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Post-gauchisme et Néo-management
Aliénation subversive ou émancipation capitaliste : et si on s’occupait de politique ?
Quentin (1) et Nafissa

Origine : échange mail, texte paru dans la revue du Mauss

« Une valeur galvaudée et une illusion démasquée ont le même pitoyable corps,
elles se ressemblent et rien n’est plus aisé que de les confondre. »
Kundera. La plaisanterie, 1967

Ce texte part d’expériences personnelles quelconques, tente une ébauche d’analyse critique et appelle à la constitution de groupes de travail.

Nous rendons compte de deux parcours distincts à l’intérieur de deux établissements d’enseignement, l’un universitaire, l’autre en classe relais (collège) qui se revendiquent d’une filiation commune avec un des principaux courants intellectuels contestataires des décennies de l’après-guerre, le mouvement institutionnaliste2 (Partie I : Approches). L’amorce d’analyse ici proposée se fonde sur un rapprochement entre les pratiques de ces deux institutions et d’autres plus conventionnelles (IUFM, écoles, entreprises), au regard de certains travaux actuels effectués sur le néo-management tel qu’il s’est construit dans les entreprises avant et pendant les années 90 en s’inspirant directement des valeurs subversives qui se sont affirmées dans les années 60 (Partie II : Rapprochements). Cette « récupération », déjà soulignée par d’autres, invite à aborder l’interrogation impérieuse sur les modes d’aliénations contemporains qui non seulement se déploient largement dans les établissement concernés ici, mais semblent constituer de facto l’essence de ce qui y est enseigné (Partie III : Abordages). Leur généralisation à tous les secteurs de nos sociétés3 corrélée à la « panne » des mouvements se réclamant d’un héritage gauchiste et/ou autogestionnaire semble rendre ces derniers particulièrement sensibles aux risques de convergences et d’accrochages à ces nouveaux modes d’organisation (Partie IV : Accrochages). Nous tenterons de dégager quelques ébauches de chantiers susceptibles d’opérer un décrochage d’avec ces mécanismes, et notamment à partir de la réflexion institutionnaliste : Nous appellons à l’élaboration de collectifs d’analyses internes capables de travailler une critique lucide et sans complaisance, mais organiquement et explicitement lié au projet d’une radicale transformation sociale enfin étrangère aux pratiques démagogiques qui semblent accompagner si bien la très actuelle « montée de l’insignifiance »4 (Décrochages).

Avertissements

La laborieuse rédaction de ce texte et sa forme, disparate, inachevée, hétérogène, témoignent des difficultés rencontrées, et d’abord de la confusion et de l’anesthésie de l’esprit critique que nos terrains semblent produire, et dont il sera presqu’uniquement question ici. Le projet de départ, également, « simple » chronologie d’évènements, voire monographie, suggéra rapidement la nécessité d’un rapprochement des deux terrains, puis avec d’autres pratiques, ouvrant d’insondables interrogations, appellant esquisses d’analyses et dégagement de perspectives (la chronologie des faits présentée en première partie doit permettre au lecteur de situer les lieux, les acteurs et les évènements qui parsèment par la suite les analyses). Nos « auto-citations » de textes non publiés ne sont pas de mégalomanie, elles souhaitent incerner nos cheminements, égarements, perplexités, et sont les traces anti-académiques de l’élaboration de ce texte. Ensuite, les « doctrines » en causes, institutionnalistes comme manageriales, semblent hétérogènes et difficilement se prêter à la généralisation (toujours pour les permières, encore pour les secondes 5). Précisons ici inutilement que nous empruntons des citations à des auteurs sans pour autant en partager toutes les vues et, moins que tout, les conclusions. Enfin nous souhaitons nous adresser autant aux « institutionnalistes » qu’aux profanes, militants ou non, étant donné que notre approche fait vaciller ces types de découpage. Cette approche d’ailleurs, foncièrement « institutionnaliste », s’en ressent, puisque, partant d’elle, nous ne faisons rien d’autre que de valider a posteriori et révérencieusement l’approche anti-bureaucratique qui la caractérise mais pour proposer un chantier qui réviserait fondamentalement ses notions, concepts, outils. Les initiés comprendront d’autant mieux... Finalement, ce texte relate nos parcours et l’interprétation que nous décidons d’en faire, non qu’ils soient particulièrement originaux, mais bien au contraire parce que quelconques, ils recoupent une infinité d’expériences singulières et communes à tous qui gagneraient à être collectivisées. Qu’il soit donc une ébauche qui participe à rendre réellement « expérimentaux » les lieux qui se réclament d’une telle démarche, c’est-à-dire, enfin, dignes d’analyses.

Partie I : Approches (panorama chronologique des deux terrains)

* Les difficultés croissantes de l’Education Nationale pour remplir son rôle face à des « jeunes entrés dans un processus évident de rejet de l’institution scolaire »6 aboutirent à la création de classes-relais relativement autonomes, dont certaines se réclament notamment de la pédagogie institutionnelle (PI), dont celle dont il est question ici, tendance « autogestionnaire ». Ici, justement, « il n’y a pas de chef » déclare-t-on dès l’entretien d’embauche de décembre 2001 ; pas question de reproduire le système dominant pour ces professeurs bien ancrés à gauche voire franchement libertaires, dont la coordinatrice est issue de la frange maoiste. Le parti pris est consacré : faire respecter la Loi comme construction collective plutôt que comme corset disciplinaire, formulé à travers des mot-clefs devenus conventionnels7 pour des lieux « expérimentaux » soucieux d’agrémentation. Les difficultés de mise en pratique sont consubstancielles au projet, mais le temps d’initiation de l’un des auteurs de ce texte prenant fin, des questions plus inhabituelles se posent très vite, et souvent par les élèves. Des violences et vols importants se produisent dans l’école en janvier, qui convoque alors les forces de l’ordre et ferme trois jours... Pour rouvrir sans que rien n’ait été sérieusement ébranlé par la crise. Le décalage n’est pas celui escompté, entre une « utopie » et une « dure réalité » faite de psychotiques et de sursitaires mais aussi d’anti-scolaires comme nous sommes nombreux à l’être ou à l’avoir été : le refus professoral de tenir le projet autogestionnaire s’argumente de l’interieur même de celui-ci. Le système de significations alors créé est suffisamment élaboré pourqu’aucune interrogation ne puisse facilement l’ébrécher ; cette clôture de l’institution sur elle-même n’a rien à envier aux établissements « classiques » : on y retrouve les mêmes aliénations8, mais dans un nouveau langage, polymorphe, difficilement saisissable, qui freine toute réelle mise en question, tandis que les dispositifs demeurent, désamorcés de leurs forces instituantes. Les différentes interventions (modification du règlement, proposition de sociogramme, d’évaluation des dispositifs par les élèves, d’une commission « sanction réparation ») se heurtent au fait que personne ne souffre d’aucune discussion un peu sérieuse sur le fonctionnement de l’école, incapable de voir dans la violence omniprésente dans l’établissement un phénomène collectif créé par son climat mortifère. Le « Bilan » annuel de l’équipe de juin 2002 de l’école laissa un goût amer. Les analyses sauvages que nous menons en aparté ébranlent fortement nos convictions politico-pédagogiques, nos expériences passées et leurs fondements « institutionalistes ».

* Dans les murs de l’université voisine, se déroule en ce début d’été un colloque organisé par un courant dissident de l’officiel « labo » d’Analyse Institutionnelle9 au département de Sciences de l’Education ; « 1962-2002 : L’Analyse Institutionnelle (AI) hier et aujourd’hui. L’apport de Georges Lapassade ». Le courant qui en est à l’initiative est composé d’un collectif d’étudiants réunis autour de deux professeurs, MM.H et V., et s’est autonommé « Les irrAIductibles ». Il est le fruit d’un conflit de succession vécu après la mort du fondateur en 2001, revendique clairement l’autogestion politique, et édite, suite au « 21 avril » une revue éponyme. Ici, Dans la Mecque institutionnaliste (Cf. note 9), les questions pressantes nées dans la classe-relais semblaient pouvoir trouver là l’occasion de se formuler hors sphère privée, de mériter débats et conseils, et d’aboutir - pourquoi pas ? - à une inscription universitaire de troisième cycle dans le département. Mais « nous nous sommes inquiétés très rapidement du fait que les rigidités relationnelles et l’orthodoxie organisationnelle mobilisées à l’occasion d’un « hommage » à un « agitateur institutionnel » ne pouvaient relever que de la comédie, du cynisme ou de l’incompétence la plus totale. Impressions toutes trois confirmées, amplifiées et argumentées, en aparté, par la plupart des acteurs de talents conviés à la messe (conférenciers, professeurs, invités étrangers, étudiants, extérieurs, ...), certains nous appuyant dans nos interventions publiques. »10. Pourquoi de telles contradictions entre la grand’messe, les principes pédagogiques des institutionalistes, les propos tenus ? Qui l’a organisé et dans quel but ? Pourquoi un tel silence des étudiants quand tout doit appeler au débat ? Que viennent-ils chercher ? Pourquoi aucune réponses à ces questions ? De purement interrogatives ces dernières devinrent de plus en plus virulentes face aux louvoiements qui leur tenaient de répliques... pour finir debout sur une table en réponse à une doctorante qui refusait le dérangement s’il n’était symétrique... Le lendemain, le « détournement » du « bilan » final ne devait pas nous (en) faire redescendre : nous profitons d’une perturbation de la très solennelle pleinière pour organiser des petits groupes, plus à mêmes de déclencher une parole moins conventionnelle. Le contenu des discussions nous laissa rêveur quant à la vacuité de la formation des personnes présentes de 2nd et 3ième cycles qui semblent tout découvrir du sujet, la naïveté pertinente de leurs demandes (« Si c’est ça l’autogestion, alors pourquoi on aurait pas de formation à ça ? »), leurs impressionnantes réticences à formuler des critiques, et surtout le refus des organisateurs de répondre aux nôtres qui firent « fuir les responsables impliqués dans ce pitoyable scratch my back, I’ll scratch yours, à la simple évocation de quelques analyseurs (argent, histoire, dispositifs, ...), et ses productions11, jamais discutées... »12. « Georges [Lapassade] s’est vraiment éclaté dans cette séance d’évaluation qu’il a animé comme au bon vieux temps »13 commente Mr.H...

