Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/jeuxentreprises.doc
BIOGRAPHIE DE L'AUTEUR
Professeur émérite à l'université Paris
VII Denis-Diderot, co-directeur du laboratoire de changement social,
co-rédacteur en chef de la revue internationale de psychologie,
Eugène ENRIQUEZ a notamment publié "De la horde
à l'Etat" (1983), "Les figures du maître"
(1991) et "L'organisation en analyse" (1992).
RESUME DE L'OUVRAGE
Le pouvoir et le désir ne devraient être que des instruments
secondaires au service de la réalisation des objectifs énoncés
1ère partie : le contexte organisationnel et les structures
d'organisation
Chapitre 1 : Structures d'organisation et contrôle
social
L'entreprise tente d'avoir un contrôle le plus assuré
possible sur son monde interne, afin de lutter contre les angoisses
qui la traversent et de parvenir à réaliser les objectifs
définis. Elle construit donc une structure de fonctionnement
qui est naturellement toujours une structure de pouvoir.
Toute organisation a pour but d'instaurer un type de structure
favorisant un état de régulation interne et externe
considéré par elle comme le plus satisfaisant. Elle
essaye de minimiser les conflits et les désaccords, d'établir
des objectifs partagés par le plus grand nombre, d'anticiper
sur les besoins des consommateurs et d'interpréter correctement
l'ordre économique international.
Aussi malgré leur dynamisme, la mise au point de technologies
de pointe, les organisation peuvent être le jouet de forces
qu'elles ne maîtrisent pas.
Si beaucoup ressentent que le travail les empêche de vivre,
pour la plupart leur activité laborieuse reste ce qui donne
sens à leur vie et leur permet de ne pas sombrer dans l'angoisse.
Six types d'angoisses fondamentales paraissent devoir être
relevés :
Tout ce qui relève du spontané, du non prévu,
de l'émergence des passions, du mouvement social est donc
ressenti comme "trouble" empêchant le travail bien
fait, l'allocation des responsabilités, la distribution du
pouvoir. Pour se protéger de l'informe, l'organisation aura
tendance à se protéger de la vie, elle préférera
instaurer la bureaucratisation des conduites sinon même la
ritualisation de celles-ci.
Un travail important de l'organisation sera, le propre des pulsions
étant d'être toujours agissantes, de les canaliser
vers le travail productif et l'identification à l'entreprise.
L'imprévu déroute toujours, c'est pourquoi les dirigeants
des organisation essaieront de ce prémunir contre l'inconnu
; rendre ainsi l'avenir plus prévisible et lui enlever sa
charge d'anxiété.
La cohabitation d'un grand nombre de personnes d'origines et de
qualification diverses, aux intérêts et aux projets
souvent divergent, fait planer dans tout groupe le phantasme de
la guerre possible de tous contre tous, au moins de classe contre
classe, ou fraction contre fraction. Renforcer la contraction sur
la tache et sur les résultats à atteindre.
Tout projet novateur, s'il implique une rupture importante dans
les modes de pensée et d'action, ne pourra qu'être
rejeté.
Une peur de la pensée dans ses aspects inventifs règne
dans l'organisation
Pour empêcher l'apparition des angoisses fondamentales, l'entreprise
va édifier différentes formes de contrôle. Elles
comporteront comme double avantage la soumission des membres de
l'organisation à l'idéal prôné par celle-ci
et la stabilité comme la prévisibilité des
comportements.
Le corps - Double adaptation de la machine à l'homme et
de l'homme à la machine afin d'en faire un seul système
couplé. L'entreprise est un flux ordonné de travail
et habitue les hommes à ne penser leur coups qu'instrumentalisé
et morcelé, de contrôle permanent de soi. L'allocation
des taches, la distribution des fonctions et leur définition
concourent à ce processus organisatif
La pensée - Connaître, diffuser et appliquer les sciences
de la décision et de l'organisation pour que chacun sache
quelle doit être sa contribution, quelle valeur il doit leur
attacher et quelle utilité sociale il peut en escompter.
Le mieux intégré, le lus adapté et le plus
conformiste est rarement le plus efficient dans une organisation
qui réclame innovation et dynamique. Mais cette contradiction
permet de maintenir les collaborateurs dans un état de culpabilité
permanente.
La psyché - Lien libidinal qui unit les hommes à
leur chef qui les attèle les uns aux autres.
Précision sur les comportements concrets par lesquels s'expriment
les modes de contrôles et ces techniques :
la compétition entre les individus
les procédures d'intégration
les processus de variation du personnel
la mise en exercice du "double-bind"
le processus de naturalisation du conventionnel
Ainsi c'est vers la cohérence absolue que tend l'organisation
industrielle : cohérence des valeurs et des objectifs, de
la pensée et de l'affectif des corps et des machines, du
modèle et de la réalité.
Typologie des structures d'organisation
La structure charismatique se traduit dans une conception qui raccorde
le fonctionnement d'un système social quelconque aux capacités
"extraordinaire" de son dirigeant. Ce style de structure
de relation induit chez chaque collaborateur le désir de
séduire le chef. La conséquence en est la compétition
à outrance, la division et la suspicion, dissimulée
sous l'idée d'émulation.
L'idéal de la structure bureaucratique d'ordre est le fait
d'une vieille rêverie : la création d'un monde où
chacun serait à sa place et où les rapports humains
entre chefs et subordonnées feraient l'objet d'un cérémonial
précis. la bureaucratie a pour socle des normes et des règles
impersonnelles de fonctionnement. Il en découle une division
du travail extrêmement poussée. L'organisation précise
à pour conséquence le cloisonnement des fonctions,
la polarisation sur des objectifs secondaires, le développement
des intérêts corporatistes.
Dans la structure coopérative prévalent les besoins
de progression et de cohésion de l'organisation . Indépendance
entre les membres de l'organisation dans la poursuite d'objectifs
qu'ils ont contribué à définir. La libération
de la pensée qu'elle propose, l'intervention de nouvelles
conduites qu'elle requiert, l'amour mutuel et le goût du changement
qu'elle sollicite, la parent d'atours et d'attraits si nombreux
qu'ils font oublier la part d'utopie et d'impossibilité qu'elle
recèle.
La structure technocratique reprend à son compte les trois
articulations essentielles des structures précédentes
qu'elle tente de conjuguer. Elle met en place un pouvoir fort, un
fonctionnement rationnel, une participation aux prises de décision.
Elle a pour ambition d'apparaître comme une structure synthétique,
apte à résoudre les antinomies présentes dans
les trois premières.
Type de structure
|
Type de personnalité postulé
|
Instance de la personnalités
mises en œuvre
|
Pole de la personnalité souligné
|
Destins des pulsions
|
Degré d'insistance su le travail
|
Charismatique
|
paranoïaques
mégalomanes
hypnotisés et séduits
exploités et aliénés
|
ça
moi idéal
idéal du moi
|
réalisation de soi
|
amour pour la personne centrale
pulsion de mort : destruction des individus
augmentation de la pulsion d'agression
|
travail obtenu à partir de l'investissement libidinal et
en partie de la contrainte
enthousiasme
|
Bureaucratique
|
schizophrènes à tous les niveaux
|
surmoi
|
réduction de tension
|
pulsion de mort : compulsion à la répétition
cruauté de l'éthique
|
travail = seul horizon
développement
de la
sphère privée
|
Coopératif
|
névrosés
|
conflits entre les instances
|
communication avec autrui
communion
|
amour mutuel et adhésion à une idéologie
pulsion de mort : indifférenciation
|
travail valorisé comme expression
de la
communauté
et de
l'amour mutuel
|
Technocratique
|
- pervers
- indifférents, anomiques ou rebelles
|
moi
perte de repère
(moi flottant)
|
négation d'autrui
destruction
|
libido désexualisée investi dans le travail
pulsion de mort : cruauté de l'éthique
transformation de la nature
pulsion d'agression
|
production sous toutes ses formes
guerre économique ou guerre totale
|
La structure charismatique est articulée sur la puissance
d'une responsabilité exceptionnelle, omnisciente et omniprésente,
elle est la seule structure qui peut fonder une paranoïaque
ou qui peut recevoir son message et en suivre les décrets
La structure bureaucratique : la division et la parcellisation
des activités entraînent la séparation des hommes
centrés chacun sur leur tache qu'ils doivent accomplir suivant
les règles. L'action n'a pas de valeur en elle-même.
La structure coopérative part de l'hypothèse que
la vie en commun est possible au travers de la confrontation des
différences et de l'expression des conflits réels.
Elle instaure les hommes au cœur même du conflit et de
l'anxiété liée à la liberté.
La structure technocratique vise à une transformation programmée
du monde en recourant pour ce faire à des modèles
de fonctionnement qui, à la limite devraient rendre l'histoire
inutile. Elle a donc besoins de personnalités perverses,
hantées par les techniques et les fétiches, par le
monde de l'économie et par le monde des objets.
Jamais aucune des structures ne se réalise pleinement dans
une institution ou une organisation donnée.
Le changement est possible. Le programme ne peut jamais totalement
se réaliser.
Le processus de refoulement suscite le retour du refoulé.
Les individus, les groupes ne forment jamais ces masses totalement
manipulables. Ils ont des symptômes variés de résistance.
Le conflit est l'essence même du social, la violence son fondement.
L'apparition de l'inverse a pour conséquence le déploiement
même de la structure. "Tout totalitarisme est le père
étonné de la dissidence".
La transformation du réel, lors même qu'elle est conforme
aux décisions prises et aux orientations désirées,
suscite la naissance de nouvelles formes d'activité de modalités
d'être social-historique.
Les diverses structures analysées favorisent, certes de
manière différentes, un certain degré d'identification
de l'individu à l'organisation et sa mobilisation.
Chapitre 2 : L'individu pris au piège de la structure
stratégique
L'entreprise en tant que système culturel, symbolique et
imaginaire voulait devenir l'institution princeps de notre société
et se présenter comme une idole à admirer et aimer.
L'entreprise stratégique a de plus en plus des stratégies
à court terme, plus financières que productives. Elle
veut la participation de tous. L'élite n'est plus sur de
rien et les équipees acquièrent une forte identité,
les cadres conçoivent des stratégies personnelles
de carrière. Même si l'entreprise parvenait à
intégrer l'ensemble de son personnel et à lui faire
accepter ses idéaux, elle ne pourrait provoquer que de l'idéalisation.
Chapitre 3 : Imaginaire social, refoulement et répression
dans les organisations
Si l'entreprise tente de s'assurer de la fidélité
de ses membres, c'est qu'elle sait bien qu'elle est le lieu de l'imaginaire
et que seul l'imaginaire permet de créer le rideau d'illusion
nécessaire à l'établissement de la croyance.
Dans l'entreprise l'homme joue son identité, son désir
de reconnaissance et d'estime.
La vie sociale se présente directement à l'acteur
comme un ensemble de comportements vécus, se déroulant
sur la scène de la réalité, du visible immédiat
et strictement ordonné au travers d'une symbolique univoque.
Il s'agit donc pour chacun de percevoir les mécanismes à
l'œuvre, les fonctions à assurer, les rôles à
occuper pour pouvoir soit trouver sa place dans le système
social déployé à l'entour, soit trouver la
loi qui préside au fonctionnement des divers éléments.
Dans une organisation, chacun, malgré ses différences,
est pris dans les filets d'un jeu social général :
"la lutte pour la reconnaissance (Hengel)".
Le carriérisme est-il tout de la recherche de l'identité
par la reconnaissance, ou ce problème de la reconnaissance
nous renvoie t-il à la question du désir et de la
constitution du moi imaginaire que chaque être va essayer
d'éprouver sans l'espace mis en scène par l'organisation
?
L'imaginaire est sous l'égide du principe de plaisir. Si
le plaisir est lié à des expériences ou à
des phénomènes "dont le caractère déréel
est évident", la relation imaginaire étant destinée
au leurre, elle se trouve au service direct du principe de plaisir
l: elle devrait donc entrer en antagonisme avec le principe de plaisir.
Si le narcissisme permet la connexion entre libido du moi et libido
d'objet, il favorise du même coup la jonction entre principe
e plaisir et principe de réalité.
L'imaginaire participe au système inconscient. Il contribue
à maintenir l'altérité radicale de l'inconscient.
La structuration d'un imaginaire pour un sujet c'est ce qui définit
l'inconscient comme définitivement inconscient. Cette altérité
radicale c'est ce qui ouvre la voie au rêve et à la
mise en scène du désir, au travestissement , au déguisement
et fondamentalement, à travers ces avatars, à l'expression
du désir.
Le désir à toujours besoin de voies détournées
pour apparaître et se faire entendre. C'est parce que l'inconscient
reste inconscient, parce que l'imaginaire y veille, que pourront
se développer projets sociaux, utopies, volonté de
transformation du monde.
L'imaginaire se présente donc comme ce qui permet la construction
libidinale, l'investissement dans les objets ou dans le moi narcissique.
Sans imaginaire, le désir s'arrête interdit ou ne peut
ni se reconnaître comme désir ni trouver les voies
qui lui permettraient d'essayer de se réaliser.
L'imaginaire préserve ainsi la possibilité du changement,
de la mutation, de l'utopie. C'est en quoi il permet en quelque
sorte la constitution d'une réalité psychique, d'un
dépôt toujours renouvelé de désirs de
réalisation, d'un aller-retour, d'un courant. C'est ainsi
que l'imaginaire croit possible l'impossible : la fête perpétuelle,
le surgissement continu, la réconciliation totale, l'endogamie
et l'inceste, la toute-puissance mais c'est aussi parce qu'il le
croit que peut exister l'invention, la fête, la spontanéité,
les rêveries de l'intimité.
En définitive, l'imaginaire se présente comme aporie
et diaspora. Aporie car il pose des problèmes insolubles
et ne pose aucun chemin pour les résoudre, diaspora car il
signifie l'éclatement, la dispersion fécondante, le
frayage des voies inexplorées, l'aventure toujours recommencée.
L'organisation comme lieu de l'imaginaire.
Les organisations sociales installent les individus directement
au sein de la problématique de la recherche de l'identité
et de l'affirmation d'une unité compacte et sans faille et
de la crainte du morcellement, c'est à dire au cœur
même de l'imaginaire. Les hommes ne peuvent exister, psychologiquement
et socialement, qu'insérés dans des organisations
dans lesquelles leur est assigné un certain rôle et
un certain statut, plus ou moins fortement formalisé. L'organisation
en tant qu'ensemble structuré et stabilisé, va mettre
chacun au défi de prouver son existence, et va instaurer
la dramatique de la lutte pour la vie (narcissisme). Ainsi l'organisation
insiste t-elle sur le coté leurrant et répétitif
en plaçant des masques sur les individus.
Le désir de toute-puissance et l'érotisation
des rapports sociaux
Pour rendre cette situation dramatique vivable et même par
certains aspects confortable, l'individu va tenter de développer
une représentation de lui même comme tout-puissant
et d'instaurer cette puissance narcissique dans la réalité.
Le corollaire du désir de toute puissance sera la tentative
de création de relation duelle (relation où autrui
apparaît non en tant qu'autre porteur de ses désirs
mais comme l'instrument de la satisfaction de l'acteur). Il s'articule
sur le désir d'être le seul, l'unique, celui d'où
tout provient. A ce moment là l'imaginaire en tant que leurre
a définitivement triomphé, la réalité
doit se plier à la parole engendrante. La passion inhérente
à la réalisation duelle finit par se traduire en exploitation.
L'imaginaire se présente donc pour les membres de l'organisation
plus sur son aspect couverture, que sur son aspect ouverture à
l'écoute de leur propre désir, plus en rapport avec
leur narcissisme qu'avec leur propre projet transformateur. Chacun
va mettre en jeu son moi pour essayer de réaliser ce qu'on
peut nommer l'idéal du moi de l'organisation. L'individu
va pouvoir croire à sa toute puissance personnelle en s'identifiant
à la toute puissance de l'organisation. Il va être
ainsi doublement piégé : par on phantasme et par le
croyance en une organisation porteuse de son propre idéal
sans s'en rendre compte. La disparition du désir et de l'émergence
des besoins est le corollaire de l'existence du désir de
l'organisation. Mais peut on parle du désir de l'organisation
sans tomber dans un anthropomorphisme radical ? A trop se centrer
sur l'organisation, la plus totalitaire soit -elle, est toujours
composée de groupes sociaux variés pouvant pour suivre
des buts similaires ou contradictoires ?
Le défoulement organisationnel
La distinction dirigeant dirigé. Cette séparation
est toujours définie comme résultant de la nature
des choses et comme exprimant simplement des différences
de compétence, de savoir, de niveau d'expertise au service
du bon fonctionnement organisationnel. En réalité,
elle permet à la relation de soumission de s'institutionnaliser
sous le masque de l'autorité nécessaire.
Toute organisation instaure une division technique du travail considérée
comme indispensable à la bonne marche de l'organisation.
Pour qu'il y ait processus créateur, il faudrait que le travail
soit l'expression des contradictions du sujet divisé et de
sa dynamologie interne, c'est à dire qu'il y ait toujours
un ailleurs à découvrir.
