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Post-Modernité: retrait du Dieu-Un

Origine : http://www.philagora.net/ph-prepa/lacan4.htm

émergence d’un temps où la catégorie de Dieu comme altérité pure, l’Autre absolu se retire, s’efface progressivement laissant les humains à leur identité narcissique individuelle pure et dure.

Avec Heidegger, Nietzsche, Freud puis Lacan, c’est ce dernier voile de l’universel, ultime version de l’Autre qui existe qui se déchire, l’intersubjectivité originaire des phénoménologues n’assure plus la distribution d’un espace de jeu dialogual entre des consciences égales, égalitaires. Au-delà des conflits de consciences aucune réconciliation n’est possible, et rien ne peut fonder l’espoir d’une intersubjectivité originaire d’où se fonderait le collectif, la communauté parfaitement démocratique des hommes: la contradiction reste sans synthèse, le sujet est divisé, l’Autre disparaît comme tel. L’une des premières modalités dans notre régime contemporain de civilisation de l’Autre qui n’existe pas est parfaitement décrite par Heidegger évoquant le "on", puissance réelle, obscure et anonyme que le collectif fait peser sur l’individu. L’ensemble de l’œuvre de Paul Valéry témoigne de la nécessité d’une attitude d’éveil face à cette détresse nouvelle qui ne peut même plus se dire ou se penser alors même qu’elle s’exhibe depuis la seconde guerre mondiale, dans un déluge informationnel sans précédant (ère médiatique et post-médiatique (multimédias, Internet).

Disons-le sans nostalgie particulière, le terrible revers collectif du retrait des Dieux, la fin de la transcendance d’un Autre absolu à l’abri duquel se distribue le sacré, le tabou, l’ensemble des interdits constitutifs de l’humain, en premier desquels, l’inceste et le crime, semble se payer de sacrifices inédits, de sacrifices humains sans raison, absurdes. Ceux-ci n’ont plus aucune justification, aucun sens, le temps des holocaustes, absurdes et des rebelles meurtriers sans cause, advient. Les exemples, chacun singulier, absolument incomparable, en ce XXème siècle n’ont pas manqué: la Shoah, Hiroshima, le Goulag....Comme si la disparition de l’Autre faisait apparaître de nouveaux dangers, la tyrannie du Même, la tyrannie de l’identification, véritable collage de l’image du sujet au miroir, dictature de l’effacement du sujet, de l’Autre au bénéfice trompeur d’un repli communautariste identitaire. Les grandes guerres de l'avenir pense Nietzsche seront viendront des conflits de civilisations.

Les nouvelles dimensions du symptôme dans la clinique psychanalytiquienne cessent au quotidien de rappeler que la victoire de Narcisse est un effet certain mais fatal à l’époque de la disparition de l’Autre.

Les ravages de Narcisse, figure marquée de la perversion sont omniprésents. Les plaintes sont multiformes alors même que le fantasme est insistant: faire exister l’Autre. (Confusion entre identité personnelle et identité sociale - communautarisme identitaires- instabilité du couple, errance atomisée des sujets, effacement de l’autorité paternelle, hésitation dans la différence des sexes, indifférence des générations entre elles, suicides des jeunes de plus en plus jeunes, montée en puissance des phénomènes de sectes, pré-constitution d'un marché du clonage humain, banques d'organes... -aux U.S.A. 7 % d'américains souhaiteraient que le clonage devienne une méthode de procréation.... )

La catégorie de l’Autre qui existe dans le discours philosophique et psychanalytique dévoile l’énigme polythéiste du divin en sa facture archaïque, la magie, le fétichisme, comme en sa version monothéiste la plus moderne, le christianisme, selon Lacan, la "dernière" des religions possible. La nouvelle liberté du sujet-roi se confond désormais avec sa propre insularité sans autre limite que la puissance narcissique que lui donne son assise spéculaire. Être le miroir de chacun devient le principe générateur régulant les échanges les plus fondamentaux, les plus intimes avec notre prochain, notre obligé semblable ! Le régime des lois est en état d’urgence, "ça passe ou ça craque". En effet, aucun lien social ne peut reposer sur un tel principe de séduction, un tel défi pervers au Père, -père-version, "version-vers-le-père" écrivait Lacan. Dans, le fond, aucune transgression n’est durable puisqu’elle ne cesse d’affirmer et même de militer à son insu, au retour de l’interdit qu’elle prétend défier. Parfois sous ses pires formes. N’a-t-on pas vu durant la Révolution maoïste des fils tuer leur père? Ne voit-on pas des pères prostituer leur propre fille ou des incestes banalisés, sans culpabilité, au nom de l’amour?

