouver une correspondance directe entre chaque étape
économique et chaque forme de la peine. Or je crois que le
lien n’est pas direct mais indirect.
Deuxièmement, ils veulent réduire les conditions
économiques au seul état du marché du travail,
au seul facteur travail, au seul état de l’offre sur
le marché du travail. Or il faut considérer dans l’économie
non pas seulement le marché du travail, ni l’état
du marché du travail, mais aussi la forme du salariat. Aujourd’hui,
la question n’est pas seulement de savoir s’il y a plus
ou moins de travailleurs. Il y a mutation qualitative du rapport
salarial.
Troisièmement, ils limitent la fonction du système
pénal à la gestion des classes dominées. Or
je pense qu’il faut généraliser à l’ensemble
des groupes dominés. Que ce soient des classes, ou des catégories
ethniques ou nationales stigmatisées par exemple. En limitant
leur analyse à une analyse de classe, ils manquent aujourd’hui
le rôle très important que joue l’enfermement
vis-à-vis des étrangers, ou les groupes perçus
comme étrangers, ou dont on va signifier " l’étrangéité
", en quelque sorte, en les soumettant à ces dispositifs
de peine.
Alors je pense que leur réflexion de base est juste et on
peut y revenir aujourd’hui car, précisément,
on est dans une période de mutation sociale, une période
de transformation du salariat et de transformation de l’Etat.
Dans le cadre de ces transformations, on revient à la mission,
ou fonction, d’origine, du système pénal : on
la réactive. Cette fonction du système pénal
de régulation des classes dominées a toujours été
présente, mais suivant les périodes historiques, elle
passe à l’arrière-plan, ou au contraire au premier
plan. Et donc, dans une période historique de mutation du
salariat, il y a besoin de re-stabiliser, de re-fixer, de re-discipliner,
en quelque sorte, le nouveau prolétariat. Cette fonction
du système pénal revient donc au premier plan. Cette
fonction n’efface pas les autres. Le système pénal
contrôle aussi contre le crime, mais en arrière-plan.
Il faut donc revenir à l’intuition d’origine
de Rusche et Kirchheimer consistant à replacer le système
pénal dans l’ensemble des dispositifs de contrôle
et de gestion des classes dominées ou des groupes dominés,
mais avec ces nuances. Il s’agit de remarquer que ce n’est
pas un rapport direct à l’économie, que ce n’est
pas un rapport au seul facteur travail, que ce n’est pas une
fonction qui joue seulement vis-à-vis des classes défavorisées
mais aussi des groupes ethniques, nationaux ou immigrés.
Et enfin, quatrièmement, l’erreur la plus grande qu’ils
ont commise : ils réduisent la fonction de gestion du système
pénal à sa fonction matérielle. Or je pense
que sa fonction symbolique est centrale. Par exemple, dans le cas
des Noirs américains, si ce n’était pas un instrument
pour marquer une ligne de caste entre les noirs et les blancs, on
ne pourrait pas comprendre comment et pourquoi le système
pénal américain a explosé dans les proportions
dans lesquelles il a explosé ces 20 dernières années.
Il faut à la fois revenir à la critique pré-foucaldienne,
pour revenir à un postulat sur lequel Foucault est foncièrement
d’accord ; mais en même temps, ne pas revenir à
leur schéma, qui est un schéma mécanique, strictement
matérialiste. Pour eux, le postulat de base, du système
pénal comme instrument de gestion des classes pauvres, leur
sert à poser leur thèse ; thèse qui, principalement,
concerne le rapport entre la valeur du travail et la forme et la
quantité de la peine. Outre cela, je pense qu’il y
a toute une dynamique du sujet, qui est une dynamique symbolique.
Il faut ici revenir à Durkheim. Il faut relier les transformations
du système pénal aux transformations du système
d’aide sociale, du système de gestion sociale de la
misère et aux transformations des formes de la misère
elle-même. Donc, il faut relier les transformations de la
pénalité avec les transformations de la forme salariale
et du marché du travail, et les transformations des politiques
sociales et des politiques urbaines. Si l’on veut analyser
le cas de la France, pour comprendre, il faut comprendre l’ensemble.