Dans l'organisation le discours se présente toujours comme
parole fragmentaire. Nous n'avons le droit de nous prononcer que
sur les problèmes de notre compétence, situés
au niveau de nos responsabilités, non pas sur les questions
qui nous importeraient mais sur lesquelles personne ne nous demande
rien et qui remettraient en cause la division du travail existante.
Cette parole fragmentaire est aussi une parole réifiée.
Pour qu'elle ait un point d'impact il faudra qu'elle se traduise
dans des textes argumentés, qui servent de points de référence.
Dans toute organisation, il y a une profonde méfiance de
la parole libre, créatrice; A l'heur actuelle on commence
à se rendre compte que la suppression de toute parole spontanée
développe une inertie dans les structures et les comportements
qui ne peuvent plus s'adapter aux défis du monde extérieur.
C'est pourquoi les organisation modernes insisteront sur la nécessité
d'innovations et essaieront de mettre en œuvre des techniques
facilitant le changement.
Essayons maintenant de synthétiser le rôle essentiel
joué par le refoulement dans l'organisation, nous pouvons
dire qu'il est créateur de l'ordre et de la loi, au travers
d'un système d'interdits. Il vise à l'existence d'unités
coordonnées dans lesquelles les pulsions ne sont pas niées
mais utilisées directement dans le travail productif et représentées
par des termes idéologiques qui en assurent la mise en service
au profit de l'organisation. Il vise donc la possibilité
de création de relations imaginaires stabilisées au
travers d'un certain code, juridique et comportemental, auquel tout
le monde doit être soumis. Il est ainsi à la genèse
de l'aliénation sociale. Dans la mesure où toute organisation
fonctionne comme instance refoulante, toute organisation implique
un certain degré d'aliénation sociale.
L'idée d'une désaliénation totale est parfaitement
mystificatrice.
La répression organisationnelle se distingue du refoulement
Alors que celui-ci est de l'ordre de l'interdit et du langage,
celle-là est de l'ordre de la censure et de la violence.
La répression ne vise pas à endiguer les pulsions
mais à les inhiber, à les nier, voire même à
les annihiler totalement. Elle est de l'ordre de la censure. La
répression est la manifestation de ce que nous pouvons appeler
la carence absolue. Au niveau social, cette carence absolue, engendre
une situation non d'aliénation mais d'exploitation directe.
La répression ne peut jamais s'avouer comme telle : elle
a toujours besoin d'être légitimée pour pouvoir
s'exercer sans rencontrer d'opposition (Weber). Elle ne peut être
créatrice d'aucun système symbolique. La répression
trouve peut-être son expression la plus pure dans l'édification
de "camps de concentration" organisés rationnellement
pour la destruction.
Chapitre 4 : Les enjeux éthiques dans les organisations
modernes
Existe t-il de véritables enjeux éthiques
dans les organisations modernes ?
Le terme éthique, autrefois réservé au labeur
philosophique le plus rude et qui était pratiquement inconnu
du grand public, a fait une entrée en force dans le langage
et la pratique des organisations et des institutions modernes. L'utilisation
inflationniste de cette notion peut être considérée,
à première vue, comme relevant des effets de mode.
Pourtant, si on examine avec attention le mouvement de pensée
et d'action qui donne à l'éthique une valeur cardinale,
on ne peut manquer de se rendre compte qu'il est, d'une part, le
signe d'un malaise profond affectant nos société occidentales,
et d'autre part, une tentative de traitement de ce dernier soit
en tentant de transformer le symptôme en signe de guérison,
soit en s'efforçant d'en découvrir les racines et
les significations. Ce texte a pour but de montrer que seule cette
seconde approche permet de comprendre les raisons pour lesquelles
la question éthique est devenue une question centrale de
notre temps et à quel point elle conditionne le futur.
Le malaise dans nos sociétés et l'éthique
Le malaise est général. Il est renforcé, suivant
les auteurs, par la montée de l'individualisation, et donc
pour le repli sur soi et sur les valeurs privées, par l'impossibilité
de se représenter le futur et par le désir corrélatif
de vivre intensément l'instant, par la formation de "niches
écologiques" ou de "tribus" où les
individus essayent de reconstituer des modes de sociabilité
intense, jusqu'au moment où ces lieux ne sont plus en mesure
de répondre à leur désir, par le perte du sens
de la transcendance, par le clivage entre les sphères technico-économique,
politique et culturelle.
Chaque être humain, entant qu'être doué de raison
est (ou devrait être) strictement semblable aux autres. Si
la passion est oubliée ou refoulée, le problème
de l'altérité des hommes et des cultures est gommé.
Ceux qui peuvent s'adapter à une société guidée
par ses valeurs sont assurés d'être reconnus comme
sujets et de participer comme citoyen au fonctionnement de la société.
Les autres devront se contenter de formes de travail subalterne
ou encore finiront par appartenir à la catégorie de
disqualifiés sociaux.
L'entreprise, du fait même qu'elle a pour unique but d'obtenir
des résultats comptables a introduit la mesure comme seul
élément de différenciation des êtres.
Le chiffre devient le signe de l'excellence dans l'entreprise et,
progressivement dans l'ensemble des organisations
L'éthique au service des organisations
L'entreprise prototype de l'organisation moderne, nouveau sacré,
va essayer de donner un sens à la société pour
pallier les défaillances des autres institutions. L'entreprise
se met à diffuser une vision au devenir social, à
utiliser les moyens pour le réaliser et, par voie de conséquence,
à créer des héros positifs tels qu'elle les
conçoit.
A l'intérieur de l'entreprise il s'agit de faire en sorte
que ses membres dans leur totalité se sentent partie prenante
de l'organisation, aident à la construction d'un projet d'entreprise,
adhèrent à la culture qui leur est proposée,
remplacent leurs propres idéaux par l'idéal commun
défini par l'entreprise et se soumettent aux processus de
refoulement et de régression mis au point par l'organisation.
Les aspects les plus importants sont la gestion des ressources
humaines et la répartition des responsabilités. On
comprend fort bien que certaines personnes n'assument pas ou même
fuient les responsabilités qui leur sont confiées
car elles ont bien saisi la logique de l'organisation : tout responsable
est un suspect constant et un coupable probable.
Les véritables enjeux éthiques
Si l'éthique ne peu se mettre au service des organisation,
il n'empêche que les organisations modernes ne peuvent occulter
le problème de l'éthique sous peine d'être abandonnées
ou trahies par leurs membres, rendus plus pervers qu'elles même
et se laissant aller au non-sens de la vie puisque plus rien n'est
capable de donner un sens à leur vie.
L'éthique de la conviction est une éthique du tout
ou rien. Une telle éthique pose ainsi le problème
bien évoqué par M. WEBER : "pour atteindre les
fins "bonnes", nous sommes la plupart du temps obligés
de compter avec, d'une part des moyens moralement malhonnêtes
ou pour le moins dangereux, et d'autre part la possibilité
ou encore l'éventualité des conséquences fâcheuses.
Aucune éthique ou monde ne peut dire, non plus, à
quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie
les moyens et les conséquences moralement dangereuses".
L'éthique de la responsabilité se présente
autrement. Non que les hommes de conviction n'aient pas le sens
des responsabilités. Bien au contraire, puisqu'ils prennent
en charge la transformation du monde et souvent que leur actes seront
un jour jugés. Mais ils ne choisissent pas leurs conduites
en fonction de leur probabilité de réussite. Par contre,
l'homme mû par une éthique de responsabilité
estimera que les conséquences sont imputables à sa
propre action, pour autant qu'il aura pu les prévoir, et
donc il se mettra dans la condition d'anticiper les résultats
probables.
L'étique de la discussion (J. Habermas). Il est essentiel
que les hommes puissent échanger des arguments rationnels
concernant leurs intérêts dans un espace public de
libre discussion. Ainsi chacun est-il considéré comme
un être autonome, doué de raison, qui peut donner son
avis. De la discussion, dont seules les propriétés
formelles sont définies, naîtront de nouvelles normes
et des intérêts "universalisables".
L'éthique de la finitude dont les conduites humaines sont
définies par leur rôle dans la rigidité, l'homogénéisation
et la destruction possible des structures et des hommes ou, au contraire,
par leur spontanéité et leur capacité à
favoriser le processus d'autonomisation ; par leur capacité
à rendre compte non seulement de l'activité de penser
et du plaisir qui lui est attaché mais également des
passions, des peurs, des souffrances, des limitation qui affectent
toute vie ; par leur aptitude de leur courage à accepter
les blessures narcissiques, la finitude de la mortalité,
de se soumettre au travail et de se confronter continuellement avec
la pulsion de mort dans ses aspects auto et allo-destructeurs.
2ème partie : L'intervention psychosociologique
Le psychologue permet d'animer l'intime au politique, le psychosociologue
à l'organisationnel, l'expérience à la réflexion.
Chapitre 5 : Rapport au travail et pratique psychosociologique
La psychosociologique, bien que sa naissance soit lointaine n'est
devenue une discipline à part entière que sous l'influence
de K.Lewin qui a lié l'entreprise à l'action.
Comprendre le monde de la production et ses tendances anti-culturelles
voire totalitaires, permettre à chacun d'appréhender
le rôle qu'il joue et qu'on lui fait jouer afin qu'il puisse
développer ses capacités à la maîtrise
de sa vie dans le travail et le hors travail et qu'il puisse être
un agent de transformation de la société industrielle.
La visée taylorienne peut s'énoncer simplement comme
une volonté d'empêcher la résistance ouvrier,
de développer le contrôle des comportements ouvriers,
de diminuer l'autonomie et la qualification des travailleurs et
de briser la force syndicale qui s'instituait progressivement.
La signification de l'œuvre d'Elton Mayo a suscité
trois types d'interprétations :
elle est un prolongement du système taylorien,
elle aboutit à une autre conception de l'entreprise : il
faut construire l'entreprise en tenant compte des perspectives suivantes
: phénomènes affectifs, liaisons spontanées
et informelles, normes émergentes,
elle donne à voir le politique dans la vie quotidienne.
Ces groupes élémentaires où se développent
des sentiments fraternels, des éléments de solidarité
sont des "regroupements de production et de lutte".
L'évolution du travail dans les sociétés
occidentales
L'univers technologique prend de plus en plus de distance et la
société a beau suivre son développement technique,
la grande part de la population commence à décrocher,
à ne plus comprendre et à se désintéresser.
le monde technique ne concerne plus alors qu'une élite de
techniciens et d'ingénieurs.
L'entreprise était un lieu d'apprentissage, de transmission
du savoir, d'approbation d'une certaine culture sociale.
L'augmentation continue du nombre de produits mis à disposition
du public a été souvent considérée comme
devant amener l'instauration d'une civilisation du bien-être
ou de l'abondance :
canalisation des éléments quantifiables, datables,
mesurables et de normes de comportements,
développement des tendances à l'accumulation des
objets devenus signes de prestige social,
création d'objets (ou services) parfaitement inutiles.
Le rapport affectif au produit, prolongement de l'activité
humaine disparaît ou il est supplanté par une réaction
de haine et de rejet.
A partir du moment où le travail se vide de ses significations
et où les membres de l'entreprise sont séparés
des techniques qu'ils utilisent, du savoir qu'ils manipulent, de
la culture dans laquelle ils vivent, il ne reste plus comme réalité
que la structure organisationnelle et les institutions qui la fondent.
Dans la mesure où le travail n'existe plus comme prolongement
de l'activité fabricatrice de l'homme, et où chacun
est situé dans un processus d'assignement de place et doit
avoir un comportement de producteur-consommateur, la possibilité
de déplacement, d'autonomie tend à se réduire.
La concertation ou l'institutionnalisation c'est créer un
système de relations industrielles telles que patronat et
syndicats, parfois avec l'arbitrage de l'Etat, dialoguent, se consultent,
négocient de manière régulière, au lieu
de s'affronter. Que qui veut dire que chacun se considère
comme un partenaire social et non comme un adversaire et que chacun
se plie à la règle du jeu.
Dans son projet, la psychosociologie vie à dépasser,
et à renvoyer dans les oubliettes de l'histoire, la dichotomie
individu et société, personne et monde.
Les sociologues, les économistes, les politologues, quant
ils pensent le changement social, n'entrevoient que les changements
structurels à venir, l'édification d'une meilleure
société pour plus tard, la mise en place un jour d'un
autre mode de production.
Ce que la psychosociologie, 'est que personne d'autre de nous même
(en liaison avec les autres) n'est responsable de nous, n'a à
décider pour nous, à nous préparer un bel avenir
et à se comporter comme une mère nourricière
ou un père bienveillant.
La psychosociologie s'exprime dans des activité de formation,
de consultation, d'analyse et d'interventions dans des groupes et
organisation sociale. Il s'agit de permettre aux hommes de reconquérir
ce qui leur a été volé : l'évaluation
de leurs actes, la compréhension du système économique
et social, la culture dont ils sont les protagonistes, le langage
dont ils sont les énonciateurs.
Faire l'économie d'une expérience psychosociologique
revient à continuer à dissocier changement individuel
et changement social, processus conscients et processus inconscients,
personne et travail, théorie et pratique et nous renvoie
directement au leurre de la logique identitaire de la société
industrielle qui dans son œuvre de catégorisation et
de classement essaie de nous faire oublier que tout savoir est en
même temps expérience, toute relation processus de
changement, tout raisonnement mode d'expression du pulsionnel, toute
action symptôme de la culture.
Chapitre 6 : De la formation et de l'intervention psychosociologique
La pratique psychosociologique, est identifiée aux méthodes
de formation et d'intervention.
Comment faire que cette expérience favorise l'émergence
de l'imaginaire moteur et de conduites novatrices ?
Que faire pour ouvrir les zones de liberté profitables non
seulement aux individus mais au dynamisme d'une entreprise rénovées
?
La perspective formatrice se fonde sur une analyse exacte du monde
actuel : les transformations technologiques, le progrès des
connaissances, les modifications des disciplines, la société
de l'inter-disciplinarité rendent rapidement obsolescent
le savoir dont chacun dispose d'où la nécessité,
d'une part, du recyclage, d'autre part, d'une nouvelle chance offerte
à ceux qui n'ont pas pu profiter d'une scolarisation poussée.
La perspective psychologique se fonde sur l'idée que la
personne, aliénée dans la société contemporaine,
doit expérimenter de nouvelles communications avec les autres
et avec soi-même, être en situation de prendre conscience
de ses comportements et de l'action de ses comportements sur autrui,
et d'avoir un autre mode de relation avec les autres, à laquelle
beaucoup pourraient souscrire. On communique toujours au travers
d'un contenu, d'un dispositif et tant qu'on n'a pas interrogé
ce contenu et ce dispositif, on n'a rien dit.
Le discours de sociologues critiques, ne se veut plus volontariste
et créatif comme celui des formateurs, ou attentif ou vécu
comme celui des psychologues, il se veut scientifique, mettant en
évidence l'ensemble des significations des conduites sociales.
Il se veut totalisant et systématique. Quant à son
contenu, il est percutant et désespérant. Toute formation
n'est qu'une machine à reproduire des inégalités
sociales, à les exprimer quand elle ne les provoque pas elle
même. Toute éducation ne sert qu'à véhiculer
l'idéologie dominante, à la faire partager par les
masses dominées et est ainsi le véhicule privilégié
de la domination sociale.
Dans la formation, ce qui est essentiel, c'est ce qui se passe
dans le champ formatif, c'est la capacité inventive des participants,
c'est leur découverte d'eux même et du monde qui les
entoure, c'est la prise de conscience de leur détermination
et de leur volonté de faire.
Il faut abandonner le terme de formation. Il s'agit d'une expérience,
d'un processus, d'un travail de changement, non d'une formation.
Le but n'est pas de former des individus à être ou
à faire quelque chose. Il est de permettre à des personnes
situées sexuellement, professionnellement et socialement,
de bouger, autrement dit de pouvoir penser autrement, sur de nouvelles
questions, avec d'autres types de relations à autrui et en
ayant un accès moins craintif à leurs désirs
interdits.
Les participants qui sont présents, dans la situation, dans
leurs différentes dimensions : culturelles, politiques, organisationnelles.
Ce sont des hommes et des femme ayant des rôles sociaux, vivant
dans des organisations spécifiées, ayant un passé,
des projets sociaux, s'engageant dans certains chemins à
l'exclusion d'autres. Ils désirent parler d'eux même,
de leurs problèmes pour ne pas parler de leur position économique,
de leur place dans le processus de production et dans sa structure
de la domination sociale.
Un tel travail doit réintroduire la dimension temporelle.
Plus le stage est court, intensif, se déroule d'un seul tenant,
et moins un tel processus peut avoir lieu. Pour que les participants
puissent être vraiment là, il est indispensable que
les stages soient étalés dans le temps et q'un travail
de maturation puisse avoir lieu dans les inter-stages où
les participants se confrontent à eux mêmes aux structures
dans lesquelles ils vivent.
Ce travail de changement ne passe plus par un lieu clos privilégié
ni par la simple parole. Le lieu clos, lieu de l'analyse, est ouvert
sur le monde extérieur ou, plus exactement, le monde extérieur
est présent dans le stage. Les paroles échangées
dans ce lieu défini engendreront d'autres paroles, féconderont
de nouvelles attitudes, les désirs émergents et reconnus
pourront faire surgir de nouveaux désirs, d'autres paroles
sociales, d'autres actes sociaux, de meme de les conduites vécues
dans le lieu habituel "travailleront" les conduites déployées
dans lde stage et pourront provoquer de nouvelles ruptures dans
l'individu, de nouveaux manques sur lesquels s'articuleront d'autres
demandes.
