|
Lien d'origine : SYNDICATS ET COLLECTIFS FACE A LA PRÉCARITÉ
http://lannion.enlutte.com/article.php3?id_article=50
SYNDICATS ET COLLECTIFS FACE A LA PRÉCARITÉ
Communication au Colloque "Syndicats et associations en France,
concurrence ou complémentarité" organisé
par le CNRS-Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle,
novembre 2003
Evelyne PERRIN (AC !, Stop Précarité)
Parmi les défis auxquels se trouve confronté le syndicalisme,
la précarité de l’emploi en est certainement
un. Non seulement le développement des formes dites particulières
d’emploi (CDD, intérim, stages, temps partiel subi)
et l’instabilité et la mobilité qui en résultent
pour les salariés constituent un obstacle à la syndicalisation,
par suite du délitement des collectifs de travail, du turn
over systématiquement pratiqué par de nombreux employeurs,
de la peur de non renouvellement du contrat ou de la mission ; mais
les syndicats éprouvent de grandes difficultés à
représenter et défendre les travailleurs précaires,
faute pour la plupart d’entre eux d’avoir élaboré
un projet cohérent de renouvellement des garanties collectives
des salariés face au développement de la précarité
de l’emploi. Parallèlement à cette crise du
syndicalisme, dans les luttes récentes de salariés
de la restauration rapide, du commerce ou du nettoyage, des emplois-jeunes
ou des intermittents du spectacle apparaissent des collectifs de
syndiqués, des coordinations entre syndiqués et non
syndiqués, des comités de soutien ad hoc, regroupant
des militants de divers syndicats et associations sur des bases
interprofessionnelles et interassociatives. Ces collectifs ou comités
doublent le travail syndical, s’y substituent parfois ou lui
servent d’aiguillon. Y a-t-il concurrence ou complémentarité
entre ces deux formes d’organisation et de lutte ? L’émergence
des collectifs ne traduit-elle pas un aspect de la crise contemporaine
des formes d’organisation politiques et syndicales avec la
montée de l’individualisme, de l’adhésion
par affinité sélective, du refus de la délégation
de pouvoir et de la bureaucratie ? Les syndicats peuvent-ils tirer
les leçons de l’expérience de ces collectifs
pour repenser l’action syndicale face à la précarisation
rampante du salariat ?
I - Les syndicats face à la précarité
et aux précaires
Difficulté de syndiquer les précaires
La précarité de l’emploi ne cesse de se développer
en France comme dans d’autres pays européens ; l’on
entend par précarité l’ensemble des formes atypiques
d’emploi, essentiellement les contrats à durée
déterminée et l’intérim, mais également
les contrats de qualification et d’adaptation, et même
les formes d’emploi n’assurant pas un revenu égal
au SMIC, à savoir principalement les CDI à temps partiel
subi. En dix ans, le nombre d’emplois en intérim a
connu une croissance de 160 % et celui des CDD une augmentation
de 60 %, alors que le nombre de CDI n’augmentait que de 2
%. Les contrats à durée déterminée représentaient
6,28 % des emplois salariés en 2000 et leur taux de progression
annuel depuis 1995 est de 6 à 7 %. L’emploi à
temps partiel représente aujourd’hui 18 % des emplois
contre 8 % au début des années 70. La précarité
de l’emploi est un obstacle important à la syndicalisation.
Quand on ne sait pas si son CDD ou sa mission d’intérim
seront renouvelés, on ne se risque pas à se syndiquer.
Il en est de même lorsqu’on passe en peu de temps d’une
entreprise à une autre, d’un secteur à l’autre,
de l’emploi au chômage. Pourquoi se syndiquer sur des
périodes d’emploi aussi courtes et incertaines ?
