Origine : http://www.france.attac.org/spip.php?article8099
Emission de radio sur Alternantes Jeudi 24 Janvier 2008 "le
monde comme il va" animée par Patsy
« Modernisation » du marché du travail
: accord interprofessionnel pour la précarisation
Ainsi, la « modernisation » du marché du travail
est acceptée par les syndicats à l’exception
notable de la CGT qui a donc été le seul syndicat
ayant refusé de capituler devant le Medef, Solidaires n’ayant
pas été convié à la table des négociations.
Thomas Coutrot, économiste, membre du Conseil scientifique
d’Attac-France donne ici la lecture qu’il fait de cette
« avancée ».
4 des 5 grandes centrales syndicales ont signé l’accord
sur la « modernisation du marché du travail »
du 11 janvier 2008. Il s’agit d’un accord sans précédent,
par l’ampleur des mesures de précarisation que le patronat
a su faire endosser aux syndicats. La menace du vote d’une
« loi-Medef » en cas d’échec de la négociation
explique évidemment ce succès patronal. Mais les syndicats,
le pistolet sur la tempe, n’ont pas cherché à
informer ou mobiliser les salariés. L’épisode
du CPE avait pourtant montré une capacité considérable
de résistance sociale à la précarisation, pour
peu que les organisations des salariés et de la jeunesse
prennent leurs responsabilités.
Le miroir aux alouettes de la flexicurité
Sans citer explicitement le terme, l’accord s’inspire
largement de la thématique de « la flexicurité
» promue par une récente communication de la Commission
Européenne (juin 2007). L’idée paraît
a priori séduisante. Le « modèle danois »
permet de concilier une grande flexibilité de gestion pour
les entreprises (avec peu de règles limitant les licenciements)
et une forte sécurité de revenu pour les salariés
(grâce à des allocations chômage très
élevées et versées pendant 4 ans). Les études
montrent que les Danois sont beaucoup moins inquiets de l’insécurité
sociale que les Français. La flexibilisation de l’emploi,
combinée avec une vraie garantie de revenu, permettrait de
réduire les inégalités entre salariés
en place d’un côté, précaires et chômeurs
de l’autre. Au prix néanmoins d’un abandon de
tout droit de regard des salariés sur la marche de leur entreprise,
donc de toute ambition de démocratie économique.
Mais pourquoi vouloir flexibiliser un marché du travail
français qui ne semble guère rigide ? 2,5 millions
de salariés sont en CDD ou en intérim, un record historique
; 800 à 900 000 salariés en CDI sont licenciés
chaque année. Les licenciements pour motif « personnel
» se sont multipliés et représentent désormais
¾ des licenciements, le quart restant concernant le motif
économique. Dans 9 cas sur 10 (l’exception étant
les licenciements économiques collectifs), les procédures
sont extrêmement simples : un entretien plus l’envoi
d’une lettre précisant les motifs. Licencier un CDI
dans les deux premières années ne coûte quasiment
rien.
Cependant les indemnités peuvent représenter un à
deux ans de salaire pour des salariés ayant une certaine
ancienneté. Le problème pour le patronat n’est
donc pas tant le manque de flexibilité globale du marché
du travail, mais plutôt le fait que le noyau dur du salariat
français demeure constitué par des salariés
en CDI avec plus de quinze ans d’ancienneté, relativement
chers à licencier et qui n’hésitent pas à
contester devant les prud’hommes quand le motif du licenciement
est insuffisant. Les licenciements pour « motif personnel
» nécessitent parfois des transactions financières
(surtout pour les cadres) coûteuses pour les entreprises,
et occasionnent – dans un cas sur quatre - des litiges aux
prud’hommes, que les salariés gagnent assez souvent.
La trouvaille du licenciement « amiable »
L’accord est créatif en matière de précarisation
des contrats. La durée de la période d’essai
est augmentée (jusqu’à 4 mois pour les ouvriers
et employés, et 8 mois pour les cadres), petite revanche
sur l’échec du CPE et la mort du CNE. Mais surtout,
sous la rubrique (cela ne s’invente pas) « sécuriser
les ruptures de contrat de travail », le Medef obtient la
création de deux nouvelles modalités « amiables
» de rupture des contrats » : la « rupture conventionnelle
» (par simple accord de l’entreprise et du salarié,
et, pour les ingénieurs et cadres, la « rupture pour
réalisation de l’objet prévu au contrat »
- autre nom du « contrat de mission » réclamé
depuis des années par le Medef. Ces séparations «
amiables » une fois homologuées, aucun recours ne serait
plus possible devant les tribunaux. La « sécurisation
des parcours professionnels » se réduit à la
sécurisation... des licenciements.
