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Origine : échange mail, texte paru dans la revue du Mauss
« Une valeur galvaudée et une illusion
démasquée ont le même pitoyable corps,
elles se ressemblent et rien n’est plus aisé que de
les confondre. »
Kundera. La plaisanterie, 1967
Ce texte part d’expériences personnelles quelconques,
tente une ébauche d’analyse critique et appelle à
la constitution de groupes de travail.
Nous rendons compte de deux parcours distincts à l’intérieur
de deux établissements d’enseignement, l’un universitaire,
l’autre en classe relais (collège) qui se revendiquent
d’une filiation commune avec un des principaux courants intellectuels
contestataires des décennies de l’après-guerre,
le mouvement institutionnaliste2 (Partie I : Approches). L’amorce
d’analyse ici proposée se fonde sur un rapprochement
entre les pratiques de ces deux institutions et d’autres plus
conventionnelles (IUFM, écoles, entreprises), au regard de
certains travaux actuels effectués sur le néo-management
tel qu’il s’est construit dans les entreprises avant
et pendant les années 90 en s’inspirant directement
des valeurs subversives qui se sont affirmées dans les années
60 (Partie II : Rapprochements). Cette « récupération
», déjà soulignée par d’autres,
invite à aborder l’interrogation impérieuse
sur les modes d’aliénations contemporains qui non seulement
se déploient largement dans les établissement concernés
ici, mais semblent constituer de facto l’essence de ce qui
y est enseigné (Partie III : Abordages). Leur généralisation
à tous les secteurs de nos sociétés3 corrélée
à la « panne » des mouvements se réclamant
d’un héritage gauchiste et/ou autogestionnaire semble
rendre ces derniers particulièrement sensibles aux risques
de convergences et d’accrochages à ces nouveaux modes
d’organisation (Partie IV : Accrochages). Nous tenterons de
dégager quelques ébauches de chantiers susceptibles
d’opérer un décrochage d’avec ces mécanismes,
et notamment à partir de la réflexion institutionnaliste
: Nous appellons à l’élaboration de collectifs
d’analyses internes capables de travailler une critique lucide
et sans complaisance, mais organiquement et explicitement lié
au projet d’une radicale transformation sociale enfin étrangère
aux pratiques démagogiques qui semblent accompagner si bien
la très actuelle « montée de l’insignifiance
»4 (Décrochages).
Avertissements
La laborieuse rédaction de ce texte et sa forme, disparate,
inachevée, hétérogène, témoignent
des difficultés rencontrées, et d’abord de la
confusion et de l’anesthésie de l’esprit critique
que nos terrains semblent produire, et dont il sera presqu’uniquement
question ici. Le projet de départ, également, «
simple » chronologie d’évènements, voire
monographie, suggéra rapidement la nécessité
d’un rapprochement des deux terrains, puis avec d’autres
pratiques, ouvrant d’insondables interrogations, appellant
esquisses d’analyses et dégagement de perspectives
(la chronologie des faits présentée en première
partie doit permettre au lecteur de situer les lieux, les acteurs
et les évènements qui parsèment par la suite
les analyses). Nos « auto-citations » de textes non
publiés ne sont pas de mégalomanie, elles souhaitent
incerner nos cheminements, égarements, perplexités,
et sont les traces anti-académiques de l’élaboration
de ce texte. Ensuite, les « doctrines » en causes, institutionnalistes
comme manageriales, semblent hétérogènes et
difficilement se prêter à la généralisation
(toujours pour les permières, encore pour les secondes 5).
Précisons ici inutilement que nous empruntons des citations
à des auteurs sans pour autant en partager toutes les vues
et, moins que tout, les conclusions. Enfin nous souhaitons nous
adresser autant aux « institutionnalistes » qu’aux
profanes, militants ou non, étant donné que notre
approche fait vaciller ces types de découpage. Cette approche
d’ailleurs, foncièrement « institutionnaliste
», s’en ressent, puisque, partant d’elle, nous
ne faisons rien d’autre que de valider a posteriori et révérencieusement
l’approche anti-bureaucratique qui la caractérise mais
pour proposer un chantier qui réviserait fondamentalement
ses notions, concepts, outils. Les initiés comprendront d’autant
mieux... Finalement, ce texte relate nos parcours et l’interprétation
que nous décidons d’en faire, non qu’ils soient
particulièrement originaux, mais bien au contraire parce
que quelconques, ils recoupent une infinité d’expériences
singulières et communes à tous qui gagneraient à
être collectivisées. Qu’il soit donc une ébauche
qui participe à rendre réellement « expérimentaux
» les lieux qui se réclament d’une telle démarche,
c’est-à-dire, enfin, dignes d’analyses.
Partie I : Approches (panorama chronologique des deux terrains)
* Les difficultés croissantes de l’Education Nationale
pour remplir son rôle face à des « jeunes entrés
dans un processus évident de rejet de l’institution
scolaire »6 aboutirent à la création de classes-relais
relativement autonomes, dont certaines se réclament notamment
de la pédagogie institutionnelle (PI), dont celle dont il
est question ici, tendance « autogestionnaire ». Ici,
justement, « il n’y a pas de chef » déclare-t-on
dès l’entretien d’embauche de décembre
2001 ; pas question de reproduire le système dominant pour
ces professeurs bien ancrés à gauche voire franchement
libertaires, dont la coordinatrice est issue de la frange maoiste.
Le parti pris est consacré : faire respecter la Loi comme
construction collective plutôt que comme corset disciplinaire,
formulé à travers des mot-clefs devenus conventionnels7
pour des lieux « expérimentaux » soucieux d’agrémentation.
Les difficultés de mise en pratique sont consubstancielles
au projet, mais le temps d’initiation de l’un des auteurs
de ce texte prenant fin, des questions plus inhabituelles se posent
très vite, et souvent par les élèves. Des violences
et vols importants se produisent dans l’école en janvier,
qui convoque alors les forces de l’ordre et ferme trois jours...
Pour rouvrir sans que rien n’ait été sérieusement
ébranlé par la crise. Le décalage n’est
pas celui escompté, entre une « utopie » et une
« dure réalité » faite de psychotiques
et de sursitaires mais aussi d’anti-scolaires comme nous sommes
nombreux à l’être ou à l’avoir été
: le refus professoral de tenir le projet autogestionnaire s’argumente
de l’interieur même de celui-ci. Le système de
significations alors créé est suffisamment élaboré
pourqu’aucune interrogation ne puisse facilement l’ébrécher
; cette clôture de l’institution sur elle-même
n’a rien à envier aux établissements «
classiques » : on y retrouve les mêmes aliénations8,
mais dans un nouveau langage, polymorphe, difficilement saisissable,
qui freine toute réelle mise en question, tandis que les
dispositifs demeurent, désamorcés de leurs forces
instituantes. Les différentes interventions (modification
du règlement, proposition de sociogramme, d’évaluation
des dispositifs par les élèves, d’une commission
« sanction réparation ») se heurtent au fait
que personne ne souffre d’aucune discussion un peu sérieuse
sur le fonctionnement de l’école, incapable de voir
dans la violence omniprésente dans l’établissement
un phénomène collectif créé par son
climat mortifère. Le « Bilan » annuel de l’équipe
de juin 2002 de l’école laissa un goût amer.
Les analyses sauvages que nous menons en aparté ébranlent
fortement nos convictions politico-pédagogiques, nos expériences
passées et leurs fondements « institutionalistes ».
* Dans les murs de l’université voisine, se déroule
en ce début d’été un colloque organisé
par un courant dissident de l’officiel « labo »
d’Analyse Institutionnelle9 au département de Sciences
de l’Education ; « 1962-2002 : L’Analyse Institutionnelle
(AI) hier et aujourd’hui. L’apport de Georges Lapassade
». Le courant qui en est à l’initiative est composé
d’un collectif d’étudiants réunis autour
de deux professeurs, MM.H et V., et s’est autonommé
« Les irrAIductibles ». Il est le fruit d’un conflit
de succession vécu après la mort du fondateur en 2001,
revendique clairement l’autogestion politique, et édite,
suite au « 21 avril » une revue éponyme. Ici,
Dans la Mecque institutionnaliste (Cf. note 9), les questions pressantes
nées dans la classe-relais semblaient pouvoir trouver là
l’occasion de se formuler hors sphère privée,
de mériter débats et conseils, et d’aboutir
- pourquoi pas ? - à une inscription universitaire de troisième
cycle dans le département. Mais « nous nous sommes
inquiétés très rapidement du fait que les rigidités
relationnelles et l’orthodoxie organisationnelle mobilisées
à l’occasion d’un « hommage » à
un « agitateur institutionnel » ne pouvaient relever
que de la comédie, du cynisme ou de l’incompétence
la plus totale. Impressions toutes trois confirmées, amplifiées
et argumentées, en aparté, par la plupart des acteurs
de talents conviés à la messe (conférenciers,
professeurs, invités étrangers, étudiants,
extérieurs, ...), certains nous appuyant dans nos interventions
publiques. »10. Pourquoi de telles contradictions entre la
grand’messe, les principes pédagogiques des institutionalistes,
les propos tenus ? Qui l’a organisé et dans quel but
? Pourquoi un tel silence des étudiants quand tout doit appeler
au débat ? Que viennent-ils chercher ? Pourquoi aucune réponses
à ces questions ? De purement interrogatives ces dernières
devinrent de plus en plus virulentes face aux louvoiements qui leur
tenaient de répliques... pour finir debout sur une table
en réponse à une doctorante qui refusait le dérangement
s’il n’était symétrique... Le lendemain,
le « détournement » du « bilan »
final ne devait pas nous (en) faire redescendre : nous profitons
d’une perturbation de la très solennelle pleinière
pour organiser des petits groupes, plus à mêmes de
déclencher une parole moins conventionnelle. Le contenu des
discussions nous laissa rêveur quant à la vacuité
de la formation des personnes présentes de 2nd et 3ième
cycles qui semblent tout découvrir du sujet, la naïveté
pertinente de leurs demandes (« Si c’est ça l’autogestion,
alors pourquoi on aurait pas de formation à ça ? »),
leurs impressionnantes réticences à formuler des critiques,
et surtout le refus des organisateurs de répondre aux nôtres
qui firent « fuir les responsables impliqués dans ce
pitoyable scratch my back, I’ll scratch yours, à la
simple évocation de quelques analyseurs (argent, histoire,
dispositifs, ...), et ses productions11, jamais discutées...
»12. « Georges [Lapassade] s’est vraiment éclaté
dans cette séance d’évaluation qu’il a
animé comme au bon vieux temps »13 commente Mr.H...
* L’opiniatre espérance de la rentrée de septembre
2002 à l’école “expérimentale”
est de courte durée : Les nouvelles des élèves
de l’année passée montrent au mieux la vacuité
de cet intermède dilatoire dans leur vie, au pire un désenchantement
consommé quant à la vie collective, les bonnes résolutions
des enseignants restent lettres mortes, et surtout l’espoir
suscité par le départ de la figure patronesse qu’était
la coordinatrice se dissipe devant le leadership implicite d’une
nouvelle enseignante, issue de la direction d’une SEGPA (section
d’enseignement général professionnel adapté)
et de l’expérience « Bonaventure »14, qui
se surinvestit au détriment du nouveau coordinateur désigné
: la tension souterraine qui parcourt toute l’équipe
et la violence ostentatoire des élèves se répondent
et se nourissent mutuellement, les uns prêchant une bonne
parole éducative de facade que les autres ébrèchent
sans difficultés. « En fait c’est facile de mentir,
c’est tout ce que vous demandez » semble comprendre
un élève visiblement en voie d’insertion qui
se confie à sa professeure en voie de décrochage.