Avec le turn over érigé en système, les collectifs
de travail au sein des entreprises s’effritent et le travail
de syndicalisation est un travail de Sisyphe éternellement
à recommencer. De plus des salaires très bas comme
ceux des employés à temps partiel rendent difficile
le paiement de cotisations syndicales. Ces causes objectives pourraient
déjà expliquer à elles seules le recul constant
de la syndicalisation. Mais elles ne sont pas les seules. A ces
facteurs externes s’ajoutent les dysfonctionnements et les
carences internes des syndicats, dont la plupart restent enfermés
dans des modes de fonctionnement hérités de la période
fordiste et offrent peu de résonance aux luttes des salariés
précaires. Un conflit de générations, de culture
syndicale, un décalage dans les rythmes de travail syndical
par rapport aux luttes concrètes sur le terrain, qui exigent
une disponibilité 24H sur 24 et 7 jours sur 7, opposent les
permanents syndicaux, plus âgés, aux jeunes travailleurs
précaires qui ont souvent l’impression de se retrouver
seuls dans la lutte. Mais plus généralement on relève
chez les précaires, notamment les plus jeunes, une relative
indifférence ou défiance vis-à-vis des syndicats,
qui sont perçus parfois comme corrompus, le plus souvent
comme privilégiant la défense des travailleurs stables
et ne faisant pas assez de place à la défense des
travailleurs précaires, et ne proposant pas de ligne de résistance
cohérente face à l’extension du précariat.
Le sentiment de l’impuissance ou du désintérêt
des syndicats vis-à-vis des précaires est très
répandu, même chez ceux de ces derniers qui sont syndiqués
La position des syndicats sur la précarité
La CGT est l’une des rares centrales syndicales, avec le Groupe
des Dix, à dénoncer le développement de la
précarité de l’emploi et à avancer des
propositions concrètes pour redonner aux salariés
une protection face à la flexibilité du marché
du travail. La CGT a en effet élaboré une revendication
précise, la sécurisation des trajectoires professionnelles.
On en trouve l’exposé dans le document de travail N°
2 de mai 2002, « Nouveau statut du travail salarié
», issu de la première journée d’étude
confédérale sur ce thème du 27 mars 2002 :
« Notre projet d’un nouveau statut du travail salarié,
c’est à la fois plus de garanties professionnelles
et un socle de garanties interprofessionnelles, permettant à
l’individu de s’épanouir dans sa vie professionnelle,
de choisir lui-même son parcours professionnel en toute liberté.
(...) Nous revendiquons pour les salariés, dès leur
entrée dans la vie active, des droits que tout employeur
sera tenu de respecter (droit au travail transférable d’une
entreprise à l’autre et opposable à chaque employeur
; de même, droit à la promotion, au déroulement
de carrière, à la formation, validation des acquis
professionnels) ». Ceci signifie pour la CGT que chaque salarié
puisse exiger de chacun de ses employeurs :
un déroulement de carrière
que pour telle qualification, son salaire soit de tant minimum
qu’ayant fait un an de formation depuis le début de
sa carrière, il puisse encore bénéficier de
trois ans
qu’en fin de parcours, quel que soit celui-ci, au moment de
sa retraite
il ait au minimum un salaire double à valeur constante
que la règle d’embauche soit un contrat à temps
plein à durée indéterminée
que le travail à temps partiel soit un droit pour le salarié
qui le souhaite et non une obligation
Cela passe bien évidemment par une mutualisation du financement
de la garantie d’emploi à l’échelle territoriale
et/ou de la branche. Parallèlement, la CGT réclame
une modulation des cotisations sociales pénalisant les entreprises
qui licencient ou précarisent leur main d’oeuvre, et
la création de fonds régionaux pour le développement
et l’emploi placés sous le contrôle des salariés.
