"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Préambule et quelques remarques de méthode



Préambule

Après de nombreuses années d’engagement politique pour essayer de changer le monde, pour “ changer la vie ” comme on disait dans les années soixante-dix, j’ai été obligé d’admettre qu’il existait des problèmes non résolus dans notre démarche. Presque tout ce que nous avions tenté était maintenant intégré au système capitaliste ou avait été réprimé. La domination capitaliste est d’une souplesse étonnante tout en étant parfois très sévère avec les oppositions radicales.

Le désir de changer le monde est toujours là, je le rencontre chez beaucoup d’autres personnes. Confusément je sentais que ce n’était pas ce désir de justice, de liberté, de solidarité ou d’égalité qui était en cause. Petit à petit, la façon de lutter, les modèles qui nous servaient de base sont devenus des questions de plus en plus importantes. Ce sujet devenait fréquemment un thème de discussion. De temps en temps les débats s’enflammaient, parfois cela soulevait tellement de difficultés qu’on changeait de sujet. Au fil des rencontres, des débats politiques et théoriques, de l’action militante, d’émissions de radio, la question des modèles est devenue fondamentale.

De plus, cette préoccupation s’ajoutait à celle de la question de l’autorité dans nos mouvements politiques, les mouvements révolutionnaires, les groupes libertaires. De l’intérieur des regroupements militants, comme dans la société, la question de la reproduction de la domination prenait de plus en plus de place. Comme beaucoup d’autres personnes, ce constat me mettait mal à l’aise, de plus en plus souvent j’avais l’impression d’être coincé, de ne pas pouvoir en sortir.

Vivant dans un monde absurde et destructeur, le désarroi, l’impuissance me donnait, comme à beaucoup de personnes, la sensation d’un combat inutile. En essayant de comprendre, j’ai tenté, à chaque fois que j’ai pu, de lier mes activités politiques à la recherche et aux débats sur ces thèmes. J’ai essayé de trouver des idées dans des livres, dans les rencontres, les discussions, les débats publics. J’ai noté les arguments, parfois contradictoires, sur l’analyse de nos difficultés. La réflexion s’est imposé comme une nécessité pour survivre mentalement, pour trouver de nouvelles pistes. De fait, j’ai alors compris que la recherche liée à l’action était une voie difficile, qu’il fallait confronter les points de vue, les façons d’employer telle ou telle notion, pourquoi tel mot convenait ou pas et pourquoi nous avions tant d’incertitudes devant nous. De fil en aiguille, j’ai essayé d’ébaucher des hypothèses et j’ai cherché ce qui pouvait m’aider à les argumenter, à construire une certaine cohérence dans le raisonnement.

Alors ami-e lecteur ou lectrice ne soyez pas surpris-e que le chemin que j’emprunte utilise des concepts parfois ardus, ils viennent d’un peu partout. Pour essayer d’avancer, le recours à l’abstraction est nécessaire. Cette méthode n’est pas guidée par la méchanceté à votre égard, par le souhait de paraître savant ou de vous humilier. J’emploie ces notions parce que les problèmes rencontrés sont compliqués, parfois complexes. De plus, considérant que nos modèles antérieurs sont insuffisants, il fallait chercher de nouvelles façons de penser l’action politique libertaire. D’ailleurs, il est souvent question d’hypothèses, vous remarquerez que ce texte contient plus de questions que de réponses. En proposant cette recherche au public, il s’agit aussi de chercher à tester les propositions qui sont émises ici. Seule l’action politique et les échanges peuvent valider ou contredire ces essais théoriques. Il sera donc question dans cet ouvrage de la domination, de la façon dont elle organise notre monde, notre vie et de la pertinence de l’idée libertaire pour essayer de les transformer. Nous avons une liberté que nous devons entretenir et développer, celle de pouvoir réfléchir et penser.

Pour les personnes intéressées par les questions de méthode, je les renvoie à la première note située à la fin du document et reproduit ci-après



Quelques remarques de méthode :

1 / Le point de vue est singulier, mais ce travail est aussi le résultat d’activités et de discussions collectives, et ce depuis longtemps. Je suis placé aux confins d’un chemin personnel et de flux collectifs. Je ne suis pas un porte-parole et ne cherche pas à l’être, mais je tiens à remercier les personnes et les groupes qui ont contribué à nourrir cette démarche ou à améliorer le texte final.