Démission à Noël 2002. Un article relatera l’expérience15.
* En octobre 2002 au séminaire hebdomadaire « Les
mardi de l’AI » nous sommes expulsés dans l’indifférence
générale par Mr H., leader des « irrAIductibles
», pour avoir tentés de faire entendre les plaintes
de quelques participants. On nous accueille en auditeurs libres
en avril 2003 dans le « cours hebdomadaire d’autogestion
pédagogique second semestre » de l’université
entièrement géré par les étudiants par
un « bienvenus dans le bordel organisé », formule-clin
d’oeil consacrée des autogestionnaire de tous les pays.
Le cours fait suite à une « initiation » encadrée
au premier semestre et est sous la responsabilité d’un
enseignant -Mr V., absent sur la demande des étudiants-,
dissident du « Labo » (lequel pratique, dit-on, la pédagogie
frontale). Mi-mai 2003, un étudiant fait circuler un texte
qui tente d’analyser le collectif : les « anciens de
3ième cycle » ont un pouvoir sur les « nouveaux
de second cycles »16 en profitant de la présence inexpliquée
d’un enseignant à ce cours, Mr H., qui leur laisserait
entrevoir quelques promotions carriéristes. Nous proposons
lors du cours suivant un texte de 5 pages, « Critiques Constructives
»17 qui fait scandale sur le coup : liant la situation du
cours avec l’épisode du colloque, nous pointons le
simulacre généralisé pour appeler à
la constitution de groupes d’analyses. L’enseignant
tente de nous lancer son gobelet de chocolat au lait sucré,
hurle des menaces de mort, exhorte ses étudiants au lynchage,
jure de se suicider, le tout devant une centaine d’étudiants
ébahis. Mr. Lapassade, venu pour l’occasion, tente
d’organiser des tours de parole, avant que la scéance
ne se termine dans la débandade. Les cours suivants, consacrés
à « l’auto-évaluation », se dérouleront
dans le calme.
* L’année suivante à la même époque,
le cours est reconduit, mais fondu avec celui du département
d’informatique et se baptise « Groupe Autogéré
du Mercredi ». Par l’intermédiaire d’un
texte18 nous proposons au collectif d’une dizaine de personnes
de se constituer en groupe d’analyse des pratiques universitaires
locales. Il sera dissout après deux mois de fonctionnement
léthargique, au moment précis où il venait
de se fixer comme objectif de travail l’analyse interne et
symétrique des deux courants rivaux d’analyse institutitionnelle.
Il est annoncé que les cours autogérés n’auront
plus lieux les années suivantes.
Partie II : Rapprochements (six caractéristiques
du post-gauchisme et du néo-management)
Avant d’entrer plus avant dans les descriptions et les rapprochements,
précisons d’emblée le « climat »
général de ces établissements et les fondements
a priori de notre approche.
Le refus paradigmatique de l’Autorité (au sens mendelien
du terme : une formation sociale-psychologique historique19) incarnée
dans un individu ou un appareil devient refus de l’exercice
explicite et assumé du pouvoir par un collectif. Celui-ci
ne pouvant plus jouer son rôle structurant et organisateur,
tout pouvoir est alors laissé à un individu ou clique
d’autant plus insaisissable que la dénégation
des relations de pouvoirs s’appuie sur une incantation à
« l’autogestion »... qui mine en retour l’institution
de lieux de paroles structurants. L’éclatement de la
délibération commune se fait au profit exclusif des
relations duales, inter-personnelles, non-médiatisées
par le groupe, et dans lesquelles s’exercent alors toutes
les manipulations affectives, séductions et intrigues, jeux
d’influences, laissant libre cours aux tropismes grégaires
jusqu'à ce que, spasmodiquement, l’angoisse se fixe
sans retenue sur un leadership providentiel alors aveuglément
investi. Le système semble en voie de cloture dans nos cas
puisqu’il s’agit d’établissements d’enseignements
qui se fixent, justement, pour objectif d’enseigner prioritairement
un savoir bien spécifique ; une vie collective, une socialité,
un être-ensemble qui leur est propre.... C’est la nature
de ce type d’organisation qui nous interroge.
« Elles existent ces limites et ces lois puisqu’on
ne signale ni meurtre, ni incendie.
Qu’est-ce qui fait la loi ici ? Qui ? Comment ? Questions
intéressantes, non ? (...)
Des enfants à la merci des réactions « personnelles
» des adultes,
de leur fantaisie, de leurs fantasmes. »20.
Oury.F, Quoi D’neuf ?, 1978
« Cette fascination pour la fluidité et les réseaux
(...) résulte d’une confusion
entre horizontalité et démocratie. Elle s’acharne
à faire le siège de forteresses abandonnées
sans comprendre que l’effectivité véritable
du pouvoir est d’autant plus féroce qu’elle est
invisible,
que les formations horizontales qui esquissent la future Ville
mondiale21, bien loin de « démocratiser », élèvent
la concentration de foyers de décision capables
d’agir discrètement partout et nulle part sans que
cette confrontation soit compromise
par toute la pompe de verticalités trop visibles. »
G.Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, 1998
La proximité géographique entre l’université
et la classe-relais permet quelques liens qui ne dépassent
pas la relation utilitaire sans lendemain (production d’un
mémoire d’étude d’un coté, emploi-jeune
suivant des cours en licence de Sciences de l’Education de
l’autre) et n’ont jamais engagé de travaux commun.
Pour autant, ils se réclament explicitement d’une même
« mouvance » fédérant la pédagogie
institutionnelle et l’analyse institutionnelle, qui s’est
construite en réaction aux univers disciplinaires, l’école-caserne
et l’entreprise capitaliste fordienne. L’AI particulièrement
s’élabore à la fin des années 60 en dissidence
avec la psychosociologie officielle. Dans “Groupes, organisations,
institutions” de 1967, G.Lapassade impute à cette dernière
la tâche d’assurer la transition de la « phase
B », mode d’organisation du capitalisme industriel bureaucratique,
à la « phase C », mode d’organisation d’une
future bureaucratie à même de « mettre à
son profit l’idée d’autogestion »... Par
celle-ci, « (...) il faut alors entendre la gestion de la
société par une nouvelle bureaucratie (...), avec
ses « gentils organisateurs » comme on dit au club méditerranée,
» ayant perdu « sa rigidité, capable d’intégrer
les déviants, de pratiquer la dynamique des groupes et la
démocratie interne, de gérer le changement, de rechercher
la participation » d’une base dont « la volonté
de participation et de gestion diminue dans la mesure où
diminue la contrainte [directe], l’autoritarisme ».
Dans cette perspective, « la révolte (...) peut tout
aussi bien être l’expression d’un nihilisme qui
serait le complément de la modernité » 22.
Le présent travail s’inscrit dans la stricte continuité
de cet ouvrage inaugural ; il met en rapport le type d’organisation
observé sur les terrains et celui largement décrit
dans le domaine pédagogique par une stagiaire en IUFM, Rachel
Boutonnet23, mais surtout, dans les nombreux textes décrivant
les nouvelles pratiques généralisées de néo-management,
dans le cadre d’un « nouvel esprit du capitalisme ».
Ce dernier « a pour objet d’éliminer en grande
partie le modèle d’entreprise forgé à
la période antérieure, d’une part en délégitimant
la hiérarchie, la planification, l’autorité
formelle, le taylorisme, le statut des cadres et les carrières
à vie, et d’autre part en réintroduisant des
critères de personnalité et l’usage des relations
personnelles » afin de « libérer les cadres et
tous les salariés »24 de « la soumission et de
l’obéissance »25. Cette « récupération
» durant l’offensive Reagan-Tatcher-Mitterand, concomitante
au reflux symétrique des forces critiques sociales et politiques,
et particulièrement de l’AI, régulièrement
déclarée morte depuis plus de vingt ans26, «
place les héritiers de « 68 », quels qu’ils
soient, dans des postures pour le moins équivoques. »27.
Ces dernières ne sont pas celles d’acteurs enclavés
depuis des décennies que l’époque aurait subitement
rattrapés : l’enseignant responsable des « cours
autogérés » intervient depuis plus de dix ans
à EDF, cas d’école du néo-management,
l’université abrite un département « création
d’entreprise et pratiques manageriales », la coordinatrice
de notre école-« expérimentale »est intervenante
en IUFM et dans une autre université de la région,
son équipe comptait un transfuge du secteur « communication
et management », ce qui ne semble pas rare dans l’Education
Nationale.
Pour tenter de cerner les point saillants qui caractérisent
nos terrains, et pour faciliter le débat, nous formulons
en six points ce qui nous semble être l’essentiel :
simulacres, interpersonel, autoservitude, menaces, savoir-être
et surimplication.
1 – Simulacres. L’héritage institutionnaliste
est largement revendiqué sur nos terrains et s’incarne
dans le maintien des dispositifs collectifs où peuvent se
confronter instituant et institué et se décider les
règles et les rapports aux règles. Mais si les dispositifs
sont maintenus, ils sont totalement vidés de leur contenu.
Les lois ne sont pas édictées par un collectif, et
encore moins les modalités de leurs applications : le «
Grand Conseil » de la classe relais est incapable de réviser
aucune des 6 règles du règlement, et leur éventuelle
application se fait selon le bon vouloir des enseignants. Un élève
dérangé en plein travail par un éducateur et
qui demande légitimement des comptes lors d’une scéance
pleinière se voit infligé publiquement une leçon
de morale sur son attitude « provocatrice ». La règle
interdisant le port de la casquette dans l’enceinte de l’établissement
était l’objet de crispations systématiques sans
discussions tandis qu’un enseignant faisait très mauvaise
figure en voulant appliquer rigoureusement la règle des retards
et absences. Nous intervenons dans le séminaire ouvert «
Les mardis de l’AI » à la rentrée universitaire,
où, après trois heures de discours lénifiants
devant un auditoire docile, une collaboratrice du département
évoque la difficulté à assumer seule et bénévolement
une bonne partie des tâches administratives et se fait doctement
remettre à sa place : nous interrogeons la répartition
des tâches, la disposition frontale de la pièce qui
ne facilite en rien les échanges transversaux, et surtout
le silence de l’assemblée qui devrait y voir là
l’objet même de sa présence, ainsi que la surdité
du staff à la parole des étudiants. « Quelle
parole ? » déclare l’orateur, qui reconnaît
alors le « gauchiste »28 du colloque et menace l’assemblée
de cesser ses enseignements si l’importun ne quitte les lieux.
