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LES JEUX DU POUVOIR ET DU DESIR DANS L'ENTREPRISE
Eugène ENRIQUEZ
Edition Desclée de Brouwer
Note de lecture réalisée par Magali KOPFLER
CNAM 2003-2004
Chaire de développement des systèmes d'organisation - OR02

Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/jeuxentreprises.doc


BIOGRAPHIE DE L'AUTEUR
Professeur émérite à l'université Paris VII Denis-Diderot, co-directeur du laboratoire de changement social, co-rédacteur en chef de la revue internationale de psychologie, Eugène ENRIQUEZ a notamment publié "De la horde à l'Etat" (1983), "Les figures du maître" (1991) et "L'organisation en analyse" (1992).

RESUME DE L'OUVRAGE

Le pouvoir et le désir ne devraient être que des instruments secondaires au service de la réalisation des objectifs énoncés

1ère partie : le contexte organisationnel et les structures d'organisation

Chapitre 1 : Structures d'organisation et contrôle social

L'entreprise tente d'avoir un contrôle le plus assuré possible sur son monde interne, afin de lutter contre les angoisses qui la traversent et de parvenir à réaliser les objectifs définis. Elle construit donc une structure de fonctionnement qui est naturellement toujours une structure de pouvoir.

Toute organisation a pour but d'instaurer un type de structure favorisant un état de régulation interne et externe considéré par elle comme le plus satisfaisant. Elle essaye de minimiser les conflits et les désaccords, d'établir des objectifs partagés par le plus grand nombre, d'anticiper sur les besoins des consommateurs et d'interpréter correctement l'ordre économique international.

Aussi malgré leur dynamisme, la mise au point de technologies de pointe, les organisation peuvent être le jouet de forces qu'elles ne maîtrisent pas.

Si beaucoup ressentent que le travail les empêche de vivre, pour la plupart leur activité laborieuse reste ce qui donne sens à leur vie et leur permet de ne pas sombrer dans l'angoisse.

Six types d'angoisses fondamentales paraissent devoir être relevés :

Tout ce qui relève du spontané, du non prévu, de l'émergence des passions, du mouvement social est donc ressenti comme "trouble" empêchant le travail bien fait, l'allocation des responsabilités, la distribution du pouvoir. Pour se protéger de l'informe, l'organisation aura tendance à se protéger de la vie, elle préférera instaurer la bureaucratisation des conduites sinon même la ritualisation de celles-ci.

Un travail important de l'organisation sera, le propre des pulsions étant d'être toujours agissantes, de les canaliser vers le travail productif et l'identification à l'entreprise.

L'imprévu déroute toujours, c'est pourquoi les dirigeants des organisation essaieront de ce prémunir contre l'inconnu ; rendre ainsi l'avenir plus prévisible et lui enlever sa charge d'anxiété.

La cohabitation d'un grand nombre de personnes d'origines et de qualification diverses, aux intérêts et aux projets souvent divergent, fait planer dans tout groupe le phantasme de la guerre possible de tous contre tous, au moins de classe contre classe, ou fraction contre fraction. Renforcer la contraction sur la tache et sur les résultats à atteindre.

Tout projet novateur, s'il implique une rupture importante dans les modes de pensée et d'action, ne pourra qu'être rejeté.

Une peur de la pensée dans ses aspects inventifs règne dans l'organisation

Pour empêcher l'apparition des angoisses fondamentales, l'entreprise va édifier différentes formes de contrôle. Elles comporteront comme double avantage la soumission des membres de l'organisation à l'idéal prôné par celle-ci et la stabilité comme la prévisibilité des comportements.

Le corps - Double adaptation de la machine à l'homme et de l'homme à la machine afin d'en faire un seul système couplé. L'entreprise est un flux ordonné de travail et habitue les hommes à ne penser leur coups qu'instrumentalisé et morcelé, de contrôle permanent de soi. L'allocation des taches, la distribution des fonctions et leur définition concourent à ce processus organisatif

La pensée - Connaître, diffuser et appliquer les sciences de la décision et de l'organisation pour que chacun sache quelle doit être sa contribution, quelle valeur il doit leur attacher et quelle utilité sociale il peut en escompter. Le mieux intégré, le lus adapté et le plus conformiste est rarement le plus efficient dans une organisation qui réclame innovation et dynamique. Mais cette contradiction permet de maintenir les collaborateurs dans un état de culpabilité permanente.

La psyché - Lien libidinal qui unit les hommes à leur chef qui les attèle les uns aux autres.

Précision sur les comportements concrets par lesquels s'expriment les modes de contrôles et ces techniques :

la compétition entre les individus

les procédures d'intégration

les processus de variation du personnel

la mise en exercice du "double-bind"

le processus de naturalisation du conventionnel

Ainsi c'est vers la cohérence absolue que tend l'organisation industrielle : cohérence des valeurs et des objectifs, de la pensée et de l'affectif des corps et des machines, du modèle et de la réalité.

Typologie des structures d'organisation

La structure charismatique se traduit dans une conception qui raccorde le fonctionnement d'un système social quelconque aux capacités "extraordinaire" de son dirigeant. Ce style de structure de relation induit chez chaque collaborateur le désir de séduire le chef. La conséquence en est la compétition à outrance, la division et la suspicion, dissimulée sous l'idée d'émulation.

L'idéal de la structure bureaucratique d'ordre est le fait d'une vieille rêverie : la création d'un monde où chacun serait à sa place et où les rapports humains entre chefs et subordonnées feraient l'objet d'un cérémonial précis. la bureaucratie a pour socle des normes et des règles impersonnelles de fonctionnement. Il en découle une division du travail extrêmement poussée. L'organisation précise à pour conséquence le cloisonnement des fonctions, la polarisation sur des objectifs secondaires, le développement des intérêts corporatistes.

Dans la structure coopérative prévalent les besoins de progression et de cohésion de l'organisation . Indépendance entre les membres de l'organisation dans la poursuite d'objectifs qu'ils ont contribué à définir. La libération de la pensée qu'elle propose, l'intervention de nouvelles conduites qu'elle requiert, l'amour mutuel et le goût du changement qu'elle sollicite, la parent d'atours et d'attraits si nombreux qu'ils font oublier la part d'utopie et d'impossibilité qu'elle recèle.

La structure technocratique reprend à son compte les trois articulations essentielles des structures précédentes qu'elle tente de conjuguer. Elle met en place un pouvoir fort, un fonctionnement rationnel, une participation aux prises de décision. Elle a pour ambition d'apparaître comme une structure synthétique, apte à résoudre les antinomies présentes dans les trois premières.

Type de structure

Type de personnalité postulé

Instance de la personnalités mises en œuvre

Pole de la personnalité souligné

Destins des pulsions

Degré d'insistance su le travail

Charismatique

paranoïaques

mégalomanes

hypnotisés et séduits

exploités et aliénés

ça

moi idéal

idéal du moi

réalisation de soi

amour pour la personne centrale

pulsion de mort : destruction des individus

augmentation de la pulsion d'agression

travail obtenu à partir de l'investissement libidinal et en partie de la contrainte

enthousiasme

Bureaucratique

schizophrènes à tous les niveaux

surmoi

réduction de tension

pulsion de mort : compulsion à la répétition

cruauté de l'éthique

travail = seul horizon

développement

 de la

sphère privée

Coopératif

névrosés

conflits entre les instances

communication avec autrui

communion

amour mutuel et adhésion à une idéologie

pulsion de mort : indifférenciation

travail valorisé comme expression

de la

 communauté

et de

 l'amour mutuel

Technocratique

- pervers

- indifférents, anomiques ou rebelles

moi

perte de repère

(moi flottant)

négation d'autrui

destruction

libido désexualisée investi dans le travail

pulsion de mort : cruauté de l'éthique

transformation de la nature

pulsion d'agression

production sous toutes ses formes

guerre économique ou guerre totale



La structure charismatique est articulée sur la puissance d'une responsabilité exceptionnelle, omnisciente et omniprésente, elle est la seule structure qui peut fonder une paranoïaque ou qui peut recevoir son message et en suivre les décrets

La structure bureaucratique : la division et la parcellisation des activités entraînent la séparation des hommes centrés chacun sur leur tache qu'ils doivent accomplir suivant les règles. L'action n'a pas de valeur en elle-même.

La structure coopérative part de l'hypothèse que la vie en commun est possible au travers de la confrontation des différences et de l'expression des conflits réels. Elle instaure les hommes au cœur même du conflit et de l'anxiété liée à la liberté.

La structure technocratique vise à une transformation programmée du monde en recourant pour ce faire à des modèles de fonctionnement qui, à la limite devraient rendre l'histoire inutile. Elle a donc besoins de personnalités perverses, hantées par les techniques et les fétiches, par le monde de l'économie et par le monde des objets.

Jamais aucune des structures ne se réalise pleinement dans une institution ou une organisation donnée.

Le changement est possible. Le programme ne peut jamais totalement se réaliser.

Le processus de refoulement suscite le retour du refoulé. Les individus, les groupes ne forment jamais ces masses totalement manipulables. Ils ont des symptômes variés de résistance. Le conflit est l'essence même du social, la violence son fondement.

L'apparition de l'inverse a pour conséquence le déploiement même de la structure. "Tout totalitarisme est le père étonné de la dissidence".

La transformation du réel, lors même qu'elle est conforme aux décisions prises et aux orientations désirées, suscite la naissance de nouvelles formes d'activité de modalités d'être social-historique.

Les diverses structures analysées favorisent, certes de manière différentes, un certain degré d'identification de l'individu à l'organisation et sa mobilisation.

Chapitre 2 : L'individu pris au piège de la structure stratégique

L'entreprise en tant que système culturel, symbolique et imaginaire voulait devenir l'institution princeps de notre société et se présenter comme une idole à admirer et aimer.

L'entreprise stratégique a de plus en plus des stratégies à court terme, plus financières que productives. Elle veut la participation de tous. L'élite n'est plus sur de rien et les équipees acquièrent une forte identité, les cadres conçoivent des stratégies personnelles de carrière. Même si l'entreprise parvenait à intégrer l'ensemble de son personnel et à lui faire accepter ses idéaux, elle ne pourrait provoquer que de l'idéalisation.

Chapitre 3 : Imaginaire social, refoulement et répression dans les organisations

Si l'entreprise tente de s'assurer de la fidélité de ses membres, c'est qu'elle sait bien qu'elle est le lieu de l'imaginaire et que seul l'imaginaire permet de créer le rideau d'illusion nécessaire à l'établissement de la croyance. Dans l'entreprise l'homme joue son identité, son désir de reconnaissance et d'estime.

La vie sociale se présente directement à l'acteur comme un ensemble de comportements vécus, se déroulant sur la scène de la réalité, du visible immédiat et strictement ordonné au travers d'une symbolique univoque. Il s'agit donc pour chacun de percevoir les mécanismes à l'œuvre, les fonctions à assurer, les rôles à occuper pour pouvoir soit trouver sa place dans le système social déployé à l'entour, soit trouver la loi qui préside au fonctionnement des divers éléments.

Dans une organisation, chacun, malgré ses différences, est pris dans les filets d'un jeu social général : "la lutte pour la reconnaissance (Hengel)".

Le carriérisme est-il tout de la recherche de l'identité par la reconnaissance, ou ce problème de la reconnaissance nous renvoie t-il à la question du désir et de la constitution du moi imaginaire que chaque être va essayer d'éprouver sans l'espace mis en scène par l'organisation ?

L'imaginaire est sous l'égide du principe de plaisir. Si le plaisir est lié à des expériences ou à des phénomènes "dont le caractère déréel est évident", la relation imaginaire étant destinée au leurre, elle se trouve au service direct du principe de plaisir l: elle devrait donc entrer en antagonisme avec le principe de plaisir.

Si le narcissisme permet la connexion entre libido du moi et libido d'objet, il favorise du même coup la jonction entre principe e plaisir et principe de réalité.

L'imaginaire participe au système inconscient. Il contribue à maintenir l'altérité radicale de l'inconscient. La structuration d'un imaginaire pour un sujet c'est ce qui définit l'inconscient comme définitivement inconscient. Cette altérité radicale c'est ce qui ouvre la voie au rêve et à la mise en scène du désir, au travestissement , au déguisement et fondamentalement, à travers ces avatars, à l'expression du désir.

Le désir à toujours besoin de voies détournées pour apparaître et se faire entendre. C'est parce que l'inconscient reste inconscient, parce que l'imaginaire y veille, que pourront se développer projets sociaux, utopies, volonté de transformation du monde.

L'imaginaire se présente donc comme ce qui permet la construction libidinale, l'investissement dans les objets ou dans le moi narcissique. Sans imaginaire, le désir s'arrête interdit ou ne peut ni se reconnaître comme désir ni trouver les voies qui lui permettraient d'essayer de se réaliser.

L'imaginaire préserve ainsi la possibilité du changement, de la mutation, de l'utopie. C'est en quoi il permet en quelque sorte la constitution d'une réalité psychique, d'un dépôt toujours renouvelé de désirs de réalisation, d'un aller-retour, d'un courant. C'est ainsi que l'imaginaire croit possible l'impossible : la fête perpétuelle, le surgissement continu, la réconciliation totale, l'endogamie et l'inceste, la toute-puissance mais c'est aussi parce qu'il le croit que peut exister l'invention, la fête, la spontanéité, les rêveries de l'intimité.

En définitive, l'imaginaire se présente comme aporie et diaspora. Aporie car il pose des problèmes insolubles et ne pose aucun chemin pour les résoudre, diaspora car il signifie l'éclatement, la dispersion fécondante, le frayage des voies inexplorées, l'aventure toujours recommencée.

L'organisation comme lieu de l'imaginaire.

Les organisations sociales installent les individus directement au sein de la problématique de la recherche de l'identité et de l'affirmation d'une unité compacte et sans faille et de la crainte du morcellement, c'est à dire au cœur même de l'imaginaire. Les hommes ne peuvent exister, psychologiquement et socialement, qu'insérés dans des organisations dans lesquelles leur est assigné un certain rôle et un certain statut, plus ou moins fortement formalisé. L'organisation en tant qu'ensemble structuré et stabilisé, va mettre chacun au défi de prouver son existence, et va instaurer la dramatique de la lutte pour la vie (narcissisme). Ainsi l'organisation insiste t-elle sur le coté leurrant et répétitif en plaçant des masques sur les individus.

Le désir de toute-puissance et l'érotisation des rapports sociaux

Pour rendre cette situation dramatique vivable et même par certains aspects confortable, l'individu va tenter de développer une représentation de lui même comme tout-puissant et d'instaurer cette puissance narcissique dans la réalité. Le corollaire du désir de toute puissance sera la tentative de création de relation duelle (relation où autrui apparaît non en tant qu'autre porteur de ses désirs mais comme l'instrument de la satisfaction de l'acteur). Il s'articule sur le désir d'être le seul, l'unique, celui d'où tout provient. A ce moment là l'imaginaire en tant que leurre a définitivement triomphé, la réalité doit se plier à la parole engendrante. La passion inhérente à la réalisation duelle finit par se traduire en exploitation. L'imaginaire se présente donc pour les membres de l'organisation plus sur son aspect couverture, que sur son aspect ouverture à l'écoute de leur propre désir, plus en rapport avec leur narcissisme qu'avec leur propre projet transformateur. Chacun va mettre en jeu son moi pour essayer de réaliser ce qu'on peut nommer l'idéal du moi de l'organisation. L'individu va pouvoir croire à sa toute puissance personnelle en s'identifiant à la toute puissance de l'organisation. Il va être ainsi doublement piégé : par on phantasme et par le croyance en une organisation porteuse de son propre idéal sans s'en rendre compte. La disparition du désir et de l'émergence des besoins est le corollaire de l'existence du désir de l'organisation. Mais peut on parle du désir de l'organisation sans tomber dans un anthropomorphisme radical ? A trop se centrer sur l'organisation, la plus totalitaire soit -elle, est toujours composée de groupes sociaux variés pouvant pour suivre des buts similaires ou contradictoires ?

Le défoulement organisationnel

La distinction dirigeant dirigé. Cette séparation est toujours définie comme résultant de la nature des choses et comme exprimant simplement des différences de compétence, de savoir, de niveau d'expertise au service du bon fonctionnement organisationnel. En réalité, elle permet à la relation de soumission de s'institutionnaliser sous le masque de l'autorité nécessaire.

Toute organisation instaure une division technique du travail considérée comme indispensable à la bonne marche de l'organisation. Pour qu'il y ait processus créateur, il faudrait que le travail soit l'expression des contradictions du sujet divisé et de sa dynamologie interne, c'est à dire qu'il y ait toujours un ailleurs à découvrir.