* L’opiniatre espérance de la rentrée de septembre 2002 à l’école “expérimentale” est de courte durée : Les nouvelles des élèves de l’année passée montrent au mieux la vacuité de cet intermède dilatoire dans leur vie, au pire un désenchantement consommé quant à la vie collective, les bonnes résolutions des enseignants restent lettres mortes, et surtout l’espoir suscité par le départ de la figure patronesse qu’était la coordinatrice se dissipe devant le leadership implicite d’une nouvelle enseignante, issue de la direction d’une SEGPA (section d’enseignement général professionnel adapté) et de l’expérience « Bonaventure »14, qui se surinvestit au détriment du nouveau coordinateur désigné : la tension souterraine qui parcourt toute l’équipe et la violence ostentatoire des élèves se répondent et se nourissent mutuellement, les uns prêchant une bonne parole éducative de facade que les autres ébrèchent sans difficultés. « En fait c’est facile de mentir, c’est tout ce que vous demandez » semble comprendre un élève visiblement en voie d’insertion qui se confie à sa professeure en voie de décrochage. Démission à Noël 2002. Un article relatera l’expérience15.

* En octobre 2002 au séminaire hebdomadaire « Les mardi de l’AI » nous sommes expulsés dans l’indifférence générale par Mr H., leader des « irrAIductibles », pour avoir tentés de faire entendre les plaintes de quelques participants. On nous accueille en auditeurs libres en avril 2003 dans le « cours hebdomadaire d’autogestion pédagogique second semestre » de l’université entièrement géré par les étudiants par un « bienvenus dans le bordel organisé », formule-clin d’oeil consacrée des autogestionnaire de tous les pays. Le cours fait suite à une « initiation » encadrée au premier semestre et est sous la responsabilité d’un enseignant -Mr V., absent sur la demande des étudiants-, dissident du « Labo » (lequel pratique, dit-on, la pédagogie frontale). Mi-mai 2003, un étudiant fait circuler un texte qui tente d’analyser le collectif : les « anciens de 3ième cycle » ont un pouvoir sur les « nouveaux de second cycles »16 en profitant de la présence inexpliquée d’un enseignant à ce cours, Mr H., qui leur laisserait entrevoir quelques promotions carriéristes. Nous proposons lors du cours suivant un texte de 5 pages, « Critiques Constructives »17 qui fait scandale sur le coup : liant la situation du cours avec l’épisode du colloque, nous pointons le simulacre généralisé pour appeler à la constitution de groupes d’analyses. L’enseignant tente de nous lancer son gobelet de chocolat au lait sucré, hurle des menaces de mort, exhorte ses étudiants au lynchage, jure de se suicider, le tout devant une centaine d’étudiants ébahis. Mr. Lapassade, venu pour l’occasion, tente d’organiser des tours de parole, avant que la scéance ne se termine dans la débandade. Les cours suivants, consacrés à « l’auto-évaluation », se dérouleront dans le calme.

* L’année suivante à la même époque, le cours est reconduit, mais fondu avec celui du département d’informatique et se baptise « Groupe Autogéré du Mercredi ». Par l’intermédiaire d’un texte18 nous proposons au collectif d’une dizaine de personnes de se constituer en groupe d’analyse des pratiques universitaires locales. Il sera dissout après deux mois de fonctionnement léthargique, au moment précis où il venait de se fixer comme objectif de travail l’analyse interne et symétrique des deux courants rivaux d’analyse institutitionnelle. Il est annoncé que les cours autogérés n’auront plus lieux les années suivantes.

Partie II : Rapprochements (six caractéristiques du post-gauchisme et du néo-management)

Avant d’entrer plus avant dans les descriptions et les rapprochements, précisons d’emblée le « climat » général de ces établissements et les fondements a priori de notre approche.

Le refus paradigmatique de l’Autorité (au sens mendelien du terme : une formation sociale-psychologique historique19) incarnée dans un individu ou un appareil devient refus de l’exercice explicite et assumé du pouvoir par un collectif. Celui-ci ne pouvant plus jouer son rôle structurant et organisateur, tout pouvoir est alors laissé à un individu ou clique d’autant plus insaisissable que la dénégation des relations de pouvoirs s’appuie sur une incantation à « l’autogestion »... qui mine en retour l’institution de lieux de paroles structurants. L’éclatement de la délibération commune se fait au profit exclusif des relations duales, inter-personnelles, non-médiatisées par le groupe, et dans lesquelles s’exercent alors toutes les manipulations affectives, séductions et intrigues, jeux d’influences, laissant libre cours aux tropismes grégaires jusqu'à ce que, spasmodiquement, l’angoisse se fixe sans retenue sur un leadership providentiel alors aveuglément investi. Le système semble en voie de cloture dans nos cas puisqu’il s’agit d’établissements d’enseignements qui se fixent, justement, pour objectif d’enseigner prioritairement un savoir bien spécifique ; une vie collective, une socialité, un être-ensemble qui leur est propre.... C’est la nature de ce type d’organisation qui nous interroge.

« Elles existent ces limites et ces lois puisqu’on ne signale ni meurtre, ni incendie.

Qu’est-ce qui fait la loi ici ? Qui ? Comment ? Questions intéressantes, non ? (...)

Des enfants à la merci des réactions « personnelles » des adultes,

de leur fantaisie, de leurs fantasmes. »20.

Oury.F, Quoi D’neuf ?, 1978

« Cette fascination pour la fluidité et les réseaux (...) résulte d’une confusion

entre horizontalité et démocratie. Elle s’acharne à faire le siège de forteresses abandonnées sans comprendre que l’effectivité véritable du pouvoir est d’autant plus féroce qu’elle est invisible,

que les formations horizontales qui esquissent la future Ville mondiale21, bien loin de « démocratiser », élèvent la concentration de foyers de décision capables

d’agir discrètement partout et nulle part sans que cette confrontation soit compromise

par toute la pompe de verticalités trop visibles. »

G.Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, 1998

La proximité géographique entre l’université et la classe-relais permet quelques liens qui ne dépassent pas la relation utilitaire sans lendemain (production d’un mémoire d’étude d’un coté, emploi-jeune suivant des cours en licence de Sciences de l’Education de l’autre) et n’ont jamais engagé de travaux commun. Pour autant, ils se réclament explicitement d’une même « mouvance » fédérant la pédagogie institutionnelle et l’analyse institutionnelle, qui s’est construite en réaction aux univers disciplinaires, l’école-caserne et l’entreprise capitaliste fordienne. L’AI particulièrement s’élabore à la fin des années 60 en dissidence avec la psychosociologie officielle. Dans “Groupes, organisations, institutions” de 1967, G.Lapassade impute à cette dernière la tâche d’assurer la transition de la « phase B », mode d’organisation du capitalisme industriel bureaucratique, à la « phase C », mode d’organisation d’une future bureaucratie à même de « mettre à son profit l’idée d’autogestion »... Par celle-ci, « (...) il faut alors entendre la gestion de la société par une nouvelle bureaucratie (...), avec ses « gentils organisateurs » comme on dit au club méditerranée, » ayant perdu « sa rigidité, capable d’intégrer les déviants, de pratiquer la dynamique des groupes et la démocratie interne, de gérer le changement, de rechercher la participation » d’une base dont « la volonté de participation et de gestion diminue dans la mesure où diminue la contrainte [directe], l’autoritarisme ». Dans cette perspective, « la révolte (...) peut tout aussi bien être l’expression d’un nihilisme qui serait le complément de la modernité » 22.

Le présent travail s’inscrit dans la stricte continuité de cet ouvrage inaugural ; il met en rapport le type d’organisation observé sur les terrains et celui largement décrit dans le domaine pédagogique par une stagiaire en IUFM, Rachel Boutonnet23, mais surtout, dans les nombreux textes décrivant les nouvelles pratiques généralisées de néo-management, dans le cadre d’un « nouvel esprit du capitalisme ». Ce dernier « a pour objet d’éliminer en grande partie le modèle d’entreprise forgé à la période antérieure, d’une part en délégitimant la hiérarchie, la planification, l’autorité formelle, le taylorisme, le statut des cadres et les carrières à vie, et d’autre part en réintroduisant des critères de personnalité et l’usage des relations personnelles » afin de « libérer les cadres et tous les salariés »24 de « la soumission et de l’obéissance »25. Cette « récupération » durant l’offensive Reagan-Tatcher-Mitterand, concomitante au reflux symétrique des forces critiques sociales et politiques, et particulièrement de l’AI, régulièrement déclarée morte depuis plus de vingt ans26, « place les héritiers de « 68 », quels qu’ils soient, dans des postures pour le moins équivoques. »27. Ces dernières ne sont pas celles d’acteurs enclavés depuis des décennies que l’époque aurait subitement rattrapés : l’enseignant responsable des « cours autogérés » intervient depuis plus de dix ans à EDF, cas d’école du néo-management, l’université abrite un département « création d’entreprise et pratiques manageriales », la coordinatrice de notre école-« expérimentale »est intervenante en IUFM et dans une autre université de la région, son équipe comptait un transfuge du secteur « communication et management », ce qui ne semble pas rare dans l’Education Nationale.

Pour tenter de cerner les point saillants qui caractérisent nos terrains, et pour faciliter le débat, nous formulons en six points ce qui nous semble être l’essentiel : simulacres, interpersonel, autoservitude, menaces, savoir-être et surimplication.

1 – Simulacres. L’héritage institutionnaliste est largement revendiqué sur nos terrains et s’incarne dans le maintien des dispositifs collectifs où peuvent se confronter instituant et institué et se décider les règles et les rapports aux règles. Mais si les dispositifs sont maintenus, ils sont totalement vidés de leur contenu. Les lois ne sont pas édictées par un collectif, et encore moins les modalités de leurs applications : le « Grand Conseil » de la classe relais est incapable de réviser aucune des 6 règles du règlement, et leur éventuelle application se fait selon le bon vouloir des enseignants. Un élève dérangé en plein travail par un éducateur et qui demande légitimement des comptes lors d’une scéance pleinière se voit infligé publiquement une leçon de morale sur son attitude « provocatrice ». La règle interdisant le port de la casquette dans l’enceinte de l’établissement était l’objet de crispations systématiques sans discussions tandis qu’un enseignant faisait très mauvaise figure en voulant appliquer rigoureusement la règle des retards et absences. Nous intervenons dans le séminaire ouvert « Les mardis de l’AI » à la rentrée universitaire, où, après trois heures de discours lénifiants devant un auditoire docile, une collaboratrice du département évoque la difficulté à assumer seule et bénévolement une bonne partie des tâches administratives et se fait doctement remettre à sa place : nous interrogeons la répartition des tâches, la disposition frontale de la pièce qui ne facilite en rien les échanges transversaux, et surtout le silence de l’assemblée qui devrait y voir là l’objet même de sa présence, ainsi que la surdité du staff à la parole des étudiants. « Quelle parole ? » déclare l’orateur, qui reconnaît alors le « gauchiste »28 du colloque et menace l’assemblée de cesser ses enseignements si l’importun ne quitte les lieux. Personne ne s’inquiète de l’arbitraire ni ne cherche à comprendre plus en avant les tenants et aboutissants de l’histoire ; on sussure un « revenez dans quelques semaines, il sera calmé ». Le bilan lors du dernier jour du colloque est édifiant : « Ce jour là, personne n’avait de thèse ou de livre à nous narrer... [mais] l’analyse telle qu’elle était proposée en début de matinée avait quelque chose de rassurant : en plénière, aujourd’hui, on ne risquait pas d’entendre plus de choses qu’en plénière, hier... »29. Les étudiants, pour qui le colloque était un mode de validation, restent aussi muets aujourd’hui, devant leur professeur qui les somme de s’exprimer, qu’hier devant le chatt des spécialistes. Puis « Lapassade arrive, avec son chien un berger allemand surexcité, ça se met à bouger, on entend des rires nerveux d’autre joyeux. [L’organisateur du colloque en charge des validations] s’en va, certains étudiants rangent leurs affaires d’autres sortent fumer dans le couloir, bref c’est flottant . Comme dans toute grande bouffe il y a du gâchis, des paroles précieuses à propos du colloque s’échangent dans le couloir encore une fois ce qui ne peut se dire à l’intérieur se dit dehors. (...) Je crois nécessaire alors d’organiser une séance de travail en groupe, cependant je suis de nouveau un peu perdue; est-ce à moi d’initier ce travail ? Je rend compte à Lapassade de ce qui se passe alors dans le couloir, il me le confirme : il faut faire « des commissions »... (...) Nous voilà en petits groupes, ces mythiques petits groupes dont hier en colloque on faisait ma marotte et qu’on présentait comme la révolution impossible au nom d’une mémorable tautologie (« un colloque c’est un colloque, voyons ! » (sic)). Pour certains étudiants, on découvre un dispositif... et on se découvre, aussi, dans mon groupe ça parle un peu, beaucoup, pas mal... Un bilan normal, quoi... Je me sens moins seul, un peu, à voir des fleurs qui s’ouvrent, éclosent, délicatement, et qu’on m’avait décrites comme, au choix, déjà épanouies ou encore en boutons. Ravissant... »30. Le colloque était une comédie dont personne, sauf nous, n’était dupe. La parole circule dans les interstices, dans les couloirs. Ici tout collectif est simulacre.