Personne ne s’inquiète de l’arbitraire ni ne
cherche à comprendre plus en avant les tenants et aboutissants
de l’histoire ; on sussure un « revenez dans quelques
semaines, il sera calmé ». Le bilan lors du dernier
jour du colloque est édifiant : « Ce jour là,
personne n’avait de thèse ou de livre à nous
narrer... [mais] l’analyse telle qu’elle était
proposée en début de matinée avait quelque
chose de rassurant : en plénière, aujourd’hui,
on ne risquait pas d’entendre plus de choses qu’en plénière,
hier... »29. Les étudiants, pour qui le colloque était
un mode de validation, restent aussi muets aujourd’hui, devant
leur professeur qui les somme de s’exprimer, qu’hier
devant le chatt des spécialistes. Puis « Lapassade
arrive, avec son chien un berger allemand surexcité, ça
se met à bouger, on entend des rires nerveux d’autre
joyeux. [L’organisateur du colloque en charge des validations]
s’en va, certains étudiants rangent leurs affaires
d’autres sortent fumer dans le couloir, bref c’est flottant
. Comme dans toute grande bouffe il y a du gâchis, des paroles
précieuses à propos du colloque s’échangent
dans le couloir encore une fois ce qui ne peut se dire à
l’intérieur se dit dehors. (...) Je crois nécessaire
alors d’organiser une séance de travail en groupe,
cependant je suis de nouveau un peu perdue; est-ce à moi
d’initier ce travail ? Je rend compte à Lapassade de
ce qui se passe alors dans le couloir, il me le confirme : il faut
faire « des commissions »... (...) Nous voilà
en petits groupes, ces mythiques petits groupes dont hier en colloque
on faisait ma marotte et qu’on présentait comme la
révolution impossible au nom d’une mémorable
tautologie (« un colloque c’est un colloque, voyons
! » (sic)). Pour certains étudiants, on découvre
un dispositif... et on se découvre, aussi, dans mon groupe
ça parle un peu, beaucoup, pas mal... Un bilan normal, quoi...
Je me sens moins seul, un peu, à voir des fleurs qui s’ouvrent,
éclosent, délicatement, et qu’on m’avait
décrites comme, au choix, déjà épanouies
ou encore en boutons. Ravissant... »30. Le colloque était
une comédie dont personne, sauf nous, n’était
dupe. La parole circule dans les interstices, dans les couloirs.
Ici tout collectif est simulacre.
2 – Interpersonnel. La volonté affichée d’humaniser
la vie en commun amène à afficher un primat des relations
personnelles face au repoussoir organigrammatique. Mais affirmer
la nécessité d’une convivialité et d’une
complicité que la bureaucratie jugule amène ici l’instauration
de relation duales où l’arbitraire d’un individu
se fait décision collective. On croit voir à l’oeuvre
la recherche de la très manageriale « confiance réciproque
qui provient davantage d’un lien émotionnel fort que
d’un raisonnement intellectuel et d’une adhésion
rationnelle ». Cette relation de « complicité
» affective imposée, comme le tutoiement traditionnel
de Vincennes (ou d’IBM), se retrouve totalement entre formateurs
et stagiaires dans les enseignements d’IUFM31, où elle
est promue comme pédagogie sous couvert du « tabou
» de la « question de l’autorité »
décrit comme « un des aspect les plus scandaleux de
la formation ». Dans le « cours autogéré
», partant de la tradition vincennoise qui veut que l’on
refuse la validation académique des diplômes, et pour
éviter comme dans l’entreprise le « carcan de
l’évaluation hiérarchique »32, les modalités
de validation sont laissées entièrement aux étudiants
qui, ne sortant pas du laxisme ambiant, s’attribuent des notes
avalisées par un semblant d’AG transformée en
chambre d’enregistrement et censées être validées
par le professeur responsable sur des critères insaisissables.
Les étudiants eux-mêmes ne cessent de dénoncer
le flou dans lequel ils évoluent, en présence, de
surcroît, d’un professeur au rôle mystérieux.
Paradoxalement -ou non-, les questions de validation grèvent
systématiquement toute discussion. Ici encore, personne n’est
dupe devant les « notations de complaisance » que suscite
le leadership installé des courtisans de Mr H, qui ne manque
pas de MrH justifier sa présence aux « cours autogéré
» en évoquant ses « intérêts d’éditeurs
» pour « des étudiants fantastiques » et
de « futurs professeurs » qui apprécient ces
« expériences historiques d’autogestion »33.
Ces promesses promotionnelles sont exactement symétriques
à la dévalorisation systématique exercées
à l’encontre du reste des étudiants, plus distants.
D’ailleurs cette soumission très mandarinale se transforme
en allégeance à partir du 3ième cycle, avec
déplacements hebdomadaires ou mensuels au domicile du professeur,
ce qui semble caractériser ici la relation maitre-disciple
depuis longtemps déjà34. Les évaluations des
mémoires universitaires semblent bien plus sanctionner le
rapport affectif patron / etudiant qu’un travail réel
: On peut, lors d’une soutenance de thèse de Sciences
de l’Education à dominante philosophique, pointer le
manque de « problématique », « d’interprétation
et d’analyse », l’absence de « justifications
», « fondements » et de « présupposés
philosophiques » du travail autant que de « perspectives
», des jugements totalement erronés sur un philosophe
classique, et décerner un « Très Honorable »35
(l’inverse est plus rare).... Un même flou semble entourer
le travail à rendre en IUFM, un même arbitraire évaluateur
derrière un discours fumeux36. La situation est similaire
dans notre classe-relais : les grilles d’évaluation
scolaires des élèves, quand elles existaient, relevaient
du domaine privé de chaque enseignant, comme tout ce qui
concernait la vie de la classe ; « l’auto-évaluation
» de l’équipe pédagogique était
plus que chimèrique, se réduisant aux desiderata de
la coordinatrice ; quant à la crise qui provoqua le fermeture
de l’établissement, il ne fut pas l’occasion
d’élucidation collective, mais de sermons individualisés.
3 – Autoservitude. Pris dans un réseau de relations
où règnent « autorité et séduction
», il s’agit donc de « deviner » le désir
du leader implicite, de l’intérioriser au point de
pouvoir s’y soumettre en son absence : « là aussi,
comme le management moderniste, on entend procéder par l’imprégnation
et l’intériorisation des normes, et on met tout en
oeuvre pour recueillir une parole qui soit le signe de l’assentiment
de l’individu »37. L’équipe pédagogique
de la classe-relais, soumise aux exigences de la coordinatrice présente
par intermittence38, fait preuve d’un auto-contrôle
permanent... « Dans un tel contexte, on est amené à
substituer au commandement hiérarchique dans le plus grand
nombre de cas possibles des pratiques visant à amener les
gens à faire d’eux-mêmes, et comme sous l’effet
d’une décision volontaire et autonome, ce qu’on
désire les voir faire »39. Les ressorts de cette soumission
sont fortement psychologiques, et une forte similitude existe avec
cet autre collectif, féminin, féministe et explicitement
autogestionnaire où « le maintien envers et contre
tout d’une structure égalitaire peut être analysé
comme la fidélité à l’ordre symbolique
maternel compris comme la nécessité de rester chacune
à sa même place de fille. (...) L’interdit majeur
du conflit, la séparation (on ne doit pas démissionner)40
et la hiérarchisation, aurait pour enjeu l’interdit
du meurtre symbolique de la mère. (...) En énoncant
les interdits par leurs paroles et par leurs actes, dans une crispation
sur la norme de non-différenciation, les membres de l’équipe
seraient, pourrait-on dire, agis de l’extérieur, dans
une dépendance qui les priverait des moyens de réguler
leurs relations institutionnelles et les empêcherait de traiter
les problèmes rencontrés dans la gestion du centre
»41. Cet exemple mériterait qu’on en dépasse
l’aspect illustratif puisque la féminisation du pouvoir
est un trait commun de nos terrains et recoupe des hypothèses
avancées par d’autres sur l’évolution
globale de nos sociétés42 qui confirment cette intériorisation
de l’ordre à travers une tacite discipline à
respecter qui doit être comprise sans avoir été
énoncée. On retrouve le très managerial «
fort sens de l’autodiscipline »43.
4 – Menaces. Dans cet univers relationnel mouvant aux règles
mystérieuses, le dehors est effrayant et l’exclusion
redoutée. C’est « la rue et la cité »
pour la classe-relais, ou encore le rectorat qui menace régulièrement
l’école de réduction de moyens (postes,horraires,
budget), c’est, pour le groupe des « irrAIductibles
», « les Inhumains » (sic), le « labo »
qui a « indûment » été habilité
par le ministère, pratiquant la pédagogie frontale
avec qui le groupe est en « lutte à mort ». Après
notre intervention au colloque, on « se demande si [l’importun]
n’a pas été envoyé pour nous espionner
»44 ; l’étudiant qui à diffusé
son texte d’analyse du « cours autogéré
», et qu’on ne reverra pas, a été immédiatement
suspecté d’être « un espion »45.
Les histoires d’exclusion vont bon train et chacun de se demander
si ce qu’il a à dire ne fera pas de lui le prochain
sur la liste... Le « groupe autogéré du mercredi
» sera témoin d’une autocensure permanente dès
que le projet de lancer un début d’analyse de la mouvance
institutionnaliste de cette université sera exprimé.
La réunion où, à quelques-uns et après
trois mois de délibérations, il est enfin décidé
de mener, à l’aide d’entretiens, deux enquêtes
parallèles consacrées aux deux courants rivaux sera
également la dernière ; comme si une telle résolution
signifiait ipso facto auto-dissolution. A l’IUFM : «
Chacun à peur de parler parce que parler peut constituer
soit une délation soit une subversion. Les critères
de validation sont flous. Tout est fait pour que nous ne sachions
jamais ni quand ni sur quels critères nous sommes évalués.
Comme le formule un collègue, si au moins il était
établi que les choses étaient secrètes. Mais
on maintient une apparence de transparence, ce qui brouille encore
plus les cartes. C’est la peur qui règne »46.Le
néo-management ne semble pas être autre chose : «
Cette sorte de contrôle continu, le sentiment d’une
surveillance étroite ne peuvent que contribuer à l’infantilisation
forcée. De plus, c’est l’auto-évaluation
qui est demandée, dans laquelle le salarié doit préciser
comment il se juge lui-même par rapport aux objectifs fixés
(...) Nous sommes dans cette dimension où règnent
la démesure, la non-limite ou l’illimité, l’absence
de règles contractuelles et de repères stables »47.
Ce banissement arbitraire, réel ou fantasmatique, «
réveille le sentiment abandonnique de base »48 et est
d’autant plus dévastateur que « le rôle
du dominant, jusqu’alors tenu par un personnage extérieur,
se trouve maintenant, avec l’ ‘auto-autorité’,
devoir être tenu par le sujet lui-même. »49. Le
fin du fin semble atteint dans les silencieuses, mais massives,
auto-exclusions que chacun pourra convoquer en temps voulu pour
illustrer, qui son courage et sa persévérance, qui
le niveau d’excellence de l’enseignement. Il serait
faux de décrire une ambiance policée : des «
éxécutions » ont lieu, pour l’exemple.
Lors de notre intervention au « cours autogéré
», Mr. H. s’emporte avant même que l’assemblée
n’ait le temps de prendre connaissance du texte : il lance
à l’importun son chocolat chaud, l’insulte copieusement,
le menace de mort et menace de cesser ses enseignements en se suicidant
si personne ne se décide à lui « crever la paillasse
». Le tout devant une centaine de personnes abasourdies, étudiants
présents à ce cours ainsi que ceux du cours suivant
qui s’impatientaient et furent convoqués par la cour
de l’enseignant courroucé. Lors du bref échange
qui s’ensuivit, une étudiante consciencieuse montrera
subrepticement sa carte de fonctionnaire de police à Mr Lapassade
qui tentait d’organiser des tours de parole.