2 / Dans le cas présent la position d’observateur ne se détache pas de celle de l’acteur politique. Cette tentative de va et vient accepte tous les risques que comporte ce genre de posture. Parfois, ce type de démarche est nommé recherche / action, j’accepte le terme. De mon point de vue, nous n’avons pas d’autres choix pour avancer. Si nous restons au niveau de l’action concrète, en général, nous ne prenons pas de distance. Si nous nous plaçons seulement en situation d’observation théorique extérieure nous ne pouvons pas tester les hypothèses, les analyses et tenter de transformer ce monde. La vérité visée ici est bien sûr située, relative, liée à une subjectivité et donc mise en débat.

3 / La nécessité de comprendre est une utilisation de la raison à posteriori tout en étant immergé-e dans le réel social. Il est parfois difficile de démêler l’écheveau aux fils multiples. Les champs concernés sont nombreux, intriqués les uns dans les autres et ont, entre autres, des dimensions irrationnelles, inconscientes. Il n’est pas question de trancher le noeud, mais d’essayer d’alimenter le débat sur le devenir, les possibles libertaires, et de poser à nouveau la question de l’autonomie et de la puissance politique comme le faisait Castoriadis, par exemple (c.f. note suivante).

Le débat porte évidemment sur le contenu du mot “ politique ”, les contenus de l’idée libertaire, de l’idée révolutionnaire (pour moi ces deux notions sont équivalentes). Par contre, les personnes, qui escomptent trouver des solutions dans ce document, risquent d’être déçues. Car, à mon avis, nous ne pouvons pas faire l’économie de l’état de la question, ou des questions. La seule solution qui me semble valable, parce que nous l’avons déjà expérimentée, est d’assumer collectivement et publiquement ces interrogations.

4 / L’argumentation implique de temps en temps des incises méthodologiques (soit directement dans le texte ou sous forme de notes) pour essayer de préciser dans quel champ conceptuel nous nous trouvons. La distinction classique entre la description de “ ce qui est ”, le constat à partir d’une grille de lecture déjà construite, et l’affirmation de “ ce qui devrait être ”, qui implique forcément un jugement de valeur ou une référence à des valeurs, est connue. Dans le cas présent, le point de vue est souvent critique et se place dans une optique oppositionnelle, qui refuse l’état de choses existant. Même si j’essaie d’adopter une démarche réaliste, matérialiste sur le constat des faits, je n’échappe pas à des références en valeur. La lutte théorique est toujours un combat situé dans l’espace et le temps.

5 / Plusieurs champs théoriques sont présents dans ce document. La difficulté vient de l’articulation entre eux, qui ne va pas de soi. J’accepte l’incomplétude et le manque, une seule approche me paraissant insuffisante. D’autre part, je ne choisis pas entre le mouvement et le caractère fixe des phénomènes, entre le processus et la structure parce que les deux points de vue sont éclairants et ne s’excluent pas pour autant.

6 / Je m’exprime souvent en terme de tendance, parfois en terme d’hypothèse. Ceci est important pour ne pas prendre pour des absolus les quelques constats mis en avant pour essayer de comprendre l’évolution de ce monde. D’autre part, cette démarche laisse ouverte la question de la possibilité de l’action politique (collective et / ou individuelle). La liberté humaine existe, même si parfois son étendue est très limitée, même si souvent nous sommes impuissant-es. Le fait que nous puissions penser est en soi un possible à ne pas négliger. Comme pour l’action, ensuite c’est à chacune et chacun, à toutes et tous ou à personne de se déterminer.

Cornélius Castoriadis, 1922 - 1997, philosophe, psychanalyste, sociologue et théoricien politique d’origine grecque. Il s’était installé en France en 1945. Il est fondateur du groupe Socialisme ou Barbarie avec Claude Lefort. Castoriadis est un penseur de l’autonomie, après avoir rejeté le marxisme officiel il est resté hors des principaux courants de pensée des intellectuels français : structuralisme, positivisme logique, postmodernisme, lacanisme, etc. Il préfère utiliser la notion d’imaginaire pour analyser la société. Il a écrit de nombreux ouvrages dont : “ L’institution imaginaire de la société ”. Certaines analyses le présentent comme un penseur politique autogestionnaire qui nous donne des outils pour contester, pour édifier des barricades, pour construire une théorie critique du capitalisme, pour penser le changement du monde, pour désirer changer la vie politiquement.