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SYNDICATS ET COLLECTIFS FACE A LA PRÉCARITÉ

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SYNDICATS ET COLLECTIFS FACE A LA PRÉCARITÉ

Communication au Colloque "Syndicats et associations en France, concurrence ou complémentarité" organisé par le CNRS-Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle, novembre 2003
Evelyne PERRIN (AC !, Stop Précarité)

Parmi les défis auxquels se trouve confronté le syndicalisme, la précarité de l’emploi en est certainement un. Non seulement le développement des formes dites particulières d’emploi (CDD, intérim, stages, temps partiel subi) et l’instabilité et la mobilité qui en résultent pour les salariés constituent un obstacle à la syndicalisation, par suite du délitement des collectifs de travail, du turn over systématiquement pratiqué par de nombreux employeurs, de la peur de non renouvellement du contrat ou de la mission ; mais les syndicats éprouvent de grandes difficultés à représenter et défendre les travailleurs précaires, faute pour la plupart d’entre eux d’avoir élaboré un projet cohérent de renouvellement des garanties collectives des salariés face au développement de la précarité de l’emploi. Parallèlement à cette crise du syndicalisme, dans les luttes récentes de salariés de la restauration rapide, du commerce ou du nettoyage, des emplois-jeunes ou des intermittents du spectacle apparaissent des collectifs de syndiqués, des coordinations entre syndiqués et non syndiqués, des comités de soutien ad hoc, regroupant des militants de divers syndicats et associations sur des bases interprofessionnelles et interassociatives. Ces collectifs ou comités doublent le travail syndical, s’y substituent parfois ou lui servent d’aiguillon. Y a-t-il concurrence ou complémentarité entre ces deux formes d’organisation et de lutte ? L’émergence des collectifs ne traduit-elle pas un aspect de la crise contemporaine des formes d’organisation politiques et syndicales avec la montée de l’individualisme, de l’adhésion par affinité sélective, du refus de la délégation de pouvoir et de la bureaucratie ? Les syndicats peuvent-ils tirer les leçons de l’expérience de ces collectifs pour repenser l’action syndicale face à la précarisation rampante du salariat ?

I - Les syndicats face à la précarité et aux précaires

Difficulté de syndiquer les précaires

La précarité de l’emploi ne cesse de se développer en France comme dans d’autres pays européens ; l’on entend par précarité l’ensemble des formes atypiques d’emploi, essentiellement les contrats à durée déterminée et l’intérim, mais également les contrats de qualification et d’adaptation, et même les formes d’emploi n’assurant pas un revenu égal au SMIC, à savoir principalement les CDI à temps partiel subi. En dix ans, le nombre d’emplois en intérim a connu une croissance de 160 % et celui des CDD une augmentation de 60 %, alors que le nombre de CDI n’augmentait que de 2 %. Les contrats à durée déterminée représentaient 6,28 % des emplois salariés en 2000 et leur taux de progression annuel depuis 1995 est de 6 à 7 %. L’emploi à temps partiel représente aujourd’hui 18 % des emplois contre 8 % au début des années 70. La précarité de l’emploi est un obstacle important à la syndicalisation. Quand on ne sait pas si son CDD ou sa mission d’intérim seront renouvelés, on ne se risque pas à se syndiquer. Il en est de même lorsqu’on passe en peu de temps d’une entreprise à une autre, d’un secteur à l’autre, de l’emploi au chômage. Pourquoi se syndiquer sur des périodes d’emploi aussi courtes et incertaines ?
Avec le turn over érigé en système, les collectifs de travail au sein des entreprises s’effritent et le travail de syndicalisation est un travail de Sisyphe éternellement à recommencer. De plus des salaires très bas comme ceux des employés à temps partiel rendent difficile le paiement de cotisations syndicales. Ces causes objectives pourraient déjà expliquer à elles seules le recul constant de la syndicalisation. Mais elles ne sont pas les seules. A ces facteurs externes s’ajoutent les dysfonctionnements et les carences internes des syndicats, dont la plupart restent enfermés dans des modes de fonctionnement hérités de la période fordiste et offrent peu de résonance aux luttes des salariés précaires. Un conflit de générations, de culture syndicale, un décalage dans les rythmes de travail syndical par rapport aux luttes concrètes sur le terrain, qui exigent une disponibilité 24H sur 24 et 7 jours sur 7, opposent les permanents syndicaux, plus âgés, aux jeunes travailleurs précaires qui ont souvent l’impression de se retrouver seuls dans la lutte. Mais plus généralement on relève chez les précaires, notamment les plus jeunes, une relative indifférence ou défiance vis-à-vis des syndicats, qui sont perçus parfois comme corrompus, le plus souvent comme privilégiant la défense des travailleurs stables et ne faisant pas assez de place à la défense des travailleurs précaires, et ne proposant pas de ligne de résistance cohérente face à l’extension du précariat. Le sentiment de l’impuissance ou du désintérêt des syndicats vis-à-vis des précaires est très répandu, même chez ceux de ces derniers qui sont syndiqués

