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Origine : http://ecorev.org/article.php3?id_article=218
" Et la répression, aussi cruelle que la récession
" La Rumeur, L’ombre dans la mesure, EMI music France
2002
Chercheur en Sciences politiques à l’Université
de Paris X Nanterre et au Centre d’étude sur les conflits,
Laurent Bonelli étudie depuis plusieurs années ce
qu’on appelle les politiques publiques de sécurité
qui ont été formulées en prenant une orientation
délibérément sécuritaire au tournant
des années 80.
Quelles sont les populations cibles que les mesures de police,
les dispositifs de surveillance, les techniques de répression
vont prendre pour objet privilégié ? Comment se construit
parmi les multiples formes existantes de délinquance, une
forme spécifique qui va mobiliser l’intervention et
la collaboration des différents appareils d’Etat ?
Laurent Bonelli explicite un aspect de sa thèse déjà
développée dans La machine à punir : le traitement
politique d’une insécurité et précarité
sociales généralisées vise à transformer
des catégories sociales en danger en « classes dangereuses
», à retourner sur les victimes elles-mêmes toute
la responsabilité de ce que Zygmunt Bauman appelle les «
conséquences humaines de la globalisation », car il
s’agit bien d’une stigmatisation des effets locaux de
mutations globales.
En ciblant une catégorie très spécifique d’illégalismes
populaires et en occultant les formes massives mais plus discrètes,
intégrées, tolérées de délinquance
financière, politique, économique, environnementale,
patronale, le traitement policier de la misère se focalise
sur la mise en scène de difficultés qui vont être
attribuées aux individus, et surtout les jeunes.
" L’explosion " de l’insécurité
dans les banlieues françaises est devenue un sujet incontournable
du débat politique, électoral et médiatique.
Les discours inquiets ou alarmistes, les dossiers spéciaux
et les reportages spectaculaires se succèdent et se multiplient
reléguant au second plan des pans entiers de l’actualité
sociale et politique du pays. Analystes, " experts " et
essayistes de la sécurité prophétisent sur
fond de cartes exponentielles de la délinquance, l’avènement
de zones de " non-droit " aux mains de délinquants
toujours plus jeunes, plus récidivistes et plus violents,
alors que les différents partis politiques, toutes tendances
confondues, invoquent la " demande de sécurité
" de leurs électeurs pour réclamer une action
plus énergique de la police et de la justice. Depuis le milieu
des années 1990, la sécurité urbaine est de
la sorte devenue l’une des principales priorités des
différents gouvernements, qui y consacrent des moyens importants,
matériels et législatifs.
Pour comprendre cette inflation extraordinaire du thème
de la sécurité dans notre société, il
importe d’analyser la configuration -comme l’entend
Norbert Elias - dans laquelle elle prend sens, c’est-à-dire
de restituer l’ensemble des chaînes d’interdépendance
qui relient entre eux de multiples agents sociaux appartenant à
des univers aussi différents que la police, la politique,
la presse, l’université, l’entreprise, etc. Ceci
implique dès lors de mettre à jour les équilibres
fluctuants des tensions et des relations de pouvoir entre ces différents
protagonistes, en insistant sur leur historicité et les visions
du monde qu’elles véhiculent. En effet, un " problème
social " n’existe pas en lui-même : il suppose
pour accéder à ce statut un véritable travail
social. Toute transformation sociale ne devient pas un problème
social et rendre visible une situation particulière "
suppose l’action de groupes socialement intéressés
à produire une nouvelle catégorie de perception du
monde social afin d’agir sur ce dernier " . Ce qui revient
à dire qu’aux changements objectifs, sans lesquels
le problème ne se poserait pas, s’ajoute un travail
spécifique d’énonciation et de formulations
publiques, c’est-à-dire une entreprise de mobilisation
qu’il faut à chaque fois questionner et mettre à
jour. C’est ce que je me propose de faire ici, en reliant
les transformations morphologiques des quartiers populaires français,
aux évolutions des modes d’appréhension de la
" violence " des adolescents de ces quartiers et les effets
de l’engagement sans cesse accru des forces de police dans
la résolution de ces " désordres urbains ".
Des causes sociales du crime à la responsabilité
individuelle du délinquant
Je ne reviendrai pas ici sur les effets de paupérisation,
de déstabilisation et de déstructuration qu’ont
généré le couple crise économique /
politiques libérales (en matière d’emploi, de
logement, de services publics, etc.) dans les quartiers populaires
français, ces vingt-cinq dernières années .
Je voudrais en revanche suggérer que contrairement à
ce que pourraient laisser penser des formes de visions spontanées,
ces transformations morphologiques et sociales ne suffisent pas
à expliquer mécaniquement l’intérêt
croissant d’une fraction de la classe politique pour les "problèmes
des banlieues", pas plus qu’elles ne permettent de comprendre
les évolutions de leur mode de prise en charge publique.