5 – Surimplication. Dans notre école “expérimentale”,
la classe est constituée de cinq élèves maximum
au plus fort de sa fréquentation, qui tournent sans cesse,
rendant impossible l’élaboration d’un «
groupe-classe » et condamnant l’enseignant à
une situation de face-à-face où il doit assumer seul
sa pédagogie, ses règles de fonctionnement, voire
son savoir puisque la « polyvalence » demandée
peut amener une confusion des rôles, un dévoilement
mortifère s’il n’est pas médiatisé.
Situation vite invivable pour «l’enseignant [qui] se
trouve en effet impliqué dans une situation (...) où
sa propre personnalité est directement mise en jeu, sans
référence claire lui permettant un désinvestissement
salutaire. Le rapport enseignant / élèves a alors
tendance à verser dans une relation duale où les affects
prennent le dessus ; La moindre réflexion de part et d’autre
peut être prise comme une « attaque personnelle ».
Le responsable ou l’enseignant peut alors osciller constamment
entre laxisme et autoritarisme, passer du langage doucereux sur
la convivialité, la responsabilité et le dialogue
à des mesures injustes et arbitraires. Ayant perdu le sens
de l’institution, il perd en même temps le sens de la
mesure »50. On a vu ainsi la réaction de l’enseignant
à la diffusion d’un texte (« Critiques Constructives
») remettant en cause le fonctionnement du groupe dans lequel
il était parti prenante... L’investissement ici en
cause est bien plus que le simple accaparement par l’institution
du temps, du travail, de l’énergie de l’individu.
Il s’agit ici de la mobilisation de la personnalité
dans son ensemble pour une tâche qui échappe essentiellement
à son exécutant, processus connu des institutionnalistes
de l’université51. Le repoussoir est évidemment
-mais faussement- l’attitude consumériste ou clientéliste,
et le moteur l’urgence construite de la situation : carrière
prometteuse, expérience historique d’autogestion ou
glorieuse épopée humanitaire en quartier sensible.
À l’université, l’utilisation encouragée
du « journal institutionnel » sur des terrains personnels
débouche dans ce contexte sur des déballages égocentriques
de comédies intimes qui serviront à l’occasion
à psychologiser à peu de frais les relations : la
notion même d’implication a, dans la mouvance institutionnaliste,
un fondement largement psychanalytique (Cf. plus bas). Cette utilisation
quasi-systématique d’analyses sauvages individuelles
permet autant de trouver des explications confortable au délire
ambiant qu’a déstabiliser un peu plus tout dissident
: les élèves agités en classe-relais vont systématiquement
chez le psychiatre aux ordonnances généreuses, la
commode « pathologie mentale » explique le départ
« subite » du professeur critique à qui le coordinateur
conseillera gentillement « d’aller voir quelqu’un
» et au « cours autogéré », un «
va te faire psychanalyser » permettra de clore abruptement
le début des échanges.
6 – Savoir-être. Le projet de faire des analyses collectives
des phénomènes de groupe des « agents d’éducation
» capables de travailler les relations affectives au maître,
au groupe-classe, aux dispositifs pédagogiques, et, bien
sûr, aux savoirs52, et de l’« analyse institutionnelle
en acte »53 un fondement indissociable de tout enseignement,
est retourné : L’apprentissage n’est -quasiment-
que l’intériorisation de la duplicité du discours
que l’institution tient sur elle-même. Les élèves
qui restaient en classe-relais compensaient leur faible niveau scolaire
en redoublant d’effort pour épauler les enseignants
afin de faire taire toute parole non-conforme, critique, divergente.
« C’est facile de mentir en fait, c’est tout ce
que vous demandez... » lâche Michael après une
scéance de travail qui se passe sans encombre.
Mais ce type d’organisation, incarnant cette quête
« d’autonomie » est une fin en soi dans ces établissements
d’enseignement qui refusent la forme magistrale de la transmission
des savoirs : Il s’agit avant tout pour notre classe-relais
de « resocialiser » le jeune marginal, que l’on
destine explicitement aux petits boulots précaires, à
travers une « éducation à la citoyenneté
et à la démocratie » au sein d’une «
comunauté éducative » que constitue l’établissement,
et pour notre « cours autogéré », de «
vivre l’autogestion ». Le scandale est donc total :
ces autocraties sauvages ne veulent pas seulement se faire subir,
tolérer ou admettre de leur membres, mais être reconnues
comme lieux privilégiés et quasi-subversifs dont les
procédures doivent être apprises, intériorisées,
reproduites comme essence d’un « savoir-être »
citoyen... Comment ne pas y voir l’ultime avatar de «
ce rêve d’une formation totalitaire, que la clinique
nous montre au travail chez tout « formateur », [qui]
trouve aujourd’hui une réalisation collective »54
? Le projet disciplinaire de l’école-caserne semble
se poursuivre sous forme de contrôle dans l’école
manageriale, ou égogérée55...
L’apprentissage est rendu impossible par l’absence
d’instance tierce, fut-elle traditionnelle, fut-ce un savoir
trivial, entre l’enseignant et l’élève.
Il semble de plus acculer à la régression généralisée,
puisqu’il prétend se réclamer des corpus institutionnels
et autogestionnaires qui justement posaient les exigences de dispositifs
« triangulateurs » travaillés par les acteurs
eux-mêmes. Mais en posant cette duplicité comme objet
central à acquérir, ne prône-t-il pas, finalement,
un nihilisme somme toute très contemporain ?
Partie III : Abordage (croire n’apprendre rien puis
désapprendre pour réapprendre)
N’apprendre rien.
Pour l’étudiant qui s’interroge légitimement
sur le comportement et la présence d’un professeur,
une question se pose : « Comment, par exemple, peut-on prétendre
enseigner l’autogestion pédagogique et, dans le même
moment, anesthésier tout dispositif de clarification de la
relation maître-disciples ? Ou d’autres encore : Comment
peut-on se réclamer de la psychothérapie institutionnelle
et participer, et faire participer, à la reproduction systémique
de la folie du pouvoir, du non-pouvoir, par la consolidation des
relations classiques psycho-familiales ? Pourquoi une théorie
basée sur l’intervention est-elle portée par
des individus absolument incapables de se nourrir, d’accueillir,
de tolérer une seule parole qui sorte du rang, autrement
que par la manipulation, l’insulte, la diffamation ou l’exclusion
(à quand les menaces) ? Comment une pratique destinée
à comprendre et gérer les conflits se révèle-t-elle
durablement impuissante à se saisir des chamailleries de
pouvoir, quelquefois violentes physiquement, baptisées risiblement
« luttes à mort » [pauvre Hegel...] et qui ne
se donnent même plus la peine de se camoufler derrière
d’improbables divergences théoriques ? Comment peut-on
se réclamer d’une quelconque dynamique de groupe et
organiser - en catimini - des colloques consensuels, enfermés
dans des formes hyper académiques dont le public muet est
essentiellement constitué d’étudiants attirés
par une facile validation ? Comment, enfin, peut-on ne pas se poser
de telles questions et prétendre enseigner ou apprendre une
discipline dont elles forment le B-A BA, et finalement qu’enseigne-t-on
réellement ici ? »56. La question mérite d’être
posée. La duplicité entre le discours affiché
et les pratiques vécues tendrait à prouver qu’il
ne s’y enseigne rien. Nous notions dans le même texte
: « Il faut le dire calmement et fortement : si jamais de
telles choses étaient enseignées, c’est-à-dire
comprises et pratiquées, la machine « analyse institutionnelle
» de l’université s’écroulerait,
comme telle, dans l’instant. Ses rouages grossiers ne résistent
pas une seconde à qui prend son objet au sérieux.
»57. D’où une jonglerie entre le renvoi à
l’ignorance de l’apprenant et une désinvolture
face au savoir compris comme un contenu. « Apprendre, apprendre...
n’est-ce pas un peu convenu... ? » demande un formateur
de formation générale en IUFM58 prétextant
- entre autre - le primat de l’éducation sur l’instruction
qu’il a cru voir dans la PI59... Avec quel bagage intellectuel
ou pratique ressortent les stagiaires ? Une chose est certaine :
La narratrice ne connaît rien à la pédagogie
institutionnelle dont s’inspirent explicitement ses formateurs
et qu’elle assimile significativement à « la
pédagogie recommandée par l’institution »60,
et n’en saura pas plus en les quittant... Et on comprendrait
parfaitement, tout en le déplorant amèrement, qu’elle
n’en veuille rien savoir...
Les enseignants du cours « autogéré »
de l’université sont forcés de reconnaître
que « la lecture des travaux [des étudiants en second
cycle] montre, en effet, qu’ils ignorent souvent jusqu’à
l’orthographe des noms de ceux qui ont marqué l’histoire
de ce courant. »61. Mais il faut signaler également
la misère, souvent grammaticalement correcte, des productions
de troisième cycle, maintenant bien vivante une caractéristique
(tarte à la crème) de l’université de
Vincennes et particulièrement de la mouvance d’Analyse
Institutionnelle62. Pratiquement, lors du scandale créé
par notre texte au « cours autogéré »,
aucun étudiant ne fut capable d’opposer à la
panique de la situation un regard analytique pertinent tant sur
le texte lui-même (beaucoup d’étudiants participaient
au cours suivant « L’Ecriture Impliquée »
professé par Mr H.) que sur le moment « chaud »
que le groupe vivait. Les élèves de l’école
expérimentale ne semblent pas dans une situation différente,
et on ne voit pas ce qui leur donnerait envie d’apprendre
quoi que ce soit : ils s’initient à la répartition
des tâches (dispositif Freinet) devant une grille d’inscription
qui ne propose qu’un seul « métier », le
ménage, et où le choix des salles à nettoyer
se fait à la force des bras ; ils participent à la
gestion des conflits à travers les « rapports d’incidents
» qui sont autant de leçon personnalisée de
morale : goûtent aux rudiments de la démocratie par
le « Grand Conseil », simulacre sourd : « ça
sert à rien votre truc ». Les propos de Michael, élève
en classe-relais, « c’est facile de mentir en fait,
c’est tout ce que vous demandez », « on fait zarma
», font étrangement écho à ceux de Rachel,
notre institutrice en formation : « Les formateurs veulent
faire changer les mentalités, abattre les vieilles conceptions,
instaurer un monde nouveau. Ils se présentent comme des révolutionnaires,
comme des libérateurs. Mais leur statut et leurs procédés
prouvent qu’ils ne le sont pas. Ils sont dans la position
contradictoire de tenir un discours anti-institutionnel63 alors
qu’ils sont employés par l’institution ; de tenir
un discours savant anti-savoir ; et de tenir un discours qui interdit
toute réflexion en prétendant qu’il est libérateur.
Ils énoncent ce qu’il faut penser. (...) S’ils
avaient au moins le courage de se battre pied à pied avec
leurs interlocuteurs. Mais leur savoir ne se discute pas, puisqu’il
n’est pas fondé. Le seul argument dont ils disposent
est l’argument d’autorité. Pour nous faire savoir
que le savoir est mauvais et que l’autorité est nocive.