Mais de toute formation vise le renforcement du moi conscient,
que toute perspective strictement communielle, la compréhension
authentique.
Le processus de changement vise à la dissolution de la personnalité
organisée, à la mise en mouvement de forces de déconstruction
et de reconstruction, à l'apparition du désordre dans
l'organisme stabilisé.
Il s'agit donc d'une situation où toutes les relations sont
décentrées. Toute formation, toute éducation
vise à refouler certaines pulsions, à forclore certains
registres.
Pour qu'un processus de changement puisse s'inaugurer, il est nécessaire
qu'il soit évoqué, vécu, expérimenté
par des groupes ayant certainzes zones de liberté et de responsabilité.
Il s'agit donc de travailler avec des groupes réels, c'est-à-dire
ayant une certaine place dans la structure de l'organisation, dans
le procès de travail, dans la hiérarchie interne,
qui ont des problèmes concrets et qui désirent les
résoudre. L'intervention, c'est donc en première analyse,
permettre aux gens de parler de leur vie quotidienne, de leurs souffrances
et de leurs espoirs, et de se prendre en charge pour explorer les
voies qui favoriseront la résolution de leurs problèmes.
Dans le processus même de l'intervention, il est important
que tous puissent s'exprimer. Non pour des raisons morales, mais
nous savons que toute organisation refoule non seulement certains
désir, un certain mode de langage et de rapport aux autres,
mais d'abord refuse à certains le droit même de parler.
C'est pourquoi l'intervention ne peut-elle pas se contenter de
favoriser la réflexion, la discussion chez ceux à
qui le droit à la maîtrise du langage est reconnu,
mais doit-elle faciliter l'expression des exclus et susciter la
naissance de nouveaux groupes sociaux qui provoquent de ce fait
une certaine cassure dans l'organigramme de l'organisation.
La parole se déplace vers de nouveaux champs et de nouveaux
objets sociaux. C'est la subversion de l'ordre symbolique régnant
qui s'exprime dans l'organigramme, dans les rapports codifiés,
les relations de pouvoir et les séparations instituées.
C'est la recherche d'un nouvel ordre symbolique qui ne peut exister
que dans la mesure où des actes nouveaux ont lieu, des rapports
se déstructurent, se restructurent autrement, où la
loi au lieu d'être transcendante aux êtres ou incarnée
dans un seul, est ce qui permet l'échange et la réciprocité,
ou elle est donc loi reprise, transformée, et assurée
par chacun.
Pour que l'imaginaire se fraye sa voie, pour que l'analyse puisse
prendre corps, il est nécessaire que les modes de pensée,
le langage utilisé et les problématiques qu'ils instaurent,
puissent être détournés, subvertis ou au moins
interrogés.
Le mode de pensée logique différencie, il classe,
il exclue et de ce fait il quadrille et enferme les gens dans ce
cadre qu'il leur a préparé.
La pensée rationnelle permet la communication universelle
et le développement scientifique et technique.
Freud écrit "L'auteur de l'interprétation des
rêves a osé prendre le parti de l'antiquité
et de la superstition populaire devant l'ostracisme de la science
positive".
La langue est par certains aspect, comme l'argent, un élément
de dissimulation du système social. Marx a montré
en quoi l'argent dissimule la nature du système social.
Quand on voit la manière dont les jeunes s'expriment, qu'on
entend les mots qu'ils utilisent, les phrases qu'ils inventent,
on ne peut que constater qu'ils se protègent du monde adultes
de cette manière.
Freud disant "J'ai acquis l'impression que la théorie
de l'inconscient se heurte principalement à des résistance
d'ordre affectif qui s'expriment par le fait que personne ne veut
connaître son inconscient et partant trouve plus expédient
d'en nier tout simplement la possibilité".
Chapitre 7 : Interrogation ou paranoïa : enjeu de
l'intervention psychosociologique
S'il est possible de caractériser rapidement notre époque,
la meilleure approximation semble être : le temps du désenchantement
et de la fin des illusions. Le mot d'ordre était productivité,
organisation et consommation.
On peut comprendre le développement d'une psychosociologie
visant à favoriser d'apprentissage de décisions démocratiques
dans les petits groupes, de relations humaines fondées sur
des attitudes de compréhension mutuelle et de dépassement
des tensions interindividuelles ou collectives et d'adéquation
entre réalisation personnelle et développement de
l'entreprise.
La période qui s'ouvre vers 1973 et dans laquelle nous sommes
plongés, est marquée par la crise. Non seulement la
crise économique, mais la crise des valeurs, des croyances
et des théories. C'est pourquoi il est possible de parler
maintenant non plus de société postindustrielle, de
société de consommation ou encore de gaspillage, mais
de société de crise, vivant par et pour la crise.
La révolution culturelle s'éloigne et un thème
vieux de deux siècles reprend tous ses droits : celui de
la liberté, liberté de l'individu contre la pression
totalitaire des Etats, liberté de pensée contre le
conformisme et le nivellement des comportements, liberté
que les marxistes dénommaient autrefois formelles et bourgeoises
et que tous les marxistes occidentaux reconnaissent aujourd'hui
comme essentielles pour empêcher l'installation et la pérennité
de dictatures bureaucratiques. Ils entraînent quatre grands
types de réaction :
des innovations sociales limités,
le repliement complet sur soi,
la résurgence de vieilles croyances,
des réactions délinquantes prônant le plaisir
dans l'immédiat.
La crise ne permet qu'un seul discours : celui de sauvetage de
la communauté. Les conflits fondamentaux disparaissent, seule
différence ou divergence : le type de thérapeutique
à opérer.
Optique thérapeutique
Il s'agit de faire en sorte que les personnes "s'améliorent",
deviennent plus libres et dynamique, "s'épanouissent",
"grandissent", aient des relations positives avec elles-mêmes,
avec leur environnement et avec les autres.
Dans une société qui assigne chacun à résider
à l'intérieur d'un soi barricadé, cette perspective
n'ouvre comme possibilité qu'une espérance hypothétique
de guérison de cette schizophrénisation progressive
et non le désir et la volonté d'interroger cette forme
de lien social.
Changement opératoire (changement des autres)
Bien que ces techniques soient décrites comme participatives
et exigeant l'implication de l'animateur, elles ne visent réellement
qu'à provoquer chez les participants les postures, les gestes,
les opinions et sentiments qui sont construits et induits par l'animateur.
Le thérapeute apparaît alors comme démiurge
créant le monde, fournissant ainsi une image idéale
invitant au mimétisme, image compacte, interdisant toute
ouverture et qui circonscrit étroitement les possibilités
d'action des personnes qui n'ont comme choix que la vénération
et l'imitation du thérapeute ou le rejet hors du groupe.
Perspective anti-historique
La grande erreur de la psychanalyse est de croire que les souvenirs
sont la réalité. Le groupe devient alors le lieu du
dé-réel, non pas en tant que celui-ci puisse déboucher
sur la réalité historique mais en tant qu'il sert
de protection par rapport au réel, de repaire ou de havre
de paix.
Le changement comme plaisir du corps et résultat de la décharge
L'analyse transactionnelle qui réduit toute dynamique complexe
de la psychanalyse, de l'Œdipe et du parricide, de l'identification
et du transfert, du refoulement et de la sublimation à la
distinction de la structure de l'individu en P/A/E.
Principes sous-jacents : la référence au plaisir
comme moteur du changement, au corps comme lieu du changement, au
vécu comme texture du réel et à la catharsis
comme résultat de l'action thérapeutique.
Psychologie du moi et désir de maîtrise
Ces méthodes ont pour but de favoriser "l'épanouissement"
de l'individu, de faciliter sa "maturation", de permettre
le "déblocage" de ses problèmes et l'augmentation
de son "potentiel", de l'amener à la "plénitude"
de ses possibilités.
Ce qui est masqué est de première importance :
le caractère imaginaire et hallucinatoire du moi,
le fait que toute "identité" comporte des caractéristiques
emblématiques,
la recherche de la plénitude renvoie à la volonté
d'"intégrité",
l'épanouissement, la maturation, la croissance personnel
sont des métaphores végétales.
Pervers et paranoïa comme prototype de l'humain
L'enjeu de ces "groupes" c'est le développement
des aspects paranoïaques et pervers de notre société.
Dans leur volonté explicite de favoriser la guérison
de la solitude sociale en permettant à des personnes devenues
en harmonie avec elles-mêmes de dialoguer ou de fusionner
les unes avec les autres, dans leur désir de lutter contre
les conséquences de la société de croissance
que sont la fonctionnalisation des rapports, l'anomie généralisé
et certaines formes de schizophrénie sociale, elles n'aboutissent,
en fait, qu'à augmenter les caractéristiques les plus
mortifères de notre société.
Une conception du changement comme ouverture et interrogation
Il ne s'agit en aucun cas de transposer purement et simplement
les concepts de la théorie analytique mais d'articuler le
travail sur ce qui Freud a révélé comme étant
le fondamental : l'existence d'un clivage indépassable du
sujet, la force et la violence des processus primaires, l'importance
des phantasmes et le travail silencieux de la pulsion de mort.
Chapitre 8 : Eloge de la psychosociologie
Si les processus historiques globaux ont joué un rôle
dans la désaffectation qu'a subie la psychosociologie et
a amené en particulier le monde industriel a suspecter celle-ci
d'une volonté "subversive" et donc de s'en détourner,
l'évolution de la discipline elle-même, les hésitations
et la prudence théorique des psychosociologues ont fourni
des arguments à ses adversaires et à favorisé
l'indifférence qui l'a enveloppée.
Une analyse des conditions de la pensée ou des processus
sociaux ne peut qu'être sous-tendue par une volonté
démystificatrice des "faits" et des actes communément
admis.
Le renouveau de la psychanalyse en France avec Lacan, le redémarrage
d'une grande sociologie de type durkheimien (Bourdieu) ou parsonien
(Bourricaud), le développement de la sociologie des organisations
(Crozier), de la sociologie de l'action (Touraine), de l'analyse
institutionnelle (Lapassade et Lourau), de la sociopsychanalyse
institutionnelle (Mendel), des nouveaux groupes de thérapie
faisaient apparaître les psychosociologues comme des fossiles
d'un autre âge arc-boutés à une discipline sans
objet, sans théorie et sans perspective.
Mais 1968 fut un événement essentiel pour la décadence
de la psychosociologie. En effet, à partir de cette date,
seules trois tendances furent admises parmi les intervenants sociaux
: le militantisme, le réformiste, la volonté thérapeutique.
La critique de l'orientation psychosociologique était d'autant
plus aisée que celle-ci manquait outrageusement de références
théoriques solides depuis qu'elle s'était détournée
de Lewin et de Moreno.
Pourtant, aussi poussé fut-il, l'effort épistémologique
et méthodologique n'était pas suffisamment satisfaisant
ni pour ceux qui s'y attelaient ni pour ceux qui le recevaient.
Les différents auteurs ne semblaient d'accord ni sur les
concepts et leurs articulations, ni sur les méthodes d'approche,
ni sur le champ concerné par la discipline, ni peut-être
sur la discipline elle-même.
Si maintenant bien des illusions théoriques de cette période
se sont dissipées, si la psychosociologie reste vivante et
si un certain nombre de chercheurs ont publié des travaux
qui ont fait avancer la réflexion dans ce domaine, il n'empêche
que al psychosociologie n'a jamais u retrouver sa place d'avant
68 et que la psychanalyse, la psychothérapie de groupe, les
thérapies brèves de même que la sociologie objectiviste
apparaissent encore comme dans leurs effets, souvent aux yeux des
psychosociologues eux-mêmes.
Comme un malheur n'arrive jamais seul, les psychosociologues virent
à la même époque disparaître, ou tout
au moins s'amenuiser, leur champs d'application privilégié,
celui-là même qui avait donné naissance à
la psychosociologie d'intervention : l'entreprise.
La psychosociologie n'a pas pour domine d'application ni pour champ
de pensée le monde industriel. Ce fut simplement une occurrence
historique qui fa fit prospérer dans ce contexte. En fait,
elle était née bien plus tôt, d'une part en
Europe sous d'autres noms avec LeBon, Tarde et surtout Freud, d'autre
part aux Etat-Unis avec la réflexion de Cooley sur les petits
groupes.
La psychosociologie a donc un champ bien délimité
: celui des groupes, des organisations et des institutions –
autrement dit de tous les ensembles concrets, dans lequel est pris
l’individu et qui médiatise sa vie personnelle à
la collectivité. Elle apparaît non comme une discipline
de l’entre deux, mais comme une discipline spécifique
qui, dans le même temps, court le risque de devenir tentaculaire
et envahissante.
D’après Enriquez, la psychosociologie n’a rien
à gagner à développer la même tentation
totalisante ou totalitaire à laquelle ont parfois succombé
la psychanalyse et la sociologie, il apparaît, par contre,
qu’elle seule peut permettre d’aborder les processus
de la vie en société, les rapports de pouvoir, les
rapports au travail, les conflits, la dynamique du changement tels
qu’ils sont ressentis, exprimés, agis par des acteurs
sociaux aliénés et essayant pourtant de se définir
comme des sujets sociaux, et non par des individus, objets sociaux
seulement « parlés » et « agis »
a leur insu par leur inconscient ou par la société.
Que la psychosociologie soit clinique a une triple signification
:
Le chercheur-praticien psychosociologue est directement impliqué’
dans le travail qu’il effectue avec les acteurs sociaux réels
qui ont demandé son intervention,
Les processus inconscient de groupe sont autant à prendre
en compte que les discours volontaires,
Le travail d’analyse. Nous pouvons maintenant mieux saisir
pourquoi le travail « d’annaliste » et d’analyste
qui est le lot de l’intervenant ne vise pas à la reconstruction
fine et achevée d’une réalité psychique
et historique qui aurait échappé aux acteurs et dont
le psychosociologue serait capable de donner la bonne lecture.
L’action recherchée comporte une conséquence
inéluctable : celle de déprécier les études
sociologiques où le chercheur, armé de ses techniques,
de sa compétence et totalement protégé par
elles, croit dire le « vrai sur le vrai », dans des
sommes descriptives et explicatives dont il ne perçoit jamais
le caractère de reconstruction plus ou moins arbitraire sous-entendu
par son idéologie.
Les travaux de recherche n seront pas condamnés dans deux
cas seulement :
lorsqu’il s’agit de recherche de type historique ou/et
de recherche comparative,
lorsqu’il s’agira de travaux de théorie pure.
Cette perspective signifie que l’analyse pour l’analyse
n’a aucun sens, que la recherche dite fondamentale dans les
sciences sociales n’aboutit souvent qu’à des
généralités. Elle signifie principalement que
c’est lorsque les personnes sont engagées dans des
problèmes d’action qu’elles doivent résoudre
et qu’elle acceptent de les traiter « en intériorité
» et non en « extériorité », autrement
dit qu’elles acceptent de se confronter à eux, de sentir
ce qu’ils évoquent ou ce qu’ils imposent, d’en
dégager les enjeux, de travailler donc sur leurs propres
relations à ces problèmes, et sur les relations qu’elles
entretiennent avec les autres hommes à ce sujet, d’être
en même temps acteurs et analystes social, qu’il est
possible pour le chercheur-praticien d’entrevoir un peu de
la vérité sociale.
L’action-recherche nous oblige donc à penser et à
vivre en même temps le fonctionnement et le changement, à
admettre que les hommes, objets de recherche, doivent être
en même temps sujets de la recherche, que la vérité
se dévoile dans le travail d’analyse par fragments
et difficilement, et que cette vérité sera en tout
état de cause le fruit de la rencontre de l’intervenant
et du groupe.
Le psychosociologue se veut fondamentalement démocrate en
oeuvrant dans ce sens. Démocrate, c’est-à-dire
faisant confiance à la capacité des individus et des
groupes à s’auto-organiser, à percevoir les
problèmes, à trouver des solutions qui n’entraînent
ni la dissolution du lien social ni son illusoire reconstruction
autour d’un leader tout puissant désirant régner
sur une masse informe et indifférenciée. Le psychosociologue
se doit d’être lucide sur les méthodes qu’il
utilise. Etre lucide signifie :
Travailler avec des groupes sans tomber dans l’idéologie
du groupe-sujet principe de l’histoire et objet précieux
à préserver ou à consolider,
Maintenir une position claire d’analyste et de consultant,
qui permet aux autres de définir par rapport à lui,
de pouvoir se situer et d’éprouver à son propos
des affects qui seront un des moteurs de travail à accomplir.
Aider les groupes à changer, sans qui le changement devienne
une valeur en soi et sans que la difficulté de tout changement
soit minimisé.
Travailler avec les individus et les groupes en sachant aussi et
surtout que la démocratie est plus un bel objet dont on parle
qu’une manière de vivre, que la démocratie est
à inventer et à réinventer tous les jours dans
les rapports sociaux concrets que nous tissons comme être
économique, être politique, être ludique et être
amoureux.