2 – Interpersonnel. La volonté affichée d’humaniser la vie en commun amène à afficher un primat des relations personnelles face au repoussoir organigrammatique. Mais affirmer la nécessité d’une convivialité et d’une complicité que la bureaucratie jugule amène ici l’instauration de relation duales où l’arbitraire d’un individu se fait décision collective. On croit voir à l’oeuvre la recherche de la très manageriale « confiance réciproque qui provient davantage d’un lien émotionnel fort que d’un raisonnement intellectuel et d’une adhésion rationnelle ». Cette relation de « complicité » affective imposée, comme le tutoiement traditionnel de Vincennes (ou d’IBM), se retrouve totalement entre formateurs et stagiaires dans les enseignements d’IUFM31, où elle est promue comme pédagogie sous couvert du « tabou » de la « question de l’autorité » décrit comme « un des aspect les plus scandaleux de la formation ». Dans le « cours autogéré », partant de la tradition vincennoise qui veut que l’on refuse la validation académique des diplômes, et pour éviter comme dans l’entreprise le « carcan de l’évaluation hiérarchique »32, les modalités de validation sont laissées entièrement aux étudiants qui, ne sortant pas du laxisme ambiant, s’attribuent des notes avalisées par un semblant d’AG transformée en chambre d’enregistrement et censées être validées par le professeur responsable sur des critères insaisissables. Les étudiants eux-mêmes ne cessent de dénoncer le flou dans lequel ils évoluent, en présence, de surcroît, d’un professeur au rôle mystérieux. Paradoxalement -ou non-, les questions de validation grèvent systématiquement toute discussion. Ici encore, personne n’est dupe devant les « notations de complaisance » que suscite le leadership installé des courtisans de Mr H, qui ne manque pas de MrH justifier sa présence aux « cours autogéré » en évoquant ses « intérêts d’éditeurs » pour « des étudiants fantastiques » et de « futurs professeurs » qui apprécient ces « expériences historiques d’autogestion »33. Ces promesses promotionnelles sont exactement symétriques à la dévalorisation systématique exercées à l’encontre du reste des étudiants, plus distants. D’ailleurs cette soumission très mandarinale se transforme en allégeance à partir du 3ième cycle, avec déplacements hebdomadaires ou mensuels au domicile du professeur, ce qui semble caractériser ici la relation maitre-disciple depuis longtemps déjà34. Les évaluations des mémoires universitaires semblent bien plus sanctionner le rapport affectif patron / etudiant qu’un travail réel : On peut, lors d’une soutenance de thèse de Sciences de l’Education à dominante philosophique, pointer le manque de « problématique », « d’interprétation et d’analyse », l’absence de « justifications », « fondements » et de « présupposés philosophiques » du travail autant que de « perspectives », des jugements totalement erronés sur un philosophe classique, et décerner un « Très Honorable »35 (l’inverse est plus rare).... Un même flou semble entourer le travail à rendre en IUFM, un même arbitraire évaluateur derrière un discours fumeux36. La situation est similaire dans notre classe-relais : les grilles d’évaluation scolaires des élèves, quand elles existaient, relevaient du domaine privé de chaque enseignant, comme tout ce qui concernait la vie de la classe ; « l’auto-évaluation » de l’équipe pédagogique était plus que chimèrique, se réduisant aux desiderata de la coordinatrice ; quant à la crise qui provoqua le fermeture de l’établissement, il ne fut pas l’occasion d’élucidation collective, mais de sermons individualisés.

3 – Autoservitude. Pris dans un réseau de relations où règnent « autorité et séduction », il s’agit donc de « deviner » le désir du leader implicite, de l’intérioriser au point de pouvoir s’y soumettre en son absence : « là aussi, comme le management moderniste, on entend procéder par l’imprégnation et l’intériorisation des normes, et on met tout en oeuvre pour recueillir une parole qui soit le signe de l’assentiment de l’individu »37. L’équipe pédagogique de la classe-relais, soumise aux exigences de la coordinatrice présente par intermittence38, fait preuve d’un auto-contrôle permanent... « Dans un tel contexte, on est amené à substituer au commandement hiérarchique dans le plus grand nombre de cas possibles des pratiques visant à amener les gens à faire d’eux-mêmes, et comme sous l’effet d’une décision volontaire et autonome, ce qu’on désire les voir faire »39. Les ressorts de cette soumission sont fortement psychologiques, et une forte similitude existe avec cet autre collectif, féminin, féministe et explicitement autogestionnaire où « le maintien envers et contre tout d’une structure égalitaire peut être analysé comme la fidélité à l’ordre symbolique maternel compris comme la nécessité de rester chacune à sa même place de fille. (...) L’interdit majeur du conflit, la séparation (on ne doit pas démissionner)40 et la hiérarchisation, aurait pour enjeu l’interdit du meurtre symbolique de la mère. (...) En énoncant les interdits par leurs paroles et par leurs actes, dans une crispation sur la norme de non-différenciation, les membres de l’équipe seraient, pourrait-on dire, agis de l’extérieur, dans une dépendance qui les priverait des moyens de réguler leurs relations institutionnelles et les empêcherait de traiter les problèmes rencontrés dans la gestion du centre »41. Cet exemple mériterait qu’on en dépasse l’aspect illustratif puisque la féminisation du pouvoir est un trait commun de nos terrains et recoupe des hypothèses avancées par d’autres sur l’évolution globale de nos sociétés42 qui confirment cette intériorisation de l’ordre à travers une tacite discipline à respecter qui doit être comprise sans avoir été énoncée. On retrouve le très managerial « fort sens de l’autodiscipline »43.

4 – Menaces. Dans cet univers relationnel mouvant aux règles mystérieuses, le dehors est effrayant et l’exclusion redoutée. C’est « la rue et la cité » pour la classe-relais, ou encore le rectorat qui menace régulièrement l’école de réduction de moyens (postes,horraires, budget), c’est, pour le groupe des « irrAIductibles », « les Inhumains » (sic), le « labo » qui a « indûment » été habilité par le ministère, pratiquant la pédagogie frontale avec qui le groupe est en « lutte à mort ». Après notre intervention au colloque, on « se demande si [l’importun] n’a pas été envoyé pour nous espionner »44 ; l’étudiant qui à diffusé son texte d’analyse du « cours autogéré », et qu’on ne reverra pas, a été immédiatement suspecté d’être « un espion »45. Les histoires d’exclusion vont bon train et chacun de se demander si ce qu’il a à dire ne fera pas de lui le prochain sur la liste... Le « groupe autogéré du mercredi » sera témoin d’une autocensure permanente dès que le projet de lancer un début d’analyse de la mouvance institutionnaliste de cette université sera exprimé. La réunion où, à quelques-uns et après trois mois de délibérations, il est enfin décidé de mener, à l’aide d’entretiens, deux enquêtes parallèles consacrées aux deux courants rivaux sera également la dernière ; comme si une telle résolution signifiait ipso facto auto-dissolution. A l’IUFM : « Chacun à peur de parler parce que parler peut constituer soit une délation soit une subversion. Les critères de validation sont flous. Tout est fait pour que nous ne sachions jamais ni quand ni sur quels critères nous sommes évalués. Comme le formule un collègue, si au moins il était établi que les choses étaient secrètes. Mais on maintient une apparence de transparence, ce qui brouille encore plus les cartes. C’est la peur qui règne »46.Le néo-management ne semble pas être autre chose : « Cette sorte de contrôle continu, le sentiment d’une surveillance étroite ne peuvent que contribuer à l’infantilisation forcée. De plus, c’est l’auto-évaluation qui est demandée, dans laquelle le salarié doit préciser comment il se juge lui-même par rapport aux objectifs fixés (...) Nous sommes dans cette dimension où règnent la démesure, la non-limite ou l’illimité, l’absence de règles contractuelles et de repères stables »47. Ce banissement arbitraire, réel ou fantasmatique, « réveille le sentiment abandonnique de base »48 et est d’autant plus dévastateur que « le rôle du dominant, jusqu’alors tenu par un personnage extérieur, se trouve maintenant, avec l’ ‘auto-autorité’, devoir être tenu par le sujet lui-même. »49. Le fin du fin semble atteint dans les silencieuses, mais massives, auto-exclusions que chacun pourra convoquer en temps voulu pour illustrer, qui son courage et sa persévérance, qui le niveau d’excellence de l’enseignement. Il serait faux de décrire une ambiance policée : des « éxécutions » ont lieu, pour l’exemple. Lors de notre intervention au « cours autogéré », Mr. H. s’emporte avant même que l’assemblée n’ait le temps de prendre connaissance du texte : il lance à l’importun son chocolat chaud, l’insulte copieusement, le menace de mort et menace de cesser ses enseignements en se suicidant si personne ne se décide à lui « crever la paillasse ». Le tout devant une centaine de personnes abasourdies, étudiants présents à ce cours ainsi que ceux du cours suivant qui s’impatientaient et furent convoqués par la cour de l’enseignant courroucé. Lors du bref échange qui s’ensuivit, une étudiante consciencieuse montrera subrepticement sa carte de fonctionnaire de police à Mr Lapassade qui tentait d’organiser des tours de parole.