»64. L’origine de notre intervention au colloque de
juin n’a pas été autre chose que ce télescopage
entre discours et pratique : « Bref je venais voir des maîtres,
dans le cadre d’un hommage au travail d’un Maître,
mais des maîtres dans l’art et la science de l’analyse
institutionnelle, (...) Incompréhension, donc, compréhensible,
j’espère. Et perplexité... (...) nous sommes
totalement égarés, là, maintenant, en écrivant
ces mots... pour ces gens, et dans leur revue65. (...) La bonne
question étant, en ces temps fébriles, qu’est-ce
qu’on fait ? »66. Cette situation semble être
une illustration pertinente du « double bind »67 : «
Si un Maître ne pratique pas lui-même ses enseignements,
certains disciples décideront que c’est un imposteur
de petite envergure, et iront, dans le meilleur des cas, sur un
banc rigoler un bon coup, tandis que les autres imagineront que
le Maître est au-delà de sa propre théorie,
dans des sphères d’une pureté inexprimable...
et sombreront dans un transfert immaîtrisé, pathologique
car bloquant l’accès au (non-) savoir, qui n’agit
plus comme tiers médiateur dans la relation duelle. Las !
S’il ne la pratique pas, c’est que sa science est bien,
in fine, de faire choir les statuts de maîtres, dont le sien,
et qu’il occulte le cœur même de son art, la mort,
sa mort, symbolique ou réelle... C’est toute la problématique
des arts martiaux et des disciplines « institutionnalistes
»68, portée au carré par « l’enseignement
de l’enseignement » qu’est « l’autogestion
pédagogique ».... »69. On ne voit pas comment
cette illustration paroxystique de la contradiction du capitalisme70,
ce contexte pathologique princeps pourrait tout simplement permettre
une transmission d’un quelconque savoir, même scolaire.
Désapprendre.
Plus même ; comment serait-il possible d’y reconnaître
et d’y maintenir non seulement les acquis éventuels
mais également tout ressenti singulier ou habitus culturels
des individus ? Et pourtant, ces deux établissements accueillent
un « public de banlieue », souvent déjà
aux prises avec les réalités du travail précaire,
particulièrement marginalisé de par ses origines culturelles
et/ou sociales (voire son statut sur le territoire français)
donc appelé simultanément à « l’intégration
» et à « l’insertion ». Cette situation
bien connue des mouvements contestataires est celle notée
par Aristote ; le rapprochement entre « l’étranger
» et « le penseur », tous deux capables de mise
à distance du déjà-là, de l’institué,
des normes de vies, valeurs, habitudes et impensés d’une
société donnée71. C’est dire la lucidité
de beaucoup d’étudiant sur le jeu qui se déroule
sous leurs yeux, notamment quand les établissements prétendent
à « l’interculturel , et « l’oubli
de soi » que ces derniers doivent provoquer pour se maintenir
à l’abri des regards critiques : « [La velléité,
l’absentéisme et] le tourisme sont largement justifiés
par l’ignorance que l’appareil pratique face à
la richesse culturelle, politique et professionnelle des banlieues
environnantes72, et le mépris qu’il leur porte, derrière
des voeux pieux, au nom de la très commode « dépolitisation
générationnelle ». Leur désertion (physiques
ou mentale) est l’aveu d’impuissance de ceux qui s’en
accommodent, incapables de la faire parler. Elle est interprétée
comme le sceau de la subtilité du paradigme, elle n’est
que l’analyseur criant de l’incurie patente de la plupart
de ceux qui s’en réclament. Souvent attirés
par une discipline résolument novatrice qui se révèle
plus qu’utile dans des pratiques socioprofessionnelles exercées
ou visées, beaucoup d’étudiants ne souhaitent,
une fois compris le grand-guignol pathétique qui leur est
servi, que rentrer chez eux une fois obtenus les diplômes
dus (...) »73.
Réapprendre
De multiples paroles profanes interrogent quotidiennement les décalages
évidents entre discours et pratiques, et la forme des discours
de justification nous fait assister à la tentative de clôture
de ces institutions sur elle-mêmes et révèlent
par là le cœur de l’enseignement, qui rejoint
les traits principaux du néo-management : d’abord un
certain nombre de « psychomanipulations »74, puis, et
c’est plus central, une torsion des concepts phares de l’AI
pour les faire correspondre à la réalité, c’est-à-dire
une tentative empirique de théorisation à rebours
du néo-management.
Le « Groupe autogéré du mercredi » du
printemps 2004 fut le théâtre par excellence du salmigondis
qui tient lieu de pensée75 et qui constitue, en fin de compte
l’ultime objet d’apprentissage proposé en ces
murs. Il s’y déploya un discours très post-moderne
sur l’équivalence des discours, un goût pour
les différences qui se suffisent à elles-mêmes,
une profonde compréhension que la « désacralisation
du savoir » se transmue en un koan abyssal ; « il n’y
rien à savoir »... La débilité de la
pensée s’applique aux notions mêmes de l’AI,
qui se trouvent retournés et assurent une impressionnante
rationalisation de l’ordre établi. Leurs « insuffisances
» a déjà été pointée par
les institutionnalistes eux-mêmes, sans voir que l’actuelle
mutilation semble consubstancielle aux activités propres
de ceux qui les utilisent, et semble accompagner un fort mouvement
de clôture des pratiques et des discours néo-manageriaux.
Les travaux des étudiants sont des florilèges de mots-clefs
sans consistance et sont autant de materiaux précieux pour
étudier la confusion encouragée par l’appareil
validateur. Un travail de relecture appliqué serait nécessaire,
qui n’est pas l’objet de ce texte. Il est cependant
possible d’effleurer le sujet, d’autant plus qu’il
a déjà été esquissé ailleurs
quand à deux notions-phares, celle d’analyseur et celle
d’implication :
- Le premier, défini comme « tout événement,
tout dispositif susceptible de décomposer une totalité
jusque-là globalement saisie »76 nous est apparu comme
paradoxalement un substitut à l’analyse. Pointer telle
personne, telle situation comme analyseur faisait office de connivence
complice permettant de faire l’économie de l’analyse
des contradictions que cet analyseur dévoilait précisément...
« L’analyseur peut être pensé comme le
négatif de la résistance, ce par quoi se révèle
le latent qui veut demeurer caché ; Mais l’analyseur
n’est rien sans la lecture qu’on en fait, et on ne peut
se contenter de l’affirmation réductrice selon laquelle
c’est l’analyseur qui fait l’analyse, puisqu’en
toute rigueur l’analyseur parle à l’analyste,
et c’est l’analyste qui dit l’analyseur. »77.
Cette « contemplation exstasiée des analyseurs »
oblige à préciser « qu’il n’y a
analyse qu’autant qu’il y aura quelqu’un pour
la dire »78...!
- Similairement, la notion d’implication. Défini au
départ comme un « contre-transfert institutionnel »,
soit l’investissement libidinal de l’intervenant dans
un groupe, le terme est devenu l’objet de gargarismes sans
fin. Il devient « pseudo-implication, à la fois psychologiste
et scientiste, où la faribole exhibitionniste dispense la
pensée paresseuse du nécessaire travail sur le statut
du chercheur comme composante essentielle du procès de connaissance
en tant que tel, avec sa dimension de critique épistémologique.
»79. L’hypostase de cette notion galvaudée conduit
directement à celle de sur-implication, qui n’est pas
sans évoquer l’engagement fort et total que l’entreprise
post-fordiste demande à ses salariés, jusqu’au
fameux « savoir-être », l’identification
de l’individu à l’organisation capitaliste elle-même80.
- De la même manière, il serait sans doute pertinent
de s’interroger sur le leitmotiv d’auto-formation, ou
l’invocation de la transversalité. La première
permet, en mettant l’accent sur le projet de l’apprenant,
de dédouaner l’enseignant de ses responsabilités,
et la seconde, en s’opposant à des relations, rôles,
identités figés par la verticalité et l’horizontalité
de l’institution, ouvre grande les vannes de l’intimité
forcée. Cette mobilisation recoupe de manière troublante
leur utilisation dans l’univers managerial, qui y associe
les impératifs de « polyvalence », d’«
auto-discipline », de « flexibilité »,
d’ « employabilité », etc81....
- Last but not least, l’utilisation du terme, central dans
notre propos, d’autogestion. « Nous pensons aujourd’hui
que la notion de l’ « autogestion » demeure imprécise
et trop chargée d’idéologie, de significations
politiques immédiates. Elle se donne ce qui est à
découvrir. » écrivait Lapassade en 1967... Comment
ne pas y voir aujourd’hui, en 2004, une crispation identitaire
qui permet de se déclarer hic et nunc patrie de l’autogestion
réelle, puis, en face des difficultés, d’en
faire un idéal inaccessible pour eviter de s’affronter
à sa construction ? « C’est l’autogestion
ici », « C’est pas autogéré là-bas
», « on est en autogestion là ? », «
ici [en classe-relais], on s’autogère : ‘auto’
ça veut dire ‘soi-même, tout seul », «
L’autogestion, oui, mais pas avec eux [Les élèves
de la classe-relais] ! » « chacun (...) s’autogère
(...) est soumis à l’autogestion (...) Désolé
pour ceux qui veulent des dirigeants dans l’autogestion »82...
La confusion tient elle-même aux vitrines démagogiques
proposées : à l’université, où
décréter l’autogestion quatre heures par semaine
durant quatre mois n’a aucun sens quand les « inventeurs
» de la pédagogie institutionnelle posaient la nécessité
d’un processus long et régulier, et en classe-relais
où les demandes de fermeté et de règles claires
de la part des élèves sont jugées incompatibles
avec l’autogestion. Le décret anesthésie fantasmatiquement
la conflictualité autour des normes explicites ou non qui
travaillent tout collectif alors même que leur recherche constituerait
un projet collectif. L’auto-constitution d’un groupe
ne conditionne évidemment en rien le rapport qu’il
instaurera entre sa prophétie initiale, son projet inaugural,
son imaginaire institué et ses triviales réalités,
ses aspirations nouvelles, ses significations instituantes. Au découpage
vertical / horizontal, directif / autogéré, qui fait
des ravages sur le terrain des luttes sociales, rappellons modestement
la simple graduation des possibilités pour le collectif de
reconnaître son fonctionnement, d’instaurer, en anticipant
sur ce qui suit, des « analyses internes » et de se
mettre en branle pour s’auto-instituer aussi lucidement que
possible.
Partie IV : Accrochages (les perspectives manageriales
des mouvements gauchistes)
Récapitulons : Le premier trait qui caractérise l’université
et la classe-relais « expérimental »semble la
profonde duplicité qui existe entre leurs subversives prétentions
pédagogiques, politiques, culturelles et une pratique qui
ne repose, en première approche, que sur du simulacre. A
s’attarder un peu en ces lieux en prenant ce phénomène
au sérieux on peut distinguer de singuliers collectifs anesthésiant
les lieux de délibération au nom d’un spontanéisme
protéiforme où l’arbitraire se grime en relations
personnelles forcées empruntes de connivences, de complicités,
d’affection, acculant à l’auto-servitude. Cette
surimplication amène à intérioriser l’ordre
institutionnel, aussi tabou que mytérieux et, à l’occasion,
menaçant, lequel ne se donne comme rien d’autre que
la quintessence du savoir à acquérir, un savoir-être.