3ème partie : Le changement et l’émergence
du sujet désirant
Les psychosociologues oeuvrent pour le changement. Il ne s’agit
naturellement pas d’une obsession car le psychosociologue
ne se distinguerait pas alors du technocrate qui a fait du changement
l’alpha et l’oméga de notre civilisation et de
son action.
Changer est seulement, et c’est l’essentiel, le destin
de la pulsion de vie une réflexion sur l’évolution
de la civilisation ne peut être éludée. Le désir
ne peut se décliner uniquement dans l’entreprise, il
requiert le champ social tout entier pour se déplier
Chapitre 9 : Problématique du changement
Passer d’un mode de pensée évolutionniste à
une réflexion sur le changement vers l’inconnu n’est
facile ni pour les individus ni pour les groupes sociaux, car celle-ci
débouche sur le questionnement incessant, la remise en cause,
l’incertitude. Elle est, de ce fait, fondamentalement génératrice
d’anxiété.
Maintenance et changement
On peut définir tout élément humain comme
un système ouvert – en interdépendance avec
son environnement, avec d’autres systèmes – capable
d’auto-organisation et d’auto-reproduction, et continuellement
confronté à des conflits structuraux qu’il peut
traiter mais jamais définitivement dépasser.
Nous appelleront « système » tout ensemble à
organes différenciés ou admettant une variété
en son sein de composants en connexions les uns avec les autres,
qui possède des frontières repérables, qui
peut maintenir identité et cohérence au travers des
modifications qu’il subit et qui est donc capable «
d’homeostasis ».
Le système clos est caractérisé par une auto-régulation
simple et par l’accroissement continu de l’entropie
– les systèmes sociaux clos, qui visent à se
protéger de l’environnement, et qui fonctionnent plus
comme des horloges que comme des machines à vapeur sont en
même temps ceux qui doivent nécessairement se désagréger
et mourir.
Rapprochement la notion d’entropie de l’hypothèse
de la pulsion de mort énoncée par Freud. L’ambition
de Freud est de saisir les mécanismes mêmes de la vie
et de la mort et la manière dont les flux d’énergie
traversent la matière organique. Or, comment Freud conçoit-il
la pulsion de mort ? Tout d’abord et essentiellement comme
répétition et comme tendance à la réduction
des tensions à l’état zéro. Ensuite comme
pulsion de destruction vers l’extérieur. Ce qui pour
nous est central, c’est l’impossibilité de faire
l’économie de l’hypothèse de la pulsion
de mort à partir du moment où on passe d’un
système clos à un système ouvert.
Le système ouvert se caractérise par sa capacité
à percevoir et à accepter de l’information,
leur faire subir des transformations orientées, à
réaliser ses fins ou à les modifier et à utiliser
les bruits, les désordres qui l’affectent pour réaliser
des équilibres ultra-stables au travers de changements structuraux.
Un système ouvert admet en son sein une variété
d’éléments. Il est donc toujours hétérogène
et complexe .Il a des possibilités auto-organisatrices et
donc dispose d’un mode de régulation (homeostais) qui
lui permette d’intégrer les perturbations internes
et externe. Un système doit intégrer le désordre,
le bruit comme un élément fondamental dans sa recherche
d’équilibre toujours recommencé. Il doit être
en mesure d’écouter les paroles qui lui sont dites,
les clameurs qui l’entourent, les informations qui leur parviennent
pour les assimiler sans sa propre auto-organisation.
Ce qui est frappant, c’est la capacité des systèmes
à se transformer, à augmenter la variété
de leurs réponses, à se différencier, à
apprendre, à intégrer des bruits comme principes organisateurs,
à réaliser leurs buts à partir de conditions
initiales différentes et par diverses voies de développement,
à réaliser des équilibres ulta-stables autrement
dit à être capable d’adaptabilité continue.
L’événement, le bruit, est donc à la
fois ce qui provoque le changement des le système et ce qui
maintient l’existence même du système.
Les lieux du changement social
Ce que nous rencontrons dans la réalité, ce sont
des sociétés historiques données, ce sont des
formations sociales où domine un certain mode de production,
où coexistent des groupes sociaux différenciés
en lutte pour le pouvoir et pour leur expression.
En ce qui concerne le mode de production : c'est un "objet-abstrait-formel"
qui recouvre différentes instances économique, politique
et idéologique et qui s'inscrit dans la réalité,
dans des rapports de production, des rapports sociaux et des relations
humaines précises.
Par contre, une formation sociales est un "objet-réel-concret"
: la France de Louis Bonaparte ou de Georges Pompidou est une réalité
cernable, qui peut être décrite et décryptée.
Une formation sociale recouvre des systèmes hiérarchiquement
subordonnés et des systèmes peu connectés les
uns avec les autres. Elle apparaît donc comme le lieu des
conflits entre les sous -systèmes. Ce n'est qu'à partir
de la capacité de ces sous systèmes à entrer
dans une phase de destructuration-restructuration qu'ils pourront
prolonger et inscrire leurs conflits sur le lieu de système
tout entier et l'obliger à rechercher de nouvelles formes
d'équilibre. Le lieu du changement social se trouve donc
être les sous systèmes organisés dans lesquels
sont actualisés la politique, l'idéologie et l'économie.
Le lieu du changement social ne peut être que les
individus et les organisations.
C'est le changement individuel que vise aussi bien la cure analytique
que les méthodes de groupe centrées sur le groupe.
L'évolution des personnes les rendront-elles capables de
promouvoir des changements dans les sous-systèmes organisés
auxquels ils participent ? Freud avait insisté sur l'aspect
"déréel" de l'inconscient qui est caractérisé
par une absence de doute, de négation, et d'historicité.
Or la situation d'analyse est bien celle qui fait apparaître
et qui structure des phantasmes individuels ou de groupe, c'est
le lieu privilégié du déploiement de l'imaginaire
et de la confusion constante entre l'imaginaire et le réel.
C'est bien parce qu'il y a différentes position par rapport
au savoir et au pouvoir, que la situation est réglée
et dénivelée, que la production de paroles est guidée
par l'activité phantasmatique, qu'il devient possible que
surgisse le transfert en lieu et place de la répétition,
que soient mises en évidence les significations inconscientes
du discours et que s'exprime le désir. La situation d'analyse
est une situation d'exclusion-inclusion. Si elle inclut les productions
imaginaires, la résistance, le transfert et la manière
dont le client vit ses relations avec son entourage immédiat,
elle exclut l'agir, la violence, le politique, le discours du social
et de l'économique qui "parle" au travers des actes
du client.
Les homme opèrent à l'intérieur d'organisations
de production de biens et de services ou d'organisations volontaires
et appartiennent à des organisations instituantes. L'organisation
est le lieu paradoxal où peuvent se réaliser les désirs
individuels et le lieu de l'imaginaire-couverture, du refoulement
et de la répression.
Dans la perspective de l'orientation fonctionnaliste l'agent de
changement fera siennes les valeurs, la philosophie sociale des
gardiens du pouvoir et tentera de développer une stratégie
visant à changer les comportements, les attitudes, les valeurs
des salariés, des assujettis, des dominés, dans le
sens demandé par la direction qui espère ainsi mieux
atteindre ses buts au moindre coût.
Le changement programmé a pour but, d'améliorer le
fonctionnement du système, en faisant en sorte que les différents
organes soient mieux articulés les uns aux autres, que les
processus qui se déroulent ne rencontrent pas d'obstacles,
quez les dysfonctions soient écartées, que l'intégration
des différents individus du groupe soit la plus grande possible
au travers de l'intériorisation des normes et des valeurs
du système.
Une autre optique, l'orientation dysfonctionnelle, diamétralement
opposée, consiste en l'adhésion à la philosophie
sociale des dominés, de ceux qui n'ont pas la parole et en
une action conçue comme une provocation, visant à
accroître les "dysfonctions" du système.
L'attitude de l'agent de changement est une attitude militante.
Le militant est celui qui doit propager un savoir ayant pour lui
une valeur de vérité, qui doit œuvrer pour permettre
l'intériorisation de cette vérité aux personnes
non encore éclairées. L'agent de changement est aveuglé
par l'illusion du sujet compact et non divisé et capable
d'apporter à autrui la plénitude et l'exemple de sa
vertu.
La transformation des structures est dominante par rapport au changement
individuel. Le travail de l'agent de changement a pour champ soit
une faible partie, soit dans les cas les plus favorables, la totalité
d'une organisation. Ainsi, il est possible de conclure que les visions
du changement proposées sont toutes deux manichéennes,
intégrationnistes et totalitaires. Elles ne permettent pas
de changement structurel dans la mesure même où le
militantisme exclut l'interrogation, l'acceptation de la surprise,
du non-prévisible, où il situe le problème
de changement dans les objets extérieurs et où il
sépare les comportements individuels des comportements sociaux.
Le changement "fonctionnaliste". Son but est la croissance
ordonnée de l'organisation par la médiation de la
reproduction élargie et l'intériorisation des valeurs
des dirigeants.
Le changement "dysfonctionnel". Il tend à promouvoir
un nouvel ordre qui se présente comme renversement de l'ancien
et comme émergence de la parole de nouveaux acteurs sociaux.
Certains changements sont possibles dans ces conceptions "instrumentales"
du changement. Il faut même ajouter que s'il n'y avait pas
d'individus ou de groupes qui voulaient transformer le monde suivant
leur désir, laisser leur empreinte, s'il n'y avait pas d'agents
de changements voulant planifier les transformations, s'il n'y aurait
plus d'histoire.
Ces conceptions ne prennent en considération que certains
éléments de la réalité, ce qui entraîne
constamment l'apparition de conséquences non prévues
plus importantes que les conséquences prévues.
Conséquences des modalités du changement :
l'utilisation de toute technique de travail
l'exclusion de toute méthode privilégiée
le refus de toute provocation
l'acceptation de la longueur du processus de changement
la connexion au niveau institutionnel et organisationnel
Les changements individuels et organisationnels doivent donc se
prolonger par des changements institutionnels, ceux-ci ne pouvant
être que la conséquence de l'action des acteurs sociaux
dans leur champ social, dans leur organisation.
Les conditions du changement social
Si l'organisation pour diverses raisons est contrainte de révolutionner
ses modes de production et de reproduction technique, intellectuel,
relationnel, elle se trouve alors en état de déséquilibre,
entraîner par une logique interne à une série
de réformes qui tendent à augmenter l'état
de crise habituellement accepté. Ce n'est que lorsque ce
processus amplificateur est à l'œuvre, qu'il est possible
que le changement social sourde au travers du changement programmé.
Une organisation, en elle-même, quel que soit son degré
d'ouverture, est un système partiellement clos. Plus les
sociétés sont totalitaires, plus elles sont closes,
moins, donc, elles admettent de variétés en leur sein.
Un système ouvert a besoin d'organisations différentes,
contradictoires, se critiquant mutuellement, s'informant et s'enformant.
La prolifération d'organisations de toutes sortes, à
laquelle nous assistons, organisations souvent peu structurées
et qui disparaissent rapidement sont le signe d'une effervescence
sociale développant des situations d'analyse à "tous
les coins de rue".
Lorsque les organisations naissent, se confrontent, se critiquent,
elles se font parler les unes les autres, elles parlent les unes
des autres. Un changement a vraiment lieu lorsque ces moments novateurs
ne sont plus exceptionnels mais fréquents, même si
la fête est plus calme et moins turbulente, lorsque les relations
entre les hommes deviennent plus surprenantes, lorsque chacun est
encore à découvrir pour l'autre. Il faut donc que
le principe de plaisir s'accommode au principe de réalité,
que la pulsion de vie accepte de contrebattre la pulsion de mort,
que jouissance et labeur se rencontrent. C'est l'acceptation de
voir que la fête doit continuellement se heurter à
la monotonie, à la destruction, à la tristesse, que
le changement réside en la capacité d'ose d'autres
modes de relations mais que prendre ce risque n'est pas aisé.
Le retour du refoulé à lui seul ne résout
rien. La joie s'estompe. La parole libre devient parole folle. L'emballement
du système ramène au pouvoir les partisans du retour
à l'état antérieur. Même les novateurs
anxieux de cette liberté sans fin appellent de leur vœu
le retour à l'ordre. La transgression est créatrice
de valeurs à expérimenter quotidiennement. Elle est
réformiste dans son mode d'existence, elle est, quand elle
s'articule sur le retour du refoulé, fondamentalement révolutionnaire
dans son essence. Elle démasque l'imaginaire leurrant, le
ses de l'idéologie.
Analyser c'est accepter que la vérité soit toujours
à rechercher que les conflits n'aient pas de fin, que le
modèle du comportement humain et social soit toujours remis
en question, c'est d'admettre les autres comme différents
et comme partenaires, c'est permettre une nouvelle vision du réel
en démasquant les illusions et en restructurant la chaîne
symbolique. Ce qui permet l'analyse, c'est le droit de parler pour
chacun d'entre nous, d'être écoutés, d'entendre
les réactions des autres à nos message, d'échanger
des idées parfois aberrantes, mais qui, si elles ne sont
pas bloquées, seront celles qui procureront le plus de nouveauté
au système social, qui démystifieront les constructions
imaginaires. Toutefois il faut remarquer que ces 5 conditions qui
sont toutes indispensables pour qu'un changement social puisse advenir,
sont rarement remplies simultanément.
Chapitre 10 : Vers la fin de l'intériorité
?
L'individualisme moderne vise à supprimer le sujet
en faisant disparaître son intériorité.
La culture d'entreprise ou d'organisation, en proposant ses valeurs
et son processus de socialisation, son imaginaire leurrant en tant
qu'il a pour but d'englober tous les participants de l'organisation
dans la phantasmatique commune proposée par les dirigeants
de l'organisation, son système de symboles qui fournit un
sens préalable à chacune des actions des individus,
a pour but de les prendre totalement dans les mailles qu'elle tisse.
Si l'individu s'identifie à l'organisation, s'il ne pense
qu'à travers elle, s'il l'idéalise au point d'être
en mesure de sacrifier sa vie privée aux buts qu'elle poursuit,
quels qu'ils soient, alors il entrera sans le savoir dans un système
totalitaire devenu pour lui le Sacré transcendant, qui légitime
son existence. Il peut alors se considérer comme un héros
moderne en s'inscrivant dans le mythe collectif de l'organisation.
Mais les valeurs managériales peuvent ne plus suffire à
répondre au déficit d'identifications caractéristiques
de notre système social et au malaise qui en résulte.
Le "fanatisme d'entreprise" peut apparaître comme
relativement dérisoire à certains. C'est pourquoi
les anciennes religions reviennent dans leurs aspects les plus extrémistes,
les plus intégristes.
Lorsque ce processus d'idéalisation ne peut s'attacher à
un objet merveilleux extérieur, il peut trouver son point
d'ancrage dans un objet merveilleux intérieur : le corps
de l'individu. Une équation simple en résulte : coups
dynamique = énergie physique = énergie psychique =
aptitude à la réussite individuelle = aptitude à
l'utilité sociale. Cette équation est d'autant plus
attrayante qu'elle est à la portée de n'importe qui.
Il suffit de vouloir. Qu'il soit né riche ou pauvre, qu'il
ait atteint un statut social élevé ou subalterne,
chacun peut être capable d'accéder à la jouissance
la plus absolue. Il suffit pour lui de s'aimer suffisamment lui
même.
Les méthodes pour parvenir à sacraliser ou à
re sacraliser l'organisation, la sphère religieuse ou politique,
ou le corps, sont "irrationnelles" dans leur essence,
dans la mesure où il ne s'agit pas, en fait, de réer
une culture mais d'édifier de nouveaux cultes. On voit bien
le but de ces méthodes ; l'adhésion, l'implication,
la mobilisation totale de tous, c'est à dire une psyché
sans conflits, une psyché au service de l'organisation, soyons
clairs, la mise au pas de la psyché. La reconnaissance de
la psyché comme face opérante a donc pour résultat
la destruction ou tout au moins l'asservissement, souvent dans le
consentement et le contentement de celle-ci.
La conséquence de ces méthodes vis à la création
d'une identité compacte. Elle renvoie à 3 idées
essentielles :
l'idée de permanence dans le temps, de repères assurés,
en un mot de constance,
l'idée d'un objet séparé, animé par
une cohésion totalisante donc ayant une unité,
l'idée de similitude en tant que chacun doit pouvoir reconnaître
le même, le semblable.
Ces idées sont battues en blèches par l'investigation
psychanalytique :
la constance n'existe pas. les individus évoluent, se transforment
au gré de la manière dont ils sont capables de négocier
leurs contradictions et leurs conflits,
l'idée d'unité apparaît encore moins solide
: nous savons que nous somme composés d'une "pluralité
de personnes psychique" qui chacune vise sa propre finalité,
que des processus de clivage, de forclusion, de dénégation
sont à l'œuvre, que l'inconscient a une part énorme
dans notre manière de vivre et qu'il n'est pas soumis aux
mêmes processus que notre moi conscient qui ne peut être
considéré comme le sujet de l'énonciation ou
de l'action.
quant à la reconnaissance du même, elle implique que
je sois capable de répondre à la question "qui
suis-je ?", de reconnaître en moi ma part connue de ma
part d'étrangeté et de décider qui je peux
reconnaître comme un autre moi-même, alors que je sais
si peu ce que je suis.