L’ennui ou la distraction vident l’espace et le temps du sujet du désir, du sujet de la parole et, deviennent des figures obscènes du sur-moi des pseudo impératifs catégoriques, tant la disparition de l’Autre livre le sujet à la montée en puissance de l’insignifiance, aux phénomènes pelliculaires de la séduction,

-la société marchande et de spectacle

-à la réversibilité des apparences

-Gauche-Droite: tous pareils !,

-aux vertiges des abîmes superficiels

-idéologie de la fin des idéologies:

fin de la politique, fin de l’histoire...

Clonage et immigration constituent les deux faces d'une seule et même hégémonie du Même appuyée sur une logique marchande de la disparition de l’Autre. L’idéologie dominante de la science repose sur la substitution du savoir à la question du sens. Le nouveau du symptôme clinique procède simultanément du déclin progressif de l’image paternelle et conséquemment, du surgissement de pathologies narcissiques -faussement dénommées "borderline".

Quand Pierre Legendre évoque la "prolétarisation subjective", croisant le savoir de Marx sur le symptôme social avec celui de Freud, il pointe la disparition du sujet, sujet indivis, réifié, chosifié, sujet privé de vie privée. Le retour symptomatique du lien religieux sous ses formes les plus sectaires relève de la même logique perverse que Freud explique par la soudure de la pulsion sexuelle et de l’objet sexuel. A l’idéalisation, toujours repérable dans le champ des perversions s’adjoint un mécanisme de déni de la subjectivité, contre effet du chaos subjectif, du magma narcissique qui signe la dépendance fantasmatique du sujet au phallus maternel.

La véritable prolétarisation subjective est un effet de l’affaiblissement de l’éthique. L’émergence des Comités éthiques se présente comme le corollaire de ce fait nouveau dans la civilisation -le retrait de l’État, la fragmentation jurisprudentielle du droit- l’inexistence de l’Autre. Le fait général d’assumer une responsabilité n’est jamais autre que juridique: elle n’est jamais éthique. La fameuse formule "responsable mais pas coupable" trahit la colonisation gestionnaire de l’éthique. La loi éthique DOIT précisément ne pas se confondre avec la loi juridique; elle ignore l’ordre de la culpabilité puisque sa visée n’est autre que le bonheur, la vie heureuse (Epicure ou Spinoza).

La peur de la pensée ou la haine du désir seraient-ils les symptômes de nos échanges symboliques dérégulés du fait de la montée de l'incroyance en l'Autre? Difficulté psychique à se représenter ou inhibition fantasmatique trahissent l’influence des modèles cybernétiques du réseau, tant sur nos modes de lecture du sujet (cf. vogue croissante de la psychologie cognitivisme avec les neurosciences) que sur nos modes de vie concret. De ce strict point de vue-là, l’expansion des nouvelles technologies, prothèses machiniques d’un sujet acéphale et, principalement, le phénomène Internet, évoque la centralité absente d’un système ouvert virtuellement à l’infini de la réalisation démocratique ne donnant, par définition, consistance à aucun Autre.

*

Au lendemain de la débâcle nazie, Heidegger indiquait que la plus grande détresse était l’absence de détresse. Ainsi, ce n’est plus l’étonnement des Anciens Grecs devant les choses du monde qui agit comme éveil à la philosophie, c’est plutôt, selon l’incisive formulation de Primo Lévi, la "honte d’être un homme" nous laissant devant la responsabilité, la tâche aussi urgente que nécessaire de penser ce qui reste d’Auschwitz.


http://www.philagora.net/ph-prepa/lacan5.htm

Si l'Autre, figure aurorale de la transcendance de l'Etre-Un, désigne le Dieu, des trois religions monothéistes, comment alors caractériser notre époque marquée par l'incroyance, la disparition du tragique?