5 – Surimplication. Dans notre école “expérimentale”, la classe est constituée de cinq élèves maximum au plus fort de sa fréquentation, qui tournent sans cesse, rendant impossible l’élaboration d’un « groupe-classe » et condamnant l’enseignant à une situation de face-à-face où il doit assumer seul sa pédagogie, ses règles de fonctionnement, voire son savoir puisque la « polyvalence » demandée peut amener une confusion des rôles, un dévoilement mortifère s’il n’est pas médiatisé. Situation vite invivable pour «l’enseignant [qui] se trouve en effet impliqué dans une situation (...) où sa propre personnalité est directement mise en jeu, sans référence claire lui permettant un désinvestissement salutaire. Le rapport enseignant / élèves a alors tendance à verser dans une relation duale où les affects prennent le dessus ; La moindre réflexion de part et d’autre peut être prise comme une « attaque personnelle ». Le responsable ou l’enseignant peut alors osciller constamment entre laxisme et autoritarisme, passer du langage doucereux sur la convivialité, la responsabilité et le dialogue à des mesures injustes et arbitraires. Ayant perdu le sens de l’institution, il perd en même temps le sens de la mesure »50. On a vu ainsi la réaction de l’enseignant à la diffusion d’un texte (« Critiques Constructives ») remettant en cause le fonctionnement du groupe dans lequel il était parti prenante... L’investissement ici en cause est bien plus que le simple accaparement par l’institution du temps, du travail, de l’énergie de l’individu. Il s’agit ici de la mobilisation de la personnalité dans son ensemble pour une tâche qui échappe essentiellement à son exécutant, processus connu des institutionnalistes de l’université51. Le repoussoir est évidemment -mais faussement- l’attitude consumériste ou clientéliste, et le moteur l’urgence construite de la situation : carrière prometteuse, expérience historique d’autogestion ou glorieuse épopée humanitaire en quartier sensible. À l’université, l’utilisation encouragée du « journal institutionnel » sur des terrains personnels débouche dans ce contexte sur des déballages égocentriques de comédies intimes qui serviront à l’occasion à psychologiser à peu de frais les relations : la notion même d’implication a, dans la mouvance institutionnaliste, un fondement largement psychanalytique (Cf. plus bas). Cette utilisation quasi-systématique d’analyses sauvages individuelles permet autant de trouver des explications confortable au délire ambiant qu’a déstabiliser un peu plus tout dissident : les élèves agités en classe-relais vont systématiquement chez le psychiatre aux ordonnances généreuses, la commode « pathologie mentale » explique le départ « subite » du professeur critique à qui le coordinateur conseillera gentillement « d’aller voir quelqu’un » et au « cours autogéré », un « va te faire psychanalyser » permettra de clore abruptement le début des échanges.

6 – Savoir-être. Le projet de faire des analyses collectives des phénomènes de groupe des « agents d’éducation » capables de travailler les relations affectives au maître, au groupe-classe, aux dispositifs pédagogiques, et, bien sûr, aux savoirs52, et de l’« analyse institutionnelle en acte »53 un fondement indissociable de tout enseignement, est retourné : L’apprentissage n’est -quasiment- que l’intériorisation de la duplicité du discours que l’institution tient sur elle-même. Les élèves qui restaient en classe-relais compensaient leur faible niveau scolaire en redoublant d’effort pour épauler les enseignants afin de faire taire toute parole non-conforme, critique, divergente. « C’est facile de mentir en fait, c’est tout ce que vous demandez... » lâche Michael après une scéance de travail qui se passe sans encombre.

Mais ce type d’organisation, incarnant cette quête « d’autonomie » est une fin en soi dans ces établissements d’enseignement qui refusent la forme magistrale de la transmission des savoirs : Il s’agit avant tout pour notre classe-relais de « resocialiser » le jeune marginal, que l’on destine explicitement aux petits boulots précaires, à travers une « éducation à la citoyenneté et à la démocratie » au sein d’une « comunauté éducative » que constitue l’établissement, et pour notre « cours autogéré », de « vivre l’autogestion ». Le scandale est donc total : ces autocraties sauvages ne veulent pas seulement se faire subir, tolérer ou admettre de leur membres, mais être reconnues comme lieux privilégiés et quasi-subversifs dont les procédures doivent être apprises, intériorisées, reproduites comme essence d’un « savoir-être » citoyen... Comment ne pas y voir l’ultime avatar de « ce rêve d’une formation totalitaire, que la clinique nous montre au travail chez tout « formateur », [qui] trouve aujourd’hui une réalisation collective »54 ? Le projet disciplinaire de l’école-caserne semble se poursuivre sous forme de contrôle dans l’école manageriale, ou égogérée55...

L’apprentissage est rendu impossible par l’absence d’instance tierce, fut-elle traditionnelle, fut-ce un savoir trivial, entre l’enseignant et l’élève. Il semble de plus acculer à la régression généralisée, puisqu’il prétend se réclamer des corpus institutionnels et autogestionnaires qui justement posaient les exigences de dispositifs « triangulateurs » travaillés par les acteurs eux-mêmes. Mais en posant cette duplicité comme objet central à acquérir, ne prône-t-il pas, finalement, un nihilisme somme toute très contemporain ?

Partie III : Abordage (croire n’apprendre rien puis désapprendre pour réapprendre)

N’apprendre rien.

Pour l’étudiant qui s’interroge légitimement sur le comportement et la présence d’un professeur, une question se pose : « Comment, par exemple, peut-on prétendre enseigner l’autogestion pédagogique et, dans le même moment, anesthésier tout dispositif de clarification de la relation maître-disciples ? Ou d’autres encore : Comment peut-on se réclamer de la psychothérapie institutionnelle et participer, et faire participer, à la reproduction systémique de la folie du pouvoir, du non-pouvoir, par la consolidation des relations classiques psycho-familiales ? Pourquoi une théorie basée sur l’intervention est-elle portée par des individus absolument incapables de se nourrir, d’accueillir, de tolérer une seule parole qui sorte du rang, autrement que par la manipulation, l’insulte, la diffamation ou l’exclusion (à quand les menaces) ? Comment une pratique destinée à comprendre et gérer les conflits se révèle-t-elle durablement impuissante à se saisir des chamailleries de pouvoir, quelquefois violentes physiquement, baptisées risiblement « luttes à mort » [pauvre Hegel...] et qui ne se donnent même plus la peine de se camoufler derrière d’improbables divergences théoriques ? Comment peut-on se réclamer d’une quelconque dynamique de groupe et organiser - en catimini - des colloques consensuels, enfermés dans des formes hyper académiques dont le public muet est essentiellement constitué d’étudiants attirés par une facile validation ? Comment, enfin, peut-on ne pas se poser de telles questions et prétendre enseigner ou apprendre une discipline dont elles forment le B-A BA, et finalement qu’enseigne-t-on réellement ici ? »56. La question mérite d’être posée. La duplicité entre le discours affiché et les pratiques vécues tendrait à prouver qu’il ne s’y enseigne rien. Nous notions dans le même texte : « Il faut le dire calmement et fortement : si jamais de telles choses étaient enseignées, c’est-à-dire comprises et pratiquées, la machine « analyse institutionnelle » de l’université s’écroulerait, comme telle, dans l’instant. Ses rouages grossiers ne résistent pas une seconde à qui prend son objet au sérieux. »57. D’où une jonglerie entre le renvoi à l’ignorance de l’apprenant et une désinvolture face au savoir compris comme un contenu. « Apprendre, apprendre... n’est-ce pas un peu convenu... ? » demande un formateur de formation générale en IUFM58 prétextant - entre autre - le primat de l’éducation sur l’instruction qu’il a cru voir dans la PI59... Avec quel bagage intellectuel ou pratique ressortent les stagiaires ? Une chose est certaine : La narratrice ne connaît rien à la pédagogie institutionnelle dont s’inspirent explicitement ses formateurs et qu’elle assimile significativement à « la pédagogie recommandée par l’institution »60, et n’en saura pas plus en les quittant... Et on comprendrait parfaitement, tout en le déplorant amèrement, qu’elle n’en veuille rien savoir...

Les enseignants du cours « autogéré » de l’université sont forcés de reconnaître que « la lecture des travaux [des étudiants en second cycle] montre, en effet, qu’ils ignorent souvent jusqu’à l’orthographe des noms de ceux qui ont marqué l’histoire de ce courant. »61. Mais il faut signaler également la misère, souvent grammaticalement correcte, des productions de troisième cycle, maintenant bien vivante une caractéristique (tarte à la crème) de l’université de Vincennes et particulièrement de la mouvance d’Analyse Institutionnelle62. Pratiquement, lors du scandale créé par notre texte au « cours autogéré », aucun étudiant ne fut capable d’opposer à la panique de la situation un regard analytique pertinent tant sur le texte lui-même (beaucoup d’étudiants participaient au cours suivant « L’Ecriture Impliquée » professé par Mr H.) que sur le moment « chaud » que le groupe vivait. Les élèves de l’école expérimentale ne semblent pas dans une situation différente, et on ne voit pas ce qui leur donnerait envie d’apprendre quoi que ce soit : ils s’initient à la répartition des tâches (dispositif Freinet) devant une grille d’inscription qui ne propose qu’un seul « métier », le ménage, et où le choix des salles à nettoyer se fait à la force des bras ; ils participent à la gestion des conflits à travers les « rapports d’incidents » qui sont autant de leçon personnalisée de morale : goûtent aux rudiments de la démocratie par le « Grand Conseil », simulacre sourd : « ça sert à rien votre truc ». Les propos de Michael, élève en classe-relais, « c’est facile de mentir en fait, c’est tout ce que vous demandez », « on fait zarma », font étrangement écho à ceux de Rachel, notre institutrice en formation : « Les formateurs veulent faire changer les mentalités, abattre les vieilles conceptions, instaurer un monde nouveau. Ils se présentent comme des révolutionnaires, comme des libérateurs. Mais leur statut et leurs procédés prouvent qu’ils ne le sont pas. Ils sont dans la position contradictoire de tenir un discours anti-institutionnel63 alors qu’ils sont employés par l’institution ; de tenir un discours savant anti-savoir ; et de tenir un discours qui interdit toute réflexion en prétendant qu’il est libérateur. Ils énoncent ce qu’il faut penser. (...) S’ils avaient au moins le courage de se battre pied à pied avec leurs interlocuteurs. Mais leur savoir ne se discute pas, puisqu’il n’est pas fondé. Le seul argument dont ils disposent est l’argument d’autorité. Pour nous faire savoir que le savoir est mauvais et que l’autorité est nocive. »64. L’origine de notre intervention au colloque de juin n’a pas été autre chose que ce télescopage entre discours et pratique : « Bref je venais voir des maîtres, dans le cadre d’un hommage au travail d’un Maître, mais des maîtres dans l’art et la science de l’analyse institutionnelle, (...) Incompréhension, donc, compréhensible, j’espère. Et perplexité... (...) nous sommes totalement égarés, là, maintenant, en écrivant ces mots... pour ces gens, et dans leur revue65. (...) La bonne question étant, en ces temps fébriles, qu’est-ce qu’on fait ? »66. Cette situation semble être une illustration pertinente du « double bind »67 : « Si un Maître ne pratique pas lui-même ses enseignements, certains disciples décideront que c’est un imposteur de petite envergure, et iront, dans le meilleur des cas, sur un banc rigoler un bon coup, tandis que les autres imagineront que le Maître est au-delà de sa propre théorie, dans des sphères d’une pureté inexprimable... et sombreront dans un transfert immaîtrisé, pathologique car bloquant l’accès au (non-) savoir, qui n’agit plus comme tiers médiateur dans la relation duelle. Las ! S’il ne la pratique pas, c’est que sa science est bien, in fine, de faire choir les statuts de maîtres, dont le sien, et qu’il occulte le cœur même de son art, la mort, sa mort, symbolique ou réelle... C’est toute la problématique des arts martiaux et des disciplines « institutionnalistes »68, portée au carré par « l’enseignement de l’enseignement » qu’est « l’autogestion pédagogique ».... »69. On ne voit pas comment cette illustration paroxystique de la contradiction du capitalisme70, ce contexte pathologique princeps pourrait tout simplement permettre une transmission d’un quelconque savoir, même scolaire.