La haine inconsciente de soi est projetée sur les autres,
d'où un développement de la xénophobie et du
racisme. Dans chaque individu existe une haine inconsciente de soi
comme un amour conscient de soi. Un individu qui réfléchit
sur lui-même ou plus généralement un groupe
ayant une culture propre, des comportements dynamiques mais non
conformes seront susceptibles de transformer chez les individus
à identité compacte la haine de soi en haire de l'autre.
On assiste au passage d'une civilisation de la culpabilité
à une civilisation de la honte. Les sociétés
occidentales seraient une culture de la culpabilité, la société
japonaise serait une culture de la honte. Une civilisation de la
culpabilité n'est possible que s'il existe un sentiment de
culpabilité, que l'acte coupable ait été perpétré
ou non. Une civilisation de la honte est tout autre. N'importe quel
acte répréhensible peut être accompli. Il suffit
qu'il ne soit pas découvert. S'il est connu, c'est la honte
qui s'abat sur l'initiateur de l'action.
Ce mouvement de disparition de l'intériorité n'est
pas inéluctable.
le corps résiste et les somatisations variées expriment
à quel point, lorsqu'on ne peut pas se parler à soi-même,
le corps s'en charge,
les idéaux mous proposés à l'identification
provoquent déjà des formes de rejet,
des idéaux forts nécessaires à la vie humaine
peuvent être créés sans que le fanatisme s'ensuive
nécessairement, dans la mesure où peuvent se négocier
idéalisation et sublimation,
la pensée magique prévalant actuellement qui énonce
qu'on peut rendre les individus plus performants, les êtres
plus unis, les organisations plus dynamiques d'un seul coups de
baguette commence déjà à être profondément
critiquée,
la psychologisation à outrance des problèmes tend
à faire disparaître aussi bien le sujet humain que
le groupe et l'organisation dans lequel il œuvre.
La société actuelle a crée suffisamment de
rapports sociaux pour permettre à l'homme de s'éviter
lui-même et d'éviter les autres, et donc à ne
pas se confronter au problème crucial de l'existence : celui
de l'altérité des autres et celui de la sienne propre.
Chapitre 11 : Idéalisation et sublimation
Pour qu'un individu devienne vraiment un sujet et ne se voie pas
vidé de sa vie intérieure, il est indispensable qu'il
puisse mettre en œuvre un processus de sublimation.
L'idéalisation
La société se présente d'emblée comme
un objet merveilleux, sans souillure, qui doit pénétrer
dans les consciences et des les inconscients et provoquer l'amour
et l'identification.
Les diverses institutions qui permettent la régulation sociale
vont essayer, chacune pour leur compte, de "capter" la
part du divin "flottant" dans le social afin d'apparaître
comme "l'Institution divine", celle à qui est dévolu
le droit de dire la loi et de demander identification et soumission.
La société apparaît comme un objet à
la fois symbolique, donnant un sens préétabli aux
actions de chacun - et imaginaire.
L'idéalisme est indispensable à toute société
animée de la volonté de vivre. Le problème
n'est donc pas la formation des idéaux mais celle d'une "maladie
de l'idéal".
Idéaliser le social, c'est croire être sauvegardé
par cet objet merveilleux et lointain qui, par le mythe collectif
qu'il instaure, le protège d'un travail de deuil, lui évite
la perte de la souffrance, place sa psyché dans un état
a-confilctuel ; l'idéal fait appel à des identifications
profondes procurant comme prime de plaisir un évitement du
manque et, au contraire, la rencontre avec la plénitude.
Société comme individu sont condamnés à
idéaliser parce qui société comme individu
ne peuvent exister sans croire à leur idéalité,
sans processus de méconnaissance, sans interdits structurants,
sans agir ou subir une certaine violence nécessaire, sans
en même temps essayer de faire taire et de faire parler la
subjectivité de chacun.
La sublimation
La sublimation comme origine essentielle du lien social.
Elle donne de la souplesse au lien social, l'idéalisation
le renforce et parfois le durcit, la sublimation ouvre à
autrui, l'idéalisation forge le "nous", soit un
"nous massifié", ou un "nous" résultant
de la discussion, de la négociation, de l'amour entre les
êtres se sachant différents et pouvant s'enrichi les
un les autres en se vivant comme des subjectivités en situation
de réciprocité.
La sublimation autorise la psyché à se démettre
de ses objets propres de plaisir pour des objets sociaux valorisés
par la culture. La sublimation, sous cet aspect, ne peut exister
qu'étayer sur l'idéalisation. Si le travail, la société
n'offrent plus d'idéaux ou excluent certains groupes de ces
idéaux, le travail de sublimation s'avère impraticable.
Nous voyons ainsi qu'idéalisation et sublimation peuvent
ne pas se combattre, mais au contraire s'épauler mutuellement.
La sublimation se présente également comme une expérience
intra-psychique dans laquelle la subjectivité du sujet est
totalement engagée. Sous cette forme, elle se trouve au plus
loin de l'idéalisation même si, en fin de compte, cette
expérience permet la création d'un objet donnant satisfaction
temporaire à l'idéal du moi. La sublimation apparaît
comme désir de penser, comme quête passionnée
de vérité, comme construction d'un objet scientifique,
artistique ou relationnel. La sublimation, processus intro-psychique
est aussi créatrice et dépendante du tissage de liens
sociaux.
La généralisation de ce désir d'investigation
partagé avec d'autres. Cette forme de sublimation se situe
au plus loin du processus d'idéalisation dans sa volonté
de remplir le vide et de constituer des groupes d'autant plus unis
qu'ils sont prêts à se sacrifier et à sacrifier
autrui. Pourtant une telle forme ne peut exister si, peu ou prou,
on ne reve pas de la construction d'une société idéale,
même si la réalisation est perçue comme relevant
de l'impossible.
Chapitre 12: Individu, création et histoire
Ce que Enriquez a voulu montrer, c'est la capacité de tous
les sujets de devenir des "créateurs d'histoire"
quel que soit leur degré d'influence sur le devenir social.
Malgré toutes les tendances de la société et
des entreprises à le normaliser, l'homme, comme le disait
Freud, répugne à la "situation de termite".
Bien au contraire il infléchit la vie sociale, sue et avec
les autres, parfois sans le savoir, parfois en poursuivant des projets
conscients.
Les normes font l'histoire ; l'histoire est le produit de l'action
des grands hommes. Les individus ne peuvent pas construire une société
à leur image et ils ne peuvent pas se trouver, en quelque
sorte, exclus du champ de détermination sociale dans lequel
se trouveraient, au contraire, inclus les autres.
Le rôle de la conduite individuelle
Distinction entre l'individu totalement inséré dans
le tissu social et qui, de ce fait, énonce seulement le discours
de l'ordre social auquel il se réfère ou auquel il
appartient et le sujet, situé dans un monde ouvert à
des significations multiples et particulières à chaque
époque historique donnée, qui manifeste du courage,
c'est à dire qui donne à son discours et à
sa conduite la fonction non de refléter le monde mais de
le transformer, si minime ou si lacunaire que cette transformation
puisse être. Comme l'écrit E. Morin, "il ne faut
pas oublier que tout individu est un écart par un certain
coté, c'est à dire par ses traits singuliers et que
tout individu peut, au moment où on s'y attend le moins,
manifester cet écart et inventer une conduite nouvelle. Ainsi
est-on amené progressivement à admettre que tout individu,
inséré ou non dans un groupe, est en mesure, volontairement
ou involontairement, de procéder à des changements
parfois important dans la structure sociale.
Les créateurs d'histoire
Les créateurs d'histoire seraient des êtres "exotiques",
c'est à dire au sens précis du mot : étranger.
Bien des grands hommes politiques et la plupart même sont
de provenance nationale. Pourtant, on est en droit de se demander
si le chef "exotique", non pris dans les traditions, n'est
pas porté par une volonté créatrice plus grande
car il doit s'identifier lui même complètement à
cette patrie, il doit faire en sorte que les nationaux puissent
le reconnaître comme le meilleur d'entre eux, tout en acceptant
son origine à part.
Mais il n'y a pas que les hommes politiques d'envergure qui puissent
être d'origine étrangère. Le rôle des
"exotiques" est fondamental dans la création artistique
comme dans le développement de la pensée contemporaine.
L'origine exotique constitue un facteur permettant plus directement
de poser la question des origines, la créativité s'accroît
avec les obstacles, pour autant que les créateurs parviennent
à créer un groupe ou un réseau serré
d'interactions.
Tout créateur est taraudé par la question des origines
: de sa propre origine, comme de l'origine des choses, comme de
la manière de réorganiser le monde. Il est donc toujours
pris dans les mailles de la filiation et dans celles de la paternité,
dans celle de la cassure et de la maintenance.
Le créateur d'histoire est d'abord un homme seul. S'il est
d'origine "exotique", s'il a le sentiment d'être
en exil perpétuel sur la terre, s'il ne peut se référer
à ses actions, à sa classe d'origine, ou au corps
auquel il appartient et dont il perçoit l'absurdité
de fonctionnement, il se voit contraint dénoncer une parole
neuve dans un monde qui n'est pas fait pour l'accepter et qui au
contraire va multiplier les obstacles sur la route.
Les individus, soit d'origine exotique soit autochtones mais vivant
en exil "étranger sur la terre", se présentent
comme des êtres de vie, ils le sont en tant qu'ils ne peuvent
se satisfaire de la vie quotidienne, de la répétition,
de l'atonie, ils sont du coté du rêve qu'ils essaient
de faire éclore dans la réalité, ils sont sous
l'emprise de pulsion intenses qui les obligent à un travail
continu de sublimation.
C'est la lutte constante menée contre les effets des pulsions
de mort et l'essai de leur transformation en un processus de destruction
et de recréation qui permet, au contraire, aux sujets d'entrer
dans l'histoire et ceci d'autant mieux s'ils sont soutenus par un
désir et un phantasme d'immortalité.
Le "social" est particulièrement friand des personnalités
qui empruntent une telle voie. Elles délivrent des certitudes,
elles arrêtent le questionnement. Elles deviennent ainsi les
maîtres, ayant leur cohorte d'admirateurs qui ânonnent
leurs "découvertes" ou leurs intuitions.
Si la culture n'existe pas sans un processus de refoulement et
sans un travail de sublimation subséquent, aussi dur et aussi
insatisfaisant soit-il, le social, quant à lui, exige pour
s'instaurer et perdurer le renoncement à la satisfaction
des pulsions et la canalisation de ces dernières dans des
activités économiques ou guerrières.
On peut dire, sans doute de manière lapidaire, que la culture
est sur le versant de la vie, le social sur celui d'une mort grimée
aux couleurs de la vie.
Chapitre 12: Individu, création et histoire
Il est impossible d'analyser la conduite d'un individu sans la
référer à la conduite des autres à son
égard, conduite structurée socialement et culturellement.
L'individu joue toujours, de façon invisible du moins dans
l'immédiat, et souvent à son propre insu, un role
essentiel dans les transformations sociales. Ainsi, si donc les
processus psycho-génétiques, présupposent les
processus sociaux, ces derniers ne règlent jamais complètement
la conduite individuelle toujours imprévisible, d'autant
plus qu'ils en sont pas eux-mêmes dépourvus d'ambiguïté,
d'ambivalence et de contradictions.
L'individualisation qui est l'objet de tous les soucis n'est, en
fait, le plus souvent qu'un élément du processus de
massification. Ainsi quand on parle de l'individu, on a en pensée
un individu conforme, qui doit fonctionner suivant les comportements
qui plaisent à la société. Ce mouvement de
conformisme ne fascine pas simplement les individus travaillent
dans l'industrie et le commerce. Il a des répercussions et
un impact profond sur tous les membres de la société
du fait même que l'entreprise est parvenue à vendre
sa passion de l'efficacité à l'ensemble du corps social
et donc à exporter ses valeurs en dehors de son champs restreint.
Le processus d'individualisation, favorisant la singularité
dans la massification acceptée et recherchée dans
grands, de moyens ou de petits homme est donc la condition de la
production et de la représentation d'individus que se situent
plus dans l'hétéronomie que dans l'autonomie.
Ces individus hétéronomes ont besoin pour exister
d'idéaliser la société et les idéaux
qu'elle propose. Autrement dit, ils fonctionnent sous l'égide
de la maladie de l'idéal.
Pourquoi l'idéalisation joue t-elle un rôle si important
? C'est qu'elle nous rassure profondément : une société
idéalisée, se présentant comme un objet merveilleux
est le meilleur garant de notre stabilité physique. Elle
délivre un message de sérénité : l'ordre
social existe et il nous préserve de toute interrogation
fondamentale à son propos , le monde crée est non
contestable, la société donne un sens pré-établi
à nos diverses actions et elle nous indique donc ce que nous
devons faire et comment nous serons récompensés.
L'idéalisation est ainsi le mécanisme central permettant
à toute société de s'instaurer et de se maintenir
et à tout individu de vivre comme un nombre essentiel de
cet ensemble , en prenant le moins de risques possibles. L'identité
collective favorise de plus, comme Freud l'a montré, le "narcissisme"
des petites différences "qui a pour effet "d'unir
les uns aux autres par les liens de l'amour une plus grande masse
d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres en
dehors pour recevoir les coups".
En effet, plus une culture se veut unifiée, plus elle devient
intolérante et plus elle désire la mort des autres
ou, au moins leur conversion. L'individu individualisé, l'individu
singulier pris dans la massification procurée par l'accrochage
aux identités collectives, ne peut être considéré
comme sujet humain.
A cette figure de l'individu individualisé s'oppose son
inverse : la figure du sujet. Le sujet humain est celui qui tente
de sortir autant de la clôture sociale que de la clôture
psychique, ainsi que de la réassurance narcissique, pour
s'ouvrir au monde et pour tenter le transformer.
Le sujet est donc homme de la sagesse et de la folie, du jeu et
de l'errance, respirant à pleins poumons un air salubre,
donnant "un sens plus pu aux mots de la tribu" (Mallarmé),
s'intéressant plus à la germination des choses qu'aux
résultats tangibles, ivre de la diversité de la vie
et capable de la percevoir.
Les grands hommes répondent effectivement à la définition
de personnes voulant créer volontairement des choses. Par
contre ils sont pris dans le fantasme de la maîtrise totale
qui les amène à nier l'altérité de l'autre.
Parmi les grands hommes on peut identifier les mégalomanes
occupant une position paranoïaque, les manipulateurs occupant
une position perverse, les séducteurs occupant une position
hystérique.
En tout cas, si les mégalomanes-paranoïaques peuvent
apparaître comme plus ou moins "fous", les autre
échappent à cette dénomination. Ils se présentent,
à l'inverse, comme des individus parfaitement normaux. On
aurait ainsi deux extrémités : les fous de pouvoirs
et les hyper-normaux.
Le processus de sublimation implique la reconnaissance par chacun
de sa propre étrangeté, de celle des autres et le
désir de proposer, sans volonté de domination à
l'ensemble des individus avec lesquels ont vit, une investigation
commune et partagée.
La sublimation n'empêche pas l'idéal, mais elle lutte
contre la maladie de l'idéal. Le sujet c'est donc celui qui
accepte de se remettre en cause, d'être remis en question
et qui n'a pas besoin d'attaches lui servant simplement d'appui
pour exister.
Il est plus facile de se laisser guider que de guider sa vie, d'imiter
que d'inventer, d'idéaliser que de sublimer. Mais une autre
contestation est nécessaire : de la même manière
que l'individu totalement hétéronome n'existe pas,
le sujet entièrement autonome n'existe pas non plus. Tout
simplement parce que l'homme est clivé, contradictoire, mélange
inextricable de pulsion de vie et de mort, capable du meilleur et
du pire, souvent obsédé par le pouvoir, le prestige
et éprouvant un désir de réassurance narcissique,
e que les sociétés ont besoin pour se maintenir au
minimum d'illusions et de croyances, de travestissement et d'hypocrisie.
PRINCIPALES CONClUSIONS
Pouvoir des structures organisées pour mettre les individus
au travail, les contrôler, les prendre au piège de
leur propres désirs, les manipuler, les séduire,
Pouvoir des sujets sur eux même, sur leur propre destin,
sur le devenir des structures qui marque l'impossibilité
de toute organisation d'imposer sa loi totalement et durablement,
Pouvoir des psychosociologues qui, dans leur très grande
majorité, ont perçu que le projet psychosociologique
depuis Lewin était un projet démocratique et qui tentent,
avec les personnes avec qui il co-construisent du sens, de favoriser
de véritables réformes sociales, même s'il est
loin de toujours y parvenir,
Le désir caractérise l'être humain en tant
qu'être humain et que sans désir, le monde ne serait
qu'un "terre dévastée". Il n'est guère
appréhendable, il est facétieux, protéiforme
comme nos rêves. L'homme est,
Le désir peut aussi rendre fou quand il n'est pas lié
à la loi,
Se référer autant au désir apparaît
comme une espèce d'exorcisme prononcé entre tous ceux
qui disent le faire parler tout en tentant journellement de le faire
taire.