Vous ne pouvez pas comprendre pourquoi aujourd’hui on se met
à crier sur les toits, à propos des violences urbaines
etc. sans le remplacer dans l’ensemble des politiques visant
à re-stabiliser les classes populaires ou à les contenir
dans le nouvel ordre économique qui se met en place ; c’est-à-dire
sans les mettre en relation avec le RMI, les autres politiques sociales,
les politiques de la ville, les politiques de stabilisation du marché
du travail, les emplois-jeunes, etc. Tout cela est lié :
d’un côté on dérégule l’économie
; de l’autre, on fait un peu plus de social, par d’autres
moyens, et on fait un pénal recomposé, un nouveau
pénal, pour répondre à la demande politique
et pour stabiliser tout cet ensemble.
Pour élaborer ce schéma, on peut aussi revenir à
Weber. Pour Weber, l’appareil pénal est une bureaucratie
d’Etat, qu’il faut comprendre dans sa logique de rationalisation
bureaucratique, qui a son autonomie, mais qui est en relation avec
les autres bureaucraties d’Etat. Donc on va chez Weber pour
comprendre l’importance de connecter ce qui se passe dans
le champ pénal avec ce qui se passe dans les champs politique,
social, économique.
Et enfin, il faut retourner à nouveau chez Durkheim —
Durkheim qui est de nos jours, à mon avis le plus utile pour
comprendre les transformations de la pénalité. Durkheim
nous dit que la pénalité est un instrument de communication,
c’est un instrument expressif. On punit, non pas pour redresser
le comportement des gens, mais pour communiquer les valeurs sacrées
d’une communauté. On punit pour tracer des frontières
et pour réaffirmer des solidarités, et donc pour réaffirmer
des clivages aussi. Je pense qu’aujourd’hui la fonction
du système pénal, aux Etats-Unis comme dans l’ensemble
des pays avancés, est également un retour de cette
fonction symbolique. La théâtralisation de la peine
répond aujourd’hui à une dynamique de réaffirmation
des clivages et des solidarités sociales.
En négatif, en quelque sorte. En privant les gens de cette
solidarité.
Voilà. Quand vous éliminez, vous tracez une frontière
entre eux et nous, vous resolidarisez le " nous " ; nous
qui respectons la loi. Il y a " eux " : les jeunes, les
banlieues, etc. Eux, qui violent la loi, ne travaillent pas, sont
immoraux etc. Et donc, par contraste, presque par définition,
nous sommes moraux, nous respectons la loi, etc. ; étant
entendu que dans tous les discours sur la délinquance, on
n’inclut pas, je présume, la délinquance financière
et notamment la délinquance fiscale.
Parce que si l’on inclut la délinquance fiscale, la
quasi-totalité des personnes se référant aux
délinquants comme des " eux " devraient s’inclure
dans ce " eux " !
De même quand les politiciens parlent des délinquants,
discourent sur l’importance de ne pas les laisser croire à
leur impunité, ils ont en tête, comme nous avons tous
en tête, en fait, la petite et moyenne délinquance
de rue des jeunes des quartiers populaires. Parce que s’il
s’agissait de la délinquance des hommes politiques,
il y aurait bien des choses à dire, à tous les niveaux
de pouvoir de la République. A l’évidence, quand
on parle d’impunité, il ne s’agit pas d’impunité
pour ces crimes-là. Les politiciens sont devant une contradiction
qui montre à quel point tout le débat politique autour
de la délinquance et autour de la nécessité
de réaffirmer la loi pénale est une gigantesque tartufferie.
Les mêmes qui demandent que l’on mette fin à
l’impunité sont ceux qui, d’un côté
ont commis des crimes et délits qu’il s’agit
de ne pas réprimer ; et, de l’autre côté,
ceux qui n’ont pas intérêt à ce qu’on
attaque au pénal certaines personnalités politiques,
organisent l’impunité de ces responsables, du maire
au Président de la République.