Désapprendre.

Plus même ; comment serait-il possible d’y reconnaître et d’y maintenir non seulement les acquis éventuels mais également tout ressenti singulier ou habitus culturels des individus ? Et pourtant, ces deux établissements accueillent un « public de banlieue », souvent déjà aux prises avec les réalités du travail précaire, particulièrement marginalisé de par ses origines culturelles et/ou sociales (voire son statut sur le territoire français) donc appelé simultanément à « l’intégration » et à « l’insertion ». Cette situation bien connue des mouvements contestataires est celle notée par Aristote ; le rapprochement entre « l’étranger » et « le penseur », tous deux capables de mise à distance du déjà-là, de l’institué, des normes de vies, valeurs, habitudes et impensés d’une société donnée71. C’est dire la lucidité de beaucoup d’étudiant sur le jeu qui se déroule sous leurs yeux, notamment quand les établissements prétendent à « l’interculturel , et « l’oubli de soi » que ces derniers doivent provoquer pour se maintenir à l’abri des regards critiques : « [La velléité, l’absentéisme et] le tourisme sont largement justifiés par l’ignorance que l’appareil pratique face à la richesse culturelle, politique et professionnelle des banlieues environnantes72, et le mépris qu’il leur porte, derrière des voeux pieux, au nom de la très commode « dépolitisation générationnelle ». Leur désertion (physiques ou mentale) est l’aveu d’impuissance de ceux qui s’en accommodent, incapables de la faire parler. Elle est interprétée comme le sceau de la subtilité du paradigme, elle n’est que l’analyseur criant de l’incurie patente de la plupart de ceux qui s’en réclament. Souvent attirés par une discipline résolument novatrice qui se révèle plus qu’utile dans des pratiques socioprofessionnelles exercées ou visées, beaucoup d’étudiants ne souhaitent, une fois compris le grand-guignol pathétique qui leur est servi, que rentrer chez eux une fois obtenus les diplômes dus (...) »73.

Réapprendre

De multiples paroles profanes interrogent quotidiennement les décalages évidents entre discours et pratiques, et la forme des discours de justification nous fait assister à la tentative de clôture de ces institutions sur elle-mêmes et révèlent par là le cœur de l’enseignement, qui rejoint les traits principaux du néo-management : d’abord un certain nombre de « psychomanipulations »74, puis, et c’est plus central, une torsion des concepts phares de l’AI pour les faire correspondre à la réalité, c’est-à-dire une tentative empirique de théorisation à rebours du néo-management.

Le « Groupe autogéré du mercredi » du printemps 2004 fut le théâtre par excellence du salmigondis qui tient lieu de pensée75 et qui constitue, en fin de compte l’ultime objet d’apprentissage proposé en ces murs. Il s’y déploya un discours très post-moderne sur l’équivalence des discours, un goût pour les différences qui se suffisent à elles-mêmes, une profonde compréhension que la « désacralisation du savoir » se transmue en un koan abyssal ; « il n’y rien à savoir »... La débilité de la pensée s’applique aux notions mêmes de l’AI, qui se trouvent retournés et assurent une impressionnante rationalisation de l’ordre établi. Leurs « insuffisances » a déjà été pointée par les institutionnalistes eux-mêmes, sans voir que l’actuelle mutilation semble consubstancielle aux activités propres de ceux qui les utilisent, et semble accompagner un fort mouvement de clôture des pratiques et des discours néo-manageriaux. Les travaux des étudiants sont des florilèges de mots-clefs sans consistance et sont autant de materiaux précieux pour étudier la confusion encouragée par l’appareil validateur. Un travail de relecture appliqué serait nécessaire, qui n’est pas l’objet de ce texte. Il est cependant possible d’effleurer le sujet, d’autant plus qu’il a déjà été esquissé ailleurs quand à deux notions-phares, celle d’analyseur et celle d’implication :

- Le premier, défini comme « tout événement, tout dispositif susceptible de décomposer une totalité jusque-là globalement saisie »76 nous est apparu comme paradoxalement un substitut à l’analyse. Pointer telle personne, telle situation comme analyseur faisait office de connivence complice permettant de faire l’économie de l’analyse des contradictions que cet analyseur dévoilait précisément... « L’analyseur peut être pensé comme le négatif de la résistance, ce par quoi se révèle le latent qui veut demeurer caché ; Mais l’analyseur n’est rien sans la lecture qu’on en fait, et on ne peut se contenter de l’affirmation réductrice selon laquelle c’est l’analyseur qui fait l’analyse, puisqu’en toute rigueur l’analyseur parle à l’analyste, et c’est l’analyste qui dit l’analyseur. »77. Cette « contemplation exstasiée des analyseurs » oblige à préciser « qu’il n’y a analyse qu’autant qu’il y aura quelqu’un pour la dire »78...!

- Similairement, la notion d’implication. Défini au départ comme un « contre-transfert institutionnel », soit l’investissement libidinal de l’intervenant dans un groupe, le terme est devenu l’objet de gargarismes sans fin. Il devient « pseudo-implication, à la fois psychologiste et scientiste, où la faribole exhibitionniste dispense la pensée paresseuse du nécessaire travail sur le statut du chercheur comme composante essentielle du procès de connaissance en tant que tel, avec sa dimension de critique épistémologique. »79. L’hypostase de cette notion galvaudée conduit directement à celle de sur-implication, qui n’est pas sans évoquer l’engagement fort et total que l’entreprise post-fordiste demande à ses salariés, jusqu’au fameux « savoir-être », l’identification de l’individu à l’organisation capitaliste elle-même80.

- De la même manière, il serait sans doute pertinent de s’interroger sur le leitmotiv d’auto-formation, ou l’invocation de la transversalité. La première permet, en mettant l’accent sur le projet de l’apprenant, de dédouaner l’enseignant de ses responsabilités, et la seconde, en s’opposant à des relations, rôles, identités figés par la verticalité et l’horizontalité de l’institution, ouvre grande les vannes de l’intimité forcée. Cette mobilisation recoupe de manière troublante leur utilisation dans l’univers managerial, qui y associe les impératifs de « polyvalence », d’« auto-discipline », de « flexibilité », d’ « employabilité », etc81....

- Last but not least, l’utilisation du terme, central dans notre propos, d’autogestion. « Nous pensons aujourd’hui que la notion de l’ « autogestion » demeure imprécise et trop chargée d’idéologie, de significations politiques immédiates. Elle se donne ce qui est à découvrir. » écrivait Lapassade en 1967... Comment ne pas y voir aujourd’hui, en 2004, une crispation identitaire qui permet de se déclarer hic et nunc patrie de l’autogestion réelle, puis, en face des difficultés, d’en faire un idéal inaccessible pour eviter de s’affronter à sa construction ? « C’est l’autogestion ici », « C’est pas autogéré là-bas », « on est en autogestion là ? », « ici [en classe-relais], on s’autogère : ‘auto’ ça veut dire ‘soi-même, tout seul », « L’autogestion, oui, mais pas avec eux [Les élèves de la classe-relais] ! » « chacun (...) s’autogère (...) est soumis à l’autogestion (...) Désolé pour ceux qui veulent des dirigeants dans l’autogestion »82... La confusion tient elle-même aux vitrines démagogiques proposées : à l’université, où décréter l’autogestion quatre heures par semaine durant quatre mois n’a aucun sens quand les « inventeurs » de la pédagogie institutionnelle posaient la nécessité d’un processus long et régulier, et en classe-relais où les demandes de fermeté et de règles claires de la part des élèves sont jugées incompatibles avec l’autogestion. Le décret anesthésie fantasmatiquement la conflictualité autour des normes explicites ou non qui travaillent tout collectif alors même que leur recherche constituerait un projet collectif. L’auto-constitution d’un groupe ne conditionne évidemment en rien le rapport qu’il instaurera entre sa prophétie initiale, son projet inaugural, son imaginaire institué et ses triviales réalités, ses aspirations nouvelles, ses significations instituantes. Au découpage vertical / horizontal, directif / autogéré, qui fait des ravages sur le terrain des luttes sociales, rappellons modestement la simple graduation des possibilités pour le collectif de reconnaître son fonctionnement, d’instaurer, en anticipant sur ce qui suit, des « analyses internes » et de se mettre en branle pour s’auto-instituer aussi lucidement que possible.