On ne peut contester le caractère élaboré de
cette proposition qui vise bien à apporter une réponse
structurelle à la montée de la précarité
de l’emploi. Elle s’inspire d’ailleurs des travaux
de juristes comme Alain Supiot et alii, ainsi que des propositions
du rapport Boissonnat du Commissariat Général du Plan,
ou des réflexions de l’économiste Liem Hoang-Ngoc
Le Groupe des Dix, bien que majoritairement implanté dans
le secteur public, a développé une réflexion
conséquente sur la nécessité de soutenir les
luttes des travailleurs précaires et de réorienter
les efforts du syndicalisme en leur faveur, tout en apportant concrètement
un soutien important à AC ! (Agir ensemble contre le chômage),
qui fédère des collectifs de chômeurs et de
précaires. Ainsi s’exprime Gérard Gourguechon
dans l’ouvrage « Précarité. Points de
vue du mouvement social » paru en décembre 2001 :
« Une part croissante des salariés est donc exclue
de l’emploi stable à temps complet. Ceci se traduit
par une dégradation importante des conditions de travail,
d’emploi, de vie, de millions de personnes en France. Combattre
cette situation devrait donc être la priorité des organisations
syndicales, d’autant plus que l’existence d’un
salariat précaire tire vers le bas l’ensemble des salariés
(...). Le syndicalisme français, faible, divisé, n’est
pas parvenu, jusqu’à présent, à fédérer
les chômeurs, qui se retrouvent plus dans des associations
spécifiques.(...) De même, le syndicalisme a des difficultés
à syndiquer les travailleurs précaires. L’organisation
traditionnelle du syndicalisme par branches et par entreprises n’est
pas adaptée à l’existence de personnes qui passent
d’une entreprise à une autre, d’un petit boulot
à un autre petit boulot. (...) Si le syndicalisme veut être
plus efficace, il lui faut certainement se transformer dans son
fonctionnement pour être en mesure de mieux fédérer
des revendications émanant d’un salariat particulièrement
éclaté. Le syndicalisme peut plus facilement suivre
les précaires et les chômeurs par ses unions locales
et ses unions départementales. Faire vivre, ou revivre, les
bourses du travail est nécessaire. Dans l’entreprise,
il faut organiser des lieux de débat entre les salariés
en CDI, les intérimaires et les précaires. »
La CNT s’efforce de défendre les travailleurs précaires
là où elle est implantée. Elle apporte son
soutien à la grève des cuisiniers sri-lankais des
restaurants Frog engagée à Paris depuis mars 2003,
conflit non encore résolu. Mais si certains de ses militants
sont impliqués dans les comités de soutien aux salariés
du Mc Do de Strasbourg St-Denis en 2002 et 2003 et aux femmes de
ménage des hôtels Arcade en 2002 (soutenues principalement
par SUD), le syndicat CNT de la restauration rapide refuse son soutien
aux salariés du Mc Do de Strasbourg St-Denis sous prétexte
que certains sont « swing managers », donc cadres. Ceci
illustre bien la difficulté de certains syndicats à
définir le contenu de la notion de précarité.
Dans le secteur du nettoyage, la CNT a organisé deux manifestations
unitaires avec SUD et les dissidents de la CGT Nettoyage, en juillet
2002 et juillet 2003, dans le cadre et suite au conflit des femmes
de ménage d’Arcade, pour en populariser les revendications
; toutefois ce secteur qui regroupe des précaires particulièrement
exploités reste éclaté et peu syndiqué
FO, syndicat où dominent les fonctionnaires, est quasiment
muette sur la question de la précarité. On la trouve
très rarement impliquée dans les luttes de travailleurs
précaires sur le terrain, et dans ce cas c’est la plupart
du temps dans le cadre d’actions intersyndicales où
elle n’a pas le rôle le plus actif
La CFDT est le syndicat qui a fait le plus long chemin sur la route
de l’acceptation de la nouvelle donne capitaliste, devenant
ainsi l’alliée objective du MEDEF, au nom de la modernité.
Cette centrale prend acte des transformations des normes d’emploi
(dérégulation, flexibilité, turn-over et instabilité
du contrat de travail) qu’elle estime imposées par
la modernisation de l’économie, et s’efforce
d’accompagner ces transformations par une adaptation de ses
revendications. C’est ainsi qu’on la verra successivement
défendre, en 1992, un durcissement des conditions d’accès
à l’indemnisation du chômage pénalisant
particulièrement les jeunes et les précaires, puis
en 2000 le PARE, plan d’aide au retour à l’emploi
qui accroît les radiations des chômeurs qui refusent
un emploi précaire, au salaire et à la qualification
inférieurs aux précédents, ou très éloigné
de leur domicile ; puis en 2003 la réforme du statut des
intermittents du spectacle, qui exclut du régime un tiers
d’entre eux tout en réduisant leurs durées d’indemnisation.