La position des syndicats sur la précarité
La CGT est l’une des rares centrales syndicales, avec le Groupe des Dix, à dénoncer le développement de la précarité de l’emploi et à avancer des propositions concrètes pour redonner aux salariés une protection face à la flexibilité du marché du travail. La CGT a en effet élaboré une revendication précise, la sécurisation des trajectoires professionnelles.
On en trouve l’exposé dans le document de travail N° 2 de mai 2002, « Nouveau statut du travail salarié », issu de la première journée d’étude confédérale sur ce thème du 27 mars 2002 : « Notre projet d’un nouveau statut du travail salarié, c’est à la fois plus de garanties professionnelles et un socle de garanties interprofessionnelles, permettant à l’individu de s’épanouir dans sa vie professionnelle, de choisir lui-même son parcours professionnel en toute liberté. (...) Nous revendiquons pour les salariés, dès leur entrée dans la vie active, des droits que tout employeur sera tenu de respecter (droit au travail transférable d’une entreprise à l’autre et opposable à chaque employeur ; de même, droit à la promotion, au déroulement de carrière, à la formation, validation des acquis professionnels) ». Ceci signifie pour la CGT que chaque salarié puisse exiger de chacun de ses employeurs :
un déroulement de carrière
que pour telle qualification, son salaire soit de tant minimum
qu’ayant fait un an de formation depuis le début de sa carrière, il puisse encore bénéficier de trois ans
qu’en fin de parcours, quel que soit celui-ci, au moment de sa retraite
il ait au minimum un salaire double à valeur constante
que la règle d’embauche soit un contrat à temps plein à durée indéterminée
que le travail à temps partiel soit un droit pour le salarié qui le souhaite et non une obligation

Cela passe bien évidemment par une mutualisation du financement de la garantie d’emploi à l’échelle territoriale et/ou de la branche. Parallèlement, la CGT réclame une modulation des cotisations sociales pénalisant les entreprises qui licencient ou précarisent leur main d’oeuvre, et la création de fonds régionaux pour le développement et l’emploi placés sous le contrôle des salariés. On ne peut contester le caractère élaboré de cette proposition qui vise bien à apporter une réponse structurelle à la montée de la précarité de l’emploi. Elle s’inspire d’ailleurs des travaux de juristes comme Alain Supiot et alii, ainsi que des propositions du rapport Boissonnat du Commissariat Général du Plan, ou des réflexions de l’économiste Liem Hoang-Ngoc
Le Groupe des Dix, bien que majoritairement implanté dans le secteur public, a développé une réflexion conséquente sur la nécessité de soutenir les luttes des travailleurs précaires et de réorienter les efforts du syndicalisme en leur faveur, tout en apportant concrètement un soutien important à AC ! (Agir ensemble contre le chômage), qui fédère des collectifs de chômeurs et de précaires. Ainsi s’exprime Gérard Gourguechon dans l’ouvrage « Précarité. Points de vue du mouvement social » paru en décembre 2001 :