Partie IV : Accrochages (les perspectives manageriales des mouvements gauchistes)

Récapitulons : Le premier trait qui caractérise l’université et la classe-relais « expérimental »semble la profonde duplicité qui existe entre leurs subversives prétentions pédagogiques, politiques, culturelles et une pratique qui ne repose, en première approche, que sur du simulacre. A s’attarder un peu en ces lieux en prenant ce phénomène au sérieux on peut distinguer de singuliers collectifs anesthésiant les lieux de délibération au nom d’un spontanéisme protéiforme où l’arbitraire se grime en relations personnelles forcées empruntes de connivences, de complicités, d’affection, acculant à l’auto-servitude. Cette surimplication amène à intérioriser l’ordre institutionnel, aussi tabou que mytérieux et, à l’occasion, menaçant, lequel ne se donne comme rien d’autre que la quintessence du savoir à acquérir, un savoir-être. Là encore, on crierait un peu rapidement à l’imposture en dénonçant l’invisibilité des étoffes dont semblent se parer nos mandarins, en dénoncant la simple oligophrénie d’enseignements moribonds, puisque ce qui est à l’œuvre est une formation complète de facto, un véritable désapprentissage / réapprentissage qui opère activement une rationalisation de son fonctionnement à travers d’étonnantes torsions conceptuelles. L’individu qui se refuse à la fuite est formé effectivement en ces murs à une logique organisationnelle, déjà partiellement étendue à de larges secteurs de la société : Cette logique veut être celle d’une réseaucratie, a-hiérarchique, sans pouvoirs ni centre ni limite précise , informelle, conviviale et humanisée, « collant » à la réalité première des groupes sociaux, évitant les intermédiaires qui pourraient entraver l’échange et la communication, transformant les lourdes procédures de décisions et d’action en prises d’initiatives individuelles mises à l’épreuve du succès (Cf. note 5). Ce qui est évidemment visé, c’est une remise en question du rationalisme bureaucratique. Une question, que nous ne pouvons qu’esquisser, est alors capitale : si les collectifs ici étudiés participent pleinement à l’expansion illimitée de la réification, pénétrant loin dans l’intimitée de la vie et de la pensée de chacun tel qu’il soit produit un individu désabusé, apte à vivre dans la profonde précarité et le divertissement continuel, quel est la place de la rationalité (pris dans son sens fort et non uniquement économique) dans ces modes d’organisation ? Ces institutions y puisent évidemment leur légitimité, même, et surtout, subversive. Ce qui pourraient les différencier des bureaucraties classiques, c’est sans doute cet abandon spasmodique, voire ce recours assumé à l’irrationnel, lorsque les limites de la rationalité sont prétenduement atteintes, ou simplement quand il s’agit de se démarquer publiquement d’une vieille (psycho)rigidité administrative. Inutile de préciser que, quoi qu’il en soit, ces danses des sept voiles n’ont qu’un rapport folklorique avec la tâche qui est d’établir perpétuellement des liens nouveaux avec les sousbassements imaginaires qui fondent toute institution. Plus encore : On pourrait se demander si ce projet de réseaucratie n’est pas, de la part des institutionnalistes, qu’une architecture visant à rendre toute analyse institutionnelle impossible, atteindre cet état « insaisissable », y compris à soi-même, revendiqué par les collectifs militants les plus radicaux. Nié au nom d’un individualisme revendiqué, l’imaginaire règne en maître implacable ; la bande, la horde, la foule ne sont alors jamais loin83.

De la mouvance institutionnaliste...

Devant un tel constat, on serait tenté de déclarer malheureuse l’aventure institutionnaliste et de passer à autre chose. Mais où cet « autre chose » pourrait-il être trouvé, qu’il soit à ce point « autre » qu’il n’ait rien en commun avec notre objet ? Quelle délimitation pourrait-on bien donner à ce dernier, aussi bien quant à ses sources que quant à ses prolongements historiques ? Essayons de circonscrire son champ à l’apport inaugural de la dynamique de groupes de Lewin et de Moreno, ou des impulsions de Marx ou de Lacan, ou encore de Freinet, et déjà nous voilà seulement en train d’autopsier ce que nous jetions. Où que cet « autre chose » veuille commencer, il ne fera jamais l’économie d’un tel examen, qui l’amènera à chercher, autant que possible, les origines du « fourvoiement », de la « trahison », ou de la « dérive ». Sans s’étendre sur le sujet, qui serait à lui seul l’objet d’un travail qu’on aimerait voir faire, la « récupération » par le capitalisme bureaucratique force à distinguer en quoi ce qui à été « récupéré » était récupérable, en quoi et dans quelle mesure l’imaginaire du projet de départ recoupait celui du noyau même du capitalisme, une extension illimitée de la maitrise rationnelle84, en quoi l’institution portant un tel projet n’a pas su travailler au deuil d’un « autre chose » fondamentalement autre, projet pur à jamais irrécupérable par la société même qui le porte. C’était, c’est, in fine, la visée du mouvement institutionnaliste, et particulièrement de l’analyse institutionnelle, à travers la notion d’institutionnalisation, ce travail autour de la clôture. Nous sommes, et plutôt deux fois qu’une, invités à esquisser ici les conditions d’une telle analyse.

Une telle tentative se heurte immédiatement aux résistances brièvement énumérées plus haut, qui définissent en plein le mode de fonctionnement hétéronomique décrit en ces pages. Manipulations classiques et logomachie innovante peuvent être interprétées dans le corpus institutionnaliste comme des résistances de l’institution contre toute parole, critique, instituante, dissidente, qui interroge de fait les fondements de l’institué. Si cete parole est un objet d’étude pour le mouvement institutionnaliste, elle n’a jamais été considérée comme méthodologie digne d’être étudiée, puisque, provenant de l’intérieur de l’institution, elle s’y trouve « piégée »85. Dès l’élaboration de l’analyse institutionnelle, celle-ci s’est incarnée dans un dispositif méthodologique d’intervention sur l’extérieur, la socianalyse, érigée en « voie royale » et d’inspiration directement psychanalytique86. Ce n’est que très tardivement que certains demandèrent lors d’un colloque « Quel usage les gens initiés à l’AI peuvent-ils faire de cette initiation sur les lieux de leur travail ? (...) Si un usage interne de ce qu’on enseigne n’est pas possible, à quoi peut donc servir un tel enseignement qui s’adresse à des gens travaillant souvent dans des établissements ? », en poursuivant : « Pourquoi les institutionnalistes de Vincennes ne sont-ils pas portés à intervenir sur le lieu vincennois ? Pourquoi ne peuvent-ils pas faire « l’analyse interne » de leur fonctionnement (ou dysfonctionnement), en tant que « groupe », en tant que courant ? »87. L’analyse interne, « technique d’appoint » aussi bien de la psychothérapie que de la pédagogie institutionnelle, semble « l’extraordinaire ‘trou noir’ », le point aveugle des pratiques institutionnalistes, voire le « refoulé » du développement conceptuel et historique de l’AI qui « fonctionne comme une résistance »88. Il est possible de relier toutes les réactions de nos terrains face à nos interventions à cette « symptomatologie fort banale » qui se manifeste dès qu’il est question d’analyse interne. Il serait tentant de placer celle-ci comme le négatif de l’ordre managerial rencontré : il semblerait que nos terrains ne se soient pas posé la question « Comment est-il possible de faire de l’analyse interne ? », mais qu’ils constituent la réponse incarnée à sa symétrique : « Comment est-il possible de ne pas en faire ? »89. Car le paradoxe est réel dans ce cadre où chacun, plus que nulle part ailleurs sans doute, est sommé de faire preuve de calcul, d’alliances, d’arrangements, de lobbying, de noyautage, de clientélisme, bref de stratégie qui impose une omniprésente mise à distance « profane » de l’institution. Que ces analyses solitaires, personnelles, soient menées dans une visée carriériste et opportuniste « de survie » atteste autant de l’abandon d’un certain projet d’autonomie par ces individus que par les institutions qu’ils traversent et ne peut servir à une déclaration d’impossibilité d’instaurer des analyse internes politiques. L’orientation ethnographique et ethnométhodologique prise ces dernières années par certains institutionnalistes marque à la fois un souci de traiter cette problématique, mais constite également un fair-part de décès d’un corpus disciplinaire qui sert d’esquive à son examen. Rien n’empêche ce dernier d’être mené individuellement (nous allions dire clandestinement), et c’est bien ce dont se revendique ce texte, qui se nourrit de travaux ethnographiques déclarés ou « sauvages »90. Mais c’est ici abandonner la dimension politique qui a été constamment inséparable de l’histoire institutionnaliste, qui prend l’analyse de l’institution comme moyen de sa transformation hic et nunc, contre une accumulation de données psycho-sociologiques académiques cantonnée dans les rayonnages des bibliothèques ou dans l’intimité crânienne des individus. L’analyse interne ne peut être que collective si sa visée est bien de reconnaître l’inextricabilité entre la compréhension et la transformation d’une institution, à fortiori s’il s’agit de l’institution d’un type d’organisation qui se déploie dans les profondeurs de nos sociétés. « Dans cette perspective, les pistes de travail fourmillent et sont, à l’université et en tout cas en AI, totalement ignorées. Elles sont à dégager par les acteurs eux-mêmes, à partir de leurs multiples expériences personnelles, souvent courtes mais d’une richesse insoupçonnée : ce matériel précieux, accumulé en quelques semaines, quotidiennement dilapidé par la peur, l’ambition ou la désertion, est pourtant l’élément premier sur lequel doit se construire une analyse pertinente de l’institution universitaire. Ce n’est qu’à partir de ces subjectivités que peuvent se déconstruire la confusion intellectuelle, l’inanité pédagogique et le marasme politique. Elles seules permettraient de rompre avec des pratiques et des discours, qui, sous couvert de subversion, renouent avec les phénomènes psycho-familliaux qu’ils sont censées travailler et sapent, de fait, toute possibilité de critique claire du système actuel, qu’il soit universitaire, ou autre. »91

...Aux terrains des luttes sociales.

