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« Modernisation » du marché du travail : accord interprofessionnel pour la précarisation Thomas Coutrot 18/01/2008
Misère du syndicalisme… Patsy

Origine : http://www.france.attac.org/spip.php?article8099

Emission de radio sur Alternantes Jeudi 24 Janvier 2008 "le monde comme il va" animée par Patsy


« Modernisation » du marché du travail : accord interprofessionnel pour la précarisation

Ainsi, la « modernisation » du marché du travail est acceptée par les syndicats à l’exception notable de la CGT qui a donc été le seul syndicat ayant refusé de capituler devant le Medef, Solidaires n’ayant pas été convié à la table des négociations.

Thomas Coutrot, économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac-France donne ici la lecture qu’il fait de cette « avancée ».

4 des 5 grandes centrales syndicales ont signé l’accord sur la « modernisation du marché du travail » du 11 janvier 2008. Il s’agit d’un accord sans précédent, par l’ampleur des mesures de précarisation que le patronat a su faire endosser aux syndicats. La menace du vote d’une « loi-Medef » en cas d’échec de la négociation explique évidemment ce succès patronal. Mais les syndicats, le pistolet sur la tempe, n’ont pas cherché à informer ou mobiliser les salariés. L’épisode du CPE avait pourtant montré une capacité considérable de résistance sociale à la précarisation, pour peu que les organisations des salariés et de la jeunesse prennent leurs responsabilités.

Le miroir aux alouettes de la flexicurité

Sans citer explicitement le terme, l’accord s’inspire largement de la thématique de « la flexicurité » promue par une récente communication de la Commission Européenne (juin 2007). L’idée paraît a priori séduisante. Le « modèle danois » permet de concilier une grande flexibilité de gestion pour les entreprises (avec peu de règles limitant les licenciements) et une forte sécurité de revenu pour les salariés (grâce à des allocations chômage très élevées et versées pendant 4 ans). Les études montrent que les Danois sont beaucoup moins inquiets de l’insécurité sociale que les Français. La flexibilisation de l’emploi, combinée avec une vraie garantie de revenu, permettrait de réduire les inégalités entre salariés en place d’un côté, précaires et chômeurs de l’autre. Au prix néanmoins d’un abandon de tout droit de regard des salariés sur la marche de leur entreprise, donc de toute ambition de démocratie économique.

Mais pourquoi vouloir flexibiliser un marché du travail français qui ne semble guère rigide ? 2,5 millions de salariés sont en CDD ou en intérim, un record historique ; 800 à 900 000 salariés en CDI sont licenciés chaque année. Les licenciements pour motif « personnel » se sont multipliés et représentent désormais ¾ des licenciements, le quart restant concernant le motif économique. Dans 9 cas sur 10 (l’exception étant les licenciements économiques collectifs), les procédures sont extrêmement simples : un entretien plus l’envoi d’une lettre précisant les motifs. Licencier un CDI dans les deux premières années ne coûte quasiment rien.

Cependant les indemnités peuvent représenter un à deux ans de salaire pour des salariés ayant une certaine ancienneté. Le problème pour le patronat n’est donc pas tant le manque de flexibilité globale du marché du travail, mais plutôt le fait que le noyau dur du salariat français demeure constitué par des salariés en CDI avec plus de quinze ans d’ancienneté, relativement chers à licencier et qui n’hésitent pas à contester devant les prud’hommes quand le motif du licenciement est insuffisant. Les licenciements pour « motif personnel » nécessitent parfois des transactions financières (surtout pour les cadres) coûteuses pour les entreprises, et occasionnent – dans un cas sur quatre - des litiges aux prud’hommes, que les salariés gagnent assez souvent.

La trouvaille du licenciement « amiable »

L’accord est créatif en matière de précarisation des contrats. La durée de la période d’essai est augmentée (jusqu’à 4 mois pour les ouvriers et employés, et 8 mois pour les cadres), petite revanche sur l’échec du CPE et la mort du CNE. Mais surtout, sous la rubrique (cela ne s’invente pas) « sécuriser les ruptures de contrat de travail », le Medef obtient la création de deux nouvelles modalités « amiables » de rupture des contrats » : la « rupture conventionnelle » (par simple accord de l’entreprise et du salarié, et, pour les ingénieurs et cadres, la « rupture pour réalisation de l’objet prévu au contrat » - autre nom du « contrat de mission » réclamé depuis des années par le Medef. Ces séparations « amiables » une fois homologuées, aucun recours ne serait plus possible devant les tribunaux. La « sécurisation des parcours professionnels » se réduit à la sécurisation... des licenciements.