L'essoufflement de ces trois grands cultes groupés autour d'un dogme, d'un Texte, d'un Livre suppose un remaniement fondamental du lien social, concerne le rapport du sujet à lui-même, au couple, à la famille, au travail, à l'Etat, à la figure de l'humanité et de ses droits. La psychanalyse -autant que la pensée de Marx sur le devenir-monde du Kapital - annonce la fin des sociétés traditionnelles et suppose la constitution moderne des foules solitaires de non-dupes. Celles-ci sont déchirées, déconstruites par deux tendances contradictoires: la recherche d'un idéal paternel, pur et dur, c'est la version paranoïaque des sociétés totalitaires; soit la fragmentation sociale, schizophrénique issue de la défaite de toute figure centralisée en lieu et place de l'État de droit de la Loi.

*

La psychanalyse n'ignore pas le lien du symptôme de sa clinique avec les impasses du Malaise dans la civilisation, cependant, la nécessité minimale de son champ se définit par le traitement du sujet par le signifiant, sur le mode exclusif du "un par un". Si Freud a inauguré une pratique "thérapeutique" centrée sur la spécificité du sujet, le champ du langage et de la parole: hypothèse de la détermination de l'imaginaire par l'ordre symbolique.

L'apport de Lacan a été d'insister sur le jeu intra psychique du symptôme avec son partenaire; l'objet a, le réel. Le sujet en sa césure radicale est témoin d'une dialectique réelle celle du conflit destinal des pulsions qui, entre vie et mort, détermine son mode de jouissance.

L'hypothèse de l'impasse du symbolique devant le Réel est le dernier apport de l'enseignement de Lacan au champ clinique freudien. Le sujet est césuré par l'Autre mais l'Autre n'existe pas autrement que sur le mode fictif du semblant. Tromperie, mensonge, illusion, semblant supposent la catégorie de fiction mais ne la résume pas. Ces termes indiquent que l'horizon de vérité, de véracité -ou de non vérité, de non-véracité- d'une psychanalyse touche dès son début, jusqu'à sa fin, le point d'énigme du sujet dans son apparition/disparition au langage, à la parole. En effet, la dimension de créativité, la dimension logique, scientifique de la psychanalyse implique singulièrement un paradigme éthique où l'élément créationniste discret, le pivot axial de l'ordre symbolique à contretemps de la blessure originelle du Réel, par quoi précisément la seule habitation possible du psychisme pour un sujet, requiert la fiction. Subjectivation et désubjectivation dessinent les limites formatrice du sujet contemporain qui, de l'existence de l'Autre absolu, à l'Autre barré - lieu du code du langage, trésor de signifiants - ouvre à ce paradoxe logique épocal nécessaire:

l'Autre n'existe pas.

La montée en puissance d'un forme cynique de l'individualisme, de l'idéologie du sujet-roi selon l'expression de Pierre Legendre participe de l'insignifiance nouvelle de la valeur de Référence ou de Transcendance à partir de laquelle s'ordonnait l'ensemble des logiques subjectives, institutionnelles, sociales notamment celles qui scandaient les relations avec autrui. Cependant, la phénoménologie et, surtout, la psychanalyse ont orienté progressivement le phare de la raison de l'intersubjectivité originaire vers l'intra subjectivité originaire réduisant la figure de l'Autre à celle du discours, du langage, au champ de la parole et du signifiant. Ainsi, c'est toute la logique du rapport à autrui qui bascule le statut du sujet et de la vérité4 vers un réel plus antérieur, plus radical. C'est du "discours de l'Autre" que s'éclaire la structure du procès subjectif depuis le nuage originaire de l'enfance, le refoulement issu de la configuration familiale, le complexe œdipien.

Cette logique du sujet ainsi divisé par ce qu'il ignore - la cause de son désir- indexe l'Autre scène (Freud): les formations de l'inconscient, le rêve..., le symptôme où le sujet cartésien, dans le fond, trouve une de ses clefs fondamentales celle de l'union entre la conscience et le corps. L'inconscient, en son fond, est le chaînon manquant qui éclaire la couture, la séparation du sujet d'avec lui-même, de son magma narcissique originaire.