Car il serait illusoire de voir dans les « caractéristiques » de nos terrains des singularités originales confinées aux murs de ces établissements : nos terrains ne sont pas isolés du reste de la société, loin de là. Qu’il s’agisse de la classe-relais ou de l’université, leurs responsables pédagogiques sont proches de partis politiques ou actifs dans des associations de quartiers, voire conjoints d’élus ou de responsables politiques, syndicaux ou associatifs, le « public » qu’ils touchent, comme signalé, est majoritairement constitué de militants politiques, travailleurs sociaux, personnes « en ruptures » ou originaires de pays du tiers-monde, opérant des passages entre ces lieux et d’autres secteurs de la société. C’est ainsi qu’on peut croiser dans le « cours autogéré » des militants « emploi-jeunes » mobilisés pour leur titularisation dans un collectif en lutte caricaturalement autocratique. Ils ne comprendront aucune de nos interventions dans ces deux sphères respectives, « politique » et « scientifique », l’une légitimant l’autre dans une sorte de « fin de l’histoire » particulièrement inquiétante. Car les terrains des « luttes sociales » autant que celui du « tissu associatif » sont particulièrement poreux aux discours « organisationnels », aujourd’hui essentiellement portés par le management. Il est facile de constater « l’homologie morphologique entre les nouveaux mouvements protestataires et les formes du capitalisme qui se sont mises en place au cours des vingt dernières années. Cette homologie donne à ces mouvements très mobiles l’occasion de retrouver prise là où, précisément, les organisations traditionnelles perdaient pied. Mais c’est dire aussi qu’ils doivent composer avec le genre de tensions qui habitent les formes émergentes du capitalisme, dont l’une des moindres n’est pas la tension entre la flexibilité, la mobilité, la rapidité d’un coté, et de l’autre, la continuité d’un engagement qui risque toujours de s’estomper s’il n’est pas sans arrêt stimulé par des événements capables de le rendre actuel, c’est-à-dire réel. »92. Cet impensé, ou si peu, est caractéristique de ce retour de la « critique sociale », axée sur l’exclusion et la communauté, depuis le début des années 9093. Les problématiques institutionnalistes, bien qu’appartenant à la mal nommée « critique artiste », celle absorbée par le management, ont tout intérêt à gagner explicitement les « sphères militantes »94 : les premières ne se réinventeront qu’a cette conditions, les secondes y trouveraient de quoi refonder leurs critiques anticapitalistes. La seule forme de lutte novatrice de ces dernières années sont les coordinations en tant que collectifs auto-organisés échappant aux carcans syndicaux, mais peinent à dépasser le cadre de leur luttes, et se condamnent pour l’instant aux spasmodiques résistances rizhomatiques sans autres horizons détectables. On ne peut éluder ces débats sans méconnaître le poison qui peut se distiller d’un collectif sans prises sur ses fantasmes : sans invoquer les ménages à trois que forme le groupe et son appareil (réseaucratique ?) avec les risques supposés ou réels de noyautages, d’infiltrations policières, ou d’implosion, il n’y a qu’à évoquer les cul-de-sacs revendicatifs d’une parole sociale, conforme à son simulacre, progressivement déconnectée du motif qui met en mouvement... Quand il ne s’agit pas de simples effets d’une mode sophistiquée95 : « Si le narcissisme urbain se réclame de l’ ‘humilité’ grouillante des réseaux, c’est bien sûr pour se parer du prestige du combat médiéval de la place du marché contre les donjons, et donner un peu de panache au carnaval cybernétique de la ville, de la démocratie et de l’argent »96. Une fatalité de proximité s’est abattue quant à la dissociation des discours, rejouant le spectacle social dans les sphères même des luttes. A l’opposé, la possible perspective institutionnaliste de tendre à des « analyses internes généralisées »97 demande une élaboration méthodologique qui reste entièrement à faire et qui impose de revenir sur la déconnection totale d’avec le terrain théorique et pratique proprement politique, comme c’est actuellement le cas partout en sciences sociales98.

Décrochages (pour ne pas conclure)

1 - Nous voyons dans le fonctionnement de nos terrains une institutionnalisation des pratiques institutionnalistes qui présentent une convergence manifeste avec les pratiques manageriales : un discours autogestionnaire et émancipateur sert à l’établissement d’un mode d’organisation original, visant l’horizontalité réseaucratique comme substitution à la domination d’un appareil hiérarchisé, mais qui étend et approfondit l’asservissement à un ordre indiscuté. Cette évolution ne semble pas être le résultat d’une « récupération » extérieure, même si l’université et la classe-relais sont particulièrement poreuses au monde entrepreneurial, mais d’une clôture de ces institutions sur elles-mêmes à partir de leurs propres ressources. Ce constat d’une part entérine l’hypothèse d’un « nouvel esprit du capitalisme » ayant tiré parti des élans contestataires des années 60, et d’autre part dessine un destin possible des mouvements d’inspirations gauchistes d’hier et d’aujourd’hui.

2 - Ce constat appelle à une étude critique des mouvements contestataires des décennies d’après guerre telle qu’elle a pu être ébauchée de manière très éparse99, qui chercherait à élucider dans quelle mesure l’imaginaire qui les caractérise était partie prenante du projet d’une « expansion illimitée de la maitrise rationnelle », ensemble de significations sociales propre au capitalisme, mais également au totalitarisme et au déchainement techno-scientifique. Ce travail doit se concrétiser au sein même des « nouveaux mouvements sociaux » qui, en réactualisant l’héritage des années 70,sont lourds des risques de reproduction de l’ordre émergeant. L’élaboration de modes d’organisations capables de rompre progresivement et en permanence avec ces nouvelles aliénations impose de renouer avec une fonction critique sans concession, soit la formation d’un type d’individu social-historique singulier.

3 – Cette nouvelle hétéronomie, en se constituant sur le mode du réseau, de la désertion et du provisoire, - bref, de la précarité- semble plus que jamais reposer sur la capacité d’analyse des individus et leur incapacité à la mener collectivement. Face à de telles évolutions, la mise en place de collectifs de travail centrés sur l’analyse interne des fonctionnements institutionnels pourrait permettre à la fois d’étudier concrètement ce mode d’organisation - appellé à s’étendre à toutes les sphères de la vie sociale -, de chercher en quoi nos héritages subversifs lui sont congruents, et de s’opposer concrètement aux processus de clôture des institutions singulières. Cette pratique, jusqu’ici empirique, semble induire une posture qui nous semble à proprement parler politique en opérant cette mise à distance interrogative que le capitalisme bureaucratique, par son mouvement incessant de récupération, permet paradoxalement d’effectuer à travers l’histoire. La compréhension de ces mécanismes de récupération, à travers les (micro-) phénomènes de reproduction, semble pouvoir se faire par la constitution de collectifs d’analyses internes, fragments de réponse à l’épuisement contemporain du projet d’autonomie gréco-occidental.

St-Denis, juin 2004 - juillet 2005


Notes

1Ce texte sera, malgré nos efforts solitaires, ingrat pour les multiples voix rencontrées sur nos terrains et qui l’ont, par notre entremise, fait naître.Il ne peut en l’occurrence que constituer un appel à un véritable travail collectif contradictoire. Sa rédaction elle même doit beaucoup à Adrien Arrous, Guy Chevallier, Georges Lapassade, Daniel Lapon, Pierre Milanini, et particulièrement Cécile Gatter et Martin Soulivet.

2 Présentons brièvement ce courant pour les non-initiés : il s’est construit historiquement autour de trois pratiques distinctes apparues successivement : la psychothérapie institutionnelle (StAlban en 1940 avec F.Tosquelles, La Borde en 1950 avec J.Oury et F.Guattari, qui se dirigera plus tard vers l’anti-psychiatrie), la pédagogie institutionnelle (Gennevilliers en 1960 avec F.Oury et A.Vasquez, ainsi que R.Fontvielle et B.Bessière pour le courant autogestionnaire, puis la Neuville aujourd’hui), et l’analyse institutionnelle socianalytique (interventions de G.Lapassade et R.Loureau à la fin des années 60). Diversement issus de travaux psychosociologiques (J.L.Moreno, K.Lewin, ...), psychanalytique (S.Freud, J.Lacan), pédagogiques (C.Freinet), et avant tout politiques (L.Trotski, H.Marcuse, E.Morin, C.Castoriadis, ...) qui s’entrecroisent, elles élaborèrent sur le refus de la bureaucratisation généralisée de toutes les institutions en cherchant à agencer des collectifs capables d’auto-analyse et d’auto-institution permanente, en « travaillant le milieu », les dispositifs, le statut de la parole, le rapport à la Loi, ... Pour une première approche Cf. Lapassade.G, Lourau.R, 1971 ; « Clefs pour la sociologie », Seghers ; Ardoino.J, Lourau.R, 1994 ; « Les pédagogies institutionnelles », Puf ; Oury.J, 1976 ; « Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle », Payot.

3 ...étant entendu que le régime capitaliste se caractérise par une identification de ces dernière au monde de l’entreprise, soit une extension illimité des significations imaginaires de la (pseudo) maîtrise (pseudo) rationnelle. Sur ce dernier point voir par exemple C.Castoriadis, 1997 ; « La ‘rationalité’ du capitalisme », in « Figures du pensable, les carrefours du labyrinthe IV », Seuil

4 Castoriadis.C, 1996, « La montée de l’insignifiance. Carrefour du Labyrinthe III », Coll. La couleur des idées, Seuil

5 la tentative de modélisation de ce mode d’organisation de Boltanski et Chiapello présente de ce point de vue un chantier de travail qu’il nous a semblé aventureux d’engager. Cf. Boltanski.L, Chiapello.E, 1999 ; « Le nouvel esprit du capitalisme », Gallimard, Chap. “La cité par projet”.

6 BO n°25 (18/06/98)

7 : « ‘projets pédagogiques’ impliquant la ‘communauté éducative’, ‘aide individualisée’, ‘pédagogie différenciée’, ‘auto-évaluation’, ‘contrat pédagogique’... » in Le Goff, 1999 ; « La barbarie douce. La modernisation aveugle des entreprises et de l’école », coll. Sur le vif, ed. La Découverte, p.55.

8 Oury.F, Pain.J, 1972; “Chroniques de l’école-casserne”, réed; Matrice 1998, Imbert.F, 1983; “Si tu pouvais changer l’école ?”, Ceinturion

9 Précisons encore ici pour les non-initiés quelques précisions sur la discipline : L’AI s’est érigée peu à peu dans les années 70 en véritable paradigme, offrant une grille de lecture conceptuelle particulièrement pertinente visant à rendre compréhensibles les processus de prise de pouvoir, d’institutionnalisation, de bureaucratisation à l’oeuvre dans tous les collectifs , et mobilisables par les acteurs-eux-mêmes. Plus que la simple psychosociologie, elle lit le groupe inscrit dans l’institution antérieure et extérieure qui la porte et est évidemment, de par le dévoilement de la parole non-conforme qui questionne le fondement du projet porté -« l’inconscient politique »- particulièrement subversive. Le succès de ces thèmes, liant recherche et action, autogestion et sociologie, science et politique, autour des événement de mai 68 conduisirent ses promoteurs à participer activement à la faculté expérimentale de Vincennes, transférée en 1980 à St Denis.

10 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003. Document non publié en possession des auteurs.

11 Voir « La lettre des irrAIductibles n°5 : Bilan du colloque Les 50 ans de l’AI, Hommage à Georges LAPASSADE »

12 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003. Document non publié en possession des auteurs.

13 « Colloque Lapassade, Journal », pp. 16 in « La lettre des irrAIductibles n°5 : Bilan du colloque Les 50 ans de l’AI, Hommage à Georges LAPASSADE »

14 Ecole « parallèle » sur l’île d’Oléron qui constitue LA référence libertaire contemporaine en matière d’éducation (avec le Lycée Autogéré de Paris). Cf Collectif, 1995 ; « Bonaventure. Une école libertaire », Ed. du Monde Libertaire & Alternative Libertaire

15 Khayati.L, 2006 ; « ‘C’est pire que s’il y avait rien’. Expérience en classe relais ‘expérimentale’ », La revue du MAUSS n°27, à paraître

16 Extraits de « Critiques » du 20/05/2003 de P. Document non publié en possession des auteurs.

17 Daté du 27/05/2003. Document non publié en possession des auteurs.

18 « Proposition de travail pour le groupe du mercredi » du 07/03/2004. Document non publié en possession des auteurs.