Ceci dit, on est à l’aube d’un mouvement : avec
l’affaire du sang contaminé, l’affaire de l’ESB…
A l’aube d’un mouvement ou dans un cycle, peut-être.
Vous savez, en Italie, ils croyaient aussi être à l’aube
d’un mouvement, avec mani pulite. Ils pensaient qu’ils
allaient nettoyer la classe politique, et aujourd’hui, ils
se retrouvent avec toutes les affaires arrêtées et
Berlusconi, Président du Conseil…
Alors, est-ce qu’il s’agit de l’aube d’un
mouvement, d’une tendance, d’un mouvement d’ascension,
ou est-ce un cycle avec par la suite un étouffement et un
retour au statu quo ante d’ici quelques années ? On
peut quand même remarquer que des crimes commis par des hommes
politiques et passibles de prison demeurent impunis ! Ce sont des
crimes et délits beaucoup plus graves et dommageables que
la majorité des crimes et délits dont on discute quand
il s’agit de violences urbaines ! Ils sont doublement graves
: graves par leur valeur économique et graves également
du fait qu’ils ont été commis par des représentants
de la loi, de l’ordre, par des élus de la Nation, qui
sont censés faire respecter la loi et la respecter eux-mêmes
au premier chef ! Cette impunité pénale des hommes
politiques les plus en vue est particulièrement choquante
dans un pays où, justement, l’impunité zéro
est prônée par ces mêmes individus
Il y a donc deux questions qu’on ne veut pas poser en matière
de peine, sans plonger dans un abîme dont on n’est pas
sûr de pouvoir sortir, ou dont on ne pourra pas sortir si
on continue de faire l’économie d’une réflexion
de fond, d’une réflexion proprement politique.
Pourquoi punit-on les gens, et comment les punit-on ? Et, seconde
question, quand on parle de réprimer le crime : quel crime,
et le crime de qui ?
Quand on parle de mettre fin à l’impunité,
de quelle impunité et comment ceux qui appellent aujourd’hui
à la fin de l’impunité justifient qu’ils
organisent la leur… et en toute impunité ! Au vu et
au su de tous ! Comment voulez-vous expliquer à un jeune
de banlieue qui a commis une rapine, qu’il doit respecter
la loi dans ces conditions ? On veut aujourd’hui, punir mieux,
donc plus vite : comparution immédiate, traitement en temps
réel, sanction lisible. Eh bien commençons donc par
appliquer le traitement en temps réel et des peines lisibles
et immédiates et la tolérance zéro aux crimes
et délits dont sont soupçonnés ceux-là
mêmes qui en appellent à la tolérance zéro.
Qu’ils se l’appliquent à eux-mêmes, et
ensuite on verra.
Entretien réalisé par Maud Hoestland,
Claire Saas et Charlotte Girard,
Doctorantes.
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1 Plan d’Aide au Retour à l’Emploi.
Avertissement
Mail de Loïc Wacquant septembre 2010
Merci de retirer toute mention de l'ouvrage PUNIR LES PAUVRES de
votre site: il s'agit d'une version contrefaisante, version truquee
et tronquee de mon travail publiee sans contrat ni bon a tirer par
Agone, contre ma volonte explicite et expresse. Cet ouvrage est
une tromperie; ce n'est pas le mien; il ne figure pas a ma bibliographie,
merci de ne pas me l'attribuer. Vous pouvez lire la version complete
et conforme de mon travail en anglais, PUNISHING THE POOR, Duke
University Press, 2008.
Cordialement,
Loïc Wacquant
Professor, University of California, Berkeley
Chercheur, Centre de sociologie européenne, Paris
http://sociology.berkeley.edu/faculty/wacquant/
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Department of Sociology
University of California-Berkeley
Berkeley CA 94720 USA
fax 510/642-0659
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