POSTULATS HYPOTHESES
Eugène ENRIQUEZ rassemble un certain nombre d'articles écrits
entre 1972 et 1993 sur le problème du pouvoir qui est au
centre de ses préoccupations depuis des premières
publications. Il y a dans sa pensée comme une espèce
de fil rouge qui, depuis toujours, tourne autour des questions :
"qu'est ce que le pouvoir , qu'est ce que le pouvoir dans l'organisation
? qu'est ce que l'homme avec son désir ? On y trouve, en
même temps, la question des contraintes structurelles dans
lesquelles nous vivons et les conséquences qui en résultent
et la question de la possibilité de se déprendre quelque
peu des mailles organisationnelles dans lesquelles nous pouvons
être enserrés, de voir le degré de liberté
dont nous disposons dans diverses situations.
C'est par ce que l'entreprise est devenue une des principales institutions
de la vie sociale qu'elle est l'arène privilégiée
des jeux du pouvoir et du désir. Les sujets humains y vivent
leur désir d'affiliation, visent à réaliser
un certain nombre de leurs projets, s'attachent à leur travail.
Dans l'entreprise se joue l'identité, la jouissance de chacun.
Pour l'auteur (qui se définit comme un freudo-weberien) les
analyses sociologiques classiques sur les relations de pouvoir et
les enjeux stratégiques dans l'entreprise sont souvent justes
mais elles laissent échapper un élément essentiel
: "l'amour et la violence qui président à toute
vie organisée et qui ne s'embarrassent pas de logiques d'action".
L'entreprise est à la croisée des projets conscients,
des phantasmes et des désirs. Les structures d'organisation
expriment non seulement une manière de distribuer l'autorité
en vue d'objectifs à réaliser, mais aussi des mécanismes
de défense contre l'angoisse et des désirs de pouvoir.
Plus l'angoisse est grande et refoulée, plus les structures
de pouvoir sont rigides. Dans ces lieux, hommes et femmes risquent
leur estime de soi, leur propre identité, leur désir
de création, en un mot leur vie.
On ne trouve pas dans cette pensée la naïveté
de l'optimisme des premiers psychologues américains qui identifiaient
facilement le bonheur des individus et le bonheur de l'entreprise;
Le consensus était la règle, le dissensus l'exception.
ENRIQUEZ n'est pas optimise, mais il ne tombe pas non plus dans
une opposition manichéenne entre désir individuel
et exigence de l'organisation. Des jeux existent, dangereux parfois
pour l'existence des individus, pour le sens qu'ils peuvent donner
à leur action. Mais, aussi, chacun des protagonistes pense
pouvoir gagner quelque chose, donner un sens à son action,
disposer d'une partie du pourvoir, aussi inégalement réparti
que soit celui-ci. Si ENRIQUEZ s'est aventuré dans l'intervention
psychologique, c'est parce que lu et bien d'autres avaient perçu
qu'il existait, dans toute l'organisation, des désirs de
transformation, d'innovation, de changement.
Il s'agit de faire en sorte que les personnes "s'améliorent",
deviennent plus libres et dynamique, "s'épanouissent",
"grandissent", aient des relations positives avec elles-mêmes,
avec leur environnement et avec les autres.
Dans une société qui assigne chacun à résider
à l'intérieur d'un soi barricadé, cette perspective
n'ouvre comme possibilité qu'une espérance hypothétique
de guérison de cette schizophrénisation progressive
et non le désir et la volonté d'interroger cette forme
de lien social.
Changement opératoire (changement des autres)
Bien que ces techniques soient décrites comme participatives
et exigeant l'implication de l'animateur, elles ne visent réellement
qu'à provoquer chez les participants les postures, les gestes,
les opinions et sentiments qui sont construits et induits par l'animateur.
Le thérapeute apparaît alors comme démiurge
créant le monde, fournissant ainsi une image idéale
invitant au mimétisme, image compacte, interdisant toute
ouverture et qui circonscrit étroitement les possibilités
d'action des personnes qui n'ont comme choix que la vénération
et l'imitation du thérapeute ou le rejet hors du groupe.
Perspective anti-historique
La grande erreur de la psychanalyse est de croire que les souvenirs
sont la réalité. Le groupe devient alors le lieu du
dé-réel, non pas en tant que celui-ci puisse déboucher
sur la réalité historique mais en tant qu'il sert
de protection par rapport au réel, de repaire ou de havre
de paix.
Le changement comme plaisir du corps et résultat de la décharge
L'analyse transactionnelle qui réduit toute dynamique complexe
de la psychanalyse, de l'Œdipe et du parricide, de l'identification
et du transfert, du refoulement et de la sublimation à la
distinction de la structure de l'individu en P/A/E.
Principes sous-jacents : la référence au plaisir
comme moteur du changement, au corps comme lieu du changement, au
vécu comme texture du réel et à la catharsis
comme résultat de l'action thérapeutique.
Psychologie du moi et désir de maîtrise
Ces méthodes ont pour but de favoriser "l'épanouissement"
de l'individu, de faciliter sa "maturation", de permettre
le "déblocage" de ses problèmes et l'augmentation
de son "potentiel", de l'amener à la "plénitude"
de ses possibilités.
Ce qui est masqué est de première importance :
le caractère imaginaire et hallucinatoire du moi,
le fait que toute "identité" comporte des caractéristiques
emblématiques,
la recherche de la plénitude renvoie à la volonté
d'"intégrité",
l'épanouissement, la maturation, la croissance personnel
sont des métaphores végétales.
Pervers et paranoïa comme prototype de l'humain
L'enjeu de ces "groupes" c'est le développement
des aspects paranoïaques et pervers de notre société.
Dans leur volonté explicite de favoriser la guérison
de la solitude sociale en permettant à des personnes devenues
en harmonie avec elles-mêmes de dialoguer ou de fusionner
les unes avec les autres, dans leur désir de lutter contre
les conséquences de la société de croissance
que sont la fonctionnalisation des rapports, l'anomie généralisé
et certaines formes de schizophrénie sociale, elles n'aboutissent,
en fait, qu'à augmenter les caractéristiques les plus
mortifères de notre société.
Une conception du changement comme ouverture et interrogation
Il ne s'agit en aucun cas de transposer purement et simplement
les concepts de la théorie analytique mais d'articuler le
travail sur ce qui Freud a révélé comme étant
le fondamental : l'existence d'un clivage indépassable du
sujet, la force et la violence des processus primaires, l'importance
des phantasmes et le travail silencieux de la pulsion de mort.
Chapitre 8 : Eloge de la psychosociologie
Si les processus historiques globaux ont joué un rôle
dans la désaffectation qu'a subie la psychosociologie et
a amené en particulier le monde industriel a suspecter celle-ci
d'une volonté "subversive" et donc de s'en détourner,
l'évolution de la discipline elle-même, les hésitations
et la prudence théorique des psychosociologues ont fourni
des arguments à ses adversaires et à favorisé
l'indifférence qui l'a enveloppée.
Une analyse des conditions de la pensée ou des processus
sociaux ne peut qu'être sous-tendue par une volonté
démystificatrice des "faits" et des actes communément
admis.
Le renouveau de la psychanalyse en France avec Lacan, le redémarrage
d'une grande sociologie de type durkheimien (Bourdieu) ou parsonien
(Bourricaud), le développement de la sociologie des organisations
(Crozier), de la sociologie de l'action (Touraine), de l'analyse
institutionnelle (Lapassade et Lourau), de la sociopsychanalyse
institutionnelle (Mendel), des nouveaux groupes de thérapie
faisaient apparaître les psychosociologues comme des fossiles
d'un autre âge arc-boutés à une discipline sans
objet, sans théorie et sans perspective.
Mais 1968 fut un événement essentiel pour la décadence
de la psychosociologie. En effet, à partir de cette date,
seules trois tendances furent admises parmi les intervenants sociaux
: le militantisme, le réformiste, la volonté thérapeutique.
La critique de l'orientation psychosociologique était d'autant
plus aisée que celle-ci manquait outrageusement de références
théoriques solides depuis qu'elle s'était détournée
de Lewin et de Moreno.
Pourtant, aussi poussé fut-il, l'effort épistémologique
et méthodologique n'était pas suffisamment satisfaisant
ni pour ceux qui s'y attelaient ni pour ceux qui le recevaient.
Les différents auteurs ne semblaient d'accord ni sur les
concepts et leurs articulations, ni sur les méthodes d'approche,
ni sur le champ concerné par la discipline, ni peut-être
sur la discipline elle-même.
Si maintenant bien des illusions théoriques de cette période
se sont dissipées, si la psychosociologie reste vivante et
si un certain nombre de chercheurs ont publié des travaux
qui ont fait avancer la réflexion dans ce domaine, il n'empêche
que al psychosociologie n'a jamais u retrouver sa place d'avant
68 et que la psychanalyse, la psychothérapie de groupe, les
thérapies brèves de même que la sociologie objectiviste
apparaissent encore comme dans leurs effets, souvent aux yeux des
psychosociologues eux-mêmes.
Comme un malheur n'arrive jamais seul, les psychosociologues virent
à la même époque disparaître, ou tout
au moins s'amenuiser, leur champs d'application privilégié,
celui-là même qui avait donné naissance à
la psychosociologie d'intervention : l'entreprise.
La psychosociologie n'a pas pour domine d'application ni pour champ
de pensée le monde industriel. Ce fut simplement une occurrence
historique qui fa fit prospérer dans ce contexte. En fait,
elle était née bien plus tôt, d'une part en
Europe sous d'autres noms avec LeBon, Tarde et surtout Freud, d'autre
part aux Etat-Unis avec la réflexion de Cooley sur les petits
groupes.
La psychosociologie a donc un champ bien délimité
: celui des groupes, des organisations et des institutions –
autrement dit de tous les ensembles concrets, dans lequel est pris
l’individu et qui médiatise sa vie personnelle à
la collectivité. Elle apparaît non comme une discipline
de l’entre deux, mais comme une discipline spécifique
qui, dans le même temps, court le risque de devenir tentaculaire
et envahissante.
D’après Enriquez, la psychosociologie n’a rien
à gagner à développer la même tentation
totalisante ou totalitaire à laquelle ont parfois succombé
la psychanalyse et la sociologie, il apparaît, par contre,
qu’elle seule peut permettre d’aborder les processus
de la vie en société, les rapports de pouvoir, les
rapports au travail, les conflits, la dynamique du changement tels
qu’ils sont ressentis, exprimés, agis par des acteurs
sociaux aliénés et essayant pourtant de se définir
comme des sujets sociaux, et non par des individus, objets sociaux
seulement « parlés » et « agis »
a leur insu par leur inconscient ou par la société.
Que la psychosociologie soit clinique a une triple signification
:
Le chercheur-praticien psychosociologue est directement impliqué’
dans le travail qu’il effectue avec les acteurs sociaux réels
qui ont demandé son intervention,
Les processus inconscient de groupe sont autant à prendre
en compte que les discours volontaires,
Le travail d’analyse.
Nous pouvons maintenant mieux saisir pourquoi le travail «
d’annaliste » et d’analyste qui est le lot de
l’intervenant ne vise pas à la reconstruction fine
et achevée d’une réalité psychique et
historique qui aurait échappé aux acteurs et dont
le psychosociologue serait capable de donner la bonne lecture.
L’action recherchée comporte une conséquence
inéluctable : celle de déprécier les études
sociologiques où le chercheur, armé de ses techniques,
de sa compétence et totalement protégé par
elles, croit dire le « vrai sur le vrai », dans des
sommes descriptives et explicatives dont il ne perçoit jamais
le caractère de reconstruction plus ou moins arbitraire sous-entendu
par son idéologie.
Les travaux de recherche n seront pas condamnés dans deux
cas seulement :
lorsqu’il s’agit de recherche de type historique ou/et
de recherche comparative,
lorsqu’il s’agira de travaux de théorie pure.
Cette perspective signifie que l’analyse pour l’analyse
n’a aucun sens, que la recherche dite fondamentale dans les
sciences sociales n’aboutit souvent qu’à des
généralités. Elle signifie principalement que
c’est lorsque les personnes sont engagées dans des
problèmes d’action qu’elles doivent résoudre
et qu’elle acceptent de les traiter « en intériorité
» et non en « extériorité », autrement
dit qu’elles acceptent de se confronter à eux, de sentir
ce qu’ils évoquent ou ce qu’ils imposent, d’en
dégager les enjeux, de travailler donc sur leurs propres
relations à ces problèmes, et sur les relations qu’elles
entretiennent avec les autres hommes à ce sujet, d’être
en même temps acteurs et analystes social, qu’il est
possible pour le chercheur-praticien d’entrevoir un peu de
la vérité sociale.
L’action-recherche nous oblige donc à penser et à
vivre en même temps le fonctionnement et le changement, à
admettre que les hommes, objets de recherche, doivent être
en même temps sujets de la recherche, que la vérité
se dévoile dans le travail d’analyse par fragments
et difficilement, et que cette vérité sera en tout
état de cause le fruit de la rencontre de l’intervenant
et du groupe.
Le psychosociologue se veut fondamentalement démocrate en
oeuvrant dans ce sens. Démocrate, c’est-à-dire
faisant confiance à la capacité des individus et des
groupes à s’auto-organiser, à percevoir les
problèmes, à trouver des solutions qui n’entraînent
ni la dissolution du lien social ni son illusoire reconstruction
autour d’un leader tout puissant désirant régner
sur une masse informe et indifférenciée. Le psychosociologue
se doit d’être lucide sur les méthodes qu’il
utilise. Etre lucide signifie :
Travailler avec des groupes sans tomber dans l’idéologie
du groupe-sujet principe de l’histoire et objet précieux
à préserver ou à consolider,
Maintenir une position claire d’analyste et de consultant,
qui permet aux autres de définir par rapport à lui,
de pouvoir se situer et d’éprouver à son propos
des affects qui seront un des moteurs de travail à accomplir.
Aider les groupes à changer, sans qui le changement devienne
une valeur en soi et sans que la difficulté de tout changement
soit minimisé.
Travailler avec les individus et les groupes en sachant aussi et
surtout que la démocratie est plus un bel objet dont on parle
qu’une manière de vivre, que la démocratie est
à inventer et à réinventer tous les jours dans
les rapports sociaux concrets que nous tissons comme être
économique, être politique, être ludique et être
amoureux.
3ème partie : Le changement et l’émergence
du sujet désirant
Les psychosociologues oeuvrent pour le changement. Il ne s’agit
naturellement pas d’une obsession car le psychosociologue
ne se distinguerait pas alors du technocrate qui a fait du changement
l’alpha et l’oméga de notre civilisation et de
son action.
Changer est seulement, et c’est l’essentiel, le destin
de la pulsion de vie une réflexion sur l’évolution
de la civilisation ne peut être éludée. Le désir
ne peut se décliner uniquement dans l’entreprise, il
requiert le champ social tout entier pour se déplier
Chapitre 9 : Problématique du changement
Passer d’un mode de pensée évolutionniste à
une réflexion sur le changement vers l’inconnu n’est
facile ni pour les individus ni pour les groupes sociaux, car celle-ci
débouche sur le questionnement incessant, la remise en cause,
l’incertitude. Elle est, de ce fait, fondamentalement génératrice
d’anxiété.
Maintenance et changement
On peut définir tout élément humain comme
un système ouvert – en interdépendance avec
son environnement, avec d’autres systèmes – capable
d’auto-organisation et d’auto-reproduction, et continuellement
confronté à des conflits structuraux qu’il peut
traiter mais jamais définitivement dépasser.
Nous appelleront « système » tout ensemble à
organes différenciés ou admettant une variété
en son sein de composants en connexions les uns avec les autres,
qui possède des frontières repérables, qui
peut maintenir identité et cohérence au travers des
modifications qu’il subit et qui est donc capable «
d’homeostasis ».
Le système clos est caractérisé par une auto-régulation
simple et par l’accroissement continu de l’entropie
– les systèmes sociaux clos, qui visent à se
protéger de l’environnement, et qui fonctionnent plus
comme des horloges que comme des machines à vapeur sont en
même temps ceux qui doivent nécessairement se désagréger
et mourir.
Rapprochement la notion d’entropie de l’hypothèse
de la pulsion de mort énoncée par Freud. L’ambition
de Freud est de saisir les mécanismes mêmes de la vie
et de la mort et la manière dont les flux d’énergie
traversent la matière organique. Or, comment Freud conçoit-il
la pulsion de mort ? Tout d’abord et essentiellement comme
répétition et comme tendance à la réduction
des tensions à l’état zéro. Ensuite comme
pulsion de destruction vers l’extérieur. Ce qui pour
nous est central, c’est l’impossibilité de faire
l’économie de l’hypothèse de la pulsion
de mort à partir du moment où on passe d’un
système clos à un système ouvert.
Le système ouvert se caractérise par sa capacité
à percevoir et à accepter de l’information,
leur faire subir des transformations orientées, à
réaliser ses fins ou à les modifier et à utiliser
les bruits, les désordres qui l’affectent pour réaliser
des équilibres ultra-stables au travers de changements structuraux.
