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Origine :
LE MONDE 06.07.05
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3220,36-669897@51-640656,0.html
Le MIC, structure militaire discrète, réfléchit
aux "combats futurs"
La ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie,
n'a pas confirmé la création d'"Alliance Base",
nom de code d'un centre antiterroriste secret associant la France
et les Etats-Unis, révélé par le Washington
Post, mais d'autres sources militaires ont reconnu implicitement
son existence. Ce n'est pas la seule structure informelle discrète
qui permet à la France et aux Etats-Unis, ainsi qu'à
d'autres pays occidentaux, de coopérer dans les domaines
militaires et de la sécurité.
Le MIC, pour Multinational Interoperability Council (Conseil multinational
pour l'interopérabilité) en est un autre exemple,
et ce n'est pas un hasard s'il associe les mêmes six pays
identifiés dans Alliance Base : Allemagne, Australie, Canada,
Etats-Unis, France et Royaume-Uni. Composé exclusivement
de hauts responsables militaires de ces nations, il n'a jamais cessé
de fonctionner, y compris au plus fort de la dispute entre la France
et les Etats-Unis à propos de l'Irak : lorsque les hommes
politiques se battaient froid, les experts du MIC conduisaient en
parfaite coopération un exercice d'expérimentation,
"MNE 03".
Le MIC est une structure multinationale au statut un peu particulier
(il dispose d'une charte officielle depuis avril 2002), dont la
vocation est de résoudre les difficultés d'interopérabilité
en coalition, mais dont les travaux n'impliquent pas les politiques
et orientations nationales de ses Etats membres. "Nous ne voulons
surtout pas faire de lien avec le politique, mais nous ne lui cachons
rien" , assure un spécialiste français du MIC.
L'interopérabilité est devenue le défi numéro
un des armées modernes. En Europe, et dans une moindre mesure
aux Etats-Unis (mais les guerres d'Irak et d'Afghanistan confirment
ce constat), aucune nation n'imagine de se lancer seule dans un
conflit d'importance. Il faut donc bâtir des coalitions de
pays qui, pour être efficaces, doivent être capables
de communiquer et de combattre avec des procédures et, si
possible, des armements compatibles. Rien d'étonnant donc
si, à son origine, durant la seconde guerre mondiale, l'ancêtre
du MIC était surtout un réseau de transmissions.
Il s'appelait alors l'Auscanzukus (en anglais, Australie, Canada,
Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et Etats-Unis) et c'était
un "club" anglo-saxon. Lors de sa renaissance, en 1999,
la France l'avait rejoint et la Nouvelle-Zélande n'en faisait
plus partie, alors que la candidature de l'Italie, fortement soutenue
par Paris, est en cours d'examen. Le critère pour être
membre de ce forum est celui de la "nation cadre" : chaque
pays doit être capable de diriger une opération en
coalition, une capacité opérationnelle qui n'est pas
à la portée de toutes les armées européennes.
Le MIC jouit d'une réputation contrastée : certains
l'appellent le "directoire des grands" en matière
militaire, une appellation réfutée par les praticiens
: "Nous ne décidons de rien, nous nous bornons à
réfléchir et à proposer", corrige un expert
français, qui ajoute : "Le MIC n'est pas une structure
destinée à combattre, mais à réfléchir
et à préparer nos combats futurs." Il s'agit
en fait d'une "coopération structurée" (la
Constitution européenne institutionnalisait ces "avant-gardes"
de pays européens souhaitant aller plus loin en matière
de défense européenne) avant la lettre.
DEPUIS LA GUERRE DU KOSOVO
La date de sa renaissance n'est pas anodine : 1999, c'est l'époque
de la guerre du Kosovo, au cours de laquelle les Américains
font l'expérience négative d'une "guerre par
comités" paralysante au sein de l'Alliance atlantique.
Ils se promettent de ne plus être dépendants de la
lourdeur administrative de l'OTAN, et en tirent la conclusion qu'il
est préférable de bâtir des coalitions ad hoc
dont ils conserveraient le leadership. Le MIC est nettement sous
influence américaine, mais les Français se félicitent
d'y avoir fait entrer une "influence européenne ".
Les nations composant le MIC échangent leurs "retours
d'expériences" sur le terrain, identifient leurs divergences
en matière de procédures, de logistique, de systèmes
d'information, mais ne font pas de planification d'opérations.
"Nous devons conserver notre avance technologique pour être
capables, le cas échéant, de prévaloir, y compris
contre un adversaire majeur" , explique un expert des relations
stratégiques, dans une référence implicite
à la Chine.
Les militaires français réfutent un tel "procès
en sorcellerie" : "Le diable n'est pas dans le MIC"
, assure un responsable militaire, qui précise : "C'est
un forum d'opérationnels qui ont décidé d'échanger
leurs points de vue afin d'être prêts si leurs chefs
leur demandent d'organiser une coalition." Les autorités
nationales du MIC (les "principals" ) sont les sous-chefs
"opérations" des états-majors stratégiques
nationaux. Pour la France, il s'agit du vice-amiral d'escadre Patrick
Hebrard. Les "principals " se réunissent deux fois
par an, en mars et en septembre, aux Etats-Unis, et le travail de
suivi s'effectue en réseau. A terme, le MIC disposera d'un
réseau sécurisé propre, le Griffin, grâce
au satellite Syracuse-3.
Laurent Zecchini
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