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Le premier statut de l'altérité n'est pas le semblable, le petit autre mais l'Autre, le sujet aliéné et séparé de ce qui constitue sa matrice psychique primaire, mémoire oubliée de l'enfance.

Le mouvement psychanalytique le plus représentatif de l'enseignement de J. Lacan énonce avec J. A. Miller le lien à la cause freudienne par une thèse qui renouvelle l'abord clinique de la psychose et de la névrose: l'Autre n'existe pas. Développons quelques conséquences de cette avancée.

La psychanalyse se distingue de la philosophie pour avoir repéré l'incidence du réel, du sexuel, de la jouissance dans le mode de structuration psychique du sujet, essentielle définition du symptôme. Le Malaise dans la civilisation (Freud) a très vite été identifié comme le malaise du sujet en son désir (Lacan). Du coup, toute la reprise par Lacan de la découverte de Freud a été d'insister sur la déconstruction contemporaine de l'Idéal avec son corollaire, la prévalence de l'objet plus de jouir. Ainsi, plus le discours analytique a progressé vers la mise en évidence de l'inexistence de l'Autre, plus l'accent clinique fut mis sur le partenaire symptôme. En fait, le sujet du désir, le sujet de la psychanalyse de Freud et Lacan provient du négatif du sujet hégélien littéralement privé de vie privée. Au contraire, discours et clinique psychanalytique orientent le sujet sur le versant, le code ultra privé de l'existence, là où l'inconscient interprète et où la jouissance se chiffre pour un sujet.

Le sujet de la psychanalyse n'est pas le citoyen de l'agora - fût-elle, demain électronique ! -

Cependant, la psychanalyse suppose le possible comme l'impossible de la démocratie, sa clinique opère sur un sujet qui doit faire l'épreuve d'un discours qui n'est pas de semblant, discours ainsi troué par la singularité de son mode de jouissance. Une telle orientation n'appelle pas mais suppose la dissolution des communautés traditionnelles, de la famille aux corps professionnels jusqu'à l'État, représentant dont la légitimité à l'égard du Peuple est toujours plus vacillante. Ceux-ci attestent une fragmentation de la décision politique soumise aux Lois du Marché mais ouverte à sa propre logique autodestructrice.

Les effets subjectifs individuels ou collectifs de l'effondrement de l'Autre libèrent et banalisent les deux extrêmes récifs qu'affronte l'éthique du psychanalyse en sa pratique, les effets de canailleries ou les effets de débilité. Si Lacan refusait l'analyse aux débiles, c'est en raison du fait que ceux-ci pouvaient se révéler, se transformer en canailles heureuses. Quand aux canailles, elles déclinent le plus souvent l'offre d'une psychanalyse au risque de devenir débiles ! La dévastation du collectif sous ses coordonnées les plus générales, molaires ou sous ses formes les plus intimes, moléculaires, le couple, les amis, rapports de voisinage, trahit autant une issue dépressive des sociétés ou des individus qui, ainsi, à l'opposé d'Antigone, "cèdent" sur leur désir.

En fait, la tentation néo-libérale triomphante:

-chacun est une grande personne ! - et de préférence, le plus tôt possible !

-chacun est autonome et responsable, le monde,

-Le désir lui-même est un grand marché où les nouveaux sujets lucides et libérés de toute culpabilité errent, n'est que la levée du masque de la tentation hystérique, perverse ou narcissique.

Reconnaissons à Giacomo Léopardi dans son oeuvre centrale lourde de sens,

- laThéorie de la société et de la Civilisation et la Théorie du plaisir

- d'avoir parfaitement pronostiqué l'apparition d'une figure de l'homme sans intérieur, ni extérieur.

Cet homme sans nom, sans visage et sans qualité, lapidairement décrit par Robert Musil, plaçant "le désir illimité de plaisir", la pulsion au poste de commandement, annonce une issue catastrophique du fait de la contention de l'individu par le libéralisme contemporain.