« Une part croissante des salariés est donc exclue de l’emploi stable à temps complet. Ceci se traduit par une dégradation importante des conditions de travail, d’emploi, de vie, de millions de personnes en France. Combattre cette situation devrait donc être la priorité des organisations syndicales, d’autant plus que l’existence d’un salariat précaire tire vers le bas l’ensemble des salariés (...). Le syndicalisme français, faible, divisé, n’est pas parvenu, jusqu’à présent, à fédérer les chômeurs, qui se retrouvent plus dans des associations spécifiques.(...) De même, le syndicalisme a des difficultés à syndiquer les travailleurs précaires. L’organisation traditionnelle du syndicalisme par branches et par entreprises n’est pas adaptée à l’existence de personnes qui passent d’une entreprise à une autre, d’un petit boulot à un autre petit boulot. (...) Si le syndicalisme veut être plus efficace, il lui faut certainement se transformer dans son fonctionnement pour être en mesure de mieux fédérer des revendications émanant d’un salariat particulièrement éclaté. Le syndicalisme peut plus facilement suivre les précaires et les chômeurs par ses unions locales et ses unions départementales. Faire vivre, ou revivre, les bourses du travail est nécessaire. Dans l’entreprise, il faut organiser des lieux de débat entre les salariés en CDI, les intérimaires et les précaires. »

La CNT s’efforce de défendre les travailleurs précaires là où elle est implantée. Elle apporte son soutien à la grève des cuisiniers sri-lankais des restaurants Frog engagée à Paris depuis mars 2003, conflit non encore résolu. Mais si certains de ses militants sont impliqués dans les comités de soutien aux salariés du Mc Do de Strasbourg St-Denis en 2002 et 2003 et aux femmes de ménage des hôtels Arcade en 2002 (soutenues principalement par SUD), le syndicat CNT de la restauration rapide refuse son soutien aux salariés du Mc Do de Strasbourg St-Denis sous prétexte que certains sont « swing managers », donc cadres. Ceci illustre bien la difficulté de certains syndicats à définir le contenu de la notion de précarité. Dans le secteur du nettoyage, la CNT a organisé deux manifestations unitaires avec SUD et les dissidents de la CGT Nettoyage, en juillet 2002 et juillet 2003, dans le cadre et suite au conflit des femmes de ménage d’Arcade, pour en populariser les revendications ; toutefois ce secteur qui regroupe des précaires particulièrement exploités reste éclaté et peu syndiqué

FO, syndicat où dominent les fonctionnaires, est quasiment muette sur la question de la précarité. On la trouve très rarement impliquée dans les luttes de travailleurs précaires sur le terrain, et dans ce cas c’est la plupart du temps dans le cadre d’actions intersyndicales où elle n’a pas le rôle le plus actif
La CFDT est le syndicat qui a fait le plus long chemin sur la route de l’acceptation de la nouvelle donne capitaliste, devenant ainsi l’alliée objective du MEDEF, au nom de la modernité. Cette centrale prend acte des transformations des normes d’emploi (dérégulation, flexibilité, turn-over et instabilité du contrat de travail) qu’elle estime imposées par la modernisation de l’économie, et s’efforce d’accompagner ces transformations par une adaptation de ses revendications. C’est ainsi qu’on la verra successivement défendre, en 1992, un durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation du chômage pénalisant particulièrement les jeunes et les précaires, puis en 2000 le PARE, plan d’aide au retour à l’emploi qui accroît les radiations des chômeurs qui refusent un emploi précaire, au salaire et à la qualification inférieurs aux précédents, ou très éloigné de leur domicile ; puis en 2003 la réforme du statut des intermittents du spectacle, qui exclut du régime un tiers d’entre eux tout en réduisant leurs durées d’indemnisation. Ces reculs valent à la CFDT une grande rancune parmi les chômeurs et les précaires, qui estiment que ce syndicat, non seulement ne défend pas leurs droits, mais pour conserver sa place de gestionnaire privilégié de l’UNEDIC aux côtés du patronat, participe des offensives libérales contre eux en leur imposant un workfare