Là encore, on crierait un peu rapidement à l’imposture
en dénonçant l’invisibilité des étoffes
dont semblent se parer nos mandarins, en dénoncant la simple
oligophrénie d’enseignements moribonds, puisque ce
qui est à l’œuvre est une formation complète
de facto, un véritable désapprentissage / réapprentissage
qui opère activement une rationalisation de son fonctionnement
à travers d’étonnantes torsions conceptuelles.
L’individu qui se refuse à la fuite est formé
effectivement en ces murs à une logique organisationnelle,
déjà partiellement étendue à de larges
secteurs de la société : Cette logique veut être
celle d’une réseaucratie, a-hiérarchique, sans
pouvoirs ni centre ni limite précise , informelle, conviviale
et humanisée, « collant » à la réalité
première des groupes sociaux, évitant les intermédiaires
qui pourraient entraver l’échange et la communication,
transformant les lourdes procédures de décisions et
d’action en prises d’initiatives individuelles mises
à l’épreuve du succès (Cf. note 5). Ce
qui est évidemment visé, c’est une remise en
question du rationalisme bureaucratique. Une question, que nous
ne pouvons qu’esquisser, est alors capitale : si les collectifs
ici étudiés participent pleinement à l’expansion
illimitée de la réification, pénétrant
loin dans l’intimitée de la vie et de la pensée
de chacun tel qu’il soit produit un individu désabusé,
apte à vivre dans la profonde précarité et
le divertissement continuel, quel est la place de la rationalité
(pris dans son sens fort et non uniquement économique) dans
ces modes d’organisation ? Ces institutions y puisent évidemment
leur légitimité, même, et surtout, subversive.
Ce qui pourraient les différencier des bureaucraties classiques,
c’est sans doute cet abandon spasmodique, voire ce recours
assumé à l’irrationnel, lorsque les limites
de la rationalité sont prétenduement atteintes, ou
simplement quand il s’agit de se démarquer publiquement
d’une vieille (psycho)rigidité administrative. Inutile
de préciser que, quoi qu’il en soit, ces danses des
sept voiles n’ont qu’un rapport folklorique avec la
tâche qui est d’établir perpétuellement
des liens nouveaux avec les sousbassements imaginaires qui fondent
toute institution. Plus encore : On pourrait se demander si ce projet
de réseaucratie n’est pas, de la part des institutionnalistes,
qu’une architecture visant à rendre toute analyse institutionnelle
impossible, atteindre cet état « insaisissable »,
y compris à soi-même, revendiqué par les collectifs
militants les plus radicaux. Nié au nom d’un individualisme
revendiqué, l’imaginaire règne en maître
implacable ; la bande, la horde, la foule ne sont alors jamais loin83.
De la mouvance institutionnaliste...
Devant un tel constat, on serait tenté de déclarer
malheureuse l’aventure institutionnaliste et de passer à
autre chose. Mais où cet « autre chose » pourrait-il
être trouvé, qu’il soit à ce point «
autre » qu’il n’ait rien en commun avec notre
objet ? Quelle délimitation pourrait-on bien donner à
ce dernier, aussi bien quant à ses sources que quant à
ses prolongements historiques ? Essayons de circonscrire son champ
à l’apport inaugural de la dynamique de groupes de
Lewin et de Moreno, ou des impulsions de Marx ou de Lacan, ou encore
de Freinet, et déjà nous voilà seulement en
train d’autopsier ce que nous jetions. Où que cet «
autre chose » veuille commencer, il ne fera jamais l’économie
d’un tel examen, qui l’amènera à chercher,
autant que possible, les origines du « fourvoiement »,
de la « trahison », ou de la « dérive ».
Sans s’étendre sur le sujet, qui serait à lui
seul l’objet d’un travail qu’on aimerait voir
faire, la « récupération » par le capitalisme
bureaucratique force à distinguer en quoi ce qui à
été « récupéré »
était récupérable, en quoi et dans quelle mesure
l’imaginaire du projet de départ recoupait celui du
noyau même du capitalisme, une extension illimitée
de la maitrise rationnelle84, en quoi l’institution portant
un tel projet n’a pas su travailler au deuil d’un «
autre chose » fondamentalement autre, projet pur à
jamais irrécupérable par la société
même qui le porte. C’était, c’est, in fine,
la visée du mouvement institutionnaliste, et particulièrement
de l’analyse institutionnelle, à travers la notion
d’institutionnalisation, ce travail autour de la clôture.
Nous sommes, et plutôt deux fois qu’une, invités
à esquisser ici les conditions d’une telle analyse.
Une telle tentative se heurte immédiatement aux résistances
brièvement énumérées plus haut, qui
définissent en plein le mode de fonctionnement hétéronomique
décrit en ces pages. Manipulations classiques et logomachie
innovante peuvent être interprétées dans le
corpus institutionnaliste comme des résistances de l’institution
contre toute parole, critique, instituante, dissidente, qui interroge
de fait les fondements de l’institué. Si cete parole
est un objet d’étude pour le mouvement institutionnaliste,
elle n’a jamais été considérée
comme méthodologie digne d’être étudiée,
puisque, provenant de l’intérieur de l’institution,
elle s’y trouve « piégée »85. Dès
l’élaboration de l’analyse institutionnelle,
celle-ci s’est incarnée dans un dispositif méthodologique
d’intervention sur l’extérieur, la socianalyse,
érigée en « voie royale » et d’inspiration
directement psychanalytique86. Ce n’est que très tardivement
que certains demandèrent lors d’un colloque «
Quel usage les gens initiés à l’AI peuvent-ils
faire de cette initiation sur les lieux de leur travail ? (...)
Si un usage interne de ce qu’on enseigne n’est pas possible,
à quoi peut donc servir un tel enseignement qui s’adresse
à des gens travaillant souvent dans des établissements
? », en poursuivant : « Pourquoi les institutionnalistes
de Vincennes ne sont-ils pas portés à intervenir sur
le lieu vincennois ? Pourquoi ne peuvent-ils pas faire « l’analyse
interne » de leur fonctionnement (ou dysfonctionnement), en
tant que « groupe », en tant que courant ? »87.
L’analyse interne, « technique d’appoint »
aussi bien de la psychothérapie que de la pédagogie
institutionnelle, semble « l’extraordinaire ‘trou
noir’ », le point aveugle des pratiques institutionnalistes,
voire le « refoulé » du développement
conceptuel et historique de l’AI qui « fonctionne comme
une résistance »88. Il est possible de relier toutes
les réactions de nos terrains face à nos interventions
à cette « symptomatologie fort banale » qui se
manifeste dès qu’il est question d’analyse interne.
Il serait tentant de placer celle-ci comme le négatif de
l’ordre managerial rencontré : il semblerait que nos
terrains ne se soient pas posé la question « Comment
est-il possible de faire de l’analyse interne ? », mais
qu’ils constituent la réponse incarnée à
sa symétrique : « Comment est-il possible de ne pas
en faire ? »89. Car le paradoxe est réel dans ce cadre
où chacun, plus que nulle part ailleurs sans doute, est sommé
de faire preuve de calcul, d’alliances, d’arrangements,
de lobbying, de noyautage, de clientélisme, bref de stratégie
qui impose une omniprésente mise à distance «
profane » de l’institution. Que ces analyses solitaires,
personnelles, soient menées dans une visée carriériste
et opportuniste « de survie » atteste autant de l’abandon
d’un certain projet d’autonomie par ces individus que
par les institutions qu’ils traversent et ne peut servir à
une déclaration d’impossibilité d’instaurer
des analyse internes politiques. L’orientation ethnographique
et ethnométhodologique prise ces dernières années
par certains institutionnalistes marque à la fois un souci
de traiter cette problématique, mais constite également
un fair-part de décès d’un corpus disciplinaire
qui sert d’esquive à son examen. Rien n’empêche
ce dernier d’être mené individuellement (nous
allions dire clandestinement), et c’est bien ce dont se revendique
ce texte, qui se nourrit de travaux ethnographiques déclarés
ou « sauvages »90. Mais c’est ici abandonner la
dimension politique qui a été constamment inséparable
de l’histoire institutionnaliste, qui prend l’analyse
de l’institution comme moyen de sa transformation hic et nunc,
contre une accumulation de données psycho-sociologiques académiques
cantonnée dans les rayonnages des bibliothèques ou
dans l’intimité crânienne des individus. L’analyse
interne ne peut être que collective si sa visée est
bien de reconnaître l’inextricabilité entre la
compréhension et la transformation d’une institution,
à fortiori s’il s’agit de l’institution
d’un type d’organisation qui se déploie dans
les profondeurs de nos sociétés. « Dans cette
perspective, les pistes de travail fourmillent et sont, à
l’université et en tout cas en AI, totalement ignorées.
Elles sont à dégager par les acteurs eux-mêmes,
à partir de leurs multiples expériences personnelles,
souvent courtes mais d’une richesse insoupçonnée
: ce matériel précieux, accumulé en quelques
semaines, quotidiennement dilapidé par la peur, l’ambition
ou la désertion, est pourtant l’élément
premier sur lequel doit se construire une analyse pertinente de
l’institution universitaire. Ce n’est qu’à
partir de ces subjectivités que peuvent se déconstruire
la confusion intellectuelle, l’inanité pédagogique
et le marasme politique. Elles seules permettraient de rompre avec
des pratiques et des discours, qui, sous couvert de subversion,
renouent avec les phénomènes psycho-familliaux qu’ils
sont censées travailler et sapent, de fait, toute possibilité
de critique claire du système actuel, qu’il soit universitaire,
ou autre. »91
...Aux terrains des luttes sociales.
Car il serait illusoire de voir dans les « caractéristiques
» de nos terrains des singularités originales confinées
aux murs de ces établissements : nos terrains ne sont pas
isolés du reste de la société, loin de là.
Qu’il s’agisse de la classe-relais ou de l’université,
leurs responsables pédagogiques sont proches de partis politiques
ou actifs dans des associations de quartiers, voire conjoints d’élus
ou de responsables politiques, syndicaux ou associatifs, le «
public » qu’ils touchent, comme signalé, est
majoritairement constitué de militants politiques, travailleurs
sociaux, personnes « en ruptures » ou originaires de
pays du tiers-monde, opérant des passages entre ces lieux
et d’autres secteurs de la société. C’est
ainsi qu’on peut croiser dans le « cours autogéré
» des militants « emploi-jeunes » mobilisés
pour leur titularisation dans un collectif en lutte caricaturalement
autocratique. Ils ne comprendront aucune de nos interventions dans
ces deux sphères respectives, « politique » et
« scientifique », l’une légitimant l’autre
dans une sorte de « fin de l’histoire » particulièrement
inquiétante. Car les terrains des « luttes sociales
» autant que celui du « tissu associatif » sont
particulièrement poreux aux discours « organisationnels
», aujourd’hui essentiellement portés par le
management. Il est facile de constater « l’homologie
morphologique entre les nouveaux mouvements protestataires et les
formes du capitalisme qui se sont mises en place au cours des vingt
dernières années. Cette homologie donne à ces
mouvements très mobiles l’occasion de retrouver prise
là où, précisément, les organisations
traditionnelles perdaient pied. Mais c’est dire aussi qu’ils
doivent composer avec le genre de tensions qui habitent les formes
émergentes du capitalisme, dont l’une des moindres
n’est pas la tension entre la flexibilité, la mobilité,
la rapidité d’un coté, et de l’autre,
la continuité d’un engagement qui risque toujours de
s’estomper s’il n’est pas sans arrêt stimulé
par des événements capables de le rendre actuel, c’est-à-dire
réel. »92. Cet impensé, ou si peu, est caractéristique
de ce retour de la « critique sociale », axée
sur l’exclusion et la communauté, depuis le début
des années 9093. Les problématiques institutionnalistes,
bien qu’appartenant à la mal nommée «
critique artiste », celle absorbée par le management,
ont tout intérêt à gagner explicitement les
« sphères militantes »94 : les premières
ne se réinventeront qu’a cette conditions, les secondes
y trouveraient de quoi refonder leurs critiques anticapitalistes.