Un système ouvert admet en son sein une variété
d’éléments. Il est donc toujours hétérogène
et complexe .Il a des possibilités auto-organisatrices et
donc dispose d’un mode de régulation (homeostais) qui
lui permette d’intégrer les perturbations internes
et externe. Un système doit intégrer le désordre,
le bruit comme un élément fondamental dans sa recherche
d’équilibre toujours recommencé. Il doit être
en mesure d’écouter les paroles qui lui sont dites,
les clameurs qui l’entourent, les informations qui leur parviennent
pour les assimiler sans sa propre auto-organisation.
Ce qui est frappant, c’est la capacité des systèmes
à se transformer, à augmenter la variété
de leurs réponses, à se différencier, à
apprendre, à intégrer des bruits comme principes organisateurs,
à réaliser leurs buts à partir de conditions
initiales différentes et par diverses voies de développement,
à réaliser des équilibres ulta-stables autrement
dit à être capable d’adaptabilité continue.
L’événement, le bruit, est donc à la
fois ce qui provoque le changement des le système et ce qui
maintient l’existence même du système.
Les lieux du changement social
Ce que nous rencontrons dans la réalité, ce sont
des sociétés historiques données, ce sont des
formations sociales où domine un certain mode de production,
où coexistent des groupes sociaux différenciés
en lutte pour le pouvoir et pour leur expression.
En ce qui concerne le mode de production : c'est un "objet-abstrait-formel"
qui recouvre différentes instances économique, politique
et idéologique et qui s'inscrit dans la réalité,
dans des rapports de production, des rapports sociaux et des relations
humaines précises.
Par contre, une formation sociales est un "objet-réel-concret"
: la France de Louis Bonaparte ou de Georges Pompidou est une réalité
cernable, qui peut être décrite et décryptée.
Une formation sociale recouvre des systèmes hiérarchiquement
subordonnés et des systèmes peu connectés les
uns avec les autres. Elle apparaît donc comme le lieu des
conflits entre les sous -systèmes. Ce n'est qu'à partir
de la capacité de ces sous systèmes à entrer
dans une phase de destructuration-restructuration qu'ils pourront
prolonger et inscrire leurs conflits sur le lieu de système
tout entier et l'obliger à rechercher de nouvelles formes
d'équilibre. Le lieu du changement social se trouve donc
être les sous systèmes organisés dans lesquels
sont actualisés la politique, l'idéologie et l'économie.
Le lieu du changement social ne peut être que les
individus et les organisations.
C'est le changement individuel que vise aussi bien la cure analytique
que les méthodes de groupe centrées sur le groupe.
L'évolution des personnes les rendront-elles capables de
promouvoir des changements dans les sous-systèmes organisés
auxquels ils participent ? Freud avait insisté sur l'aspect
"déréel" de l'inconscient qui est caractérisé
par une absence de doute, de négation, et d'historicité.
Or la situation d'analyse est bien celle qui fait apparaître
et qui structure des phantasmes individuels ou de groupe, c'est
le lieu privilégié du déploiement de l'imaginaire
et de la confusion constante entre l'imaginaire et le réel.
C'est bien parce qu'il y a différentes position par rapport
au savoir et au pouvoir, que la situation est réglée
et dénivelée, que la production de paroles est guidée
par l'activité phantasmatique, qu'il devient possible que
surgisse le transfert en lieu et place de la répétition,
que soient mises en évidence les significations inconscientes
du discours et que s'exprime le désir. La situation d'analyse
est une situation d'exclusion-inclusion. Si elle inclut les productions
imaginaires, la résistance, le transfert et la manière
dont le client vit ses relations avec son entourage immédiat,
elle exclut l'agir, la violence, le politique, le discours du social
et de l'économique qui "parle" au travers des actes
du client.
Les homme opèrent à l'intérieur d'organisations
de production de biens et de services ou d'organisations volontaires
et appartiennent à des organisations instituantes. L'organisation
est le lieu paradoxal où peuvent se réaliser les désirs
individuels et le lieu de l'imaginaire-couverture, du refoulement
et de la répression.
Dans la perspective de l'orientation fonctionnaliste l'agent de
changement fera siennes les valeurs, la philosophie sociale des
gardiens du pouvoir et tentera de développer une stratégie
visant à changer les comportements, les attitudes, les valeurs
des salariés, des assujettis, des dominés, dans le
sens demandé par la direction qui espère ainsi mieux
atteindre ses buts au moindre coût.
Le changement programmé a pour but, d'améliorer le
fonctionnement du système, en faisant en sorte que les différents
organes soient mieux articulés les uns aux autres, que les
processus qui se déroulent ne rencontrent pas d'obstacles,
quez les dysfonctions soient écartées, que l'intégration
des différents individus du groupe soit la plus grande possible
au travers de l'intériorisation des normes et des valeurs
du système.
Une autre optique, l'orientation dysfonctionnelle, diamétralement
opposée, consiste en l'adhésion à la philosophie
sociale des dominés, de ceux qui n'ont pas la parole et en
une action conçue comme une provocation, visant à
accroître les "dysfonctions" du système.
L'attitude de l'agent de changement est une attitude militante.
Le militant est celui qui doit propager un savoir ayant pour lui
une valeur de vérité, qui doit œuvrer pour permettre
l'intériorisation de cette vérité aux personnes
non encore éclairées. L'agent de changement est aveuglé
par l'illusion du sujet compact et non divisé et capable
d'apporter à autrui la plénitude et l'exemple de sa
vertu.
La transformation des structures est dominante par rapport au changement
individuel. Le travail de l'agent de changement a pour champ soit
une faible partie, soit dans les cas les plus favorables, la totalité
d'une organisation. Ainsi, il est possible de conclure que les visions
du changement proposées sont toutes deux manichéennes,
intégrationnistes et totalitaires. Elles ne permettent pas
de changement structurel dans la mesure même où le
militantisme exclut l'interrogation, l'acceptation de la surprise,
du non-prévisible, où il situe le problème
de changement dans les objets extérieurs et où il
sépare les comportements individuels des comportements sociaux.
Le changement "fonctionnaliste". Son but est la croissance
ordonnée de l'organisation par la médiation de la
reproduction élargie et l'intériorisation des valeurs
des dirigeants.
Le changement "dysfonctionnel". Il tend à promouvoir
un nouvel ordre qui se présente comme renversement de l'ancien
et comme émergence de la parole de nouveaux acteurs sociaux.
Certains changements sont possibles dans ces conceptions "instrumentales"
du changement. Il faut même ajouter que s'il n'y avait pas
d'individus ou de groupes qui voulaient transformer le monde suivant
leur désir, laisser leur empreinte, s'il n'y avait pas d'agents
de changements voulant planifier les transformations, s'il n'y aurait
plus d'histoire.
Ces conceptions ne prennent en considération que certains
éléments de la réalité, ce qui entraîne
constamment l'apparition de conséquences non prévues
plus importantes que les conséquences prévues.
Conséquences des modalités du changement :
l'utilisation de toute technique de travail
l'exclusion de toute méthode privilégiée
le refus de toute provocation
l'acceptation de la longueur du processus de changement
la connexion au niveau institutionnel et organisationnel
Les changements individuels et organisationnels doivent donc se
prolonger par des changements institutionnels, ceux-ci ne pouvant
être que la conséquence de l'action des acteurs sociaux
dans leur champ social, dans leur organisation.
Les conditions du changement social
Si l'organisation pour diverses raisons est contrainte de révolutionner
ses modes de production et de reproduction technique, intellectuel,
relationnel, elle se trouve alors en état de déséquilibre,
entraîner par une logique interne à une série
de réformes qui tendent à augmenter l'état
de crise habituellement accepté. Ce n'est que lorsque ce
processus amplificateur est à l'œuvre, qu'il est possible
que le changement social sourde au travers du changement programmé.
Une organisation, en elle-même, quel que soit son degré
d'ouverture, est un système partiellement clos. Plus les
sociétés sont totalitaires, plus elles sont closes,
moins, donc, elles admettent de variétés en leur sein.
Un système ouvert a besoin d'organisations différentes,
contradictoires, se critiquant mutuellement, s'informant et s'enformant.
La prolifération d'organisations de toutes sortes, à
laquelle nous assistons, organisations souvent peu structurées
et qui disparaissent rapidement sont le signe d'une effervescence
sociale développant des situations d'analyse à "tous
les coins de rue".
Lorsque les organisations naissent, se confrontent, se critiquent,
elles se font parler les unes les autres, elles parlent les unes
des autres. Un changement a vraiment lieu lorsque ces moments novateurs
ne sont plus exceptionnels mais fréquents, même si
la fête est plus calme et moins turbulente, lorsque les relations
entre les hommes deviennent plus surprenantes, lorsque chacun est
encore à découvrir pour l'autre. Il faut donc que
le principe de plaisir s'accommode au principe de réalité,
que la pulsion de vie accepte de contrebattre la pulsion de mort,
que jouissance et labeur se rencontrent. C'est l'acceptation de
voir que la fête doit continuellement se heurter à
la monotonie, à la destruction, à la tristesse, que
le changement réside en la capacité d'ose d'autres
modes de relations mais que prendre ce risque n'est pas aisé.
Le retour du refoulé à lui seul ne résout
rien. La joie s'estompe. La parole libre devient parole folle. L'emballement
du système ramène au pouvoir les partisans du retour
à l'état antérieur. Même les novateurs
anxieux de cette liberté sans fin appellent de leur vœu
le retour à l'ordre. La transgression est créatrice
de valeurs à expérimenter quotidiennement. Elle est
réformiste dans son mode d'existence, elle est, quand elle
s'articule sur le retour du refoulé, fondamentalement révolutionnaire
dans son essence. Elle démasque l'imaginaire leurrant, le
ses de l'idéologie.
Analyser c'est accepter que la vérité soit toujours
à rechercher que les conflits n'aient pas de fin, que le
modèle du comportement humain et social soit toujours remis
en question, c'est d'admettre les autres comme différents
et comme partenaires, c'est permettre une nouvelle vision du réel
en démasquant les illusions et en restructurant la chaîne
symbolique. Ce qui permet l'analyse, c'est le droit de parler pour
chacun d'entre nous, d'être écoutés, d'entendre
les réactions des autres à nos message, d'échanger
des idées parfois aberrantes, mais qui, si elles ne sont
pas bloquées, seront celles qui procureront le plus de nouveauté
au système social, qui démystifieront les constructions
imaginaires. Toutefois il faut remarquer que ces 5 conditions qui
sont toutes indispensables pour qu'un changement social puisse advenir,
sont rarement remplies simultanément.
Chapitre 10 : Vers la fin de l'intériorité
?
L'individualisme moderne vise à supprimer le sujet
en faisant disparaître son intériorité.
La culture d'entreprise ou d'organisation, en proposant ses valeurs
et son processus de socialisation, son imaginaire leurrant en tant
qu'il a pour but d'englober tous les participants de l'organisation
dans la phantasmatique commune proposée par les dirigeants
de l'organisation, son système de symboles qui fournit un
sens préalable à chacune des actions des individus,
a pour but de les prendre totalement dans les mailles qu'elle tisse.
Si l'individu s'identifie à l'organisation, s'il ne pense
qu'à travers elle, s'il l'idéalise au point d'être
en mesure de sacrifier sa vie privée aux buts qu'elle poursuit,
quels qu'ils soient, alors il entrera sans le savoir dans un système
totalitaire devenu pour lui le Sacré transcendant, qui légitime
son existence. Il peut alors se considérer comme un héros
moderne en s'inscrivant dans le mythe collectif de l'organisation.
Mais les valeurs managériales peuvent ne plus suffire à
répondre au déficit d'identifications caractéristiques
de notre système social et au malaise qui en résulte.
Le "fanatisme d'entreprise" peut apparaître comme
relativement dérisoire à certains. C'est pourquoi
les anciennes religions reviennent dans leurs aspects les plus extrémistes,
les plus intégristes.
Lorsque ce processus d'idéalisation ne peut s'attacher à
un objet merveilleux extérieur, il peut trouver son point
d'ancrage dans un objet merveilleux intérieur : le corps
de l'individu. Une équation simple en résulte : coups
dynamique = énergie physique = énergie psychique =
aptitude à la réussite individuelle = aptitude à
l'utilité sociale. Cette équation est d'autant plus
attrayante qu'elle est à la portée de n'importe qui.
Il suffit de vouloir. Qu'il soit né riche ou pauvre, qu'il
ait atteint un statut social élevé ou subalterne,
chacun peut être capable d'accéder à la jouissance
la plus absolue. Il suffit pour lui de s'aimer suffisamment lui
même.
Les méthodes pour parvenir à sacraliser ou à
re sacraliser l'organisation, la sphère religieuse ou politique,
ou le corps, sont "irrationnelles" dans leur essence,
dans la mesure où il ne s'agit pas, en fait, de réer
une culture mais d'édifier de nouveaux cultes. On voit bien
le but de ces méthodes ; l'adhésion, l'implication,
la mobilisation totale de tous, c'est à dire une psyché
sans conflits, une psyché au service de l'organisation, soyons
clairs, la mise au pas de la psyché. La reconnaissance de
la psyché comme face opérante a donc pour résultat
la destruction ou tout au moins l'asservissement, souvent dans le
consentement et le contentement de celle-ci.
La conséquence de ces méthodes vis à la création
d'une identité compacte. Elle renvoie à 3 idées
essentielles :
l'idée de permanence dans le temps, de repères assurés,
en un mot de constance,
l'idée d'un objet séparé, animé par
une cohésion totalisante donc ayant une unité,
l'idée de similitude en tant que chacun doit pouvoir reconnaître
le même, le semblable.
Ces idées sont battues en blèches par l'investigation
psychanalytique :
la constance n'existe pas. les individus évoluent, se transforment
au gré de la manière dont ils sont capables de négocier
leurs contradictions et leurs conflits,
l'idée d'unité apparaît encore moins solide
: nous savons que nous somme composés d'une "pluralité
de personnes psychique" qui chacune vise sa propre finalité,
que des processus de clivage, de forclusion, de dénégation
sont à l'œuvre, que l'inconscient a une part énorme
dans notre manière de vivre et qu'il n'est pas soumis aux
mêmes processus que notre moi conscient qui ne peut être
considéré comme le sujet de l'énonciation ou
de l'action.
quant à la reconnaissance du même, elle implique que
je sois capable de répondre à la question "qui
suis-je ?", de reconnaître en moi ma part connue de ma
part d'étrangeté et de décider qui je peux
reconnaître comme un autre moi-même, alors que je sais
si peu ce que je suis.
La haine inconsciente de soi est projetée sur les autres,
d'où un développement de la xénophobie et du
racisme. Dans chaque individu existe une haine inconsciente de soi
comme un amour conscient de soi. Un individu qui réfléchit
sur lui-même ou plus généralement un groupe
ayant une culture propre, des comportements dynamiques mais non
conformes seront susceptibles de transformer chez les individus
à identité compacte la haine de soi en haire de l'autre.
On assiste au passage d'une civilisation de la culpabilité
à une civilisation de la honte. Les sociétés
occidentales seraient une culture de la culpabilité, la société
japonaise serait une culture de la honte. Une civilisation de la
culpabilité n'est possible que s'il existe un sentiment de
culpabilité, que l'acte coupable ait été perpétré
ou non. Une civilisation de la honte est tout autre. N'importe quel
acte répréhensible peut être accompli. Il suffit
qu'il ne soit pas découvert. S'il est connu, c'est la honte
qui s'abat sur l'initiateur de l'action.
Ce mouvement de disparition de l'intériorité n'est
pas inéluctable.
le corps résiste et les somatisations variées expriment
à quel point, lorsqu'on ne peut pas se parler à soi-même,
le corps s'en charge,
les idéaux mous proposés à l'identification
provoquent déjà des formes de rejet,
des idéaux forts nécessaires à la vie humaine
peuvent être créés sans que le fanatisme s'ensuive
nécessairement, dans la mesure où peuvent se négocier
idéalisation et sublimation,
la pensée magique prévalant actuellement qui énonce
qu'on peut rendre les individus plus performants, les êtres
plus unis, les organisations plus dynamiques d'un seul coups de
baguette commence déjà à être profondément
critiquée,
la psychologisation à outrance des problèmes tend
à faire disparaître aussi bien le sujet humain que
le groupe et l'organisation dans lequel il œuvre.
La société actuelle a crée suffisamment de
rapports sociaux pour permettre à l'homme de s'éviter
lui-même et d'éviter les autres, et donc à ne
pas se confronter au problème crucial de l'existence : celui
de l'altérité des autres et celui de la sienne propre.
Chapitre 11 : Idéalisation et sublimation
Pour qu'un individu devienne vraiment un sujet et ne se voie pas
vidé de sa vie intérieure, il est indispensable qu'il
puisse mettre en œuvre un processus de sublimation.
L'idéalisation
La société se présente d'emblée comme
un objet merveilleux, sans souillure, qui doit pénétrer
dans les consciences et des les inconscients et provoquer l'amour
et l'identification.
Les diverses institutions qui permettent la régulation sociale
vont essayer, chacune pour leur compte, de "capter" la
part du divin "flottant" dans le social afin d'apparaître
comme "l'Institution divine", celle à qui est dévolu
le droit de dire la loi et de demander identification et soumission.