Ce panorama rapide de l’attitude des syndicats face à la précarité, bien que contrasté, explique sans doute la faiblesse des acquis syndicaux dans le domaine de la défense des travailleurs précaires. Pour ne prendre que ces deux exemples, les conventions collectives de la restauration rapide et du nettoyage sont particulièrement défavorables et n’enregistrent pas de progrès, malgré le développement de luttes dans le secteur de la restauration rapide en 2001, 2002 et 2003. Ces luttes au demeurant ciblent plutôt la répression syndicale et sont souvent déclenchées contre le licenciement de délégués, terrain sur lequel les prud’hommes leur donnent satisfaction. Même si le treizième mois est une revendication souvent avancée, et a été obtenu dans certains Mc Do (comme à Marseille),il est loin d’être généralisé. Il en est de même du passage à la demande du salarié de temps partiel à temps plein, ou de CDD en CDI : c’est encore une revendication sporadique, insuffisamment reprise par les centrales syndicales, qui restent sur une position très défensive dans la plupart des conflits

II- Les nouveaux outils d’organisation que se donnent les précaires, collectifs, coordinations et comités de soutien

Les années 2000 à 2003 ont vu naître et se développer plusieurs luttes de salariés dans la restauration rapide et le commerce, en majorité de jeunes précaires, ainsi que dans le nettoyage :

grève de 15 jours en décembre 2000 au Mc Do du boulevard St-Germain pour des augmentations de salaires et une prime de fin d’année,
grève de 32 jours au Pizza Hut Opéra pour les mêmes revendications,
grève historique de 112 jours d’octobre 2001 à Février 2002 au Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la réintégration de cinq salariés licenciés,
grève d’un mois avec occupation, en février 2002, de la Fnac des Champs-Elysées pour des augmentations de salaires, grève s’étendant à d’autres Fnac de région parisienne et de province,
grèves sporadiques au printemps 2002 dans plusieurs Mc Do parisiens en solidarité avec les salariés de Strasbourg St-Denis ou pour des augmentations de salaires et un 13ème mois,
grèves chez Go Sport pour des augmentations de salaires, chez Virgin contre le travail du dimanche et pour un 13ème mois,
grève d’un an, de mars 2002 à février 2003, de 32 femmes de ménage des hôtels du groupe Accor employées par son sous-traitant Arcade, pour une réduction des cadences et la prise en compte de toutes les heures de travail effectuées,
grèves non encore résolues, depuis mars 2003, à nouveau du Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la réintégration d’un délégué licencié et contre les manoeuvres de coulage du gérant, et des cuisiniers sri-lankais des pubs Frog pour une amélioration de leurs conditions de travail..

Dans le secteur de la restauration rapide, ce sont essentiellement de jeunes délégués CGT -ainsi que des délégués SUD et parfois FO - qui mènent ces luttes, certains d’entre eux déjà dotés d’une certaine expérience, d’autres tout frais promus délégués pour se protéger de la répression syndicale. Durant les années 2000 et 2001, ces délégués utilisent le Collectif CGT de la restauration rapide pour se coordonner entre enseignes telles que Mc Do, Quick, Pizza Hut, EuroDisney et les restaurants du Louvre, mais éprouvent rapidement le besoin de sortir des limites syndicales classiques et s’élargissent à des délégués CNT et FO. Puis certains d’entre eux créent le Réseau Stop Précarité qui regroupe des délégués CGT de Pizza Hut, Disneyland, Extrapole, MaxiLivres, BHV, restaurants du Louvre, des militants de SUD-Etudiants, SUD-Ceritex, AC !, AARRG, ATTAC-Sorbonne, CNT, UNEF, du Collectif des Emplois-Jeunes de Seine Saint-Denis et des chercheurs.