Dans l'organisation le discours se présente toujours comme parole fragmentaire. Nous n'avons le droit de nous prononcer que sur les problèmes de notre compétence, situés au niveau de nos responsabilités, non pas sur les questions qui nous importeraient mais sur lesquelles personne ne nous demande rien et qui remettraient en cause la division du travail existante.

Cette parole fragmentaire est aussi une parole réifiée. Pour qu'elle ait un point d'impact il faudra qu'elle se traduise dans des textes argumentés, qui servent de points de référence.

Dans toute organisation, il y a une profonde méfiance de la parole libre, créatrice; A l'heur actuelle on commence à se rendre compte que la suppression de toute parole spontanée développe une inertie dans les structures et les comportements qui ne peuvent plus s'adapter aux défis du monde extérieur. C'est pourquoi les organisation modernes insisteront sur la nécessité d'innovations et essaieront de mettre en œuvre des techniques facilitant le changement.

Essayons maintenant de synthétiser le rôle essentiel joué par le refoulement dans l'organisation, nous pouvons dire qu'il est créateur de l'ordre et de la loi, au travers d'un système d'interdits. Il vise à l'existence d'unités coordonnées dans lesquelles les pulsions ne sont pas niées mais utilisées directement dans le travail productif et représentées par des termes idéologiques qui en assurent la mise en service au profit de l'organisation. Il vise donc la possibilité de création de relations imaginaires stabilisées au travers d'un certain code, juridique et comportemental, auquel tout le monde doit être soumis. Il est ainsi à la genèse de l'aliénation sociale. Dans la mesure où toute organisation fonctionne comme instance refoulante, toute organisation implique un certain degré d'aliénation sociale.

L'idée d'une désaliénation totale est parfaitement mystificatrice.

La répression organisationnelle se distingue du refoulement

Alors que celui-ci est de l'ordre de l'interdit et du langage, celle-là est de l'ordre de la censure et de la violence.

La répression ne vise pas à endiguer les pulsions mais à les inhiber, à les nier, voire même à les annihiler totalement. Elle est de l'ordre de la censure. La répression est la manifestation de ce que nous pouvons appeler la carence absolue. Au niveau social, cette carence absolue, engendre une situation non d'aliénation mais d'exploitation directe.

La répression ne peut jamais s'avouer comme telle : elle a toujours besoin d'être légitimée pour pouvoir s'exercer sans rencontrer d'opposition (Weber). Elle ne peut être créatrice d'aucun système symbolique. La répression trouve peut-être son expression la plus pure dans l'édification de "camps de concentration" organisés rationnellement pour la destruction.

Chapitre 4 : Les enjeux éthiques dans les organisations modernes

Existe t-il de véritables enjeux éthiques dans les organisations modernes ?

Le terme éthique, autrefois réservé au labeur philosophique le plus rude et qui était pratiquement inconnu du grand public, a fait une entrée en force dans le langage et la pratique des organisations et des institutions modernes. L'utilisation inflationniste de cette notion peut être considérée, à première vue, comme relevant des effets de mode. Pourtant, si on examine avec attention le mouvement de pensée et d'action qui donne à l'éthique une valeur cardinale, on ne peut manquer de se rendre compte qu'il est, d'une part, le signe d'un malaise profond affectant nos société occidentales, et d'autre part, une tentative de traitement de ce dernier soit en tentant de transformer le symptôme en signe de guérison, soit en s'efforçant d'en découvrir les racines et les significations. Ce texte a pour but de montrer que seule cette seconde approche permet de comprendre les raisons pour lesquelles la question éthique est devenue une question centrale de notre temps et à quel point elle conditionne le futur.

Le malaise dans nos sociétés et l'éthique

Le malaise est général. Il est renforcé, suivant les auteurs, par la montée de l'individualisation, et donc pour le repli sur soi et sur les valeurs privées, par l'impossibilité de se représenter le futur et par le désir corrélatif de vivre intensément l'instant, par la formation de "niches écologiques" ou de "tribus" où les individus essayent de reconstituer des modes de sociabilité intense, jusqu'au moment où ces lieux ne sont plus en mesure de répondre à leur désir, par le perte du sens de la transcendance, par le clivage entre les sphères technico-économique, politique et culturelle.

Chaque être humain, entant qu'être doué de raison est (ou devrait être) strictement semblable aux autres. Si la passion est oubliée ou refoulée, le problème de l'altérité des hommes et des cultures est gommé. Ceux qui peuvent s'adapter à une société guidée par ses valeurs sont assurés d'être reconnus comme sujets et de participer comme citoyen au fonctionnement de la société. Les autres devront se contenter de formes de travail subalterne ou encore finiront par appartenir à la catégorie de disqualifiés sociaux.

L'entreprise, du fait même qu'elle a pour unique but d'obtenir des résultats comptables a introduit la mesure comme seul élément de différenciation des êtres. Le chiffre devient le signe de l'excellence dans l'entreprise et, progressivement dans l'ensemble des organisations

L'éthique au service des organisations

L'entreprise prototype de l'organisation moderne, nouveau sacré, va essayer de donner un sens à la société pour pallier les défaillances des autres institutions. L'entreprise se met à diffuser une vision au devenir social, à utiliser les moyens pour le réaliser et, par voie de conséquence, à créer des héros positifs tels qu'elle les conçoit.

A l'intérieur de l'entreprise il s'agit de faire en sorte que ses membres dans leur totalité se sentent partie prenante de l'organisation, aident à la construction d'un projet d'entreprise, adhèrent à la culture qui leur est proposée, remplacent leurs propres idéaux par l'idéal commun défini par l'entreprise et se soumettent aux processus de refoulement et de régression mis au point par l'organisation.

Les aspects les plus importants sont la gestion des ressources humaines et la répartition des responsabilités. On comprend fort bien que certaines personnes n'assument pas ou même fuient les responsabilités qui leur sont confiées car elles ont bien saisi la logique de l'organisation : tout responsable est un suspect constant et un coupable probable.

Les véritables enjeux éthiques

Si l'éthique ne peu se mettre au service des organisation, il n'empêche que les organisations modernes ne peuvent occulter le problème de l'éthique sous peine d'être abandonnées ou trahies par leurs membres, rendus plus pervers qu'elles même et se laissant aller au non-sens de la vie puisque plus rien n'est capable de donner un sens à leur vie.

L'éthique de la conviction est une éthique du tout ou rien. Une telle éthique pose ainsi le problème bien évoqué par M. WEBER : "pour atteindre les fins "bonnes", nous sommes la plupart du temps obligés de compter avec, d'une part des moyens moralement malhonnêtes ou pour le moins dangereux, et d'autre part la possibilité ou encore l'éventualité des conséquences fâcheuses. Aucune éthique ou monde ne peut dire, non plus, à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses".

L'éthique de la responsabilité se présente autrement. Non que les hommes de conviction n'aient pas le sens des responsabilités. Bien au contraire, puisqu'ils prennent en charge la transformation du monde et souvent que leur actes seront un jour jugés. Mais ils ne choisissent pas leurs conduites en fonction de leur probabilité de réussite. Par contre, l'homme mû par une éthique de responsabilité estimera que les conséquences sont imputables à sa propre action, pour autant qu'il aura pu les prévoir, et donc il se mettra dans la condition d'anticiper les résultats probables.

L'étique de la discussion (J. Habermas). Il est essentiel que les hommes puissent échanger des arguments rationnels concernant leurs intérêts dans un espace public de libre discussion. Ainsi chacun est-il considéré comme un être autonome, doué de raison, qui peut donner son avis. De la discussion, dont seules les propriétés formelles sont définies, naîtront de nouvelles normes et des intérêts "universalisables".

L'éthique de la finitude dont les conduites humaines sont définies par leur rôle dans la rigidité, l'homogénéisation et la destruction possible des structures et des hommes ou, au contraire, par leur spontanéité et leur capacité à favoriser le processus d'autonomisation ; par leur capacité à rendre compte non seulement de l'activité de penser et du plaisir qui lui est attaché mais également des passions, des peurs, des souffrances, des limitation qui affectent toute vie ; par leur aptitude de leur courage à accepter les blessures narcissiques, la finitude de la mortalité, de se soumettre au travail et de se confronter continuellement avec la pulsion de mort dans ses aspects auto et allo-destructeurs.

2ème partie : L'intervention psychosociologique

Le psychologue permet d'animer l'intime au politique, le psychosociologue à l'organisationnel, l'expérience à la réflexion.

Chapitre 5 : Rapport au travail et pratique psychosociologique

La psychosociologique, bien que sa naissance soit lointaine n'est devenue une discipline à part entière que sous l'influence de K.Lewin qui a lié l'entreprise à l'action.

Comprendre le monde de la production et ses tendances anti-culturelles voire totalitaires, permettre à chacun d'appréhender le rôle qu'il joue et qu'on lui fait jouer afin qu'il puisse développer ses capacités à la maîtrise de sa vie dans le travail et le hors travail et qu'il puisse être un agent de transformation de la société industrielle.

La visée taylorienne peut s'énoncer simplement comme une volonté d'empêcher la résistance ouvrier, de développer le contrôle des comportements ouvriers, de diminuer l'autonomie et la qualification des travailleurs et de briser la force syndicale qui s'instituait progressivement.

La signification de l'œuvre d'Elton Mayo a suscité trois types d'interprétations :

elle est un prolongement du système taylorien,

elle aboutit à une autre conception de l'entreprise : il faut construire l'entreprise en tenant compte des perspectives suivantes : phénomènes affectifs, liaisons spontanées et informelles, normes émergentes,

elle donne à voir le politique dans la vie quotidienne. Ces groupes élémentaires où se développent des sentiments fraternels, des éléments de solidarité sont des "regroupements de production et de lutte".

L'évolution du travail dans les sociétés occidentales

L'univers technologique prend de plus en plus de distance et la société a beau suivre son développement technique, la grande part de la population commence à décrocher, à ne plus comprendre et à se désintéresser. le monde technique ne concerne plus alors qu'une élite de techniciens et d'ingénieurs.

L'entreprise était un lieu d'apprentissage, de transmission du savoir, d'approbation d'une certaine culture sociale.

L'augmentation continue du nombre de produits mis à disposition du public a été souvent considérée comme devant amener l'instauration d'une civilisation du bien-être ou de l'abondance :

canalisation des éléments quantifiables, datables, mesurables et de normes de comportements,

développement des tendances à l'accumulation des objets devenus signes de prestige social,

création d'objets (ou services) parfaitement inutiles.

Le rapport affectif au produit, prolongement de l'activité humaine disparaît ou il est supplanté par une réaction de haine et de rejet.

A partir du moment où le travail se vide de ses significations et où les membres de l'entreprise sont séparés des techniques qu'ils utilisent, du savoir qu'ils manipulent, de la culture dans laquelle ils vivent, il ne reste plus comme réalité que la structure organisationnelle et les institutions qui la fondent.

Dans la mesure où le travail n'existe plus comme prolongement de l'activité fabricatrice de l'homme, et où chacun est situé dans un processus d'assignement de place et doit avoir un comportement de producteur-consommateur, la possibilité de déplacement, d'autonomie tend à se réduire.

La concertation ou l'institutionnalisation c'est créer un système de relations industrielles telles que patronat et syndicats, parfois avec l'arbitrage de l'Etat, dialoguent, se consultent, négocient de manière régulière, au lieu de s'affronter. Que qui veut dire que chacun se considère comme un partenaire social et non comme un adversaire et que chacun se plie à la règle du jeu.

Dans son projet, la psychosociologie vie à dépasser, et à renvoyer dans les oubliettes de l'histoire, la dichotomie individu et société, personne et monde.

Les sociologues, les économistes, les politologues, quant ils pensent le changement social, n'entrevoient que les changements structurels à venir, l'édification d'une meilleure société pour plus tard, la mise en place un jour d'un autre mode de production.

Ce que la psychosociologie, 'est que personne d'autre de nous même (en liaison avec les autres) n'est responsable de nous, n'a à décider pour nous, à nous préparer un bel avenir et à se comporter comme une mère nourricière ou un père bienveillant.

La psychosociologie s'exprime dans des activité de formation, de consultation, d'analyse et d'interventions dans des groupes et organisation sociale. Il s'agit de permettre aux hommes de reconquérir ce qui leur a été volé : l'évaluation de leurs actes, la compréhension du système économique et social, la culture dont ils sont les protagonistes, le langage dont ils sont les énonciateurs.

Faire l'économie d'une expérience psychosociologique revient à continuer à dissocier changement individuel et changement social, processus conscients et processus inconscients, personne et travail, théorie et pratique et nous renvoie directement au leurre de la logique identitaire de la société industrielle qui dans son œuvre de catégorisation et de classement essaie de nous faire oublier que tout savoir est en même temps expérience, toute relation processus de changement, tout raisonnement mode d'expression du pulsionnel, toute action symptôme de la culture.

Chapitre 6 : De la formation et de l'intervention psychosociologique

La pratique psychosociologique, est identifiée aux méthodes de formation et d'intervention.

Comment faire que cette expérience favorise l'émergence de l'imaginaire moteur et de conduites novatrices ?

Que faire pour ouvrir les zones de liberté profitables non seulement aux individus mais au dynamisme d'une entreprise rénovées ?

La perspective formatrice se fonde sur une analyse exacte du monde actuel : les transformations technologiques, le progrès des connaissances, les modifications des disciplines, la société de l'inter-disciplinarité rendent rapidement obsolescent le savoir dont chacun dispose d'où la nécessité, d'une part, du recyclage, d'autre part, d'une nouvelle chance offerte à ceux qui n'ont pas pu profiter d'une scolarisation poussée.

La perspective psychologique se fonde sur l'idée que la personne, aliénée dans la société contemporaine, doit expérimenter de nouvelles communications avec les autres et avec soi-même, être en situation de prendre conscience de ses comportements et de l'action de ses comportements sur autrui, et d'avoir un autre mode de relation avec les autres, à laquelle beaucoup pourraient souscrire. On communique toujours au travers d'un contenu, d'un dispositif et tant qu'on n'a pas interrogé ce contenu et ce dispositif, on n'a rien dit.

Le discours de sociologues critiques, ne se veut plus volontariste et créatif comme celui des formateurs, ou attentif ou vécu comme celui des psychologues, il se veut scientifique, mettant en évidence l'ensemble des significations des conduites sociales. Il se veut totalisant et systématique. Quant à son contenu, il est percutant et désespérant. Toute formation n'est qu'une machine à reproduire des inégalités sociales, à les exprimer quand elle ne les provoque pas elle même. Toute éducation ne sert qu'à véhiculer l'idéologie dominante, à la faire partager par les masses dominées et est ainsi le véhicule privilégié de la domination sociale.

Dans la formation, ce qui est essentiel, c'est ce qui se passe dans le champ formatif, c'est la capacité inventive des participants, c'est leur découverte d'eux même et du monde qui les entoure, c'est la prise de conscience de leur détermination et de leur volonté de faire.

Il faut abandonner le terme de formation. Il s'agit d'une expérience, d'un processus, d'un travail de changement, non d'une formation. Le but n'est pas de former des individus à être ou à faire quelque chose. Il est de permettre à des personnes situées sexuellement, professionnellement et socialement, de bouger, autrement dit de pouvoir penser autrement, sur de nouvelles questions, avec d'autres types de relations à autrui et en ayant un accès moins craintif à leurs désirs interdits.

Les participants qui sont présents, dans la situation, dans leurs différentes dimensions : culturelles, politiques, organisationnelles. Ce sont des hommes et des femme ayant des rôles sociaux, vivant dans des organisations spécifiées, ayant un passé, des projets sociaux, s'engageant dans certains chemins à l'exclusion d'autres. Ils désirent parler d'eux même, de leurs problèmes pour ne pas parler de leur position économique, de leur place dans le processus de production et dans sa structure de la domination sociale.

Un tel travail doit réintroduire la dimension temporelle. Plus le stage est court, intensif, se déroule d'un seul tenant, et moins un tel processus peut avoir lieu. Pour que les participants puissent être vraiment là, il est indispensable que les stages soient étalés dans le temps et q'un travail de maturation puisse avoir lieu dans les inter-stages où les participants se confrontent à eux mêmes aux structures dans lesquelles ils vivent.