La seule forme de lutte novatrice de ces dernières années
sont les coordinations en tant que collectifs auto-organisés
échappant aux carcans syndicaux, mais peinent à dépasser
le cadre de leur luttes, et se condamnent pour l’instant aux
spasmodiques résistances rizhomatiques sans autres horizons
détectables. On ne peut éluder ces débats sans
méconnaître le poison qui peut se distiller d’un
collectif sans prises sur ses fantasmes : sans invoquer les ménages
à trois que forme le groupe et son appareil (réseaucratique
?) avec les risques supposés ou réels de noyautages,
d’infiltrations policières, ou d’implosion, il
n’y a qu’à évoquer les cul-de-sacs revendicatifs
d’une parole sociale, conforme à son simulacre, progressivement
déconnectée du motif qui met en mouvement... Quand
il ne s’agit pas de simples effets d’une mode sophistiquée95
: « Si le narcissisme urbain se réclame de l’
‘humilité’ grouillante des réseaux, c’est
bien sûr pour se parer du prestige du combat médiéval
de la place du marché contre les donjons, et donner un peu
de panache au carnaval cybernétique de la ville, de la démocratie
et de l’argent »96. Une fatalité de proximité
s’est abattue quant à la dissociation des discours,
rejouant le spectacle social dans les sphères même
des luttes. A l’opposé, la possible perspective institutionnaliste
de tendre à des « analyses internes généralisées
»97 demande une élaboration méthodologique qui
reste entièrement à faire et qui impose de revenir
sur la déconnection totale d’avec le terrain théorique
et pratique proprement politique, comme c’est actuellement
le cas partout en sciences sociales98.
Décrochages (pour ne pas conclure)
1 - Nous voyons dans le fonctionnement de nos terrains une institutionnalisation
des pratiques institutionnalistes qui présentent une convergence
manifeste avec les pratiques manageriales : un discours autogestionnaire
et émancipateur sert à l’établissement
d’un mode d’organisation original, visant l’horizontalité
réseaucratique comme substitution à la domination
d’un appareil hiérarchisé, mais qui étend
et approfondit l’asservissement à un ordre indiscuté.
Cette évolution ne semble pas être le résultat
d’une « récupération » extérieure,
même si l’université et la classe-relais sont
particulièrement poreuses au monde entrepreneurial, mais
d’une clôture de ces institutions sur elles-mêmes
à partir de leurs propres ressources. Ce constat d’une
part entérine l’hypothèse d’un «
nouvel esprit du capitalisme » ayant tiré parti des
élans contestataires des années 60, et d’autre
part dessine un destin possible des mouvements d’inspirations
gauchistes d’hier et d’aujourd’hui.
2 - Ce constat appelle à une étude critique des mouvements
contestataires des décennies d’après guerre
telle qu’elle a pu être ébauchée de manière
très éparse99, qui chercherait à élucider
dans quelle mesure l’imaginaire qui les caractérise
était partie prenante du projet d’une « expansion
illimitée de la maitrise rationnelle », ensemble de
significations sociales propre au capitalisme, mais également
au totalitarisme et au déchainement techno-scientifique.
Ce travail doit se concrétiser au sein même des «
nouveaux mouvements sociaux » qui, en réactualisant
l’héritage des années 70,sont lourds des risques
de reproduction de l’ordre émergeant. L’élaboration
de modes d’organisations capables de rompre progresivement
et en permanence avec ces nouvelles aliénations impose de
renouer avec une fonction critique sans concession, soit la formation
d’un type d’individu social-historique singulier.
3 – Cette nouvelle hétéronomie, en se constituant
sur le mode du réseau, de la désertion et du provisoire,
- bref, de la précarité- semble plus que jamais reposer
sur la capacité d’analyse des individus et leur incapacité
à la mener collectivement. Face à de telles évolutions,
la mise en place de collectifs de travail centrés sur l’analyse
interne des fonctionnements institutionnels pourrait permettre à
la fois d’étudier concrètement ce mode d’organisation
- appellé à s’étendre à toutes
les sphères de la vie sociale -, de chercher en quoi nos
héritages subversifs lui sont congruents, et de s’opposer
concrètement aux processus de clôture des institutions
singulières. Cette pratique, jusqu’ici empirique, semble
induire une posture qui nous semble à proprement parler politique
en opérant cette mise à distance interrogative que
le capitalisme bureaucratique, par son mouvement incessant de récupération,
permet paradoxalement d’effectuer à travers l’histoire.
La compréhension de ces mécanismes de récupération,
à travers les (micro-) phénomènes de reproduction,
semble pouvoir se faire par la constitution de collectifs d’analyses
internes, fragments de réponse à l’épuisement
contemporain du projet d’autonomie gréco-occidental.
St-Denis, juin 2004 - juillet 2005
Notes
1Ce texte sera, malgré nos efforts solitaires, ingrat pour
les multiples voix rencontrées sur nos terrains et qui l’ont,
par notre entremise, fait naître.Il ne peut en l’occurrence
que constituer un appel à un véritable travail collectif
contradictoire. Sa rédaction elle même doit beaucoup
à Adrien Arrous, Guy Chevallier, Georges Lapassade, Daniel
Lapon, Pierre Milanini, et particulièrement Cécile
Gatter et Martin Soulivet.
2 Présentons brièvement ce courant pour les non-initiés
: il s’est construit historiquement autour de trois pratiques
distinctes apparues successivement : la psychothérapie institutionnelle
(StAlban en 1940 avec F.Tosquelles, La Borde en 1950 avec J.Oury
et F.Guattari, qui se dirigera plus tard vers l’anti-psychiatrie),
la pédagogie institutionnelle (Gennevilliers en 1960 avec
F.Oury et A.Vasquez, ainsi que R.Fontvielle et B.Bessière
pour le courant autogestionnaire, puis la Neuville aujourd’hui),
et l’analyse institutionnelle socianalytique (interventions
de G.Lapassade et R.Loureau à la fin des années 60).
Diversement issus de travaux psychosociologiques (J.L.Moreno, K.Lewin,
...), psychanalytique (S.Freud, J.Lacan), pédagogiques (C.Freinet),
et avant tout politiques (L.Trotski, H.Marcuse, E.Morin, C.Castoriadis,
...) qui s’entrecroisent, elles élaborèrent
sur le refus de la bureaucratisation généralisée
de toutes les institutions en cherchant à agencer des collectifs
capables d’auto-analyse et d’auto-institution permanente,
en « travaillant le milieu », les dispositifs, le statut
de la parole, le rapport à la Loi, ... Pour une première
approche Cf. Lapassade.G, Lourau.R, 1971 ; « Clefs pour la
sociologie », Seghers ; Ardoino.J, Lourau.R, 1994 ; «
Les pédagogies institutionnelles », Puf ; Oury.J, 1976
; « Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle
», Payot.
3 ...étant entendu que le régime capitaliste se caractérise
par une identification de ces dernière au monde de l’entreprise,
soit une extension illimité des significations imaginaires
de la (pseudo) maîtrise (pseudo) rationnelle. Sur ce dernier
point voir par exemple C.Castoriadis, 1997 ; « La ‘rationalité’
du capitalisme », in « Figures du pensable, les carrefours
du labyrinthe IV », Seuil
4 Castoriadis.C, 1996, « La montée de l’insignifiance.
Carrefour du Labyrinthe III », Coll. La couleur des idées,
Seuil
5 la tentative de modélisation de ce mode d’organisation
de Boltanski et Chiapello présente de ce point de vue un
chantier de travail qu’il nous a semblé aventureux
d’engager. Cf. Boltanski.L, Chiapello.E, 1999 ; « Le
nouvel esprit du capitalisme », Gallimard, Chap. “La
cité par projet”.
6 BO n°25 (18/06/98)
7 : « ‘projets pédagogiques’ impliquant
la ‘communauté éducative’, ‘aide
individualisée’, ‘pédagogie différenciée’,
‘auto-évaluation’, ‘contrat pédagogique’...
» in Le Goff, 1999 ; « La barbarie douce. La modernisation
aveugle des entreprises et de l’école », coll.
Sur le vif, ed. La Découverte, p.55.
8 Oury.F, Pain.J, 1972; “Chroniques de l’école-casserne”,
réed; Matrice 1998, Imbert.F, 1983; “Si tu pouvais
changer l’école ?”, Ceinturion
9 Précisons encore ici pour les non-initiés quelques
précisions sur la discipline : L’AI s’est érigée
peu à peu dans les années 70 en véritable paradigme,
offrant une grille de lecture conceptuelle particulièrement
pertinente visant à rendre compréhensibles les processus
de prise de pouvoir, d’institutionnalisation, de bureaucratisation
à l’oeuvre dans tous les collectifs , et mobilisables
par les acteurs-eux-mêmes. Plus que la simple psychosociologie,
elle lit le groupe inscrit dans l’institution antérieure
et extérieure qui la porte et est évidemment, de par
le dévoilement de la parole non-conforme qui questionne le
fondement du projet porté -« l’inconscient politique
»- particulièrement subversive. Le succès de
ces thèmes, liant recherche et action, autogestion et sociologie,
science et politique, autour des événement de mai
68 conduisirent ses promoteurs à participer activement à
la faculté expérimentale de Vincennes, transférée
en 1980 à St Denis.
10 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003.
Document non publié en possession des auteurs.
11 Voir « La lettre des irrAIductibles n°5 : Bilan du
colloque Les 50 ans de l’AI, Hommage à Georges LAPASSADE
»
12 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003.
Document non publié en possession des auteurs.
13 « Colloque Lapassade, Journal », pp. 16 in «
La lettre des irrAIductibles n°5 : Bilan du colloque Les 50
ans de l’AI, Hommage à Georges LAPASSADE »
14 Ecole « parallèle » sur l’île
d’Oléron qui constitue LA référence libertaire
contemporaine en matière d’éducation (avec le
Lycée Autogéré de Paris). Cf Collectif, 1995
; « Bonaventure. Une école libertaire », Ed.
du Monde Libertaire & Alternative Libertaire
15 Khayati.L, 2006 ; « ‘C’est pire que s’il
y avait rien’. Expérience en classe relais ‘expérimentale’
», La revue du MAUSS n°27, à paraître
16 Extraits de « Critiques » du 20/05/2003 de P. Document
non publié en possession des auteurs.
17 Daté du 27/05/2003. Document non publié en possession
des auteurs.
18 « Proposition de travail pour le groupe du mercredi »
du 07/03/2004. Document non publié en possession des auteurs.