La société apparaît comme un objet à
la fois symbolique, donnant un sens préétabli aux
actions de chacun - et imaginaire.
L'idéalisme est indispensable à toute société
animée de la volonté de vivre. Le problème
n'est donc pas la formation des idéaux mais celle d'une "maladie
de l'idéal".
Idéaliser le social, c'est croire être sauvegardé
par cet objet merveilleux et lointain qui, par le mythe collectif
qu'il instaure, le protège d'un travail de deuil, lui évite
la perte de la souffrance, place sa psyché dans un état
a-confilctuel ; l'idéal fait appel à des identifications
profondes procurant comme prime de plaisir un évitement du
manque et, au contraire, la rencontre avec la plénitude.
Société comme individu sont condamnés à
idéaliser parce qui société comme individu
ne peuvent exister sans croire à leur idéalité,
sans processus de méconnaissance, sans interdits structurants,
sans agir ou subir une certaine violence nécessaire, sans
en même temps essayer de faire taire et de faire parler la
subjectivité de chacun.
La sublimation
La sublimation comme origine essentielle du lien social.
Elle donne de la souplesse au lien social, l'idéalisation
le renforce et parfois le durcit, la sublimation ouvre à
autrui, l'idéalisation forge le "nous", soit un
"nous massifié", ou un "nous" résultant
de la discussion, de la négociation, de l'amour entre les
êtres se sachant différents et pouvant s'enrichi les
un les autres en se vivant comme des subjectivités en situation
de réciprocité.
La sublimation autorise la psyché à se démettre
de ses objets propres de plaisir pour des objets sociaux valorisés
par la culture. La sublimation, sous cet aspect, ne peut exister
qu'étayer sur l'idéalisation. Si le travail, la société
n'offrent plus d'idéaux ou excluent certains groupes de ces
idéaux, le travail de sublimation s'avère impraticable.
Nous voyons ainsi qu'idéalisation et sublimation peuvent
ne pas se combattre, mais au contraire s'épauler mutuellement.
La sublimation se présente également comme une expérience
intra-psychique dans laquelle la subjectivité du sujet est
totalement engagée. Sous cette forme, elle se trouve au plus
loin de l'idéalisation même si, en fin de compte, cette
expérience permet la création d'un objet donnant satisfaction
temporaire à l'idéal du moi. La sublimation apparaît
comme désir de penser, comme quête passionnée
de vérité, comme construction d'un objet scientifique,
artistique ou relationnel. La sublimation, processus intro-psychique
est aussi créatrice et dépendante du tissage de liens
sociaux.
La généralisation de ce désir d'investigation
partagé avec d'autres. Cette forme de sublimation se situe
au plus loin du processus d'idéalisation dans sa volonté
de remplir le vide et de constituer des groupes d'autant plus unis
qu'ils sont prêts à se sacrifier et à sacrifier
autrui. Pourtant une telle forme ne peut exister si, peu ou prou,
on ne reve pas de la construction d'une société idéale,
même si la réalisation est perçue comme relevant
de l'impossible.
Chapitre 12: Individu, création et histoire
Ce que Enriquez a voulu montrer, c'est la capacité de tous
les sujets de devenir des "créateurs d'histoire"
quel que soit leur degré d'influence sur le devenir social.
Malgré toutes les tendances de la société et
des entreprises à le normaliser, l'homme, comme le disait
Freud, répugne à la "situation de termite".
Bien au contraire il infléchit la vie sociale, sue et avec
les autres, parfois sans le savoir, parfois en poursuivant des projets
conscients.
Les normes font l'histoire ; l'histoire est le produit de l'action
des grands hommes. Les individus ne peuvent pas construire une société
à leur image et ils ne peuvent pas se trouver, en quelque
sorte, exclus du champ de détermination sociale dans lequel
se trouveraient, au contraire, inclus les autres.
Le rôle de la conduite individuelle
Distinction entre l'individu totalement inséré dans
le tissu social et qui, de ce fait, énonce seulement le discours
de l'ordre social auquel il se réfère ou auquel il
appartient et le sujet, situé dans un monde ouvert à
des significations multiples et particulières à chaque
époque historique donnée, qui manifeste du courage,
c'est à dire qui donne à son discours et à
sa conduite la fonction non de refléter le monde mais de
le transformer, si minime ou si lacunaire que cette transformation
puisse être. Comme l'écrit E. Morin, "il ne faut
pas oublier que tout individu est un écart par un certain
coté, c'est à dire par ses traits singuliers et que
tout individu peut, au moment où on s'y attend le moins,
manifester cet écart et inventer une conduite nouvelle. Ainsi
est-on amené progressivement à admettre que tout individu,
inséré ou non dans un groupe, est en mesure, volontairement
ou involontairement, de procéder à des changements
parfois important dans la structure sociale.
Les créateurs d'histoire
Les créateurs d'histoire seraient des êtres "exotiques",
c'est à dire au sens précis du mot : étranger.
Bien des grands hommes politiques et la plupart même sont
de provenance nationale. Pourtant, on est en droit de se demander
si le chef "exotique", non pris dans les traditions, n'est
pas porté par une volonté créatrice plus grande
car il doit s'identifier lui même complètement à
cette patrie, il doit faire en sorte que les nationaux puissent
le reconnaître comme le meilleur d'entre eux, tout en acceptant
son origine à part.
Mais il n'y a pas que les hommes politiques d'envergure qui puissent
être d'origine étrangère. Le rôle des
"exotiques" est fondamental dans la création artistique
comme dans le développement de la pensée contemporaine.
L'origine exotique constitue un facteur permettant plus directement
de poser la question des origines, la créativité s'accroît
avec les obstacles, pour autant que les créateurs parviennent
à créer un groupe ou un réseau serré
d'interactions.
Tout créateur est taraudé par la question des origines
: de sa propre origine, comme de l'origine des choses, comme de
la manière de réorganiser le monde. Il est donc toujours
pris dans les mailles de la filiation et dans celles de la paternité,
dans celle de la cassure et de la maintenance.
Le créateur d'histoire est d'abord un homme seul. S'il est
d'origine "exotique", s'il a le sentiment d'être
en exil perpétuel sur la terre, s'il ne peut se référer
à ses actions, à sa classe d'origine, ou au corps
auquel il appartient et dont il perçoit l'absurdité
de fonctionnement, il se voit contraint dénoncer une parole
neuve dans un monde qui n'est pas fait pour l'accepter et qui au
contraire va multiplier les obstacles sur la route.
Les individus, soit d'origine exotique soit autochtones mais vivant
en exil "étranger sur la terre", se présentent
comme des êtres de vie, ils le sont en tant qu'ils ne peuvent
se satisfaire de la vie quotidienne, de la répétition,
de l'atonie, ils sont du coté du rêve qu'ils essaient
de faire éclore dans la réalité, ils sont sous
l'emprise de pulsion intenses qui les obligent à un travail
continu de sublimation.
C'est la lutte constante menée contre les effets des pulsions
de mort et l'essai de leur transformation en un processus de destruction
et de recréation qui permet, au contraire, aux sujets d'entrer
dans l'histoire et ceci d'autant mieux s'ils sont soutenus par un
désir et un phantasme d'immortalité.
Le "social" est particulièrement friand des personnalités
qui empruntent une telle voie. Elles délivrent des certitudes,
elles arrêtent le questionnement. Elles deviennent ainsi les
maîtres, ayant leur cohorte d'admirateurs qui ânonnent
leurs "découvertes" ou leurs intuitions.
Si la culture n'existe pas sans un processus de refoulement et
sans un travail de sublimation subséquent, aussi dur et aussi
insatisfaisant soit-il, le social, quant à lui, exige pour
s'instaurer et perdurer le renoncement à la satisfaction
des pulsions et la canalisation de ces dernières dans des
activités économiques ou guerrières.
On peut dire, sans doute de manière lapidaire, que la culture
est sur le versant de la vie, le social sur celui d'une mort grimée
aux couleurs de la vie.
Chapitre 12: Individu, création et histoire
Il est impossible d'analyser la conduite d'un individu sans la
référer à la conduite des autres à son
égard, conduite structurée socialement et culturellement.
L'individu joue toujours, de façon invisible du moins dans
l'immédiat, et souvent à son propre insu, un role
essentiel dans les transformations sociales. Ainsi, si donc les
processus psycho-génétiques, présupposent les
processus sociaux, ces derniers ne règlent jamais complètement
la conduite individuelle toujours imprévisible, d'autant
plus qu'ils en sont pas eux-mêmes dépourvus d'ambiguïté,
d'ambivalence et de contradictions.
L'individualisation qui est l'objet de tous les soucis n'est, en
fait, le plus souvent qu'un élément du processus de
massification. Ainsi quand on parle de l'individu, on a en pensée
un individu conforme, qui doit fonctionner suivant les comportements
qui plaisent à la société. Ce mouvement de
conformisme ne fascine pas simplement les individus travaillent
dans l'industrie et le commerce. Il a des répercussions et
un impact profond sur tous les membres de la société
du fait même que l'entreprise est parvenue à vendre
sa passion de l'efficacité à l'ensemble du corps social
et donc à exporter ses valeurs en dehors de son champs restreint.
Le processus d'individualisation, favorisant la singularité
dans la massification acceptée et recherchée dans
grands, de moyens ou de petits homme est donc la condition de la
production et de la représentation d'individus que se situent
plus dans l'hétéronomie que dans l'autonomie.
Ces individus hétéronomes ont besoin pour exister
d'idéaliser la société et les idéaux
qu'elle propose. Autrement dit, ils fonctionnent sous l'égide
de la maladie de l'idéal.
Pourquoi l'idéalisation joue t-elle un rôle si important
? C'est qu'elle nous rassure profondément : une société
idéalisée, se présentant comme un objet merveilleux
est le meilleur garant de notre stabilité physique. Elle
délivre un message de sérénité : l'ordre
social existe et il nous préserve de toute interrogation
fondamentale à son propos , le monde crée est non
contestable, la société donne un sens pré-établi
à nos diverses actions et elle nous indique donc ce que nous
devons faire et comment nous serons récompensés.
L'idéalisation est ainsi le mécanisme central permettant
à toute société de s'instaurer et de se maintenir
et à tout individu de vivre comme un nombre essentiel de
cet ensemble , en prenant le moins de risques possibles. L'identité
collective favorise de plus, comme Freud l'a montré, le "narcissisme"
des petites différences "qui a pour effet "d'unir
les uns aux autres par les liens de l'amour une plus grande masse
d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres en
dehors pour recevoir les coups".
En effet, plus une culture se veut unifiée, plus elle devient
intolérante et plus elle désire la mort des autres
ou, au moins leur conversion. L'individu individualisé, l'individu
singulier pris dans la massification procurée par l'accrochage
aux identités collectives, ne peut être considéré
comme sujet humain.
A cette figure de l'individu individualisé s'oppose son
inverse : la figure du sujet. Le sujet humain est celui qui tente
de sortir autant de la clôture sociale que de la clôture
psychique, ainsi que de la réassurance narcissique, pour
s'ouvrir au monde et pour tenter le transformer.
Le sujet est donc homme de la sagesse et de la folie, du jeu et
de l'errance, respirant à pleins poumons un air salubre,
donnant "un sens plus pu aux mots de la tribu" (Mallarmé),
s'intéressant plus à la germination des choses qu'aux
résultats tangibles, ivre de la diversité de la vie
et capable de la percevoir.
Les grands hommes répondent effectivement à la définition
de personnes voulant créer volontairement des choses. Par
contre ils sont pris dans le fantasme de la maîtrise totale
qui les amène à nier l'altérité de l'autre.
Parmi les grands hommes on peut identifier les mégalomanes
occupant une position paranoïaque, les manipulateurs occupant
une position perverse, les séducteurs occupant une position
hystérique.
En tout cas, si les mégalomanes-paranoïaques peuvent
apparaître comme plus ou moins "fous", les autre
échappent à cette dénomination. Ils se présentent,
à l'inverse, comme des individus parfaitement normaux. On
aurait ainsi deux extrémités : les fous de pouvoirs
et les hyper-normaux.
Le processus de sublimation implique la reconnaissance par chacun
de sa propre étrangeté, de celle des autres et le
désir de proposer, sans volonté de domination à
l'ensemble des individus avec lesquels ont vit, une investigation
commune et partagée.
La sublimation n'empêche pas l'idéal, mais elle lutte
contre la maladie de l'idéal. Le sujet c'est donc celui qui
accepte de se remettre en cause, d'être remis en question
et qui n'a pas besoin d'attaches lui servant simplement d'appui
pour exister.
Il est plus facile de se laisser guider que de guider sa vie, d'imiter
que d'inventer, d'idéaliser que de sublimer. Mais une autre
contestation est nécessaire : de la même manière
que l'individu totalement hétéronome n'existe pas,
le sujet entièrement autonome n'existe pas non plus. Tout
simplement parce que l'homme est clivé, contradictoire, mélange
inextricable de pulsion de vie et de mort, capable du meilleur et
du pire, souvent obsédé par le pouvoir, le prestige
et éprouvant un désir de réassurance narcissique,
e que les sociétés ont besoin pour se maintenir au
minimum d'illusions et de croyances, de travestissement et d'hypocrisie.
PRINCIPALES CONCULSIONS
Pouvoir des structures organisées pour mettre les individus
au travail, les contrôler, les prendre au piège de
leur propres désirs, les manipuler, les séduire,
Pouvoir des sujets sur eux même, sur leur propre destin,
sur le devenir des structures qui marque l'impossibilité
de toute organisation d'imposer sa loi totalement et durablement,
Pouvoir des psychosociologues qui, dans leur très grande
majorité, ont perçu que le projet psychosociologique
depuis Lewin était un projet démocratique et qui tentent,
avec les personnes avec qui il co-construisent du sens, de favoriser
de véritables réformes sociales, même s'il est
loin de toujours y parvenir,
Le désir caractérise l'être humain en tant
qu'être humain et que sans désir, le monde ne serait
qu'un "terre dévastée". Il n'est guère
appréhendable, il est facétieux, protéiforme
comme nos rêves. L'homme est,
Le désir peut aussi rendre fou quand il n'est pas lié
à la loi,
Se référer autant au désir apparaît
comme une espèce d'exorcisme prononcé entre tous ceux
qui disent le faire parler tout en tentant journellement de le faire
taire.
POSTULATS HYPOTHESES
Eugène ENRIQUEZ rassemble un certain nombre d'articles écrits
entre 1972 et 1993 sur le problème du pouvoir qui est au
centre de ses préoccupations depuis des premières
publications. Il y a dans sa pensée comme une espèce
de fil rouge qui, depuis toujours, tourne autour des questions :
"qu'est ce que le pouvoir , qu'est ce que le pouvoir dans l'organisation
? qu'est ce que l'homme avec son désir ? On y trouve, en
même temps, la question des contraintes structurelles dans
lesquelles nous vivons et les conséquences qui en résultent
et la question de la possibilité de se déprendre quelque
peu des mailles organisationnelles dans lesquelles nous pouvons
être enserrés, de voir le degré de liberté
dont nous disposons dans diverses situations.
C'est par ce que l'entreprise est devenue une des principales institutions
de la vie sociale qu'elle est l'arène privilégiée
des jeux du pouvoir et du désir. Les sujets humains y vivent
leur désir d'affiliation, visent à réaliser
un certain nombre de leurs projets, s'attachent à leur travail.
Dans l'entreprise se joue l'identité, la jouissance de chacun.
Pour l'auteur (qui se définit comme un freudo-weberien) les
analyses sociologiques classiques sur les relations de pouvoir et
les enjeux stratégiques dans l'entreprise sont souvent justes
mais elles laissent échapper un élément essentiel
: "l'amour et la violence qui président à toute
vie organisée et qui ne s'embarrassent pas de logiques d'action".
L'entreprise est à la croisée des projets conscients,
des phantasmes et des désirs. Les structures d'organisation
expriment non seulement une manière de distribuer l'autorité
en vue d'objectifs à réaliser, mais aussi des mécanismes
de défense contre l'angoisse et des désirs de pouvoir.
Plus l'angoisse est grande et refoulée, plus les structures
de pouvoir sont rigides. Dans ces lieux, hommes et femmes risquent
leur estime de soi, leur propre identité, leur désir
de création, en un mot leur vie.
On ne trouve pas dans cette pensée la naïveté
de l'optimisme des premiers psychologues américains qui identifiaient
facilement le bonheur des individus et le bonheur de l'entreprise;
Le consensus était la règle, le dissensus l'exception.
ENRIQUEZ n'est pas optimise, mais il ne tombe pas non plus dans
une opposition manichéenne entre désir individuel
et exigence de l'organisation. Des jeux existent, dangereux parfois
pour l'existence des individus, pour le sens qu'ils peuvent donner
à leur action. Mais, aussi, chacun des protagonistes pense
pouvoir gagner quelque chose, donner un sens à son action,
disposer d'une partie du pourvoir, aussi inégalement réparti
que soit celui-ci. Si ENRIQUEZ s'est aventuré dans l'intervention
psychologique, c'est parce que lu et bien d'autres avaient perçu
qu'il existait, dans toute l'organisation, des désirs de
transformation, d'innovation, de changement.
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