Les syndicats ont voulu limiter la casse en demandant que la «
rupture conventionnelle » soit qualifiée en licenciement
et homologuée par un conseiller prud’homal. Le patronat
a refusé, préférant une homologation par simple
absence de réaction de l’inspection du travail dans
les 15 jours. Cette « rupture conventionnelle » mérite
son nom : c’est bien une rupture dans le droit du travail
français. En permettant un licenciement sans cause réelle
et sérieuse (« l’accord » du salarié
ne sera dans bien des cas qu’une fiction tant l’inégalité
est importante entre les parties), l’accord met à bas
40 ans de construction des protections contre le licenciement arbitraire.
La symétrie affichée est illusoire : si c’est
le salarié qui veut partir, l’employeur n’a aucune
raison de signer une rupture conventionnelle qui l’oblige
à verser une indemnité, et préfèrera
obliger le salarié à démissionner. Si c’est
l’employeur qui veut rompre le contrat, il pourra exercer
toutes sortes de pressions pour obtenir la signature du salarié.
Concernant le contrat de mission, la seule « victoire »
des syndicats est d’avoir obtenu qu’il soit considéré
non comme un CDI mais comme un CDD, paradoxalement un peu plus favorable
au salarié (prime de précarité, durée
garantie du contrat...). L’avenir dira si ces nouveaux modes
de rupture seront ou non massivement mis en oeuvre. Mais les phrases
aimables de l’accord sur « le CDI forme normale et générale
du contrat de travail », « le recours responsable au
CDD et à l’intérim » ou « la gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences »
n’apparaissent que comme du baume sur les plaies à
vif du CDI.
L’accord comporte encore quelques pépites (sur le
« reçu pour solde de tout compte », sur les «
éléments contractuels » du contrat de travail,
sur le portage salarial), moins spectaculaires mais fort appréciables
pour le Medef ; citons seulement la clause assez scandaleuse selon
laquelle en cas de « rupture du contrat de travail due à
la survenance d’une inaptitude d’origine non professionnelle
», l’entreprise puisse échapper au paiement des
indemnités de licenciement, et les faire assurer par un fonds
de mutualisation. Un des derniers freins au licenciement des salariés
malades – le coût parfois important des indemnités
– est ainsi levé.
Des avancées cosmétiques
Les syndicats se félicitent des concessions obtenues en
matière de « portabilité » des droits
individuels en cas de changement d’employeur. Mais ces avancées
se limitent d’une part au maintien de la couverture complémentaire
maladie pendant 6 mois après la rupture du contrat ; d’autre
part à la possibilité de transporter les droits non
utilisés au titre du DIF (Droit Individuel de Formation)
chez un nouvel employeur avec l’accord de celui-ci. Même
si le Medef a outrepassé l’opposition de la CGPME à
cette mesure de « portabilité », l’avancée
est pour le moins limitée, au regard des reculs consentis
par ailleurs.
En matière d’indemnisation du chômage, le Medef
voulait par avance cadrer sévèrement la prochaine
négociation UNEDIC de fin 2008, en excluant a priori toute
augmentation des cotisations et en durcissant les critères
permettant de radier un chômeur s’il refuse une offre
d’emploi (c’est la fameuse question de « l’offre
valable d’emploi »). Les syndicats ont réussi
à renvoyer à plus tard ces questions, et l’accord
se contente de déclarer qu’il faudra prévoir
l’indemnisation des salariés débarqués
« à l’amiable », et « mieux indemniser
les allocataires pour des durées plus courtes ». Mais
rien ne laisse présager, bien au contraire, une amélioration
de la sécurité des revenus pour les salariés
privés d’emploi après la prochaine négociation
Unedic.
Au total, si la flexicurité peut dans l’abstrait paraître
séduisante, sa version « made in Medef est une caricature.
C’est la flexibilité pour les salariés et la
sécurité pour les entreprises : « pile je gagne,
face tu perds ».
Thomas Coutrot (économiste, membre du Conseil scientifique
d’Attac).
Misère du syndicalisme…
Jean-Claude Mailly, le leader de la CGT-FO, a le sens de la formule
: « Un accord, c’est un contrat. Quand d’un côté,
il y a une partie syndicale qui dit « On aurait pu obtenir
plus » et de l’autre le patronat qui dit « On
a trop lâché », j’appelle cela un compromis.
» Et c’est vrai que le compromis, la compromission,
la collaboration de classes comme on disait jadis, FO en a l’habitude
; c’est même son carburant depuis 1948.