Les syndicats ont voulu limiter la casse en demandant que la « rupture conventionnelle » soit qualifiée en licenciement et homologuée par un conseiller prud’homal. Le patronat a refusé, préférant une homologation par simple absence de réaction de l’inspection du travail dans les 15 jours. Cette « rupture conventionnelle » mérite son nom : c’est bien une rupture dans le droit du travail français. En permettant un licenciement sans cause réelle et sérieuse (« l’accord » du salarié ne sera dans bien des cas qu’une fiction tant l’inégalité est importante entre les parties), l’accord met à bas 40 ans de construction des protections contre le licenciement arbitraire. La symétrie affichée est illusoire : si c’est le salarié qui veut partir, l’employeur n’a aucune raison de signer une rupture conventionnelle qui l’oblige à verser une indemnité, et préfèrera obliger le salarié à démissionner. Si c’est l’employeur qui veut rompre le contrat, il pourra exercer toutes sortes de pressions pour obtenir la signature du salarié.

Concernant le contrat de mission, la seule « victoire » des syndicats est d’avoir obtenu qu’il soit considéré non comme un CDI mais comme un CDD, paradoxalement un peu plus favorable au salarié (prime de précarité, durée garantie du contrat...). L’avenir dira si ces nouveaux modes de rupture seront ou non massivement mis en oeuvre. Mais les phrases aimables de l’accord sur « le CDI forme normale et générale du contrat de travail », « le recours responsable au CDD et à l’intérim » ou « la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » n’apparaissent que comme du baume sur les plaies à vif du CDI.

L’accord comporte encore quelques pépites (sur le « reçu pour solde de tout compte », sur les « éléments contractuels » du contrat de travail, sur le portage salarial), moins spectaculaires mais fort appréciables pour le Medef ; citons seulement la clause assez scandaleuse selon laquelle en cas de « rupture du contrat de travail due à la survenance d’une inaptitude d’origine non professionnelle », l’entreprise puisse échapper au paiement des indemnités de licenciement, et les faire assurer par un fonds de mutualisation. Un des derniers freins au licenciement des salariés malades – le coût parfois important des indemnités – est ainsi levé.

Des avancées cosmétiques

Les syndicats se félicitent des concessions obtenues en matière de « portabilité » des droits individuels en cas de changement d’employeur. Mais ces avancées se limitent d’une part au maintien de la couverture complémentaire maladie pendant 6 mois après la rupture du contrat ; d’autre part à la possibilité de transporter les droits non utilisés au titre du DIF (Droit Individuel de Formation) chez un nouvel employeur avec l’accord de celui-ci. Même si le Medef a outrepassé l’opposition de la CGPME à cette mesure de « portabilité », l’avancée est pour le moins limitée, au regard des reculs consentis par ailleurs.

En matière d’indemnisation du chômage, le Medef voulait par avance cadrer sévèrement la prochaine négociation UNEDIC de fin 2008, en excluant a priori toute augmentation des cotisations et en durcissant les critères permettant de radier un chômeur s’il refuse une offre d’emploi (c’est la fameuse question de « l’offre valable d’emploi »). Les syndicats ont réussi à renvoyer à plus tard ces questions, et l’accord se contente de déclarer qu’il faudra prévoir l’indemnisation des salariés débarqués « à l’amiable », et « mieux indemniser les allocataires pour des durées plus courtes ». Mais rien ne laisse présager, bien au contraire, une amélioration de la sécurité des revenus pour les salariés privés d’emploi après la prochaine négociation Unedic.

Au total, si la flexicurité peut dans l’abstrait paraître séduisante, sa version « made in Medef est une caricature. C’est la flexibilité pour les salariés et la sécurité pour les entreprises : « pile je gagne, face tu perds ».

Thomas Coutrot (économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac).


Misère du syndicalisme…

Jean-Claude Mailly, le leader de la CGT-FO, a le sens de la formule : « Un accord, c’est un contrat. Quand d’un côté, il y a une partie syndicale qui dit « On aurait pu obtenir plus » et de l’autre le patronat qui dit « On a trop lâché », j’appelle cela un compromis. » Et c’est vrai que le compromis, la compromission, la collaboration de classes comme on disait jadis, FO en a l’habitude ; c’est même son carburant depuis 1948.