Ce travail de changement ne passe plus par un lieu clos privilégié ni par la simple parole. Le lieu clos, lieu de l'analyse, est ouvert sur le monde extérieur ou, plus exactement, le monde extérieur est présent dans le stage. Les paroles échangées dans ce lieu défini engendreront d'autres paroles, féconderont de nouvelles attitudes, les désirs émergents et reconnus pourront faire surgir de nouveaux désirs, d'autres paroles sociales, d'autres actes sociaux, de meme de les conduites vécues dans le lieu habituel "travailleront" les conduites déployées dans lde stage et pourront provoquer de nouvelles ruptures dans l'individu, de nouveaux manques sur lesquels s'articuleront d'autres demandes.

Mais de toute formation vise le renforcement du moi conscient, que toute perspective strictement communielle, la compréhension authentique.

Le processus de changement vise à la dissolution de la personnalité organisée, à la mise en mouvement de forces de déconstruction et de reconstruction, à l'apparition du désordre dans l'organisme stabilisé.

Il s'agit donc d'une situation où toutes les relations sont décentrées. Toute formation, toute éducation vise à refouler certaines pulsions, à forclore certains registres.

Pour qu'un processus de changement puisse s'inaugurer, il est nécessaire qu'il soit évoqué, vécu, expérimenté par des groupes ayant certainzes zones de liberté et de responsabilité. Il s'agit donc de travailler avec des groupes réels, c'est-à-dire ayant une certaine place dans la structure de l'organisation, dans le procès de travail, dans la hiérarchie interne, qui ont des problèmes concrets et qui désirent les résoudre. L'intervention, c'est donc en première analyse, permettre aux gens de parler de leur vie quotidienne, de leurs souffrances et de leurs espoirs, et de se prendre en charge pour explorer les voies qui favoriseront la résolution de leurs problèmes.

Dans le processus même de l'intervention, il est important que tous puissent s'exprimer. Non pour des raisons morales, mais nous savons que toute organisation refoule non seulement certains désir, un certain mode de langage et de rapport aux autres, mais d'abord refuse à certains le droit même de parler.

C'est pourquoi l'intervention ne peut-elle pas se contenter de favoriser la réflexion, la discussion chez ceux à qui le droit à la maîtrise du langage est reconnu, mais doit-elle faciliter l'expression des exclus et susciter la naissance de nouveaux groupes sociaux qui provoquent de ce fait une certaine cassure dans l'organigramme de l'organisation.

La parole se déplace vers de nouveaux champs et de nouveaux objets sociaux. C'est la subversion de l'ordre symbolique régnant qui s'exprime dans l'organigramme, dans les rapports codifiés, les relations de pouvoir et les séparations instituées. C'est la recherche d'un nouvel ordre symbolique qui ne peut exister que dans la mesure où des actes nouveaux ont lieu, des rapports se déstructurent, se restructurent autrement, où la loi au lieu d'être transcendante aux êtres ou incarnée dans un seul, est ce qui permet l'échange et la réciprocité, ou elle est donc loi reprise, transformée, et assurée par chacun.

Pour que l'imaginaire se fraye sa voie, pour que l'analyse puisse prendre corps, il est nécessaire que les modes de pensée, le langage utilisé et les problématiques qu'ils instaurent, puissent être détournés, subvertis ou au moins interrogés.

Le mode de pensée logique différencie, il classe, il exclue et de ce fait il quadrille et enferme les gens dans ce cadre qu'il leur a préparé.

La pensée rationnelle permet la communication universelle et le développement scientifique et technique.

Freud écrit "L'auteur de l'interprétation des rêves a osé prendre le parti de l'antiquité et de la superstition populaire devant l'ostracisme de la science positive".

La langue est par certains aspect, comme l'argent, un élément de dissimulation du système social. Marx a montré en quoi l'argent dissimule la nature du système social.

Quand on voit la manière dont les jeunes s'expriment, qu'on entend les mots qu'ils utilisent, les phrases qu'ils inventent, on ne peut que constater qu'ils se protègent du monde adultes de cette manière.

Freud disant "J'ai acquis l'impression que la théorie de l'inconscient se heurte principalement à des résistance d'ordre affectif qui s'expriment par le fait que personne ne veut connaître son inconscient et partant trouve plus expédient d'en nier tout simplement la possibilité".

Chapitre 7 : Interrogation ou paranoïa : enjeu de l'intervention psychosociologique

S'il est possible de caractériser rapidement notre époque, la meilleure approximation semble être : le temps du désenchantement et de la fin des illusions. Le mot d'ordre était productivité, organisation et consommation.

On peut comprendre le développement d'une psychosociologie visant à favoriser d'apprentissage de décisions démocratiques dans les petits groupes, de relations humaines fondées sur des attitudes de compréhension mutuelle et de dépassement des tensions interindividuelles ou collectives et d'adéquation entre réalisation personnelle et développement de l'entreprise.

La période qui s'ouvre vers 1973 et dans laquelle nous sommes plongés, est marquée par la crise. Non seulement la crise économique, mais la crise des valeurs, des croyances et des théories. C'est pourquoi il est possible de parler maintenant non plus de société postindustrielle, de société de consommation ou encore de gaspillage, mais de société de crise, vivant par et pour la crise.

La révolution culturelle s'éloigne et un thème vieux de deux siècles reprend tous ses droits : celui de la liberté, liberté de l'individu contre la pression totalitaire des Etats, liberté de pensée contre le conformisme et le nivellement des comportements, liberté que les marxistes dénommaient autrefois formelles et bourgeoises et que tous les marxistes occidentaux reconnaissent aujourd'hui comme essentielles pour empêcher l'installation et la pérennité de dictatures bureaucratiques. Ils entraînent quatre grands types de réaction :

des innovations sociales limités,

le repliement complet sur soi,

la résurgence de vieilles croyances,

des réactions délinquantes prônant le plaisir dans l'immédiat.

La crise ne permet qu'un seul discours : celui de sauvetage de la communauté. Les conflits fondamentaux disparaissent, seule différence ou divergence : le type de thérapeutique à opérer.

Optique thérapeutique

Il s'agit de faire en sorte que les personnes "s'améliorent", deviennent plus libres et dynamique, "s'épanouissent", "grandissent", aient des relations positives avec elles-mêmes, avec leur environnement et avec les autres.

Dans une société qui assigne chacun à résider à l'intérieur d'un soi barricadé, cette perspective n'ouvre comme possibilité qu'une espérance hypothétique de guérison de cette schizophrénisation progressive et non le désir et la volonté d'interroger cette forme de lien social.

Changement opératoire (changement des autres)

Bien que ces techniques soient décrites comme participatives et exigeant l'implication de l'animateur, elles ne visent réellement qu'à provoquer chez les participants les postures, les gestes, les opinions et sentiments qui sont construits et induits par l'animateur.

Le thérapeute apparaît alors comme démiurge créant le monde, fournissant ainsi une image idéale invitant au mimétisme, image compacte, interdisant toute ouverture et qui circonscrit étroitement les possibilités d'action des personnes qui n'ont comme choix que la vénération et l'imitation du thérapeute ou le rejet hors du groupe.

Perspective anti-historique

La grande erreur de la psychanalyse est de croire que les souvenirs sont la réalité. Le groupe devient alors le lieu du dé-réel, non pas en tant que celui-ci puisse déboucher sur la réalité historique mais en tant qu'il sert de protection par rapport au réel, de repaire ou de havre de paix.

Le changement comme plaisir du corps et résultat de la décharge

L'analyse transactionnelle qui réduit toute dynamique complexe de la psychanalyse, de l'Œdipe et du parricide, de l'identification et du transfert, du refoulement et de la sublimation à la distinction de la structure de l'individu en P/A/E.

Principes sous-jacents : la référence au plaisir comme moteur du changement, au corps comme lieu du changement, au vécu comme texture du réel et à la catharsis comme résultat de l'action thérapeutique.

Psychologie du moi et désir de maîtrise

Ces méthodes ont pour but de favoriser "l'épanouissement" de l'individu, de faciliter sa "maturation", de permettre le "déblocage" de ses problèmes et l'augmentation de son "potentiel", de l'amener à la "plénitude" de ses possibilités.

Ce qui est masqué est de première importance :

le caractère imaginaire et hallucinatoire du moi,

le fait que toute "identité" comporte des caractéristiques emblématiques,

la recherche de la plénitude renvoie à la volonté d'"intégrité",

l'épanouissement, la maturation, la croissance personnel sont des métaphores végétales.

Pervers et paranoïa comme prototype de l'humain

L'enjeu de ces "groupes" c'est le développement des aspects paranoïaques et pervers de notre société. Dans leur volonté explicite de favoriser la guérison de la solitude sociale en permettant à des personnes devenues en harmonie avec elles-mêmes de dialoguer ou de fusionner les unes avec les autres, dans leur désir de lutter contre les conséquences de la société de croissance que sont la fonctionnalisation des rapports, l'anomie généralisé et certaines formes de schizophrénie sociale, elles n'aboutissent, en fait, qu'à augmenter les caractéristiques les plus mortifères de notre société.

Une conception du changement comme ouverture et interrogation

Il ne s'agit en aucun cas de transposer purement et simplement les concepts de la théorie analytique mais d'articuler le travail sur ce qui Freud a révélé comme étant le fondamental : l'existence d'un clivage indépassable du sujet, la force et la violence des processus primaires, l'importance des phantasmes et le travail silencieux de la pulsion de mort.

Chapitre 8 : Eloge de la psychosociologie

Si les processus historiques globaux ont joué un rôle dans la désaffectation qu'a subie la psychosociologie et a amené en particulier le monde industriel a suspecter celle-ci d'une volonté "subversive" et donc de s'en détourner, l'évolution de la discipline elle-même, les hésitations et la prudence théorique des psychosociologues ont fourni des arguments à ses adversaires et à favorisé l'indifférence qui l'a enveloppée.

Une analyse des conditions de la pensée ou des processus sociaux ne peut qu'être sous-tendue par une volonté démystificatrice des "faits" et des actes communément admis.

Le renouveau de la psychanalyse en France avec Lacan, le redémarrage d'une grande sociologie de type durkheimien (Bourdieu) ou parsonien (Bourricaud), le développement de la sociologie des organisations (Crozier), de la sociologie de l'action (Touraine), de l'analyse institutionnelle (Lapassade et Lourau), de la sociopsychanalyse institutionnelle (Mendel), des nouveaux groupes de thérapie faisaient apparaître les psychosociologues comme des fossiles d'un autre âge arc-boutés à une discipline sans objet, sans théorie et sans perspective.

Mais 1968 fut un événement essentiel pour la décadence de la psychosociologie. En effet, à partir de cette date, seules trois tendances furent admises parmi les intervenants sociaux : le militantisme, le réformiste, la volonté thérapeutique.

La critique de l'orientation psychosociologique était d'autant plus aisée que celle-ci manquait outrageusement de références théoriques solides depuis qu'elle s'était détournée de Lewin et de Moreno.

Pourtant, aussi poussé fut-il, l'effort épistémologique et méthodologique n'était pas suffisamment satisfaisant ni pour ceux qui s'y attelaient ni pour ceux qui le recevaient. Les différents auteurs ne semblaient d'accord ni sur les concepts et leurs articulations, ni sur les méthodes d'approche, ni sur le champ concerné par la discipline, ni peut-être sur la discipline elle-même.

Si maintenant bien des illusions théoriques de cette période se sont dissipées, si la psychosociologie reste vivante et si un certain nombre de chercheurs ont publié des travaux qui ont fait avancer la réflexion dans ce domaine, il n'empêche que al psychosociologie n'a jamais u retrouver sa place d'avant 68 et que la psychanalyse, la psychothérapie de groupe, les thérapies brèves de même que la sociologie objectiviste apparaissent encore comme dans leurs effets, souvent aux yeux des psychosociologues eux-mêmes.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, les psychosociologues virent à la même époque disparaître, ou tout au moins s'amenuiser, leur champs d'application privilégié, celui-là même qui avait donné naissance à la psychosociologie d'intervention : l'entreprise.

La psychosociologie n'a pas pour domine d'application ni pour champ de pensée le monde industriel. Ce fut simplement une occurrence historique qui fa fit prospérer dans ce contexte. En fait, elle était née bien plus tôt, d'une part en Europe sous d'autres noms avec LeBon, Tarde et surtout Freud, d'autre part aux Etat-Unis avec la réflexion de Cooley sur les petits groupes.

La psychosociologie a donc un champ bien délimité : celui des groupes, des organisations et des institutions – autrement dit de tous les ensembles concrets, dans lequel est pris l’individu et qui médiatise sa vie personnelle à la collectivité. Elle apparaît non comme une discipline de l’entre deux, mais comme une discipline spécifique qui, dans le même temps, court le risque de devenir tentaculaire et envahissante.

D’après Enriquez, la psychosociologie n’a rien à gagner à développer la même tentation totalisante ou totalitaire à laquelle ont parfois succombé la psychanalyse et la sociologie, il apparaît, par contre, qu’elle seule peut permettre d’aborder les processus de la vie en société, les rapports de pouvoir, les rapports au travail, les conflits, la dynamique du changement tels qu’ils sont ressentis, exprimés, agis par des acteurs sociaux aliénés et essayant pourtant de se définir comme des sujets sociaux, et non par des individus, objets sociaux seulement « parlés » et « agis » a leur insu par leur inconscient ou par la société.

Que la psychosociologie soit clinique a une triple signification :

Le chercheur-praticien psychosociologue est directement impliqué’ dans le travail qu’il effectue avec les acteurs sociaux réels qui ont demandé son intervention,

Les processus inconscient de groupe sont autant à prendre en compte que les discours volontaires,

Le travail d’analyse. Nous pouvons maintenant mieux saisir pourquoi le travail « d’annaliste » et d’analyste qui est le lot de l’intervenant ne vise pas à la reconstruction fine et achevée d’une réalité psychique et historique qui aurait échappé aux acteurs et dont le psychosociologue serait capable de donner la bonne lecture.

L’action recherchée comporte une conséquence inéluctable : celle de déprécier les études sociologiques où le chercheur, armé de ses techniques, de sa compétence et totalement protégé par elles, croit dire le « vrai sur le vrai », dans des sommes descriptives et explicatives dont il ne perçoit jamais le caractère de reconstruction plus ou moins arbitraire sous-entendu par son idéologie.

Les travaux de recherche n seront pas condamnés dans deux cas seulement :

lorsqu’il s’agit de recherche de type historique ou/et de recherche comparative,

lorsqu’il s’agira de travaux de théorie pure.

Cette perspective signifie que l’analyse pour l’analyse n’a aucun sens, que la recherche dite fondamentale dans les sciences sociales n’aboutit souvent qu’à des généralités. Elle signifie principalement que c’est lorsque les personnes sont engagées dans des problèmes d’action qu’elles doivent résoudre et qu’elle acceptent de les traiter « en intériorité » et non en « extériorité », autrement dit qu’elles acceptent de se confronter à eux, de sentir ce qu’ils évoquent ou ce qu’ils imposent, d’en dégager les enjeux, de travailler donc sur leurs propres relations à ces problèmes, et sur les relations qu’elles entretiennent avec les autres hommes à ce sujet, d’être en même temps acteurs et analystes social, qu’il est possible pour le chercheur-praticien d’entrevoir un peu de la vérité sociale.

L’action-recherche nous oblige donc à penser et à vivre en même temps le fonctionnement et le changement, à admettre que les hommes, objets de recherche, doivent être en même temps sujets de la recherche, que la vérité se dévoile dans le travail d’analyse par fragments et difficilement, et que cette vérité sera en tout état de cause le fruit de la rencontre de l’intervenant et du groupe.

Le psychosociologue se veut fondamentalement démocrate en oeuvrant dans ce sens. Démocrate, c’est-à-dire faisant confiance à la capacité des individus et des groupes à s’auto-organiser, à percevoir les problèmes, à trouver des solutions qui n’entraînent ni la dissolution du lien social ni son illusoire reconstruction autour d’un leader tout puissant désirant régner sur une masse informe et indifférenciée. Le psychosociologue se doit d’être lucide sur les méthodes qu’il utilise. Etre lucide signifie :

Travailler avec des groupes sans tomber dans l’idéologie du groupe-sujet principe de l’histoire et objet précieux à préserver ou à consolider,

Maintenir une position claire d’analyste et de consultant, qui permet aux autres de définir par rapport à lui, de pouvoir se situer et d’éprouver à son propos des affects qui seront un des moteurs de travail à accomplir.

Aider les groupes à changer, sans qui le changement devienne une valeur en soi et sans que la difficulté de tout changement soit minimisé.