Le Collectif CGT de la restauration rapide, puis le réseau Stop Précarité organisent en 2001 et 2002 plusieurs opérations coup de poing et manifestations qui se distinguent des formes de lutte syndicale traditionnelles par leur volonté d’investir l’espace public de la rue et des centres commerciaux (Belle Epine en juin 2001 et La Défense en décembre), par leur appel à la solidarité des consommateurs et au boycott de la marque, par leur autonomie vis-à-vis des structures syndicales. Lors de la grève de 112 jours du Mc Do de Strasbourg St-Denis, des formes originales de mobilisation sont inventées avec la constitution d’un vaste comité de soutien regroupant plus d’une trentaine d’organisations syndicales, associatives et politiques, qui se réunit une fois par semaine sous la houlette d’une Fédération du Commerce CGT passablement débordée. Grévistes et comité de soutien mettent en oeuvre des occupations de Mc Do parisiens tous les samedi et parfois le dimanche, y compris Noël et jour de l’An, sensibilisant les passants et effectuant des collectes. Ces actions de harcèlement et la popularisation du conflit ne sont pas pour rien dans la capitulation finale de Mc Do et la réintégration des grévistes en février 2002. Une manifestation de soutien aux grévistes de Mc Do rassemble 2000 personnes le 2 février 2002, précaires de différentes entreprises et militants syndicaux, associatifs et politiques. Ces formes de lutte des jeunes précaires se différencient nettement des luttes syndicales classiques :

elles sont lancées à la base et non à partir de mots d’ordre des centrales syndicales ; elles se construisent à partir d’agrégats d’individualités, sur la base de la confiance réciproque et de l’interconnaissance, en évitant la discipline et la hiérarchie bureaucratiques mais en privilégiant l’autonomie et une forte implication personnelle. Les tracts d’ailleurs, même à en-tête syndicale, se concluent par des prénoms et des numéros de portables. Les centrales syndicales impliquées peinent à garder le contrôle de ces mouvements de lutte et se voient souvent débordées, contestées

Les luttes sortent de l’entreprise pour déborder sur la rue, l’espace public, par accrochage de banderoles sur des rubans de scotch tendus entre les arbres, distribution de tracts aux passants et consommateurs, appel au boycott des produits, ce qui permet de relier une lutte ponctuelle à des thèmes plus généraux comme la « malbouffe » et à d’autres mouvements comme la Confédération Paysanne ou les mouvements pour une autre mondialisation, ou le mouvement des « sans papiers » dans le cas de la lutte des salariées d’Arcade, emblématique de la surexploitation des immigrés
Les luttes sortent également du carcan syndical en faisant appel à des soutiens diversifiés de l’extérieur, autres syndicats, associations de lutte contre le chômage et la précarité, mouvement étudiant dans toutes ses composantes..

Ces luttes s’en prennent aussi au talon d’Achille de ces multinationales, leur image de marque dans le public, en développant des campagnes de boycott de la marque sous forme de cartes postales, en diffusant la contestation dans les divers établissements du groupe, restaurants Mc Do, hôtels du groupe Arcade, en perturbant l’assemblée des actionnaires du groupe Accor dont Arcade est l’un des sous-traitants..
Ces jeunes délégués maintiennent une attitude souvent assez distanciée vis-à-vis de leur syndicat qu’ils ont tendance à instrumentaliser dans ce sens qu’ils en perçoivent de façon aigüe les limites et les rigidités et y suppléent en déployant entre eux une grande solidarité, en se donnant des « coups de main » pour pallier les carences syndicales

L’expérience collective du comité de soutien à une lutte est facilement « transférée » à une autre lutte, avec des recompositions de participants. Ainsi le collectif de soutien au Mc Do Strasbourg St-Denis se transforme-t-il après quelques défections ou apports nouveaux en un comité de soutien à la lutte des femmes de ménage africaines d’Arcade, puis renaît pour soutenir la deuxième grève du Mc Do de Strasbourg St-Denis, puis s’étend au soutien aux cuisiniers des Frog. Des jonctions sporadiques se font entre luttes, lorsque les femmes d’Arcade soutiennent des occupations de Mc Do et que des salariés de Mc Do en grève participent aux occupations d’hôtels du groupe Arcade, même si cela reste l’exception