19 Mendel.G, 2001 ; « Pour une histoire de l’autorité », La Découverte

20 in Revue Autrement. Un des « pères » de la PI discutait ici de certaines expériences d’ « écoles différentes » qui proliféraient à l’époque (dans un contexte sensiblement différent de celui d’aujourd’hui)…

21 Voir S.Sassen, « La Ville globale », Descartes et Cie, 1996. Cf. notamment le chapitre « Dispersion et formes de centralisation ». (note de l’auteur).

22 Lapassade.G, 1967; “Groupes, organisations, institutions”, Gauthier-Villard (en réédition chez Anthropos), pp.40-146

23 Boutonnet.R, 2003 ; « Journal d’une institutrice clandestine », Ramsay

24 Boltanski.L, Chiapello.E, 1999 ; Op.Cit. pp.133-112

25 Le Goff, 1999 ; Op.Cit., p.19

26 Assous.R, 2003 ; « l’analyse institutionnelle hier et aujourd’hui », Ed. AISF, coll. « Transductions ».

27 Extrait de « Proposition de travail pour le groupe du mercredi » du 07/03/2004. Document non publié en possession des auteurs.

28 « Colloque Lapassade, Journal », pp. 17 in « La lettre des irrAIductibles n°5 : Bilan du colloque Les 50 ans de l’AI, Hommage à Georges LAPASSADE »

29 Extrait de « AI, AIe, aïe... Qui veut savoir où en est le mouvement de l’Analyse Institutionnelle ? », Quentin, Nafissa daté du 30.06.02. Document non publié en possession des auteurs.

30 Extrait de « AI, .. », Op.cit.

31 Boutonnet.R, Op.cit, pp.24-176-229

32 Le Goff, 1999 ; Op.Cit.

33 Extrait de “Réponse à un courageux anonyme qui n’a pas encore compris l’autogestion” du 27/05/2003, qui répondait au texte de P., Cf. note 16. Document non publié en possession des auteurs.

34 Lapassase.G, 2002 ; « Institutionnalisation de l’analyse institutionnelle à Paris 8. Fragments », revue Les irrAIductibles n°2, p.15

35 « Capitaliser des connaissances, des théories aux méthodes. Compte-rendu de soutenance » in « Les irrAIductibles » n°2, décembre 2002, pp.253-261

36 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. pp.220-221

37 Le Goff, 1999 ; Op.Cit. p.51

38 Pour cause de publicité liée à l’entretien et au développement du réseau de partenaires de l’école. Notons que ce répertoire sera la seule chose léguée à son successeur en guise de formation.

39 Boltanski.L, Chiapello.E, 1999 ; Op.Cit. p.557

40 La dernière tentative dans notre classe-relais de déclencher une concertation sur la direction collective, fut la diffusion en réunion d’équipe d’un texte qui commençait par : « Pourquoi je suis encore ici... », qui a du être pris pour une formule rhétorique (document en possession des auteurs). La démission de décembre 2003 surpris toute l’équipe, abasourdie.

41 Guist-Desprairies, 2003; “L’imaginaire groupal”, ERES, p.170

42 Mendel.G, 2001 ; Op.Cit.

43 Le Goff, 1999 ; Op.Cit.

44 « Colloque Lapassade, Journal », p. 19 in « La lettre des irrAIductibles n°5 : Bilan du colloque Les 50 ans de l’AI, Hommage à Georges LAPASSADE »

45 Qu’il l’ait été ne change rien à la réception infantile qui a été faite à son excellente intervention.

46 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. p.103

47 Mendel.G, 2001 ; Op.Cit. pp.227-229

48 Id. p.221

49 Id. p.230

50 Le Goff, 1999 ; Op.Cit. p.50

51 Lourau.R, 1990 ; « Implication et surimplication », La Revue du MAUSS, n°10

52 Vasquez.A, Oury.F, 1970 ; « De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle », Maspéro, p.689

53 « L’autogestion de la tâche, et l’analyse permanente de cette autogestion, dans le système de référence de l’institution, tel est le projet que la pédagogie institutionnelle [tendance autogestionnaire] propose (...) », in Lourau.R, 1970 ; « l’analyse institutionnelle » , Minuit

54 Imbert.F, 1983 ; Op.Cit. p.54

55 Guigou.J, 1987 ; « La Cité des ego » l'Impliqué

56 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003. Document non publié en possession des auteurs.

57 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003. Document non publié en possession des auteurs.

58 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. p.22

59 Cette misérable hiérarchisation se retrouve effectivement dans des commentaires de l’époque (Barbier.R, 1977; « La recherche-action dans l’institution éducative », Gauthier-Villard, pp.173-177) qui préfigurent lamentablement le déferlement logomachique néo-managerial.

60 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. p.46

61 Hess.R, Ville.P, Lapassade.G, 2002 ; « Court traité d’analyse institutionnelle socianalytique (AIS) ou : ce qu’il faut savoir de l’analyse institutionnelle socianalytique », pp.1

62 Merlin.P, 1980; “L’université assassinée. Vincennes 1968-1980”, Ramsay, p.110-111

63 Le terme est ici à entendre évidemment dans son sens traditionnel d’établissement.

64 Boutonnet.R, 2003 ; Op.Cit. pp.148-149

65 Jugeant le texte insuffisamment abouti nous ne l’avons jamais proposé à publication. Peur de participer à l’inflation de textes insipides, autocensure d’un texte à la fois dérangeant et inabouti...

66 Extrait de “AI, ...”, op. cit.

67 Bateson.G, 1972, « Formes et pathologie des relations » in « Vers une écologie de l’esprit T.2 », pp.9-93

68 Sur cette double approche: PAIN.J, 1997 ; « La non-violence par la violence », Matrice. L’auteur y souligne, utilement pour notre propos, les potentialités psychotiques des dojos.

69 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003. Document non publié en possession des auteurs.

70 « L’organisation capitaliste de la société est contradictoire au sens rigoureux où un individu névrosé l’est : elle ne peut tenter de réaliser ses intentions que par des actes qui la contrarient constamment (...) Le capitalisme est obligé de solliciter constamment la participation des salariés au processus de production, participation qu’il tend par ailleurs lui-même à rendre impossible » in Castoriadis.C, 1979 ; « Capitalisme moderne et révolution. 2. Le Mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne », ed. 10/18

71 Notée par (Virno 2001 chap. 3) qui pose l’étrangeté généralisée comme untrait de l’ère post-fordiste, rejoignant le postulat de l’ethnométhodologie, vers lequel se tournent certains tenant de l’AI depuis vingt ans.

72 ... ou même de son propre établissement.

73 Extrait de « Critiques constructives » du 27/05/2003. Document non publié en possession des auteurs.

74 Mendel.G, 2001 ; Op.Cit.

75 Ce n’est pas sans rappeler la « méthode pédagogique » lacanienne Cf. Castoriadis.C, 1978, « Les carrefours du Labyrinthe », Seuil, pp. 88 p.ex. (« Epilégomènes à une théorie de l’âme que l’on a pu présenter comme science. ») ou Mendel.G, 1968; “La révolte contre le père”, Payot, pp.409-412 (« Le Lacanisme »).

76 Lapassade.G (Dir.), 1971 ; “L’autogestion pédagogique”, Gauthier-Villard

77 Boumard.P, 1989 ; « Les savants de l’interieur. L’analyse de la société scolaire par ses acteurs », Armand Colin, pp.84-85

78 Id. p.100

79 Id. p.36

80 Gorz.A, 2001 ; « La personne devient une entreprise », revue EcoRev’ n°7, hiver 2001-2002

81 Le Goff, 1999 ; Op.Cit. pp.19-21

82 Extrait de “Réponse à ...” op.cit.

83 Rappellons que l’absence d’assemblée délibérative (agorai boulèphoroi) et de lois posées (themistes) chez les Cyclopes les rends, aux yeux d’Ulysse dans l’Odyssée, proprement monstrueux. (Castoriadis.C, 2004 ; « Ce qui fait la Grèce. Tome 1, d’Homère à Héraclite », Seuil, pp. 150-153)

84 modulo ce qui a été dit plus haut quant aux questions portant sur la rationalité de ces systèmes.

85 Fouchard.R, 1975 ; « Le piège de l’intervention interne » ;

86 Lapassade.G, 2001; “Deux institutionnalisations » in Assous 2002, Op.Cit., Lapassade.G, Loureau.R, 1971, Op.Cit.

87 Lapassade.G (Rap.) & al., 1980 ; « :L’analyse institutionnelle en tant qu’analyse interne », Atelier du Colloque du 26-27-28 janvier « chercheurs-praticiens », numéro spécial, supplément au n°4 de « pratiques de formation ».

88 Id., Boumard.P, 1989 ; Op.Cit. pp.36-37

89 Boumard.P, 1988; “L’analyse interne”, in Hess.R, Savoye.A,(dir.) 1988 ; « Perspectives de l’analyse institutionnelle », Paris, méridiens Klincksieck, p.101

90 Cf.par exemple Assous.R, 2002, Op. Cit. ou Lapassase.G, 2002 ; « Institutionnalisation de l’analyse institutionnelle à Paris 8. Fragments », revue Les irrAIductibles n°2, pour les premiers et Boutonnet.R, 2003, Op.Cit. pour les seconds.

91 Extrait de « Proposition de travail pour le groupe du mercredi » du 07/03/2004. Document non publié en possession des auteurs.

92 Boltanski.L, Chiapello.E, 1999 ; Op.Cit. p.434-435.

93 Aguiton.C, 1997 ; « Les luttes des années 90 », in Vakalouis.M & al., « Travail salarié et conflit social », Puf

94 Liatard.B, Lapon.D, 2004 ; « SELanalyse : une tentative d’analyse interne d’un système d’Echange Local », Revue Silence n°450, décembre, paru sous le titre malheureux « Analyse interne contre apathie et récupération ». L’utilisation par la rédaction de la revue du terme « récupération » est très illustratif de la difficulté à penser la reproduction des mécanismes dominants hors du schéma manichéen d’un phagocytage « extérieur ».

95 Liatard.B, 2003 ; « Le Larzac est-il une marchandise ? La contestation sur un plateau », La revue du M.A.U.S.S n°22, octobre, pp. 334 – 339

96 Chatelet.F, 1998, Op.Cit. p.119

97 Pour reprendre l’expression de R.Lourau dans « L’analyseur Lip » (1974, 10/18)

98 Caillé.A, 1993 ; « La démission des clercs. La crise des sciences sociales et l’oubli du politique », Armillaire La Découverte

99 Cf. Par exemple Castoriadis.C, 1977 ; « Les divertisseurs », in « La société française », 1979, ed.10/18, Castoriadis.C, 1986 ; « Les mouvements des années soixante », in « Les carrefours du labyrinthe IV. Figures du pensable », Coll. La couleur des idées, Seuil, 1999 (Qui répond très pertinemment à Ferry.L, Renaud.M, 1985 ; « La pensée 68. Essai sur l’antihumanisme contemporain ).

22/07/2006