Travailler avec les individus et les groupes en sachant aussi et surtout que la démocratie est plus un bel objet dont on parle qu’une manière de vivre, que la démocratie est à inventer et à réinventer tous les jours dans les rapports sociaux concrets que nous tissons comme être économique, être politique, être ludique et être amoureux.

3ème partie : Le changement et l’émergence du sujet désirant

Les psychosociologues oeuvrent pour le changement. Il ne s’agit naturellement pas d’une obsession car le psychosociologue ne se distinguerait pas alors du technocrate qui a fait du changement l’alpha et l’oméga de notre civilisation et de son action.

Changer est seulement, et c’est l’essentiel, le destin de la pulsion de vie une réflexion sur l’évolution de la civilisation ne peut être éludée. Le désir ne peut se décliner uniquement dans l’entreprise, il requiert le champ social tout entier pour se déplier

Chapitre 9 : Problématique du changement

Passer d’un mode de pensée évolutionniste à une réflexion sur le changement vers l’inconnu n’est facile ni pour les individus ni pour les groupes sociaux, car celle-ci débouche sur le questionnement incessant, la remise en cause, l’incertitude. Elle est, de ce fait, fondamentalement génératrice d’anxiété.

Maintenance et changement

On peut définir tout élément humain comme un système ouvert – en interdépendance avec son environnement, avec d’autres systèmes – capable d’auto-organisation et d’auto-reproduction, et continuellement confronté à des conflits structuraux qu’il peut traiter mais jamais définitivement dépasser.

Nous appelleront « système » tout ensemble à organes différenciés ou admettant une variété en son sein de composants en connexions les uns avec les autres, qui possède des frontières repérables, qui peut maintenir identité et cohérence au travers des modifications qu’il subit et qui est donc capable « d’homeostasis ».

Le système clos est caractérisé par une auto-régulation simple et par l’accroissement continu de l’entropie – les systèmes sociaux clos, qui visent à se protéger de l’environnement, et qui fonctionnent plus comme des horloges que comme des machines à vapeur sont en même temps ceux qui doivent nécessairement se désagréger et mourir.

Rapprochement la notion d’entropie de l’hypothèse de la pulsion de mort énoncée par Freud. L’ambition de Freud est de saisir les mécanismes mêmes de la vie et de la mort et la manière dont les flux d’énergie traversent la matière organique. Or, comment Freud conçoit-il la pulsion de mort ? Tout d’abord et essentiellement comme répétition et comme tendance à la réduction des tensions à l’état zéro. Ensuite comme pulsion de destruction vers l’extérieur. Ce qui pour nous est central, c’est l’impossibilité de faire l’économie de l’hypothèse de la pulsion de mort à partir du moment où on passe d’un système clos à un système ouvert.

Le système ouvert se caractérise par sa capacité à percevoir et à accepter de l’information, leur faire subir des transformations orientées, à réaliser ses fins ou à les modifier et à utiliser les bruits, les désordres qui l’affectent pour réaliser des équilibres ultra-stables au travers de changements structuraux.

Un système ouvert admet en son sein une variété d’éléments. Il est donc toujours hétérogène et complexe .Il a des possibilités auto-organisatrices et donc dispose d’un mode de régulation (homeostais) qui lui permette d’intégrer les perturbations internes et externe. Un système doit intégrer le désordre, le bruit comme un élément fondamental dans sa recherche d’équilibre toujours recommencé. Il doit être en mesure d’écouter les paroles qui lui sont dites, les clameurs qui l’entourent, les informations qui leur parviennent pour les assimiler sans sa propre auto-organisation.

Ce qui est frappant, c’est la capacité des systèmes à se transformer, à augmenter la variété de leurs réponses, à se différencier, à apprendre, à intégrer des bruits comme principes organisateurs, à réaliser leurs buts à partir de conditions initiales différentes et par diverses voies de développement, à réaliser des équilibres ulta-stables autrement dit à être capable d’adaptabilité continue.

L’événement, le bruit, est donc à la fois ce qui provoque le changement des le système et ce qui maintient l’existence même du système.

Les lieux du changement social

Ce que nous rencontrons dans la réalité, ce sont des sociétés historiques données, ce sont des formations sociales où domine un certain mode de production, où coexistent des groupes sociaux différenciés en lutte pour le pouvoir et pour leur expression.

En ce qui concerne le mode de production : c'est un "objet-abstrait-formel" qui recouvre différentes instances économique, politique et idéologique et qui s'inscrit dans la réalité, dans des rapports de production, des rapports sociaux et des relations humaines précises.

Par contre, une formation sociales est un "objet-réel-concret" : la France de Louis Bonaparte ou de Georges Pompidou est une réalité cernable, qui peut être décrite et décryptée. Une formation sociale recouvre des systèmes hiérarchiquement subordonnés et des systèmes peu connectés les uns avec les autres. Elle apparaît donc comme le lieu des conflits entre les sous -systèmes. Ce n'est qu'à partir de la capacité de ces sous systèmes à entrer dans une phase de destructuration-restructuration qu'ils pourront prolonger et inscrire leurs conflits sur le lieu de système tout entier et l'obliger à rechercher de nouvelles formes d'équilibre. Le lieu du changement social se trouve donc être les sous systèmes organisés dans lesquels sont actualisés la politique, l'idéologie et l'économie.

Le lieu du changement social ne peut être que les individus et les organisations.

C'est le changement individuel que vise aussi bien la cure analytique que les méthodes de groupe centrées sur le groupe. L'évolution des personnes les rendront-elles capables de promouvoir des changements dans les sous-systèmes organisés auxquels ils participent ? Freud avait insisté sur l'aspect "déréel" de l'inconscient qui est caractérisé par une absence de doute, de négation, et d'historicité. Or la situation d'analyse est bien celle qui fait apparaître et qui structure des phantasmes individuels ou de groupe, c'est le lieu privilégié du déploiement de l'imaginaire et de la confusion constante entre l'imaginaire et le réel.

C'est bien parce qu'il y a différentes position par rapport au savoir et au pouvoir, que la situation est réglée et dénivelée, que la production de paroles est guidée par l'activité phantasmatique, qu'il devient possible que surgisse le transfert en lieu et place de la répétition, que soient mises en évidence les significations inconscientes du discours et que s'exprime le désir. La situation d'analyse est une situation d'exclusion-inclusion. Si elle inclut les productions imaginaires, la résistance, le transfert et la manière dont le client vit ses relations avec son entourage immédiat, elle exclut l'agir, la violence, le politique, le discours du social et de l'économique qui "parle" au travers des actes du client.

Les homme opèrent à l'intérieur d'organisations de production de biens et de services ou d'organisations volontaires et appartiennent à des organisations instituantes. L'organisation est le lieu paradoxal où peuvent se réaliser les désirs individuels et le lieu de l'imaginaire-couverture, du refoulement et de la répression.

Dans la perspective de l'orientation fonctionnaliste l'agent de changement fera siennes les valeurs, la philosophie sociale des gardiens du pouvoir et tentera de développer une stratégie visant à changer les comportements, les attitudes, les valeurs des salariés, des assujettis, des dominés, dans le sens demandé par la direction qui espère ainsi mieux atteindre ses buts au moindre coût.

Le changement programmé a pour but, d'améliorer le fonctionnement du système, en faisant en sorte que les différents organes soient mieux articulés les uns aux autres, que les processus qui se déroulent ne rencontrent pas d'obstacles, quez les dysfonctions soient écartées, que l'intégration des différents individus du groupe soit la plus grande possible au travers de l'intériorisation des normes et des valeurs du système.

Une autre optique, l'orientation dysfonctionnelle, diamétralement opposée, consiste en l'adhésion à la philosophie sociale des dominés, de ceux qui n'ont pas la parole et en une action conçue comme une provocation, visant à accroître les "dysfonctions" du système.

L'attitude de l'agent de changement est une attitude militante. Le militant est celui qui doit propager un savoir ayant pour lui une valeur de vérité, qui doit œuvrer pour permettre l'intériorisation de cette vérité aux personnes non encore éclairées. L'agent de changement est aveuglé par l'illusion du sujet compact et non divisé et capable d'apporter à autrui la plénitude et l'exemple de sa vertu.

La transformation des structures est dominante par rapport au changement individuel. Le travail de l'agent de changement a pour champ soit une faible partie, soit dans les cas les plus favorables, la totalité d'une organisation. Ainsi, il est possible de conclure que les visions du changement proposées sont toutes deux manichéennes, intégrationnistes et totalitaires. Elles ne permettent pas de changement structurel dans la mesure même où le militantisme exclut l'interrogation, l'acceptation de la surprise, du non-prévisible, où il situe le problème de changement dans les objets extérieurs et où il sépare les comportements individuels des comportements sociaux.

Le changement "fonctionnaliste". Son but est la croissance ordonnée de l'organisation par la médiation de la reproduction élargie et l'intériorisation des valeurs des dirigeants.

Le changement "dysfonctionnel". Il tend à promouvoir un nouvel ordre qui se présente comme renversement de l'ancien et comme émergence de la parole de nouveaux acteurs sociaux.

Certains changements sont possibles dans ces conceptions "instrumentales" du changement. Il faut même ajouter que s'il n'y avait pas d'individus ou de groupes qui voulaient transformer le monde suivant leur désir, laisser leur empreinte, s'il n'y avait pas d'agents de changements voulant planifier les transformations, s'il n'y aurait plus d'histoire.

Ces conceptions ne prennent en considération que certains éléments de la réalité, ce qui entraîne constamment l'apparition de conséquences non prévues plus importantes que les conséquences prévues.

Conséquences des modalités du changement :

l'utilisation de toute technique de travail

l'exclusion de toute méthode privilégiée

le refus de toute provocation

l'acceptation de la longueur du processus de changement

la connexion au niveau institutionnel et organisationnel

Les changements individuels et organisationnels doivent donc se prolonger par des changements institutionnels, ceux-ci ne pouvant être que la conséquence de l'action des acteurs sociaux dans leur champ social, dans leur organisation.

Les conditions du changement social

Si l'organisation pour diverses raisons est contrainte de révolutionner ses modes de production et de reproduction technique, intellectuel, relationnel, elle se trouve alors en état de déséquilibre, entraîner par une logique interne à une série de réformes qui tendent à augmenter l'état de crise habituellement accepté. Ce n'est que lorsque ce processus amplificateur est à l'œuvre, qu'il est possible que le changement social sourde au travers du changement programmé.

Une organisation, en elle-même, quel que soit son degré d'ouverture, est un système partiellement clos. Plus les sociétés sont totalitaires, plus elles sont closes, moins, donc, elles admettent de variétés en leur sein. Un système ouvert a besoin d'organisations différentes, contradictoires, se critiquant mutuellement, s'informant et s'enformant. La prolifération d'organisations de toutes sortes, à laquelle nous assistons, organisations souvent peu structurées et qui disparaissent rapidement sont le signe d'une effervescence sociale développant des situations d'analyse à "tous les coins de rue".

Lorsque les organisations naissent, se confrontent, se critiquent, elles se font parler les unes les autres, elles parlent les unes des autres. Un changement a vraiment lieu lorsque ces moments novateurs ne sont plus exceptionnels mais fréquents, même si la fête est plus calme et moins turbulente, lorsque les relations entre les hommes deviennent plus surprenantes, lorsque chacun est encore à découvrir pour l'autre. Il faut donc que le principe de plaisir s'accommode au principe de réalité, que la pulsion de vie accepte de contrebattre la pulsion de mort, que jouissance et labeur se rencontrent. C'est l'acceptation de voir que la fête doit continuellement se heurter à la monotonie, à la destruction, à la tristesse, que le changement réside en la capacité d'ose d'autres modes de relations mais que prendre ce risque n'est pas aisé.

Le retour du refoulé à lui seul ne résout rien. La joie s'estompe. La parole libre devient parole folle. L'emballement du système ramène au pouvoir les partisans du retour à l'état antérieur. Même les novateurs anxieux de cette liberté sans fin appellent de leur vœu le retour à l'ordre. La transgression est créatrice de valeurs à expérimenter quotidiennement. Elle est réformiste dans son mode d'existence, elle est, quand elle s'articule sur le retour du refoulé, fondamentalement révolutionnaire dans son essence. Elle démasque l'imaginaire leurrant, le ses de l'idéologie.

Analyser c'est accepter que la vérité soit toujours à rechercher que les conflits n'aient pas de fin, que le modèle du comportement humain et social soit toujours remis en question, c'est d'admettre les autres comme différents et comme partenaires, c'est permettre une nouvelle vision du réel en démasquant les illusions et en restructurant la chaîne symbolique. Ce qui permet l'analyse, c'est le droit de parler pour chacun d'entre nous, d'être écoutés, d'entendre les réactions des autres à nos message, d'échanger des idées parfois aberrantes, mais qui, si elles ne sont pas bloquées, seront celles qui procureront le plus de nouveauté au système social, qui démystifieront les constructions imaginaires. Toutefois il faut remarquer que ces 5 conditions qui sont toutes indispensables pour qu'un changement social puisse advenir, sont rarement remplies simultanément.

Chapitre 10 : Vers la fin de l'intériorité ?

L'individualisme moderne vise à supprimer le sujet en faisant disparaître son intériorité.

La culture d'entreprise ou d'organisation, en proposant ses valeurs et son processus de socialisation, son imaginaire leurrant en tant qu'il a pour but d'englober tous les participants de l'organisation dans la phantasmatique commune proposée par les dirigeants de l'organisation, son système de symboles qui fournit un sens préalable à chacune des actions des individus, a pour but de les prendre totalement dans les mailles qu'elle tisse. Si l'individu s'identifie à l'organisation, s'il ne pense qu'à travers elle, s'il l'idéalise au point d'être en mesure de sacrifier sa vie privée aux buts qu'elle poursuit, quels qu'ils soient, alors il entrera sans le savoir dans un système totalitaire devenu pour lui le Sacré transcendant, qui légitime son existence. Il peut alors se considérer comme un héros moderne en s'inscrivant dans le mythe collectif de l'organisation.

Mais les valeurs managériales peuvent ne plus suffire à répondre au déficit d'identifications caractéristiques de notre système social et au malaise qui en résulte. Le "fanatisme d'entreprise" peut apparaître comme relativement dérisoire à certains. C'est pourquoi les anciennes religions reviennent dans leurs aspects les plus extrémistes, les plus intégristes.

Lorsque ce processus d'idéalisation ne peut s'attacher à un objet merveilleux extérieur, il peut trouver son point d'ancrage dans un objet merveilleux intérieur : le corps de l'individu. Une équation simple en résulte : coups dynamique = énergie physique = énergie psychique = aptitude à la réussite individuelle = aptitude à l'utilité sociale. Cette équation est d'autant plus attrayante qu'elle est à la portée de n'importe qui. Il suffit de vouloir. Qu'il soit né riche ou pauvre, qu'il ait atteint un statut social élevé ou subalterne, chacun peut être capable d'accéder à la jouissance la plus absolue. Il suffit pour lui de s'aimer suffisamment lui même.

Les méthodes pour parvenir à sacraliser ou à re sacraliser l'organisation, la sphère religieuse ou politique, ou le corps, sont "irrationnelles" dans leur essence, dans la mesure où il ne s'agit pas, en fait, de réer une culture mais d'édifier de nouveaux cultes. On voit bien le but de ces méthodes ; l'adhésion, l'implication, la mobilisation totale de tous, c'est à dire une psyché sans conflits, une psyché au service de l'organisation, soyons clairs, la mise au pas de la psyché. La reconnaissance de la psyché comme face opérante a donc pour résultat la destruction ou tout au moins l'asservissement, souvent dans le consentement et le contentement de celle-ci.

La conséquence de ces méthodes vis à la création d'une identité compacte. Elle renvoie à 3 idées essentielles :

l'idée de permanence dans le temps, de repères assurés, en un mot de constance,

l'idée d'un objet séparé, animé par une cohésion totalisante donc ayant une unité,

l'idée de similitude en tant que chacun doit pouvoir reconnaître le même, le semblable.

Ces idées sont battues en blèches par l'investigation psychanalytique :

la constance n'existe pas. les individus évoluent, se transforment au gré de la manière dont ils sont capables de négocier leurs contradictions et leurs conflits,

l'idée d'unité apparaît encore moins solide : nous savons que nous somme composés d'une "pluralité de personnes psychique" qui chacune vise sa propre finalité, que des processus de clivage, de forclusion, de dénégation sont à l'œuvre, que l'inconscient a une part énorme dans notre manière de vivre et qu'il n'est pas soumis aux mêmes processus que notre moi conscient qui ne peut être considéré comme le sujet de l'énonciation ou de l'action.

quant à la reconnaissance du même, elle implique que je sois capable de répondre à la question "qui suis-je ?", de reconnaître en moi ma part connue de ma part d'étrangeté et de décider qui je peux reconnaître comme un autre moi-même, alors que je sais si peu ce que je suis.