Le raisonnement de FO est le suivant : une organisation doit savoir prendre ses responsabilités ; en refusant de signer, l’accord aurait pu être caduque et cela aurait obligé alors le gouvernement a tranché, via le parlement, et alors, le pire aurait pu arriver. La CFDT partage le même sentiment : comme l’a dit l’ineffable François Chérèque : « S’il n’y a pas trois syndicats qui signent, on sait que le gouvernement fera ce qu’il veut ». J’avoue que je ne crois guère que Sarkozy, Fillon et consorts aient été désireux d’aller au-delà de ce que le patronat a soi-disant « lâché » le 11 janvier dernier. Sur la réforme des régimes spéciaux, le gouvernement ne s’est guère lancé dans un conflit ouvert avec les organisations syndicales : il a compris qu’il n’avait rien à gagner à un bras de fer, même s’il avait des chances d’en ressortir vainqueur (car entre nous, je ne crois pas que les travailleurs du secteur privé soient extrêmement nombreux à vouloir se battre de toutes leurs forces pour le maintien des régimes spéciaux des cheminots ou des gaziers). Il m’apparaît, à la lueur de cet épisode de la lutte des classes que Sarkozy et consorts sont concrètement moins brutaux que ce que certains craignaient ou faisaient mine de redouter ; Nicolas Sarkozy n’est pas Margaret Thatcher, la France n’est pas la Perfide Albion des années 1970/80.

Le raisonnement de FO et de la CFDT m’amène une autre réflexion : si le patronat était persuadé que le gouvernement s’alignerait sur ses positions les plus radicales (contrat de travail unique et « séparabilité ») il n’aurait pas hésité à bloquer les négociations en cours, à empêcher tout compromis et à rendre responsable les bureaucraties syndicales. S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il a conscience que le gouvernement n’a aucun intérêt à tenter un coup de force dans la période économique actuelle marquée par une croissance molle, un pouvoir d’achat ramollo, et l’ombre d’un krach boursier planant au-dessus de nos têtes de mécréants.

J’en viens donc à considérer que l’attitude conciliatrice de FO et de la CFDT doit être recherchée ailleurs que dans la crainte de la vindicte gouvernementale. A charge d’inventaire, j’avancerai deux raisons :

- FO et CFDT sont attachés depuis toujours au paritarisme et à la politique contractuelle. Ils aiment à s’asseoir et à négocier, qu’il y ait du grain à moudre ou pas. En signant la dite « réforme » du marché du travail, ils montrent qu’ils sont des partenaires sociaux responsables et disposés à avancer. Comme l’a déclaré Marcel Grignard, secrétaire national CFDT : « Félicitons-nous de cette crédibilité retrouvée du dialogue social et d’une légitimité confortée des partenaires sociaux. » Comme l’appareil confédéral a décidé que la grève était un outil archaïque et que l’avenir du syndicalisme reposait dans sa capacité à négocier les termes de la soumission des travailleurs à l’ordre capitaliste, elle ne peut qu’être amené à signer un accord, quand bien même elle présente celui-ci comme « modeste, avec des points positifs et des interrogations. » C’est dire l’ambition qui anime les enfants du recentrage d’Edmond Maire et de la droitisation de Nicole Notat…

- FO et CFDT ne veulent pas d’un conflit majeur entre salariés, patrons et gouvernement pour deux raisons : la première est qu’ils ne croient peut-être pas en la capacité actuelle du monde du travail à empêcher l’adaptation du salariat français à la « norme internationale » en vigueur ; la seconde est que si le conflit quitte les bureaux feutrés où se déroulent les négociations pour gagner la rue, FO et CFDT ne seront plus en position de force : ce seront d’autres forces syndicales qui seront en mesure de donner le tempo.

Les autres forces, ce sont bien sûr Solidaires, qui n’a pas été convié à la table des négociations et, bien sûr, la CGT. La centrale de Bernard Thibaut est dans l’embarras.

La CGT a peur de sa possible marginalisation. D’ailleurs elle s’est bien gardée de condamner vertement l’attitude des organisations syndicales signataires de l’accord. Elle a tenu à « saluer l’importance du travail réalisé entre les organisations syndicales » durant ces longues semaines de négociations puisque le travail de contre-propositions a été réalisé sur le plan intersyndical. C’est une façon d’indiquer qu’elle entend bien lors de prochaines négociations ne pas être ostracisée par FO et la CFDT au motif qu’elle a rejeté l’accord du 11 janvier. Ensuite, elle a lancé, de pure forme, une perche à ses partenaires syndicaux en déclarant ceci : « Comme l’a démontré la victoire remportée contre le CPE, un gouvernement même déterminé ne peut passer outre la fermeté des syndicats dès lors qu’ils sont unis et mobilisateurs. Qu’elle soit imposée par la loi ou par un accord paritaire, la flexibilité n’est pas plus douce aux salariés. » Mais voilà, sur la planète syndicale, il n’y a plus guère de monde désireux d’en découdre. Et dans le monde du travail, allez savoir…

Patsy Janvier 2008