Ces reculs valent à la CFDT une grande rancune parmi les
chômeurs et les précaires, qui estiment que ce syndicat,
non seulement ne défend pas leurs droits, mais pour conserver
sa place de gestionnaire privilégié de l’UNEDIC
aux côtés du patronat, participe des offensives libérales
contre eux en leur imposant un workfare
Ce panorama rapide de l’attitude des syndicats face à
la précarité, bien que contrasté, explique
sans doute la faiblesse des acquis syndicaux dans le domaine de
la défense des travailleurs précaires. Pour ne prendre
que ces deux exemples, les conventions collectives de la restauration
rapide et du nettoyage sont particulièrement défavorables
et n’enregistrent pas de progrès, malgré le
développement de luttes dans le secteur de la restauration
rapide en 2001, 2002 et 2003. Ces luttes au demeurant ciblent plutôt
la répression syndicale et sont souvent déclenchées
contre le licenciement de délégués, terrain
sur lequel les prud’hommes leur donnent satisfaction. Même
si le treizième mois est une revendication souvent avancée,
et a été obtenu dans certains Mc Do (comme à
Marseille),il est loin d’être généralisé.
Il en est de même du passage à la demande du salarié
de temps partiel à temps plein, ou de CDD en CDI : c’est
encore une revendication sporadique, insuffisamment reprise par
les centrales syndicales, qui restent sur une position très
défensive dans la plupart des conflits
II- Les nouveaux outils d’organisation que se donnent
les précaires, collectifs, coordinations et comités
de soutien
Les années 2000 à 2003 ont vu naître et se
développer plusieurs luttes de salariés dans la restauration
rapide et le commerce, en majorité de jeunes précaires,
ainsi que dans le nettoyage :
grève de 15 jours en décembre 2000 au Mc Do du boulevard
St-Germain pour des augmentations de salaires et une prime de fin
d’année,
grève de 32 jours au Pizza Hut Opéra pour les mêmes
revendications,
grève historique de 112 jours d’octobre 2001 à
Février 2002 au Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la réintégration
de cinq salariés licenciés,
grève d’un mois avec occupation, en février
2002, de la Fnac des Champs-Elysées pour des augmentations
de salaires, grève s’étendant à d’autres
Fnac de région parisienne et de province,
grèves sporadiques au printemps 2002 dans plusieurs Mc Do
parisiens en solidarité avec les salariés de Strasbourg
St-Denis ou pour des augmentations de salaires et un 13ème
mois,
grèves chez Go Sport pour des augmentations de salaires,
chez Virgin contre le travail du dimanche et pour un 13ème
mois,
grève d’un an, de mars 2002 à février
2003, de 32 femmes de ménage des hôtels du groupe Accor
employées par son sous-traitant Arcade, pour une réduction
des cadences et la prise en compte de toutes les heures de travail
effectuées,
grèves non encore résolues, depuis mars 2003, à
nouveau du Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la réintégration
d’un délégué licencié et contre
les manoeuvres de coulage du gérant, et des cuisiniers sri-lankais
des pubs Frog pour une amélioration de leurs conditions de
travail..
Dans le secteur de la restauration rapide, ce sont essentiellement
de jeunes délégués CGT -ainsi que des délégués
SUD et parfois FO - qui mènent ces luttes, certains d’entre
eux déjà dotés d’une certaine expérience,
d’autres tout frais promus délégués pour
se protéger de la répression syndicale. Durant les
années 2000 et 2001, ces délégués utilisent
le Collectif CGT de la restauration rapide pour se coordonner entre
enseignes telles que Mc Do, Quick, Pizza Hut, EuroDisney et les
restaurants du Louvre, mais éprouvent rapidement le besoin
de sortir des limites syndicales classiques et s’élargissent
à des délégués CNT et FO. Puis certains
d’entre eux créent le Réseau Stop Précarité
qui regroupe des délégués CGT de Pizza Hut,
Disneyland, Extrapole, MaxiLivres, BHV, restaurants du Louvre, des
militants de SUD-Etudiants, SUD-Ceritex, AC !, AARRG, ATTAC-Sorbonne,
CNT, UNEF, du Collectif des Emplois-Jeunes de Seine Saint-Denis
et des chercheurs.