La haine inconsciente de soi est projetée sur les autres, d'où un développement de la xénophobie et du racisme. Dans chaque individu existe une haine inconsciente de soi comme un amour conscient de soi. Un individu qui réfléchit sur lui-même ou plus généralement un groupe ayant une culture propre, des comportements dynamiques mais non conformes seront susceptibles de transformer chez les individus à identité compacte la haine de soi en haire de l'autre.

On assiste au passage d'une civilisation de la culpabilité à une civilisation de la honte. Les sociétés occidentales seraient une culture de la culpabilité, la société japonaise serait une culture de la honte. Une civilisation de la culpabilité n'est possible que s'il existe un sentiment de culpabilité, que l'acte coupable ait été perpétré ou non. Une civilisation de la honte est tout autre. N'importe quel acte répréhensible peut être accompli. Il suffit qu'il ne soit pas découvert. S'il est connu, c'est la honte qui s'abat sur l'initiateur de l'action.

Ce mouvement de disparition de l'intériorité n'est pas inéluctable.

le corps résiste et les somatisations variées expriment à quel point, lorsqu'on ne peut pas se parler à soi-même, le corps s'en charge,

les idéaux mous proposés à l'identification provoquent déjà des formes de rejet,

des idéaux forts nécessaires à la vie humaine peuvent être créés sans que le fanatisme s'ensuive nécessairement, dans la mesure où peuvent se négocier idéalisation et sublimation,

la pensée magique prévalant actuellement qui énonce qu'on peut rendre les individus plus performants, les êtres plus unis, les organisations plus dynamiques d'un seul coups de baguette commence déjà à être profondément critiquée,

la psychologisation à outrance des problèmes tend à faire disparaître aussi bien le sujet humain que le groupe et l'organisation dans lequel il œuvre.

La société actuelle a crée suffisamment de rapports sociaux pour permettre à l'homme de s'éviter lui-même et d'éviter les autres, et donc à ne pas se confronter au problème crucial de l'existence : celui de l'altérité des autres et celui de la sienne propre.

Chapitre 11 : Idéalisation et sublimation

Pour qu'un individu devienne vraiment un sujet et ne se voie pas vidé de sa vie intérieure, il est indispensable qu'il puisse mettre en œuvre un processus de sublimation.

L'idéalisation

La société se présente d'emblée comme un objet merveilleux, sans souillure, qui doit pénétrer dans les consciences et des les inconscients et provoquer l'amour et l'identification.

Les diverses institutions qui permettent la régulation sociale vont essayer, chacune pour leur compte, de "capter" la part du divin "flottant" dans le social afin d'apparaître comme "l'Institution divine", celle à qui est dévolu le droit de dire la loi et de demander identification et soumission.

La société apparaît comme un objet à la fois symbolique, donnant un sens préétabli aux actions de chacun - et imaginaire.

L'idéalisme est indispensable à toute société animée de la volonté de vivre. Le problème n'est donc pas la formation des idéaux mais celle d'une "maladie de l'idéal".

Idéaliser le social, c'est croire être sauvegardé par cet objet merveilleux et lointain qui, par le mythe collectif qu'il instaure, le protège d'un travail de deuil, lui évite la perte de la souffrance, place sa psyché dans un état a-confilctuel ; l'idéal fait appel à des identifications profondes procurant comme prime de plaisir un évitement du manque et, au contraire, la rencontre avec la plénitude.

Société comme individu sont condamnés à idéaliser parce qui société comme individu ne peuvent exister sans croire à leur idéalité, sans processus de méconnaissance, sans interdits structurants, sans agir ou subir une certaine violence nécessaire, sans en même temps essayer de faire taire et de faire parler la subjectivité de chacun.

La sublimation

La sublimation comme origine essentielle du lien social.

Elle donne de la souplesse au lien social, l'idéalisation le renforce et parfois le durcit, la sublimation ouvre à autrui, l'idéalisation forge le "nous", soit un "nous massifié", ou un "nous" résultant de la discussion, de la négociation, de l'amour entre les êtres se sachant différents et pouvant s'enrichi les un les autres en se vivant comme des subjectivités en situation de réciprocité.

La sublimation autorise la psyché à se démettre de ses objets propres de plaisir pour des objets sociaux valorisés par la culture. La sublimation, sous cet aspect, ne peut exister qu'étayer sur l'idéalisation. Si le travail, la société n'offrent plus d'idéaux ou excluent certains groupes de ces idéaux, le travail de sublimation s'avère impraticable. Nous voyons ainsi qu'idéalisation et sublimation peuvent ne pas se combattre, mais au contraire s'épauler mutuellement.

La sublimation se présente également comme une expérience intra-psychique dans laquelle la subjectivité du sujet est totalement engagée. Sous cette forme, elle se trouve au plus loin de l'idéalisation même si, en fin de compte, cette expérience permet la création d'un objet donnant satisfaction temporaire à l'idéal du moi. La sublimation apparaît comme désir de penser, comme quête passionnée de vérité, comme construction d'un objet scientifique, artistique ou relationnel. La sublimation, processus intro-psychique est aussi créatrice et dépendante du tissage de liens sociaux.

La généralisation de ce désir d'investigation partagé avec d'autres. Cette forme de sublimation se situe au plus loin du processus d'idéalisation dans sa volonté de remplir le vide et de constituer des groupes d'autant plus unis qu'ils sont prêts à se sacrifier et à sacrifier autrui. Pourtant une telle forme ne peut exister si, peu ou prou, on ne reve pas de la construction d'une société idéale, même si la réalisation est perçue comme relevant de l'impossible.

Chapitre 12: Individu, création et histoire

Ce que Enriquez a voulu montrer, c'est la capacité de tous les sujets de devenir des "créateurs d'histoire" quel que soit leur degré d'influence sur le devenir social. Malgré toutes les tendances de la société et des entreprises à le normaliser, l'homme, comme le disait Freud, répugne à la "situation de termite". Bien au contraire il infléchit la vie sociale, sue et avec les autres, parfois sans le savoir, parfois en poursuivant des projets conscients.

Les normes font l'histoire ; l'histoire est le produit de l'action des grands hommes. Les individus ne peuvent pas construire une société à leur image et ils ne peuvent pas se trouver, en quelque sorte, exclus du champ de détermination sociale dans lequel se trouveraient, au contraire, inclus les autres.

Le rôle de la conduite individuelle

Distinction entre l'individu totalement inséré dans le tissu social et qui, de ce fait, énonce seulement le discours de l'ordre social auquel il se réfère ou auquel il appartient et le sujet, situé dans un monde ouvert à des significations multiples et particulières à chaque époque historique donnée, qui manifeste du courage, c'est à dire qui donne à son discours et à sa conduite la fonction non de refléter le monde mais de le transformer, si minime ou si lacunaire que cette transformation puisse être. Comme l'écrit E. Morin, "il ne faut pas oublier que tout individu est un écart par un certain coté, c'est à dire par ses traits singuliers et que tout individu peut, au moment où on s'y attend le moins, manifester cet écart et inventer une conduite nouvelle. Ainsi est-on amené progressivement à admettre que tout individu, inséré ou non dans un groupe, est en mesure, volontairement ou involontairement, de procéder à des changements parfois important dans la structure sociale.

Les créateurs d'histoire

Les créateurs d'histoire seraient des êtres "exotiques", c'est à dire au sens précis du mot : étranger. Bien des grands hommes politiques et la plupart même sont de provenance nationale. Pourtant, on est en droit de se demander si le chef "exotique", non pris dans les traditions, n'est pas porté par une volonté créatrice plus grande car il doit s'identifier lui même complètement à cette patrie, il doit faire en sorte que les nationaux puissent le reconnaître comme le meilleur d'entre eux, tout en acceptant son origine à part.

Mais il n'y a pas que les hommes politiques d'envergure qui puissent être d'origine étrangère. Le rôle des "exotiques" est fondamental dans la création artistique comme dans le développement de la pensée contemporaine.

L'origine exotique constitue un facteur permettant plus directement de poser la question des origines, la créativité s'accroît avec les obstacles, pour autant que les créateurs parviennent à créer un groupe ou un réseau serré d'interactions.

Tout créateur est taraudé par la question des origines : de sa propre origine, comme de l'origine des choses, comme de la manière de réorganiser le monde. Il est donc toujours pris dans les mailles de la filiation et dans celles de la paternité, dans celle de la cassure et de la maintenance.

Le créateur d'histoire est d'abord un homme seul. S'il est d'origine "exotique", s'il a le sentiment d'être en exil perpétuel sur la terre, s'il ne peut se référer à ses actions, à sa classe d'origine, ou au corps auquel il appartient et dont il perçoit l'absurdité de fonctionnement, il se voit contraint dénoncer une parole neuve dans un monde qui n'est pas fait pour l'accepter et qui au contraire va multiplier les obstacles sur la route.

Les individus, soit d'origine exotique soit autochtones mais vivant en exil "étranger sur la terre", se présentent comme des êtres de vie, ils le sont en tant qu'ils ne peuvent se satisfaire de la vie quotidienne, de la répétition, de l'atonie, ils sont du coté du rêve qu'ils essaient de faire éclore dans la réalité, ils sont sous l'emprise de pulsion intenses qui les obligent à un travail continu de sublimation.

C'est la lutte constante menée contre les effets des pulsions de mort et l'essai de leur transformation en un processus de destruction et de recréation qui permet, au contraire, aux sujets d'entrer dans l'histoire et ceci d'autant mieux s'ils sont soutenus par un désir et un phantasme d'immortalité.

Le "social" est particulièrement friand des personnalités qui empruntent une telle voie. Elles délivrent des certitudes, elles arrêtent le questionnement. Elles deviennent ainsi les maîtres, ayant leur cohorte d'admirateurs qui ânonnent leurs "découvertes" ou leurs intuitions.

Si la culture n'existe pas sans un processus de refoulement et sans un travail de sublimation subséquent, aussi dur et aussi insatisfaisant soit-il, le social, quant à lui, exige pour s'instaurer et perdurer le renoncement à la satisfaction des pulsions et la canalisation de ces dernières dans des activités économiques ou guerrières.

On peut dire, sans doute de manière lapidaire, que la culture est sur le versant de la vie, le social sur celui d'une mort grimée aux couleurs de la vie.

Chapitre 12: Individu, création et histoire

Il est impossible d'analyser la conduite d'un individu sans la référer à la conduite des autres à son égard, conduite structurée socialement et culturellement.

L'individu joue toujours, de façon invisible du moins dans l'immédiat, et souvent à son propre insu, un role essentiel dans les transformations sociales. Ainsi, si donc les processus psycho-génétiques, présupposent les processus sociaux, ces derniers ne règlent jamais complètement la conduite individuelle toujours imprévisible, d'autant plus qu'ils en sont pas eux-mêmes dépourvus d'ambiguïté, d'ambivalence et de contradictions.

L'individualisation qui est l'objet de tous les soucis n'est, en fait, le plus souvent qu'un élément du processus de massification. Ainsi quand on parle de l'individu, on a en pensée un individu conforme, qui doit fonctionner suivant les comportements qui plaisent à la société. Ce mouvement de conformisme ne fascine pas simplement les individus travaillent dans l'industrie et le commerce. Il a des répercussions et un impact profond sur tous les membres de la société du fait même que l'entreprise est parvenue à vendre sa passion de l'efficacité à l'ensemble du corps social et donc à exporter ses valeurs en dehors de son champs restreint.

Le processus d'individualisation, favorisant la singularité dans la massification acceptée et recherchée dans grands, de moyens ou de petits homme est donc la condition de la production et de la représentation d'individus que se situent plus dans l'hétéronomie que dans l'autonomie.

Ces individus hétéronomes ont besoin pour exister d'idéaliser la société et les idéaux qu'elle propose. Autrement dit, ils fonctionnent sous l'égide de la maladie de l'idéal.

Pourquoi l'idéalisation joue t-elle un rôle si important ? C'est qu'elle nous rassure profondément : une société idéalisée, se présentant comme un objet merveilleux est le meilleur garant de notre stabilité physique. Elle délivre un message de sérénité : l'ordre social existe et il nous préserve de toute interrogation fondamentale à son propos , le monde crée est non contestable, la société donne un sens pré-établi à nos diverses actions et elle nous indique donc ce que nous devons faire et comment nous serons récompensés.

L'idéalisation est ainsi le mécanisme central permettant à toute société de s'instaurer et de se maintenir et à tout individu de vivre comme un nombre essentiel de cet ensemble , en prenant le moins de risques possibles. L'identité collective favorise de plus, comme Freud l'a montré, le "narcissisme" des petites différences "qui a pour effet "d'unir les uns aux autres par les liens de l'amour une plus grande masse d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres en dehors pour recevoir les coups".

En effet, plus une culture se veut unifiée, plus elle devient intolérante et plus elle désire la mort des autres ou, au moins leur conversion. L'individu individualisé, l'individu singulier pris dans la massification procurée par l'accrochage aux identités collectives, ne peut être considéré comme sujet humain.

A cette figure de l'individu individualisé s'oppose son inverse : la figure du sujet. Le sujet humain est celui qui tente de sortir autant de la clôture sociale que de la clôture psychique, ainsi que de la réassurance narcissique, pour s'ouvrir au monde et pour tenter le transformer.

Le sujet est donc homme de la sagesse et de la folie, du jeu et de l'errance, respirant à pleins poumons un air salubre, donnant "un sens plus pu aux mots de la tribu" (Mallarmé), s'intéressant plus à la germination des choses qu'aux résultats tangibles, ivre de la diversité de la vie et capable de la percevoir.

Les grands hommes répondent effectivement à la définition de personnes voulant créer volontairement des choses. Par contre ils sont pris dans le fantasme de la maîtrise totale qui les amène à nier l'altérité de l'autre. Parmi les grands hommes on peut identifier les mégalomanes occupant une position paranoïaque, les manipulateurs occupant une position perverse, les séducteurs occupant une position hystérique.

En tout cas, si les mégalomanes-paranoïaques peuvent apparaître comme plus ou moins "fous", les autre échappent à cette dénomination. Ils se présentent, à l'inverse, comme des individus parfaitement normaux. On aurait ainsi deux extrémités : les fous de pouvoirs et les hyper-normaux.

Le processus de sublimation implique la reconnaissance par chacun de sa propre étrangeté, de celle des autres et le désir de proposer, sans volonté de domination à l'ensemble des individus avec lesquels ont vit, une investigation commune et partagée.

La sublimation n'empêche pas l'idéal, mais elle lutte contre la maladie de l'idéal. Le sujet c'est donc celui qui accepte de se remettre en cause, d'être remis en question et qui n'a pas besoin d'attaches lui servant simplement d'appui pour exister.

Il est plus facile de se laisser guider que de guider sa vie, d'imiter que d'inventer, d'idéaliser que de sublimer. Mais une autre contestation est nécessaire : de la même manière que l'individu totalement hétéronome n'existe pas, le sujet entièrement autonome n'existe pas non plus. Tout simplement parce que l'homme est clivé, contradictoire, mélange inextricable de pulsion de vie et de mort, capable du meilleur et du pire, souvent obsédé par le pouvoir, le prestige et éprouvant un désir de réassurance narcissique, e que les sociétés ont besoin pour se maintenir au minimum d'illusions et de croyances, de travestissement et d'hypocrisie.

PRINCIPALES CONClUSIONS

Pouvoir des structures organisées pour mettre les individus au travail, les contrôler, les prendre au piège de leur propres désirs, les manipuler, les séduire,

Pouvoir des sujets sur eux même, sur leur propre destin, sur le devenir des structures qui marque l'impossibilité de toute organisation d'imposer sa loi totalement et durablement,

Pouvoir des psychosociologues qui, dans leur très grande majorité, ont perçu que le projet psychosociologique depuis Lewin était un projet démocratique et qui tentent, avec les personnes avec qui il co-construisent du sens, de favoriser de véritables réformes sociales, même s'il est loin de toujours y parvenir,

Le désir caractérise l'être humain en tant qu'être humain et que sans désir, le monde ne serait qu'un "terre dévastée". Il n'est guère appréhendable, il est facétieux, protéiforme comme nos rêves. L'homme est,

Le désir peut aussi rendre fou quand il n'est pas lié à la loi,

Se référer autant au désir apparaît comme une espèce d'exorcisme prononcé entre tous ceux qui disent le faire parler tout en tentant journellement de le faire taire.