La lutte des emplois-jeunes en 2002 et 2003 La lutte des emplois-jeunes est un exemple de mouvement né de coordinations locales intercatégorielles qui ne rencontre qu’un très faible soutien des syndicats, et doit compter principalement sur ses propres forces. Lorsqu’à l’été 2002 le gouvernement Raffarin annonce la non-reconduction des emplois-jeunes, ceux-ci s’organisent en collectifs et se mobilisent fortement dès l’automne 2002, multipliant les assemblées générales et essayant d’unir les emplois-jeunes de divers secteurs, ceux de l’Education Nationale, des collectivités territoriales et des associations, pour déposer des revendications spécifiques à chacun d’eux et au-delà, unitaires. Ces revendications vont du maintien du statut d’étudiant-surveillant à la titularisation sans concours ni condition de nationalité pour les emplois-jeunes des divers services publics, à l’accès à des formations qualifiantes et/ou diplômantes, à la revalorisation des salaires, à la validation des acquis professionnels, à la transformation des CDD en CDI pour les emplois-jeunes des associations. Il se crée une Coordination nationales des emplois-jeunes et surveillants en lutte, qui appelle à des journées nationales d’action et à des grèves reconductibles en décembre 2002 et janvier 2003. Des collectifs se créent ainsi un peu partout en province, et des grèves reconductibles sont déclenchées en Corse, à Nantes, Rennes, Brest, Toulouse, Angers et dans de nombreuses autres villes. Le mouvement culmine en juin 2003 avec l’approche des premiers non-renouvellements de contrats par une occupation de la Bourse du travail à Paris et une forte participation aux manifestations des enseignants et salariés du secteur public contre la réforme des retraites et la décentralisation à l’Education nationale, au risque pour la lutte des emplois-jeunes de se retrouver un peu diluée dans le mouvement social de mai-juin 2003. Or, quelle est la position des syndicats vis-à-vis de la lutte des emplois-jeunes, menacés du plus grand « plan social » de l’année 2003 ? La plupart du temps, c’est l’absence de soutien syndical qui prévaut, à l’exception de SUD, le SNES-FSU et le SGEN-CFDT refusant de participer à la journée d’action du 17 janvier 2003 dans de nombreuses villes, le SNES-FSU appelant dès décembre à la reprise du travail. SNES et SGEN ne reprennent pas à leur compte la plate-forme de revendications élaborée par la Coordination nationale et validée par toutes les assemblées générales d’académie. Ils sont d’ailleurs opposés à la titularisation sans concours, que SUD est le seul syndicat à défendre. La Coordination nationale appelle en vain les syndicats majoritaires à lancer un grand mouvement de grève pour faire fléchir un gouvernement très déterminé. En fait, toute la lutte des emplois-jeunes est portée par des collectifs locaux de syndiqués et de non syndiqués et par la Coordination Nationale sur la base de la démocratie directe, de l’envoi de représentants mandatés aux réunions régulières, quasi hebdomadaires, de la Coordination Natonale à Paris, et le seul soutien syndical émane de SUD-Education et de SUD-Etudiant, ainsi que de la CNT-Education et de la CGT-Education. Mais ce ne sont pas les syndicats qui pilotent la lutte, celle-ci est étroitement contrôlée par la base et menée de façon intercatégorielle et intersyndicale