Le Collectif CGT de la restauration rapide, puis le réseau
Stop Précarité organisent en 2001 et 2002 plusieurs
opérations coup de poing et manifestations qui se distinguent
des formes de lutte syndicale traditionnelles par leur volonté
d’investir l’espace public de la rue et des centres
commerciaux (Belle Epine en juin 2001 et La Défense en décembre),
par leur appel à la solidarité des consommateurs et
au boycott de la marque, par leur autonomie vis-à-vis des
structures syndicales. Lors de la grève de 112 jours du Mc
Do de Strasbourg St-Denis, des formes originales de mobilisation
sont inventées avec la constitution d’un vaste comité
de soutien regroupant plus d’une trentaine d’organisations
syndicales, associatives et politiques, qui se réunit une
fois par semaine sous la houlette d’une Fédération
du Commerce CGT passablement débordée. Grévistes
et comité de soutien mettent en oeuvre des occupations de
Mc Do parisiens tous les samedi et parfois le dimanche, y compris
Noël et jour de l’An, sensibilisant les passants et effectuant
des collectes. Ces actions de harcèlement et la popularisation
du conflit ne sont pas pour rien dans la capitulation finale de
Mc Do et la réintégration des grévistes en
février 2002. Une manifestation de soutien aux grévistes
de Mc Do rassemble 2000 personnes le 2 février 2002, précaires
de différentes entreprises et militants syndicaux, associatifs
et politiques. Ces formes de lutte des jeunes précaires se
différencient nettement des luttes syndicales classiques
:
elles sont lancées à la base et non à partir
de mots d’ordre des centrales syndicales ; elles se construisent
à partir d’agrégats d’individualités,
sur la base de la confiance réciproque et de l’interconnaissance,
en évitant la discipline et la hiérarchie bureaucratiques
mais en privilégiant l’autonomie et une forte implication
personnelle. Les tracts d’ailleurs, même à en-tête
syndicale, se concluent par des prénoms et des numéros
de portables. Les centrales syndicales impliquées peinent
à garder le contrôle de ces mouvements de lutte et
se voient souvent débordées, contestées
Les luttes sortent de l’entreprise pour déborder sur
la rue, l’espace public, par accrochage de banderoles sur
des rubans de scotch tendus entre les arbres, distribution de tracts
aux passants et consommateurs, appel au boycott des produits, ce
qui permet de relier une lutte ponctuelle à des thèmes
plus généraux comme la « malbouffe » et
à d’autres mouvements comme la Confédération
Paysanne ou les mouvements pour une autre mondialisation, ou le
mouvement des « sans papiers » dans le cas de la lutte
des salariées d’Arcade, emblématique de la surexploitation
des immigrés
Les luttes sortent également du carcan syndical en faisant
appel à des soutiens diversifiés de l’extérieur,
autres syndicats, associations de lutte contre le chômage
et la précarité, mouvement étudiant dans toutes
ses composantes..
Ces luttes s’en prennent aussi au talon d’Achille de
ces multinationales, leur image de marque dans le public, en développant
des campagnes de boycott de la marque sous forme de cartes postales,
en diffusant la contestation dans les divers établissements
du groupe, restaurants Mc Do, hôtels du groupe Arcade, en
perturbant l’assemblée des actionnaires du groupe Accor
dont Arcade est l’un des sous-traitants..
Ces jeunes délégués maintiennent une attitude
souvent assez distanciée vis-à-vis de leur syndicat
qu’ils ont tendance à instrumentaliser dans ce sens
qu’ils en perçoivent de façon aigüe les
limites et les rigidités et y suppléent en déployant
entre eux une grande solidarité, en se donnant des «
coups de main » pour pallier les carences syndicales
L’expérience collective du comité de soutien
à une lutte est facilement « transférée
» à une autre lutte, avec des recompositions de participants.