POSTULATS HYPOTHESES

Eugène ENRIQUEZ rassemble un certain nombre d'articles écrits entre 1972 et 1993 sur le problème du pouvoir qui est au centre de ses préoccupations depuis des premières publications. Il y a dans sa pensée comme une espèce de fil rouge qui, depuis toujours, tourne autour des questions : "qu'est ce que le pouvoir , qu'est ce que le pouvoir dans l'organisation ? qu'est ce que l'homme avec son désir ? On y trouve, en même temps, la question des contraintes structurelles dans lesquelles nous vivons et les conséquences qui en résultent et la question de la possibilité de se déprendre quelque peu des mailles organisationnelles dans lesquelles nous pouvons être enserrés, de voir le degré de liberté dont nous disposons dans diverses situations.

C'est par ce que l'entreprise est devenue une des principales institutions de la vie sociale qu'elle est l'arène privilégiée des jeux du pouvoir et du désir. Les sujets humains y vivent leur désir d'affiliation, visent à réaliser un certain nombre de leurs projets, s'attachent à leur travail. Dans l'entreprise se joue l'identité, la jouissance de chacun. Pour l'auteur (qui se définit comme un freudo-weberien) les analyses sociologiques classiques sur les relations de pouvoir et les enjeux stratégiques dans l'entreprise sont souvent justes mais elles laissent échapper un élément essentiel : "l'amour et la violence qui président à toute vie organisée et qui ne s'embarrassent pas de logiques d'action". L'entreprise est à la croisée des projets conscients, des phantasmes et des désirs. Les structures d'organisation expriment non seulement une manière de distribuer l'autorité en vue d'objectifs à réaliser, mais aussi des mécanismes de défense contre l'angoisse et des désirs de pouvoir. Plus l'angoisse est grande et refoulée, plus les structures de pouvoir sont rigides. Dans ces lieux, hommes et femmes risquent leur estime de soi, leur propre identité, leur désir de création, en un mot leur vie.

On ne trouve pas dans cette pensée la naïveté de l'optimisme des premiers psychologues américains qui identifiaient facilement le bonheur des individus et le bonheur de l'entreprise; Le consensus était la règle, le dissensus l'exception. ENRIQUEZ n'est pas optimise, mais il ne tombe pas non plus dans une opposition manichéenne entre désir individuel et exigence de l'organisation. Des jeux existent, dangereux parfois pour l'existence des individus, pour le sens qu'ils peuvent donner à leur action. Mais, aussi, chacun des protagonistes pense pouvoir gagner quelque chose, donner un sens à son action, disposer d'une partie du pourvoir, aussi inégalement réparti que soit celui-ci. Si ENRIQUEZ s'est aventuré dans l'intervention psychologique, c'est parce que lu et bien d'autres avaient perçu qu'il existait, dans toute l'organisation, des désirs de transformation, d'innovation, de changement.

Il s'agit de faire en sorte que les personnes "s'améliorent", deviennent plus libres et dynamique, "s'épanouissent", "grandissent", aient des relations positives avec elles-mêmes, avec leur environnement et avec les autres.

Dans une société qui assigne chacun à résider à l'intérieur d'un soi barricadé, cette perspective n'ouvre comme possibilité qu'une espérance hypothétique de guérison de cette schizophrénisation progressive et non le désir et la volonté d'interroger cette forme de lien social.

Changement opératoire (changement des autres)

Bien que ces techniques soient décrites comme participatives et exigeant l'implication de l'animateur, elles ne visent réellement qu'à provoquer chez les participants les postures, les gestes, les opinions et sentiments qui sont construits et induits par l'animateur.

Le thérapeute apparaît alors comme démiurge créant le monde, fournissant ainsi une image idéale invitant au mimétisme, image compacte, interdisant toute ouverture et qui circonscrit étroitement les possibilités d'action des personnes qui n'ont comme choix que la vénération et l'imitation du thérapeute ou le rejet hors du groupe.

Perspective anti-historique

La grande erreur de la psychanalyse est de croire que les souvenirs sont la réalité. Le groupe devient alors le lieu du dé-réel, non pas en tant que celui-ci puisse déboucher sur la réalité historique mais en tant qu'il sert de protection par rapport au réel, de repaire ou de havre de paix.

Le changement comme plaisir du corps et résultat de la décharge

L'analyse transactionnelle qui réduit toute dynamique complexe de la psychanalyse, de l'Œdipe et du parricide, de l'identification et du transfert, du refoulement et de la sublimation à la distinction de la structure de l'individu en P/A/E.

Principes sous-jacents : la référence au plaisir comme moteur du changement, au corps comme lieu du changement, au vécu comme texture du réel et à la catharsis comme résultat de l'action thérapeutique.

Psychologie du moi et désir de maîtrise

Ces méthodes ont pour but de favoriser "l'épanouissement" de l'individu, de faciliter sa "maturation", de permettre le "déblocage" de ses problèmes et l'augmentation de son "potentiel", de l'amener à la "plénitude" de ses possibilités.

Ce qui est masqué est de première importance :

le caractère imaginaire et hallucinatoire du moi,

le fait que toute "identité" comporte des caractéristiques emblématiques,

la recherche de la plénitude renvoie à la volonté d'"intégrité",

l'épanouissement, la maturation, la croissance personnel sont des métaphores végétales.

Pervers et paranoïa comme prototype de l'humain

L'enjeu de ces "groupes" c'est le développement des aspects paranoïaques et pervers de notre société. Dans leur volonté explicite de favoriser la guérison de la solitude sociale en permettant à des personnes devenues en harmonie avec elles-mêmes de dialoguer ou de fusionner les unes avec les autres, dans leur désir de lutter contre les conséquences de la société de croissance que sont la fonctionnalisation des rapports, l'anomie généralisé et certaines formes de schizophrénie sociale, elles n'aboutissent, en fait, qu'à augmenter les caractéristiques les plus mortifères de notre société.

Une conception du changement comme ouverture et interrogation

Il ne s'agit en aucun cas de transposer purement et simplement les concepts de la théorie analytique mais d'articuler le travail sur ce qui Freud a révélé comme étant le fondamental : l'existence d'un clivage indépassable du sujet, la force et la violence des processus primaires, l'importance des phantasmes et le travail silencieux de la pulsion de mort.

Chapitre 8 : Eloge de la psychosociologie

Si les processus historiques globaux ont joué un rôle dans la désaffectation qu'a subie la psychosociologie et a amené en particulier le monde industriel a suspecter celle-ci d'une volonté "subversive" et donc de s'en détourner, l'évolution de la discipline elle-même, les hésitations et la prudence théorique des psychosociologues ont fourni des arguments à ses adversaires et à favorisé l'indifférence qui l'a enveloppée.

Une analyse des conditions de la pensée ou des processus sociaux ne peut qu'être sous-tendue par une volonté démystificatrice des "faits" et des actes communément admis.

Le renouveau de la psychanalyse en France avec Lacan, le redémarrage d'une grande sociologie de type durkheimien (Bourdieu) ou parsonien (Bourricaud), le développement de la sociologie des organisations (Crozier), de la sociologie de l'action (Touraine), de l'analyse institutionnelle (Lapassade et Lourau), de la sociopsychanalyse institutionnelle (Mendel), des nouveaux groupes de thérapie faisaient apparaître les psychosociologues comme des fossiles d'un autre âge arc-boutés à une discipline sans objet, sans théorie et sans perspective.

Mais 1968 fut un événement essentiel pour la décadence de la psychosociologie. En effet, à partir de cette date, seules trois tendances furent admises parmi les intervenants sociaux : le militantisme, le réformiste, la volonté thérapeutique.

La critique de l'orientation psychosociologique était d'autant plus aisée que celle-ci manquait outrageusement de références théoriques solides depuis qu'elle s'était détournée de Lewin et de Moreno.

Pourtant, aussi poussé fut-il, l'effort épistémologique et méthodologique n'était pas suffisamment satisfaisant ni pour ceux qui s'y attelaient ni pour ceux qui le recevaient. Les différents auteurs ne semblaient d'accord ni sur les concepts et leurs articulations, ni sur les méthodes d'approche, ni sur le champ concerné par la discipline, ni peut-être sur la discipline elle-même.

Si maintenant bien des illusions théoriques de cette période se sont dissipées, si la psychosociologie reste vivante et si un certain nombre de chercheurs ont publié des travaux qui ont fait avancer la réflexion dans ce domaine, il n'empêche que al psychosociologie n'a jamais u retrouver sa place d'avant 68 et que la psychanalyse, la psychothérapie de groupe, les thérapies brèves de même que la sociologie objectiviste apparaissent encore comme dans leurs effets, souvent aux yeux des psychosociologues eux-mêmes.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, les psychosociologues virent à la même époque disparaître, ou tout au moins s'amenuiser, leur champs d'application privilégié, celui-là même qui avait donné naissance à la psychosociologie d'intervention : l'entreprise.

La psychosociologie n'a pas pour domine d'application ni pour champ de pensée le monde industriel. Ce fut simplement une occurrence historique qui fa fit prospérer dans ce contexte. En fait, elle était née bien plus tôt, d'une part en Europe sous d'autres noms avec LeBon, Tarde et surtout Freud, d'autre part aux Etat-Unis avec la réflexion de Cooley sur les petits groupes.

La psychosociologie a donc un champ bien délimité : celui des groupes, des organisations et des institutions – autrement dit de tous les ensembles concrets, dans lequel est pris l’individu et qui médiatise sa vie personnelle à la collectivité. Elle apparaît non comme une discipline de l’entre deux, mais comme une discipline spécifique qui, dans le même temps, court le risque de devenir tentaculaire et envahissante.

D’après Enriquez, la psychosociologie n’a rien à gagner à développer la même tentation totalisante ou totalitaire à laquelle ont parfois succombé la psychanalyse et la sociologie, il apparaît, par contre, qu’elle seule peut permettre d’aborder les processus de la vie en société, les rapports de pouvoir, les rapports au travail, les conflits, la dynamique du changement tels qu’ils sont ressentis, exprimés, agis par des acteurs sociaux aliénés et essayant pourtant de se définir comme des sujets sociaux, et non par des individus, objets sociaux seulement « parlés » et « agis » a leur insu par leur inconscient ou par la société.

Que la psychosociologie soit clinique a une triple signification :

Le chercheur-praticien psychosociologue est directement impliqué’ dans le travail qu’il effectue avec les acteurs sociaux réels qui ont demandé son intervention,

Les processus inconscient de groupe sont autant à prendre en compte que les discours volontaires,

Le travail d’analyse.

Nous pouvons maintenant mieux saisir pourquoi le travail « d’annaliste » et d’analyste qui est le lot de l’intervenant ne vise pas à la reconstruction fine et achevée d’une réalité psychique et historique qui aurait échappé aux acteurs et dont le psychosociologue serait capable de donner la bonne lecture.

L’action recherchée comporte une conséquence inéluctable : celle de déprécier les études sociologiques où le chercheur, armé de ses techniques, de sa compétence et totalement protégé par elles, croit dire le « vrai sur le vrai », dans des sommes descriptives et explicatives dont il ne perçoit jamais le caractère de reconstruction plus ou moins arbitraire sous-entendu par son idéologie.

Les travaux de recherche n seront pas condamnés dans deux cas seulement :

lorsqu’il s’agit de recherche de type historique ou/et de recherche comparative,

lorsqu’il s’agira de travaux de théorie pure.

Cette perspective signifie que l’analyse pour l’analyse n’a aucun sens, que la recherche dite fondamentale dans les sciences sociales n’aboutit souvent qu’à des généralités. Elle signifie principalement que c’est lorsque les personnes sont engagées dans des problèmes d’action qu’elles doivent résoudre et qu’elle acceptent de les traiter « en intériorité » et non en « extériorité », autrement dit qu’elles acceptent de se confronter à eux, de sentir ce qu’ils évoquent ou ce qu’ils imposent, d’en dégager les enjeux, de travailler donc sur leurs propres relations à ces problèmes, et sur les relations qu’elles entretiennent avec les autres hommes à ce sujet, d’être en même temps acteurs et analystes social, qu’il est possible pour le chercheur-praticien d’entrevoir un peu de la vérité sociale.

L’action-recherche nous oblige donc à penser et à vivre en même temps le fonctionnement et le changement, à admettre que les hommes, objets de recherche, doivent être en même temps sujets de la recherche, que la vérité se dévoile dans le travail d’analyse par fragments et difficilement, et que cette vérité sera en tout état de cause le fruit de la rencontre de l’intervenant et du groupe.

Le psychosociologue se veut fondamentalement démocrate en oeuvrant dans ce sens. Démocrate, c’est-à-dire faisant confiance à la capacité des individus et des groupes à s’auto-organiser, à percevoir les problèmes, à trouver des solutions qui n’entraînent ni la dissolution du lien social ni son illusoire reconstruction autour d’un leader tout puissant désirant régner sur une masse informe et indifférenciée. Le psychosociologue se doit d’être lucide sur les méthodes qu’il utilise. Etre lucide signifie :

Travailler avec des groupes sans tomber dans l’idéologie du groupe-sujet principe de l’histoire et objet précieux à préserver ou à consolider,

Maintenir une position claire d’analyste et de consultant, qui permet aux autres de définir par rapport à lui, de pouvoir se situer et d’éprouver à son propos des affects qui seront un des moteurs de travail à accomplir.

Aider les groupes à changer, sans qui le changement devienne une valeur en soi et sans que la difficulté de tout changement soit minimisé.

Travailler avec les individus et les groupes en sachant aussi et surtout que la démocratie est plus un bel objet dont on parle qu’une manière de vivre, que la démocratie est à inventer et à réinventer tous les jours dans les rapports sociaux concrets que nous tissons comme être économique, être politique, être ludique et être amoureux.

3ème partie : Le changement et l’émergence du sujet désirant

Les psychosociologues oeuvrent pour le changement. Il ne s’agit naturellement pas d’une obsession car le psychosociologue ne se distinguerait pas alors du technocrate qui a fait du changement l’alpha et l’oméga de notre civilisation et de son action.

Changer est seulement, et c’est l’essentiel, le destin de la pulsion de vie une réflexion sur l’évolution de la civilisation ne peut être éludée. Le désir ne peut se décliner uniquement dans l’entreprise, il requiert le champ social tout entier pour se déplier

Chapitre 9 : Problématique du changement

Passer d’un mode de pensée évolutionniste à une réflexion sur le changement vers l’inconnu n’est facile ni pour les individus ni pour les groupes sociaux, car celle-ci débouche sur le questionnement incessant, la remise en cause, l’incertitude. Elle est, de ce fait, fondamentalement génératrice d’anxiété.

Maintenance et changement

On peut définir tout élément humain comme un système ouvert – en interdépendance avec son environnement, avec d’autres systèmes – capable d’auto-organisation et d’auto-reproduction, et continuellement confronté à des conflits structuraux qu’il peut traiter mais jamais définitivement dépasser.

Nous appelleront « système » tout ensemble à organes différenciés ou admettant une variété en son sein de composants en connexions les uns avec les autres, qui possède des frontières repérables, qui peut maintenir identité et cohérence au travers des modifications qu’il subit et qui est donc capable « d’homeostasis ».

Le système clos est caractérisé par une auto-régulation simple et par l’accroissement continu de l’entropie – les systèmes sociaux clos, qui visent à se protéger de l’environnement, et qui fonctionnent plus comme des horloges que comme des machines à vapeur sont en même temps ceux qui doivent nécessairement se désagréger et mourir.

Rapprochement la notion d’entropie de l’hypothèse de la pulsion de mort énoncée par Freud. L’ambition de Freud est de saisir les mécanismes mêmes de la vie et de la mort et la manière dont les flux d’énergie traversent la matière organique. Or, comment Freud conçoit-il la pulsion de mort ? Tout d’abord et essentiellement comme répétition et comme tendance à la réduction des tensions à l’état zéro. Ensuite comme pulsion de destruction vers l’extérieur. Ce qui pour nous est central, c’est l’impossibilité de faire l’économie de l’hypothèse de la pulsion de mort à partir du moment où on passe d’un système clos à un système ouvert.

Le système ouvert se caractérise par sa capacité à percevoir et à accepter de l’information, leur faire subir des transformations orientées, à réaliser ses fins ou à les modifier et à utiliser les bruits, les désordres qui l’affectent pour réaliser des équilibres ultra-stables au travers de changements structuraux.