19 Mendel.G, 2001 ; « Pour une histoire de l’autorité
», La Découverte
20 in Revue Autrement. Un des « pères » de la
PI discutait ici de certaines expériences d’ «
écoles différentes » qui proliféraient
à l’époque (dans un contexte sensiblement différent
de celui d’aujourd’hui)…
21 Voir S.Sassen, « La Ville globale », Descartes et
Cie, 1996. Cf. notamment le chapitre « Dispersion et formes
de centralisation ». (note de l’auteur).
22 Lapassade.G, 1967; “Groupes, organisations, institutions”,
Gauthier-Villard (en réédition chez Anthropos), pp.40-146
23 Boutonnet.R, 2003 ; « Journal d’une institutrice
clandestine », Ramsay
24 Boltanski.L, Chiapello.E, 1999 ; Op.Cit. pp.133-112
25 Le Goff, 1999 ; Op.Cit., p.19
26 Assous.R, 2003 ; « l’analyse institutionnelle hier
et aujourd’hui », Ed. AISF, coll. « Transductions
».
27 Extrait de « Proposition de travail pour le groupe du
mercredi » du 07/03/2004. Document non publié en possession
des auteurs.
28 « Colloque Lapassade, Journal », pp. 17 in «
La lettre des irrAIductibles n°5 : Bilan du colloque Les 50
ans de l’AI, Hommage à Georges LAPASSADE »
29 Extrait de « AI, AIe, aïe... Qui veut savoir où
en est le mouvement de l’Analyse Institutionnelle ? »,
Quentin, Nafissa daté du 30.06.02. Document non publié
en possession des auteurs.
30 Extrait de « AI, .. », Op.cit.
31 Boutonnet.R, Op.cit, pp.24-176-229
32 Le Goff, 1999 ; Op.Cit.
33 Extrait de “Réponse à un courageux anonyme
qui n’a pas encore compris l’autogestion” du 27/05/2003,
qui répondait au texte de P., Cf. note 16. Document non publié
en possession des auteurs.
34 Lapassase.G, 2002 ; « Institutionnalisation de l’analyse
institutionnelle à Paris 8. Fragments », revue Les
irrAIductibles n°2, p.15
35 « Capitaliser des connaissances, des théories aux
méthodes. Compte-rendu de soutenance » in « Les
irrAIductibles » n°2, décembre 2002, pp.253-261
36 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. pp.220-221
37 Le Goff, 1999 ; Op.Cit. p.51
38 Pour cause de publicité liée à l’entretien
et au développement du réseau de partenaires de l’école.
Notons que ce répertoire sera la seule chose léguée
à son successeur en guise de formation.
39 Boltanski.L, Chiapello.E, 1999 ; Op.Cit. p.557
40 La dernière tentative dans notre classe-relais de déclencher
une concertation sur la direction collective, fut la diffusion en
réunion d’équipe d’un texte qui commençait
par : « Pourquoi je suis encore ici... », qui a du être
pris pour une formule rhétorique (document en possession
des auteurs). La démission de décembre 2003 surpris
toute l’équipe, abasourdie.
41 Guist-Desprairies, 2003; “L’imaginaire groupal”,
ERES, p.170
42 Mendel.G, 2001 ; Op.Cit.
43 Le Goff, 1999 ; Op.Cit.
44 « Colloque Lapassade, Journal », p. 19 in «
La lettre des irrAIductibles n°5 : Bilan du colloque Les 50
ans de l’AI, Hommage à Georges LAPASSADE »
45 Qu’il l’ait été ne change rien à
la réception infantile qui a été faite à
son excellente intervention.
46 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. p.103
47 Mendel.G, 2001 ; Op.Cit. pp.227-229
48 Id. p.221
49 Id. p.230
50 Le Goff, 1999 ; Op.Cit. p.50
51 Lourau.R, 1990 ; « Implication et surimplication »,
La Revue du MAUSS, n°10
52 Vasquez.A, Oury.F, 1970 ; « De la classe coopérative
à la pédagogie institutionnelle », Maspéro,
p.689
53 « L’autogestion de la tâche, et l’analyse
permanente de cette autogestion, dans le système de référence
de l’institution, tel est le projet que la pédagogie
institutionnelle [tendance autogestionnaire] propose (...) »,
in Lourau.R, 1970 ; « l’analyse institutionnelle »
, Minuit
54 Imbert.F, 1983 ; Op.Cit. p.54
55 Guigou.J, 1987 ; « La Cité des ego » l'Impliqué
56 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003.
Document non publié en possession des auteurs.
57 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003.
Document non publié en possession des auteurs.
58 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. p.22
59 Cette misérable hiérarchisation se retrouve effectivement
dans des commentaires de l’époque (Barbier.R, 1977;
« La recherche-action dans l’institution éducative
», Gauthier-Villard, pp.173-177) qui préfigurent lamentablement
le déferlement logomachique néo-managerial.
60 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. p.46
61 Hess.R, Ville.P, Lapassade.G, 2002 ; « Court traité
d’analyse institutionnelle socianalytique (AIS) ou : ce qu’il
faut savoir de l’analyse institutionnelle socianalytique »,
pp.1
62 Merlin.P, 1980; “L’université assassinée.
Vincennes 1968-1980”, Ramsay, p.110-111
63 Le terme est ici à entendre évidemment dans son
sens traditionnel d’établissement.
64 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. pp.148-149
65 Jugeant le texte insuffisamment abouti nous ne l’avons
jamais proposé à publication. Peur de participer à
l’inflation de textes insipides, autocensure d’un texte
à la fois dérangeant et inabouti...
66 Extrait de “AI, ...”, op. cit.
67 Bateson.G, 1972, « Formes et pathologie des relations
» in « Vers une écologie de l’esprit T.2
», pp.9-93
68 Sur cette double approche: PAIN.J, 1997 ; « La non-violence
par la violence », Matrice. L’auteur y souligne, utilement
pour notre propos, les potentialités psychotiques des dojos.
69 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003.
Document non publié en possession des auteurs.
70 « L’organisation capitaliste de la société
est contradictoire au sens rigoureux où un individu névrosé
l’est : elle ne peut tenter de réaliser ses intentions
que par des actes qui la contrarient constamment (...) Le capitalisme
est obligé de solliciter constamment la participation des
salariés au processus de production, participation qu’il
tend par ailleurs lui-même à rendre impossible »
in Castoriadis.C, 1979 ; « Capitalisme moderne et révolution.
2. Le Mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne
», ed. 10/18
71 Notée par (Virno 2001 chap. 3) qui pose l’étrangeté
généralisée comme untrait de l’ère
post-fordiste, rejoignant le postulat de l’ethnométhodologie,
vers lequel se tournent certains tenant de l’AI depuis vingt
ans.
72 ... ou même de son propre établissement.
73 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003.
Document non publié en possession des auteurs.
74 Mendel.G, 2001 ; Op.Cit.
75 Ce n’est pas sans rappeler la « méthode pédagogique
» lacanienne Cf. Castoriadis.C, 1978, « Les carrefours
du Labyrinthe », Seuil, pp. 88 p.ex. (« Epilégomènes
à une théorie de l’âme que l’on
a pu présenter comme science. ») ou Mendel.G, 1968;
“La révolte contre le père”, Payot, pp.409-412
(« Le Lacanisme »).
76 Lapassade.G (Dir.), 1971 ; “L’autogestion pédagogique”,
Gauthier-Villard
77 Boumard.P, 1989 ; « Les savants de l’interieur.
L’analyse de la société scolaire par ses acteurs
», Armand Colin, pp.84-85
78 Id. p.100
79 Id. p.36
80 Gorz.A, 2001 ; « La personne devient une entreprise »,
revue EcoRev’ n°7, hiver 2001-2002
81 Le Goff, 1999 ; Op.Cit. pp.19-21
82 Extrait de “Réponse à ...” op.cit.
83 Rappellons que l’absence d’assemblée délibérative
(agorai boulèphoroi) et de lois posées (themistes)
chez les Cyclopes les rends, aux yeux d’Ulysse dans l’Odyssée,
proprement monstrueux. (Castoriadis.C, 2004 ; « Ce qui fait
la Grèce. Tome 1, d’Homère à Héraclite
», Seuil, pp. 150-153)
84 modulo ce qui a été dit plus haut quant aux questions
portant sur la rationalité de ces systèmes.
85 Fouchard.R, 1975 ; « Le piège de l’intervention
interne » ;
86 Lapassade.G, 2001; “Deux institutionnalisations »
in Assous 2002, Op.Cit., Lapassade.G, Loureau.R, 1971, Op.Cit.
87 Lapassade.G (Rap.) & al., 1980 ; « :L’analyse
institutionnelle en tant qu’analyse interne », Atelier
du Colloque du 26-27-28 janvier « chercheurs-praticiens »,
numéro spécial, supplément au n°4 de «
pratiques de formation ».
88 Id., Boumard.P, 1989 ; Op.Cit. pp.36-37
89 Boumard.P, 1988; “L’analyse interne”, in Hess.R,
Savoye.A,(dir.) 1988 ; « Perspectives de l’analyse institutionnelle
», Paris, méridiens Klincksieck, p.101
90 Cf.par exemple Assous.R, 2002, Op. Cit. ou Lapassase.G, 2002
; « Institutionnalisation de l’analyse institutionnelle
à Paris 8. Fragments », revue Les irrAIductibles n°2,
pour les premiers et Boutonnet.R, 2003, Op.Cit. pour les seconds.
91 Extrait de « Proposition de travail pour le groupe du
mercredi » du 07/03/2004. Document non publié en possession
des auteurs.
92 Boltanski.L, Chiapello.E, 1999 ; Op.Cit. p.434-435.
93 Aguiton.C, 1997 ; « Les luttes des années 90 »,
in Vakalouis.M & al., « Travail salarié et conflit
social », Puf
94 Liatard.B, Lapon.D, 2004 ; « SELanalyse : une tentative
d’analyse interne d’un système d’Echange
Local », Revue Silence n°450, décembre, paru sous
le titre malheureux « Analyse interne contre apathie et récupération
». L’utilisation par la rédaction de la revue
du terme « récupération » est très
illustratif de la difficulté à penser la reproduction
des mécanismes dominants hors du schéma manichéen
d’un phagocytage « extérieur ».
95 Liatard.B, 2003 ; « Le Larzac est-il une marchandise ?
La contestation sur un plateau », La revue du M.A.U.S.S n°22,
octobre, pp. 334 – 339
96 Chatelet.F, 1998, Op.Cit. p.119
97 Pour reprendre l’expression de R.Lourau dans « L’analyseur
Lip » (1974, 10/18)
98 Caillé.A, 1993 ; « La démission des clercs.
La crise des sciences sociales et l’oubli du politique »,
Armillaire La Découverte
99 Cf. Par exemple Castoriadis.C, 1977 ; « Les divertisseurs
», in « La société française »,
1979, ed.10/18, Castoriadis.C, 1986 ; « Les mouvements des
années soixante », in « Les carrefours du labyrinthe
IV. Figures du pensable », Coll. La couleur des idées,
Seuil, 1999 (Qui répond très pertinemment à
Ferry.L, Renaud.M, 1985 ; « La pensée 68. Essai sur
l’antihumanisme contemporain ).
22/07/2006
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