La lutte des intermittents du spectacle durant l’été 2003

La lutte des intermittents du spectacle contre la réforme de leur statut durant le printemps et l’été 2003 est l’exemple même d’un mouvement organisé en dehors des syndicats en collectifs locaux de syndiqués et de non syndiqués, même si la CGT a exercé une influence certaine dans l’expression du refus de la réforme. Des collectifs locaux naissent un peu partout, comme Culturendanger à Montpellier, le collectif du 25 février à Avignon, le collectif des intermittents, précaires d’Ile de France à Paris, etc... Comme l’écrivent Fabienne Darge et Diane Ducamp dans « le Monde » du 7 juillet 2003, « les membres des collectifs sont jeunes, en général entre 25 et 40 ans. Ce sont les plus concernés par la précarité, et donc les plus touchés par la réforme.(...) Ils viennent du spectacle vivant (théatre, danse, spectacle de rue...), où ils sont artistes ou techniciens, plus que de l’audiovisuel (...). Pour beaucoup, rejoindre une coordination constitue une première expérience d’ordre politique. (...) Mais un nombre non négligeable d’entre eux ont déjà eu des expériences d’ « engagement » (...°) . Dans la coordination des intermittents et précaires d’Ile de France se côtoient des gens venus d’horizons divers », de la CGT, de la CNT, du collectif des Précaires Associés de Paris, d’AC !... « Ceux venus de la CGT, par exemple, ne renient pas leur affiliation à la centrale syndicale, mais trouvent que la coordination permet d’agir de manière plus directe et rapide, sans passer par des processus bureaucratiques et technocratiques. » (...) « Expérimentés ou non, les membres des coordinations tentent de réinventer une forme de démocratie directe. Le collectif parisien, installé salle Olympe-de-Gouges, rue Merlin, dans le 11ème Arrondissement, convoque une assemblée générale tous les jours et a institué le principe des commissions (« action », « interprofessionnelle », « Europe », « presse »...) auxquelles peuvent participer tous ceux qui le désirent. Pas de représentants permanents, pas de leaders. »

Conclusion

Même si certains d’entre eux sont syndiqués, notamment à la CGT, à SUD ou à la CNT, les précaires qui s’investissent aujourd’hui dans des luttes, par delà la diversité de leurs statuts et le morcellement de leurs situations, se dotent le plus souvent de formes nouvelles d’organisation , collectifs, coordinations, comités de soutien ad hoc, qui privilégient la démocratie directe et le contrôle des décisions par la base, la souplesse et la rapidité, la mixité des appartenances syndicales, associatives et politiques. Ce sont des formes d’organisation par affinités sélectives, par agrégation apparemment éphémère mais dont les liens tissés à l’occasion des luttes sont durables et peuvent se recomposer à tout moment. Dans ces luttes, les syndicats peinent à garder le contrôle de l’action et sont mis en quelque sorte sous surveillance, instrumentalisés et jaugés à la hauteur de leur capacité à aider la lutte et à en porter les revendications. Ils sont partagés entre la tentative de récupération de la lutte et celle du repli. Ils peinent également à faire place au sein de leurs structures décisionnelles à ces jeunes militants très combatifs, souvent issus de l’immigration, exigeants et à l’indépendance d’esprit développée. Le modèle du fonctionnement syndical traditionnel, basé sur la section d’entreprise, l’organisation par branche, se trouve bousculé et peu adapté au développement de la mobilité des travailleurs précaires d’un emploi à un autre et de l’emploi au chômage. Ne faudrait-il pas donner plus d’importance aux unions locales interprofessionnelles, aux bourses du travail ? Plus fondamentalement, la montée de l’individualisme et de la volonté de choisir ses engagements de façon élective et réversible, le développement de formes d’engagement plus subjectives, privilégiant les relations interpersonnelles de confiance et par affinités, le refus de plus en plus généralisé de la délégation de pouvoir et de ce qui peut apparaître comme des processus bureaucratiques et rigides, peuvent expliquer la crise de la forme d’organisation syndicale classique et le développement des collectifs et coordinations ad hoc reposant sur la démocratie directe. A ces difficultés liées à la forme syndicale s’ajoute la relative incapacité des syndicats, du moins la plupart, à inventer un socle de revendications apte à contrer le développement de la précarité et de la flexibilité, celui de la sous-traitance, et la dégradation des conditions de travail qui en résulte pour une frange croissante du salariat. La précarité appelle un aggiornamento syndical. Les syndicats sauront-ils relever ce défi ?


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