Ainsi le collectif de soutien au Mc Do Strasbourg St-Denis se transforme-t-il
après quelques défections ou apports nouveaux en un
comité de soutien à la lutte des femmes de ménage
africaines d’Arcade, puis renaît pour soutenir la deuxième
grève du Mc Do de Strasbourg St-Denis, puis s’étend
au soutien aux cuisiniers des Frog. Des jonctions sporadiques se
font entre luttes, lorsque les femmes d’Arcade soutiennent
des occupations de Mc Do et que des salariés de Mc Do en
grève participent aux occupations d’hôtels du
groupe Arcade, même si cela reste l’exception
La lutte des emplois-jeunes en 2002 et 2003 La lutte des emplois-jeunes
est un exemple de mouvement né de coordinations locales intercatégorielles
qui ne rencontre qu’un très faible soutien des syndicats,
et doit compter principalement sur ses propres forces. Lorsqu’à
l’été 2002 le gouvernement Raffarin annonce
la non-reconduction des emplois-jeunes, ceux-ci s’organisent
en collectifs et se mobilisent fortement dès l’automne
2002, multipliant les assemblées générales
et essayant d’unir les emplois-jeunes de divers secteurs,
ceux de l’Education Nationale, des collectivités territoriales
et des associations, pour déposer des revendications spécifiques
à chacun d’eux et au-delà, unitaires. Ces revendications
vont du maintien du statut d’étudiant-surveillant à
la titularisation sans concours ni condition de nationalité
pour les emplois-jeunes des divers services publics, à l’accès
à des formations qualifiantes et/ou diplômantes, à
la revalorisation des salaires, à la validation des acquis
professionnels, à la transformation des CDD en CDI pour les
emplois-jeunes des associations. Il se crée une Coordination
nationales des emplois-jeunes et surveillants en lutte, qui appelle
à des journées nationales d’action et à
des grèves reconductibles en décembre 2002 et janvier
2003. Des collectifs se créent ainsi un peu partout en province,
et des grèves reconductibles sont déclenchées
en Corse, à Nantes, Rennes, Brest, Toulouse, Angers et dans
de nombreuses autres villes. Le mouvement culmine en juin 2003 avec
l’approche des premiers non-renouvellements de contrats par
une occupation de la Bourse du travail à Paris et une forte
participation aux manifestations des enseignants et salariés
du secteur public contre la réforme des retraites et la décentralisation
à l’Education nationale, au risque pour la lutte des
emplois-jeunes de se retrouver un peu diluée dans le mouvement
social de mai-juin 2003. Or, quelle est la position des syndicats
vis-à-vis de la lutte des emplois-jeunes, menacés
du plus grand « plan social » de l’année
2003 ? La plupart du temps, c’est l’absence de soutien
syndical qui prévaut, à l’exception de SUD,
le SNES-FSU et le SGEN-CFDT refusant de participer à la journée
d’action du 17 janvier 2003 dans de nombreuses villes, le
SNES-FSU appelant dès décembre à la reprise
du travail. SNES et SGEN ne reprennent pas à leur compte
la plate-forme de revendications élaborée par la Coordination
nationale et validée par toutes les assemblées générales
d’académie. Ils sont d’ailleurs opposés
à la titularisation sans concours, que SUD est le seul syndicat
à défendre. La Coordination nationale appelle en vain
les syndicats majoritaires à lancer un grand mouvement de
grève pour faire fléchir un gouvernement très
déterminé. En fait, toute la lutte des emplois-jeunes
est portée par des collectifs locaux de syndiqués
et de non syndiqués et par la Coordination Nationale sur
la base de la démocratie directe, de l’envoi de représentants
mandatés aux réunions régulières, quasi
hebdomadaires, de la Coordination Natonale à Paris, et le
seul soutien syndical émane de SUD-Education et de SUD-Etudiant,
ainsi que de la CNT-Education et de la CGT-Education. Mais ce ne
sont pas les syndicats qui pilotent la lutte, celle-ci est étroitement
contrôlée par la base et menée de façon
intercatégorielle et intersyndicale
La lutte des intermittents du spectacle durant l’été
2003
La lutte des intermittents du spectacle contre la réforme
de leur statut durant le printemps et l’été
2003 est l’exemple même d’un mouvement organisé
en dehors des syndicats en collectifs locaux de syndiqués
et de non syndiqués, même si la CGT a exercé
une influence certaine dans l’expression du refus de la réforme.