Un système ouvert admet en son sein une variété d’éléments. Il est donc toujours hétérogène et complexe .Il a des possibilités auto-organisatrices et donc dispose d’un mode de régulation (homeostais) qui lui permette d’intégrer les perturbations internes et externe. Un système doit intégrer le désordre, le bruit comme un élément fondamental dans sa recherche d’équilibre toujours recommencé. Il doit être en mesure d’écouter les paroles qui lui sont dites, les clameurs qui l’entourent, les informations qui leur parviennent pour les assimiler sans sa propre auto-organisation.

Ce qui est frappant, c’est la capacité des systèmes à se transformer, à augmenter la variété de leurs réponses, à se différencier, à apprendre, à intégrer des bruits comme principes organisateurs, à réaliser leurs buts à partir de conditions initiales différentes et par diverses voies de développement, à réaliser des équilibres ulta-stables autrement dit à être capable d’adaptabilité continue.

L’événement, le bruit, est donc à la fois ce qui provoque le changement des le système et ce qui maintient l’existence même du système.

Les lieux du changement social

Ce que nous rencontrons dans la réalité, ce sont des sociétés historiques données, ce sont des formations sociales où domine un certain mode de production, où coexistent des groupes sociaux différenciés en lutte pour le pouvoir et pour leur expression.

En ce qui concerne le mode de production : c'est un "objet-abstrait-formel" qui recouvre différentes instances économique, politique et idéologique et qui s'inscrit dans la réalité, dans des rapports de production, des rapports sociaux et des relations humaines précises.

Par contre, une formation sociales est un "objet-réel-concret" : la France de Louis Bonaparte ou de Georges Pompidou est une réalité cernable, qui peut être décrite et décryptée. Une formation sociale recouvre des systèmes hiérarchiquement subordonnés et des systèmes peu connectés les uns avec les autres. Elle apparaît donc comme le lieu des conflits entre les sous -systèmes. Ce n'est qu'à partir de la capacité de ces sous systèmes à entrer dans une phase de destructuration-restructuration qu'ils pourront prolonger et inscrire leurs conflits sur le lieu de système tout entier et l'obliger à rechercher de nouvelles formes d'équilibre. Le lieu du changement social se trouve donc être les sous systèmes organisés dans lesquels sont actualisés la politique, l'idéologie et l'économie.

Le lieu du changement social ne peut être que les individus et les organisations.

C'est le changement individuel que vise aussi bien la cure analytique que les méthodes de groupe centrées sur le groupe. L'évolution des personnes les rendront-elles capables de promouvoir des changements dans les sous-systèmes organisés auxquels ils participent ? Freud avait insisté sur l'aspect "déréel" de l'inconscient qui est caractérisé par une absence de doute, de négation, et d'historicité. Or la situation d'analyse est bien celle qui fait apparaître et qui structure des phantasmes individuels ou de groupe, c'est le lieu privilégié du déploiement de l'imaginaire et de la confusion constante entre l'imaginaire et le réel.

C'est bien parce qu'il y a différentes position par rapport au savoir et au pouvoir, que la situation est réglée et dénivelée, que la production de paroles est guidée par l'activité phantasmatique, qu'il devient possible que surgisse le transfert en lieu et place de la répétition, que soient mises en évidence les significations inconscientes du discours et que s'exprime le désir. La situation d'analyse est une situation d'exclusion-inclusion. Si elle inclut les productions imaginaires, la résistance, le transfert et la manière dont le client vit ses relations avec son entourage immédiat, elle exclut l'agir, la violence, le politique, le discours du social et de l'économique qui "parle" au travers des actes du client.

Les homme opèrent à l'intérieur d'organisations de production de biens et de services ou d'organisations volontaires et appartiennent à des organisations instituantes. L'organisation est le lieu paradoxal où peuvent se réaliser les désirs individuels et le lieu de l'imaginaire-couverture, du refoulement et de la répression.

Dans la perspective de l'orientation fonctionnaliste l'agent de changement fera siennes les valeurs, la philosophie sociale des gardiens du pouvoir et tentera de développer une stratégie visant à changer les comportements, les attitudes, les valeurs des salariés, des assujettis, des dominés, dans le sens demandé par la direction qui espère ainsi mieux atteindre ses buts au moindre coût.

Le changement programmé a pour but, d'améliorer le fonctionnement du système, en faisant en sorte que les différents organes soient mieux articulés les uns aux autres, que les processus qui se déroulent ne rencontrent pas d'obstacles, quez les dysfonctions soient écartées, que l'intégration des différents individus du groupe soit la plus grande possible au travers de l'intériorisation des normes et des valeurs du système.

Une autre optique, l'orientation dysfonctionnelle, diamétralement opposée, consiste en l'adhésion à la philosophie sociale des dominés, de ceux qui n'ont pas la parole et en une action conçue comme une provocation, visant à accroître les "dysfonctions" du système.

L'attitude de l'agent de changement est une attitude militante. Le militant est celui qui doit propager un savoir ayant pour lui une valeur de vérité, qui doit œuvrer pour permettre l'intériorisation de cette vérité aux personnes non encore éclairées. L'agent de changement est aveuglé par l'illusion du sujet compact et non divisé et capable d'apporter à autrui la plénitude et l'exemple de sa vertu.

La transformation des structures est dominante par rapport au changement individuel. Le travail de l'agent de changement a pour champ soit une faible partie, soit dans les cas les plus favorables, la totalité d'une organisation. Ainsi, il est possible de conclure que les visions du changement proposées sont toutes deux manichéennes, intégrationnistes et totalitaires. Elles ne permettent pas de changement structurel dans la mesure même où le militantisme exclut l'interrogation, l'acceptation de la surprise, du non-prévisible, où il situe le problème de changement dans les objets extérieurs et où il sépare les comportements individuels des comportements sociaux.

Le changement "fonctionnaliste". Son but est la croissance ordonnée de l'organisation par la médiation de la reproduction élargie et l'intériorisation des valeurs des dirigeants.

Le changement "dysfonctionnel". Il tend à promouvoir un nouvel ordre qui se présente comme renversement de l'ancien et comme émergence de la parole de nouveaux acteurs sociaux.

Certains changements sont possibles dans ces conceptions "instrumentales" du changement. Il faut même ajouter que s'il n'y avait pas d'individus ou de groupes qui voulaient transformer le monde suivant leur désir, laisser leur empreinte, s'il n'y avait pas d'agents de changements voulant planifier les transformations, s'il n'y aurait plus d'histoire.

Ces conceptions ne prennent en considération que certains éléments de la réalité, ce qui entraîne constamment l'apparition de conséquences non prévues plus importantes que les conséquences prévues.

Conséquences des modalités du changement :

l'utilisation de toute technique de travail

l'exclusion de toute méthode privilégiée

le refus de toute provocation

l'acceptation de la longueur du processus de changement

la connexion au niveau institutionnel et organisationnel

Les changements individuels et organisationnels doivent donc se prolonger par des changements institutionnels, ceux-ci ne pouvant être que la conséquence de l'action des acteurs sociaux dans leur champ social, dans leur organisation.

Les conditions du changement social

Si l'organisation pour diverses raisons est contrainte de révolutionner ses modes de production et de reproduction technique, intellectuel, relationnel, elle se trouve alors en état de déséquilibre, entraîner par une logique interne à une série de réformes qui tendent à augmenter l'état de crise habituellement accepté. Ce n'est que lorsque ce processus amplificateur est à l'œuvre, qu'il est possible que le changement social sourde au travers du changement programmé.

Une organisation, en elle-même, quel que soit son degré d'ouverture, est un système partiellement clos. Plus les sociétés sont totalitaires, plus elles sont closes, moins, donc, elles admettent de variétés en leur sein. Un système ouvert a besoin d'organisations différentes, contradictoires, se critiquant mutuellement, s'informant et s'enformant. La prolifération d'organisations de toutes sortes, à laquelle nous assistons, organisations souvent peu structurées et qui disparaissent rapidement sont le signe d'une effervescence sociale développant des situations d'analyse à "tous les coins de rue".

Lorsque les organisations naissent, se confrontent, se critiquent, elles se font parler les unes les autres, elles parlent les unes des autres. Un changement a vraiment lieu lorsque ces moments novateurs ne sont plus exceptionnels mais fréquents, même si la fête est plus calme et moins turbulente, lorsque les relations entre les hommes deviennent plus surprenantes, lorsque chacun est encore à découvrir pour l'autre. Il faut donc que le principe de plaisir s'accommode au principe de réalité, que la pulsion de vie accepte de contrebattre la pulsion de mort, que jouissance et labeur se rencontrent. C'est l'acceptation de voir que la fête doit continuellement se heurter à la monotonie, à la destruction, à la tristesse, que le changement réside en la capacité d'ose d'autres modes de relations mais que prendre ce risque n'est pas aisé.

Le retour du refoulé à lui seul ne résout rien. La joie s'estompe. La parole libre devient parole folle. L'emballement du système ramène au pouvoir les partisans du retour à l'état antérieur. Même les novateurs anxieux de cette liberté sans fin appellent de leur vœu le retour à l'ordre. La transgression est créatrice de valeurs à expérimenter quotidiennement. Elle est réformiste dans son mode d'existence, elle est, quand elle s'articule sur le retour du refoulé, fondamentalement révolutionnaire dans son essence. Elle démasque l'imaginaire leurrant, le ses de l'idéologie.

Analyser c'est accepter que la vérité soit toujours à rechercher que les conflits n'aient pas de fin, que le modèle du comportement humain et social soit toujours remis en question, c'est d'admettre les autres comme différents et comme partenaires, c'est permettre une nouvelle vision du réel en démasquant les illusions et en restructurant la chaîne symbolique. Ce qui permet l'analyse, c'est le droit de parler pour chacun d'entre nous, d'être écoutés, d'entendre les réactions des autres à nos message, d'échanger des idées parfois aberrantes, mais qui, si elles ne sont pas bloquées, seront celles qui procureront le plus de nouveauté au système social, qui démystifieront les constructions imaginaires. Toutefois il faut remarquer que ces 5 conditions qui sont toutes indispensables pour qu'un changement social puisse advenir, sont rarement remplies simultanément.

Chapitre 10 : Vers la fin de l'intériorité ?

L'individualisme moderne vise à supprimer le sujet en faisant disparaître son intériorité.

La culture d'entreprise ou d'organisation, en proposant ses valeurs et son processus de socialisation, son imaginaire leurrant en tant qu'il a pour but d'englober tous les participants de l'organisation dans la phantasmatique commune proposée par les dirigeants de l'organisation, son système de symboles qui fournit un sens préalable à chacune des actions des individus, a pour but de les prendre totalement dans les mailles qu'elle tisse. Si l'individu s'identifie à l'organisation, s'il ne pense qu'à travers elle, s'il l'idéalise au point d'être en mesure de sacrifier sa vie privée aux buts qu'elle poursuit, quels qu'ils soient, alors il entrera sans le savoir dans un système totalitaire devenu pour lui le Sacré transcendant, qui légitime son existence. Il peut alors se considérer comme un héros moderne en s'inscrivant dans le mythe collectif de l'organisation.

Mais les valeurs managériales peuvent ne plus suffire à répondre au déficit d'identifications caractéristiques de notre système social et au malaise qui en résulte. Le "fanatisme d'entreprise" peut apparaître comme relativement dérisoire à certains. C'est pourquoi les anciennes religions reviennent dans leurs aspects les plus extrémistes, les plus intégristes.

Lorsque ce processus d'idéalisation ne peut s'attacher à un objet merveilleux extérieur, il peut trouver son point d'ancrage dans un objet merveilleux intérieur : le corps de l'individu. Une équation simple en résulte : coups dynamique = énergie physique = énergie psychique = aptitude à la réussite individuelle = aptitude à l'utilité sociale. Cette équation est d'autant plus attrayante qu'elle est à la portée de n'importe qui. Il suffit de vouloir. Qu'il soit né riche ou pauvre, qu'il ait atteint un statut social élevé ou subalterne, chacun peut être capable d'accéder à la jouissance la plus absolue. Il suffit pour lui de s'aimer suffisamment lui même.

Les méthodes pour parvenir à sacraliser ou à re sacraliser l'organisation, la sphère religieuse ou politique, ou le corps, sont "irrationnelles" dans leur essence, dans la mesure où il ne s'agit pas, en fait, de réer une culture mais d'édifier de nouveaux cultes. On voit bien le but de ces méthodes ; l'adhésion, l'implication, la mobilisation totale de tous, c'est à dire une psyché sans conflits, une psyché au service de l'organisation, soyons clairs, la mise au pas de la psyché. La reconnaissance de la psyché comme face opérante a donc pour résultat la destruction ou tout au moins l'asservissement, souvent dans le consentement et le contentement de celle-ci.

La conséquence de ces méthodes vis à la création d'une identité compacte. Elle renvoie à 3 idées essentielles :

l'idée de permanence dans le temps, de repères assurés, en un mot de constance,

l'idée d'un objet séparé, animé par une cohésion totalisante donc ayant une unité,

l'idée de similitude en tant que chacun doit pouvoir reconnaître le même, le semblable.

Ces idées sont battues en blèches par l'investigation psychanalytique :

la constance n'existe pas. les individus évoluent, se transforment au gré de la manière dont ils sont capables de négocier leurs contradictions et leurs conflits,

l'idée d'unité apparaît encore moins solide : nous savons que nous somme composés d'une "pluralité de personnes psychique" qui chacune vise sa propre finalité, que des processus de clivage, de forclusion, de dénégation sont à l'œuvre, que l'inconscient a une part énorme dans notre manière de vivre et qu'il n'est pas soumis aux mêmes processus que notre moi conscient qui ne peut être considéré comme le sujet de l'énonciation ou de l'action.

quant à la reconnaissance du même, elle implique que je sois capable de répondre à la question "qui suis-je ?", de reconnaître en moi ma part connue de ma part d'étrangeté et de décider qui je peux reconnaître comme un autre moi-même, alors que je sais si peu ce que je suis.

La haine inconsciente de soi est projetée sur les autres, d'où un développement de la xénophobie et du racisme. Dans chaque individu existe une haine inconsciente de soi comme un amour conscient de soi. Un individu qui réfléchit sur lui-même ou plus généralement un groupe ayant une culture propre, des comportements dynamiques mais non conformes seront susceptibles de transformer chez les individus à identité compacte la haine de soi en haire de l'autre.

On assiste au passage d'une civilisation de la culpabilité à une civilisation de la honte. Les sociétés occidentales seraient une culture de la culpabilité, la société japonaise serait une culture de la honte. Une civilisation de la culpabilité n'est possible que s'il existe un sentiment de culpabilité, que l'acte coupable ait été perpétré ou non. Une civilisation de la honte est tout autre. N'importe quel acte répréhensible peut être accompli. Il suffit qu'il ne soit pas découvert. S'il est connu, c'est la honte qui s'abat sur l'initiateur de l'action.

Ce mouvement de disparition de l'intériorité n'est pas inéluctable.

le corps résiste et les somatisations variées expriment à quel point, lorsqu'on ne peut pas se parler à soi-même, le corps s'en charge,

les idéaux mous proposés à l'identification provoquent déjà des formes de rejet,

des idéaux forts nécessaires à la vie humaine peuvent être créés sans que le fanatisme s'ensuive nécessairement, dans la mesure où peuvent se négocier idéalisation et sublimation,

la pensée magique prévalant actuellement qui énonce qu'on peut rendre les individus plus performants, les êtres plus unis, les organisations plus dynamiques d'un seul coups de baguette commence déjà à être profondément critiquée,

la psychologisation à outrance des problèmes tend à faire disparaître aussi bien le sujet humain que le groupe et l'organisation dans lequel il œuvre.

La société actuelle a crée suffisamment de rapports sociaux pour permettre à l'homme de s'éviter lui-même et d'éviter les autres, et donc à ne pas se confronter au problème crucial de l'existence : celui de l'altérité des autres et celui de la sienne propre.

Chapitre 11 : Idéalisation et sublimation

Pour qu'un individu devienne vraiment un sujet et ne se voie pas vidé de sa vie intérieure, il est indispensable qu'il puisse mettre en œuvre un processus de sublimation.

L'idéalisation

La société se présente d'emblée comme un objet merveilleux, sans souillure, qui doit pénétrer dans les consciences et des les inconscients et provoquer l'amour et l'identification.

Les diverses institutions qui permettent la régulation sociale vont essayer, chacune pour leur compte, de "capter" la part du divin "flottant" dans le social afin d'apparaître comme "l'Institution divine", celle à qui est dévolu le droit de dire la loi et de demander identification et soumission.