Le raisonnement de FO est le suivant : une organisation doit savoir
prendre ses responsabilités ; en refusant de signer, l’accord
aurait pu être caduque et cela aurait obligé alors
le gouvernement a tranché, via le parlement, et alors, le
pire aurait pu arriver. La CFDT partage le même sentiment
: comme l’a dit l’ineffable François Chérèque
: « S’il n’y a pas trois syndicats qui signent,
on sait que le gouvernement fera ce qu’il veut ». J’avoue
que je ne crois guère que Sarkozy, Fillon et consorts aient
été désireux d’aller au-delà de
ce que le patronat a soi-disant « lâché »
le 11 janvier dernier. Sur la réforme des régimes
spéciaux, le gouvernement ne s’est guère lancé
dans un conflit ouvert avec les organisations syndicales : il a
compris qu’il n’avait rien à gagner à
un bras de fer, même s’il avait des chances d’en
ressortir vainqueur (car entre nous, je ne crois pas que les travailleurs
du secteur privé soient extrêmement nombreux à
vouloir se battre de toutes leurs forces pour le maintien des régimes
spéciaux des cheminots ou des gaziers). Il m’apparaît,
à la lueur de cet épisode de la lutte des classes
que Sarkozy et consorts sont concrètement moins brutaux que
ce que certains craignaient ou faisaient mine de redouter ; Nicolas
Sarkozy n’est pas Margaret Thatcher, la France n’est
pas la Perfide Albion des années 1970/80.
Le raisonnement de FO et de la CFDT m’amène une autre
réflexion : si le patronat était persuadé que
le gouvernement s’alignerait sur ses positions les plus radicales
(contrat de travail unique et « séparabilité
») il n’aurait pas hésité à bloquer
les négociations en cours, à empêcher tout compromis
et à rendre responsable les bureaucraties syndicales. S’il
ne l’a pas fait, c’est qu’il a conscience que
le gouvernement n’a aucun intérêt à tenter
un coup de force dans la période économique actuelle
marquée par une croissance molle, un pouvoir d’achat
ramollo, et l’ombre d’un krach boursier planant au-dessus
de nos têtes de mécréants.
J’en viens donc à considérer que l’attitude
conciliatrice de FO et de la CFDT doit être recherchée
ailleurs que dans la crainte de la vindicte gouvernementale. A charge
d’inventaire, j’avancerai deux raisons :
- FO et CFDT sont attachés depuis toujours au paritarisme
et à la politique contractuelle. Ils aiment à s’asseoir
et à négocier, qu’il y ait du grain à
moudre ou pas. En signant la dite « réforme »
du marché du travail, ils montrent qu’ils sont des
partenaires sociaux responsables et disposés à avancer.
Comme l’a déclaré Marcel Grignard, secrétaire
national CFDT : « Félicitons-nous de cette crédibilité
retrouvée du dialogue social et d’une légitimité
confortée des partenaires sociaux. » Comme l’appareil
confédéral a décidé que la grève
était un outil archaïque et que l’avenir du syndicalisme
reposait dans sa capacité à négocier les termes
de la soumission des travailleurs à l’ordre capitaliste,
elle ne peut qu’être amené à signer un
accord, quand bien même elle présente celui-ci comme
« modeste, avec des points positifs et des interrogations.
» C’est dire l’ambition qui anime les enfants
du recentrage d’Edmond Maire et de la droitisation de Nicole
Notat…
- FO et CFDT ne veulent pas d’un conflit majeur entre salariés,
patrons et gouvernement pour deux raisons : la première est
qu’ils ne croient peut-être pas en la capacité
actuelle du monde du travail à empêcher l’adaptation
du salariat français à la « norme internationale
» en vigueur ; la seconde est que si le conflit quitte les
bureaux feutrés où se déroulent les négociations
pour gagner la rue, FO et CFDT ne seront plus en position de force
: ce seront d’autres forces syndicales qui seront en mesure
de donner le tempo.
Les autres forces, ce sont bien sûr Solidaires, qui n’a
pas été convié à la table des négociations
et, bien sûr, la CGT. La centrale de Bernard Thibaut est dans
l’embarras.
La CGT a peur de sa possible marginalisation. D’ailleurs
elle s’est bien gardée de condamner vertement l’attitude
des organisations syndicales signataires de l’accord. Elle
a tenu à « saluer l’importance du travail réalisé
entre les organisations syndicales » durant ces longues semaines
de négociations puisque le travail de contre-propositions
a été réalisé sur le plan intersyndical.
C’est une façon d’indiquer qu’elle entend
bien lors de prochaines négociations ne pas être ostracisée
par FO et la CFDT au motif qu’elle a rejeté l’accord
du 11 janvier. Ensuite, elle a lancé, de pure forme, une
perche à ses partenaires syndicaux en déclarant ceci
: « Comme l’a démontré la victoire remportée
contre le CPE, un gouvernement même déterminé
ne peut passer outre la fermeté des syndicats dès
lors qu’ils sont unis et mobilisateurs. Qu’elle soit
imposée par la loi ou par un accord paritaire, la flexibilité
n’est pas plus douce aux salariés. » Mais voilà,
sur la planète syndicale, il n’y a plus guère
de monde désireux d’en découdre. Et dans le
monde du travail, allez savoir…
Patsy Janvier 2008
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