Des collectifs locaux naissent un peu partout, comme Culturendanger
à Montpellier, le collectif du 25 février à
Avignon, le collectif des intermittents, précaires d’Ile
de France à Paris, etc... Comme l’écrivent Fabienne
Darge et Diane Ducamp dans « le Monde » du 7 juillet
2003, « les membres des collectifs sont jeunes, en général
entre 25 et 40 ans. Ce sont les plus concernés par la précarité,
et donc les plus touchés par la réforme.(...) Ils
viennent du spectacle vivant (théatre, danse, spectacle de
rue...), où ils sont artistes ou techniciens, plus que de
l’audiovisuel (...). Pour beaucoup, rejoindre une coordination
constitue une première expérience d’ordre politique.
(...) Mais un nombre non négligeable d’entre eux ont
déjà eu des expériences d’ « engagement
» (...°) . Dans la coordination des intermittents et précaires
d’Ile de France se côtoient des gens venus d’horizons
divers », de la CGT, de la CNT, du collectif des Précaires
Associés de Paris, d’AC !... « Ceux venus de
la CGT, par exemple, ne renient pas leur affiliation à la
centrale syndicale, mais trouvent que la coordination permet d’agir
de manière plus directe et rapide, sans passer par des processus
bureaucratiques et technocratiques. » (...) « Expérimentés
ou non, les membres des coordinations tentent de réinventer
une forme de démocratie directe. Le collectif parisien, installé
salle Olympe-de-Gouges, rue Merlin, dans le 11ème Arrondissement,
convoque une assemblée générale tous les jours
et a institué le principe des commissions (« action
», « interprofessionnelle », « Europe »,
« presse »...) auxquelles peuvent participer tous ceux
qui le désirent. Pas de représentants permanents,
pas de leaders. »
Conclusion
Même si certains d’entre eux sont syndiqués,
notamment à la CGT, à SUD ou à la CNT, les
précaires qui s’investissent aujourd’hui dans
des luttes, par delà la diversité de leurs statuts
et le morcellement de leurs situations, se dotent le plus souvent
de formes nouvelles d’organisation , collectifs, coordinations,
comités de soutien ad hoc, qui privilégient la démocratie
directe et le contrôle des décisions par la base, la
souplesse et la rapidité, la mixité des appartenances
syndicales, associatives et politiques. Ce sont des formes d’organisation
par affinités sélectives, par agrégation apparemment
éphémère mais dont les liens tissés
à l’occasion des luttes sont durables et peuvent se
recomposer à tout moment. Dans ces luttes, les syndicats
peinent à garder le contrôle de l’action et sont
mis en quelque sorte sous surveillance, instrumentalisés
et jaugés à la hauteur de leur capacité à
aider la lutte et à en porter les revendications. Ils sont
partagés entre la tentative de récupération
de la lutte et celle du repli. Ils peinent également à
faire place au sein de leurs structures décisionnelles à
ces jeunes militants très combatifs, souvent issus de l’immigration,
exigeants et à l’indépendance d’esprit
développée. Le modèle du fonctionnement syndical
traditionnel, basé sur la section d’entreprise, l’organisation
par branche, se trouve bousculé et peu adapté au développement
de la mobilité des travailleurs précaires d’un
emploi à un autre et de l’emploi au chômage.
Ne faudrait-il pas donner plus d’importance aux unions locales
interprofessionnelles, aux bourses du travail ? Plus fondamentalement,
la montée de l’individualisme et de la volonté
de choisir ses engagements de façon élective et réversible,
le développement de formes d’engagement plus subjectives,
privilégiant les relations interpersonnelles de confiance
et par affinités, le refus de plus en plus généralisé
de la délégation de pouvoir et de ce qui peut apparaître
comme des processus bureaucratiques et rigides, peuvent expliquer
la crise de la forme d’organisation syndicale classique et
le développement des collectifs et coordinations ad hoc reposant
sur la démocratie directe. A ces difficultés liées
à la forme syndicale s’ajoute la relative incapacité
des syndicats, du moins la plupart, à inventer un socle de
revendications apte à contrer le développement de
la précarité et de la flexibilité, celui de
la sous-traitance, et la dégradation des conditions de travail
qui en résulte pour une frange croissante du salariat. La
précarité appelle un aggiornamento syndical. Les syndicats
sauront-ils relever ce défi ?
http://lannion.enlutte.com/article.php3?id_article=50
|