La société apparaît comme un objet à la fois symbolique, donnant un sens préétabli aux actions de chacun - et imaginaire.

L'idéalisme est indispensable à toute société animée de la volonté de vivre. Le problème n'est donc pas la formation des idéaux mais celle d'une "maladie de l'idéal".

Idéaliser le social, c'est croire être sauvegardé par cet objet merveilleux et lointain qui, par le mythe collectif qu'il instaure, le protège d'un travail de deuil, lui évite la perte de la souffrance, place sa psyché dans un état a-confilctuel ; l'idéal fait appel à des identifications profondes procurant comme prime de plaisir un évitement du manque et, au contraire, la rencontre avec la plénitude.

Société comme individu sont condamnés à idéaliser parce qui société comme individu ne peuvent exister sans croire à leur idéalité, sans processus de méconnaissance, sans interdits structurants, sans agir ou subir une certaine violence nécessaire, sans en même temps essayer de faire taire et de faire parler la subjectivité de chacun.

La sublimation

La sublimation comme origine essentielle du lien social.

Elle donne de la souplesse au lien social, l'idéalisation le renforce et parfois le durcit, la sublimation ouvre à autrui, l'idéalisation forge le "nous", soit un "nous massifié", ou un "nous" résultant de la discussion, de la négociation, de l'amour entre les êtres se sachant différents et pouvant s'enrichi les un les autres en se vivant comme des subjectivités en situation de réciprocité.

La sublimation autorise la psyché à se démettre de ses objets propres de plaisir pour des objets sociaux valorisés par la culture. La sublimation, sous cet aspect, ne peut exister qu'étayer sur l'idéalisation. Si le travail, la société n'offrent plus d'idéaux ou excluent certains groupes de ces idéaux, le travail de sublimation s'avère impraticable. Nous voyons ainsi qu'idéalisation et sublimation peuvent ne pas se combattre, mais au contraire s'épauler mutuellement.

La sublimation se présente également comme une expérience intra-psychique dans laquelle la subjectivité du sujet est totalement engagée. Sous cette forme, elle se trouve au plus loin de l'idéalisation même si, en fin de compte, cette expérience permet la création d'un objet donnant satisfaction temporaire à l'idéal du moi. La sublimation apparaît comme désir de penser, comme quête passionnée de vérité, comme construction d'un objet scientifique, artistique ou relationnel. La sublimation, processus intro-psychique est aussi créatrice et dépendante du tissage de liens sociaux.

La généralisation de ce désir d'investigation partagé avec d'autres. Cette forme de sublimation se situe au plus loin du processus d'idéalisation dans sa volonté de remplir le vide et de constituer des groupes d'autant plus unis qu'ils sont prêts à se sacrifier et à sacrifier autrui. Pourtant une telle forme ne peut exister si, peu ou prou, on ne reve pas de la construction d'une société idéale, même si la réalisation est perçue comme relevant de l'impossible.

Chapitre 12: Individu, création et histoire

Ce que Enriquez a voulu montrer, c'est la capacité de tous les sujets de devenir des "créateurs d'histoire" quel que soit leur degré d'influence sur le devenir social. Malgré toutes les tendances de la société et des entreprises à le normaliser, l'homme, comme le disait Freud, répugne à la "situation de termite". Bien au contraire il infléchit la vie sociale, sue et avec les autres, parfois sans le savoir, parfois en poursuivant des projets conscients.

Les normes font l'histoire ; l'histoire est le produit de l'action des grands hommes. Les individus ne peuvent pas construire une société à leur image et ils ne peuvent pas se trouver, en quelque sorte, exclus du champ de détermination sociale dans lequel se trouveraient, au contraire, inclus les autres.

Le rôle de la conduite individuelle

Distinction entre l'individu totalement inséré dans le tissu social et qui, de ce fait, énonce seulement le discours de l'ordre social auquel il se réfère ou auquel il appartient et le sujet, situé dans un monde ouvert à des significations multiples et particulières à chaque époque historique donnée, qui manifeste du courage, c'est à dire qui donne à son discours et à sa conduite la fonction non de refléter le monde mais de le transformer, si minime ou si lacunaire que cette transformation puisse être. Comme l'écrit E. Morin, "il ne faut pas oublier que tout individu est un écart par un certain coté, c'est à dire par ses traits singuliers et que tout individu peut, au moment où on s'y attend le moins, manifester cet écart et inventer une conduite nouvelle. Ainsi est-on amené progressivement à admettre que tout individu, inséré ou non dans un groupe, est en mesure, volontairement ou involontairement, de procéder à des changements parfois important dans la structure sociale.

Les créateurs d'histoire

Les créateurs d'histoire seraient des êtres "exotiques", c'est à dire au sens précis du mot : étranger. Bien des grands hommes politiques et la plupart même sont de provenance nationale. Pourtant, on est en droit de se demander si le chef "exotique", non pris dans les traditions, n'est pas porté par une volonté créatrice plus grande car il doit s'identifier lui même complètement à cette patrie, il doit faire en sorte que les nationaux puissent le reconnaître comme le meilleur d'entre eux, tout en acceptant son origine à part.

Mais il n'y a pas que les hommes politiques d'envergure qui puissent être d'origine étrangère. Le rôle des "exotiques" est fondamental dans la création artistique comme dans le développement de la pensée contemporaine.

L'origine exotique constitue un facteur permettant plus directement de poser la question des origines, la créativité s'accroît avec les obstacles, pour autant que les créateurs parviennent à créer un groupe ou un réseau serré d'interactions.

Tout créateur est taraudé par la question des origines : de sa propre origine, comme de l'origine des choses, comme de la manière de réorganiser le monde. Il est donc toujours pris dans les mailles de la filiation et dans celles de la paternité, dans celle de la cassure et de la maintenance.

Le créateur d'histoire est d'abord un homme seul. S'il est d'origine "exotique", s'il a le sentiment d'être en exil perpétuel sur la terre, s'il ne peut se référer à ses actions, à sa classe d'origine, ou au corps auquel il appartient et dont il perçoit l'absurdité de fonctionnement, il se voit contraint dénoncer une parole neuve dans un monde qui n'est pas fait pour l'accepter et qui au contraire va multiplier les obstacles sur la route.

Les individus, soit d'origine exotique soit autochtones mais vivant en exil "étranger sur la terre", se présentent comme des êtres de vie, ils le sont en tant qu'ils ne peuvent se satisfaire de la vie quotidienne, de la répétition, de l'atonie, ils sont du coté du rêve qu'ils essaient de faire éclore dans la réalité, ils sont sous l'emprise de pulsion intenses qui les obligent à un travail continu de sublimation.

C'est la lutte constante menée contre les effets des pulsions de mort et l'essai de leur transformation en un processus de destruction et de recréation qui permet, au contraire, aux sujets d'entrer dans l'histoire et ceci d'autant mieux s'ils sont soutenus par un désir et un phantasme d'immortalité.

Le "social" est particulièrement friand des personnalités qui empruntent une telle voie. Elles délivrent des certitudes, elles arrêtent le questionnement. Elles deviennent ainsi les maîtres, ayant leur cohorte d'admirateurs qui ânonnent leurs "découvertes" ou leurs intuitions.

Si la culture n'existe pas sans un processus de refoulement et sans un travail de sublimation subséquent, aussi dur et aussi insatisfaisant soit-il, le social, quant à lui, exige pour s'instaurer et perdurer le renoncement à la satisfaction des pulsions et la canalisation de ces dernières dans des activités économiques ou guerrières.

On peut dire, sans doute de manière lapidaire, que la culture est sur le versant de la vie, le social sur celui d'une mort grimée aux couleurs de la vie.

Chapitre 12: Individu, création et histoire

Il est impossible d'analyser la conduite d'un individu sans la référer à la conduite des autres à son égard, conduite structurée socialement et culturellement.

L'individu joue toujours, de façon invisible du moins dans l'immédiat, et souvent à son propre insu, un role essentiel dans les transformations sociales. Ainsi, si donc les processus psycho-génétiques, présupposent les processus sociaux, ces derniers ne règlent jamais complètement la conduite individuelle toujours imprévisible, d'autant plus qu'ils en sont pas eux-mêmes dépourvus d'ambiguïté, d'ambivalence et de contradictions.

L'individualisation qui est l'objet de tous les soucis n'est, en fait, le plus souvent qu'un élément du processus de massification. Ainsi quand on parle de l'individu, on a en pensée un individu conforme, qui doit fonctionner suivant les comportements qui plaisent à la société. Ce mouvement de conformisme ne fascine pas simplement les individus travaillent dans l'industrie et le commerce. Il a des répercussions et un impact profond sur tous les membres de la société du fait même que l'entreprise est parvenue à vendre sa passion de l'efficacité à l'ensemble du corps social et donc à exporter ses valeurs en dehors de son champs restreint.

Le processus d'individualisation, favorisant la singularité dans la massification acceptée et recherchée dans grands, de moyens ou de petits homme est donc la condition de la production et de la représentation d'individus que se situent plus dans l'hétéronomie que dans l'autonomie.

Ces individus hétéronomes ont besoin pour exister d'idéaliser la société et les idéaux qu'elle propose. Autrement dit, ils fonctionnent sous l'égide de la maladie de l'idéal.

Pourquoi l'idéalisation joue t-elle un rôle si important ? C'est qu'elle nous rassure profondément : une société idéalisée, se présentant comme un objet merveilleux est le meilleur garant de notre stabilité physique. Elle délivre un message de sérénité : l'ordre social existe et il nous préserve de toute interrogation fondamentale à son propos , le monde crée est non contestable, la société donne un sens pré-établi à nos diverses actions et elle nous indique donc ce que nous devons faire et comment nous serons récompensés.

L'idéalisation est ainsi le mécanisme central permettant à toute société de s'instaurer et de se maintenir et à tout individu de vivre comme un nombre essentiel de cet ensemble , en prenant le moins de risques possibles. L'identité collective favorise de plus, comme Freud l'a montré, le "narcissisme" des petites différences "qui a pour effet "d'unir les uns aux autres par les liens de l'amour une plus grande masse d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres en dehors pour recevoir les coups".

En effet, plus une culture se veut unifiée, plus elle devient intolérante et plus elle désire la mort des autres ou, au moins leur conversion. L'individu individualisé, l'individu singulier pris dans la massification procurée par l'accrochage aux identités collectives, ne peut être considéré comme sujet humain.

A cette figure de l'individu individualisé s'oppose son inverse : la figure du sujet. Le sujet humain est celui qui tente de sortir autant de la clôture sociale que de la clôture psychique, ainsi que de la réassurance narcissique, pour s'ouvrir au monde et pour tenter le transformer.

Le sujet est donc homme de la sagesse et de la folie, du jeu et de l'errance, respirant à pleins poumons un air salubre, donnant "un sens plus pu aux mots de la tribu" (Mallarmé), s'intéressant plus à la germination des choses qu'aux résultats tangibles, ivre de la diversité de la vie et capable de la percevoir.

Les grands hommes répondent effectivement à la définition de personnes voulant créer volontairement des choses. Par contre ils sont pris dans le fantasme de la maîtrise totale qui les amène à nier l'altérité de l'autre. Parmi les grands hommes on peut identifier les mégalomanes occupant une position paranoïaque, les manipulateurs occupant une position perverse, les séducteurs occupant une position hystérique.

En tout cas, si les mégalomanes-paranoïaques peuvent apparaître comme plus ou moins "fous", les autre échappent à cette dénomination. Ils se présentent, à l'inverse, comme des individus parfaitement normaux. On aurait ainsi deux extrémités : les fous de pouvoirs et les hyper-normaux.

Le processus de sublimation implique la reconnaissance par chacun de sa propre étrangeté, de celle des autres et le désir de proposer, sans volonté de domination à l'ensemble des individus avec lesquels ont vit, une investigation commune et partagée.

La sublimation n'empêche pas l'idéal, mais elle lutte contre la maladie de l'idéal. Le sujet c'est donc celui qui accepte de se remettre en cause, d'être remis en question et qui n'a pas besoin d'attaches lui servant simplement d'appui pour exister.

Il est plus facile de se laisser guider que de guider sa vie, d'imiter que d'inventer, d'idéaliser que de sublimer. Mais une autre contestation est nécessaire : de la même manière que l'individu totalement hétéronome n'existe pas, le sujet entièrement autonome n'existe pas non plus. Tout simplement parce que l'homme est clivé, contradictoire, mélange inextricable de pulsion de vie et de mort, capable du meilleur et du pire, souvent obsédé par le pouvoir, le prestige et éprouvant un désir de réassurance narcissique, e que les sociétés ont besoin pour se maintenir au minimum d'illusions et de croyances, de travestissement et d'hypocrisie.

PRINCIPALES CONCULSIONS

Pouvoir des structures organisées pour mettre les individus au travail, les contrôler, les prendre au piège de leur propres désirs, les manipuler, les séduire,

Pouvoir des sujets sur eux même, sur leur propre destin, sur le devenir des structures qui marque l'impossibilité de toute organisation d'imposer sa loi totalement et durablement,

Pouvoir des psychosociologues qui, dans leur très grande majorité, ont perçu que le projet psychosociologique depuis Lewin était un projet démocratique et qui tentent, avec les personnes avec qui il co-construisent du sens, de favoriser de véritables réformes sociales, même s'il est loin de toujours y parvenir,

Le désir caractérise l'être humain en tant qu'être humain et que sans désir, le monde ne serait qu'un "terre dévastée". Il n'est guère appréhendable, il est facétieux, protéiforme comme nos rêves. L'homme est,

Le désir peut aussi rendre fou quand il n'est pas lié à la loi,

Se référer autant au désir apparaît comme une espèce d'exorcisme prononcé entre tous ceux qui disent le faire parler tout en tentant journellement de le faire taire.

POSTULATS HYPOTHESES

Eugène ENRIQUEZ rassemble un certain nombre d'articles écrits entre 1972 et 1993 sur le problème du pouvoir qui est au centre de ses préoccupations depuis des premières publications. Il y a dans sa pensée comme une espèce de fil rouge qui, depuis toujours, tourne autour des questions : "qu'est ce que le pouvoir , qu'est ce que le pouvoir dans l'organisation ? qu'est ce que l'homme avec son désir ? On y trouve, en même temps, la question des contraintes structurelles dans lesquelles nous vivons et les conséquences qui en résultent et la question de la possibilité de se déprendre quelque peu des mailles organisationnelles dans lesquelles nous pouvons être enserrés, de voir le degré de liberté dont nous disposons dans diverses situations.

C'est par ce que l'entreprise est devenue une des principales institutions de la vie sociale qu'elle est l'arène privilégiée des jeux du pouvoir et du désir. Les sujets humains y vivent leur désir d'affiliation, visent à réaliser un certain nombre de leurs projets, s'attachent à leur travail. Dans l'entreprise se joue l'identité, la jouissance de chacun. Pour l'auteur (qui se définit comme un freudo-weberien) les analyses sociologiques classiques sur les relations de pouvoir et les enjeux stratégiques dans l'entreprise sont souvent justes mais elles laissent échapper un élément essentiel : "l'amour et la violence qui président à toute vie organisée et qui ne s'embarrassent pas de logiques d'action". L'entreprise est à la croisée des projets conscients, des phantasmes et des désirs. Les structures d'organisation expriment non seulement une manière de distribuer l'autorité en vue d'objectifs à réaliser, mais aussi des mécanismes de défense contre l'angoisse et des désirs de pouvoir. Plus l'angoisse est grande et refoulée, plus les structures de pouvoir sont rigides. Dans ces lieux, hommes et femmes risquent leur estime de soi, leur propre identité, leur désir de création, en un mot leur vie.

On ne trouve pas dans cette pensée la naïveté de l'optimisme des premiers psychologues américains qui identifiaient facilement le bonheur des individus et le bonheur de l'entreprise; Le consensus était la règle, le dissensus l'exception. ENRIQUEZ n'est pas optimise, mais il ne tombe pas non plus dans une opposition manichéenne entre désir individuel et exigence de l'organisation. Des jeux existent, dangereux parfois pour l'existence des individus, pour le sens qu'ils peuvent donner à leur action. Mais, aussi, chacun des protagonistes pense pouvoir gagner quelque chose, donner un sens à son action, disposer d'une partie du pourvoir, aussi inégalement réparti que soit celui-ci. Si ENRIQUEZ s'est aventuré dans l'intervention psychologique, c'est parce que lu et bien d'autres avaient perçu qu'il existait, dans toute l'organisation, des désirs de transformation, d'innovation, de changement.