Il faut pour cela s’intéresser aux logiques endogènes
du champ politique de même qu’aux relations qu’entretient
ce dernier avec les médias et les professionnels de la sécurité.
L’attention des hommes politiques pour les questions de délinquance
est récente. Elle date de la fin des année 1970, où
sous le label "d’insécurité" s’opère
pour la première fois - avec le rapport Peyrefitte notamment
- une séparation entre le "crime" et la "peur
du crime". Cette rupture est décisive dans la mesure
où les politiques, s’ils ne peuvent rien faire contre
la délinquance (qui reste de la responsabilité exclusive
de la police et de la justice), peuvent agir sur le "sentiment
d’insécurité" de leurs administrés.
C’est le point de départ de la spécialisation
de certains élus et de la constitution de ce thème
en bien politique.
Les rodéos automobiles et les affrontements avec la police
de groupes de jeunes des Minguettes et de Vénissieux, durant
l’été 1981, sont de la sorte souvent présentés
comme la première manifestation importante de l’intérêt
des pouvoirs publics pour les problèmes des cités
périphériques. Les principales mesures prennent tout
leur sens dans un contexte d’alternance (la victoire de François
Mitterrand et de la gauche) et de relève du personnel politique.
S’accordant sur l’idée que ces désordres
sont induits par des causes sociales comme la précarité,
le chômage ou la dégradation physique de l’habitat
populaire, les politiques menées vont porter sur le développement
social des quartiers, la prévention de la délinquance,
l’amélioration du bâti et l’insertion des
jeunes. Elles sont pour l’essentiel regroupées sous
le label générique de politiques de la Ville et donneront
lieu à la création à la fin de la décennie
d’une Délégation Interministérielle à
la Ville (DIV) et d’un ministère de la Ville. Elles
reflètent en cela les sensibilités d’une gauche
garante de la liberté, opposée à une droite
historiquement partisane de la sécurité.
La victoire des partis de droite en 1993, marque un premier infléchissement
: les problèmes des banlieues deviennent une question de
police et de développement économique. Comme l’indique
le premier rapport parlementaire sur la politique de la Ville, présenté
par Gérard Larché, un sénateur de droite avant
l’alternance : "A force d’accuser le béton
de tous les maux, on a trop oublié les hommes. Or, sans responsabilisation
des individus (...) il ne sera pas possible de restaurer l’équilibre
- dans la différence assumée - de nos villes".
Cette responsabilisation de l’individu - liée à
la doxa conservatrice - est au cœur des mesures gouvernementales
: la loi d’orientation et de programmation sur la sécurité
intérieure (LOPS), adoptée en 1995, vise à
renforcer et à durcir la répression de la petite délinquance,
alors que les différentes mesures de politique de la Ville
insistent sur le développement par l’économie
(zones franches, emplois aidés, etc.).
Le retour au pouvoir du parti socialiste en juin 1997, confirme
cette évolution. Dans les concurrences internes au parti,
les "modernisateurs" ont perdu toute l’influence
politique qu’ils avaient conquise dans les années 1980-1990
et ce sont d’autres groupes qui vont se saisir de la question
urbaine, devenue une question centrale. L’approche urbaine
globale qu’ils défendaient cède la place à
une vision plus directement centrée sur la sécurité
urbaine, érigée au rang de seconde priorité
du gouvernement après l’emploi. Les responsables socialistes
insistent dès lors sur l’idée que "la première
cause du crime serait le criminel lui même". C’est
pour les partis de gauche, la fin de l’idée qu’il
y a des causes sociales au crime : "on sait que la délinquance
n’a aucune nature sociale et qu’elle relève de
la responsabilité individuelle de chacun" rapportait
ainsi Christophe Caresche, député socialiste de Paris
. Il importerait alors de renchérir le coût de l’acte
pour le délinquant en élevant la punition. Comme le
déclarait Julien Dray, secrétaire national du Parti
socialiste chargé de la sécurité, aux rencontres
nationales sur la sécurité (Evry, 27 octobre 2001)
: "référons nous, pour une fois, aux préceptes
des économistes néo-classiques : pour l’homo-œconomicus
rationnel, le prix de la possible punition doit excéder les
bénéfices attendus du délit". L’effacement
des oppositions droite/gauche dans la manière d’appréhender
les illégalismes populaires et l’accent mis sur la
responsabilité individuelle transforment l’économie
de la punition. Ils sont le fruit d’une restructuration des
processus disciplinaires antérieurs qui valide et autorise
des systèmes de savoirs spécifiques. Ces savoirs,
essentiellement de type "béhavioriste", mettent
l’accent sur les comportements "déviants",
"antisociaux" et sur les "incivilités"
des jeunes des quartiers populaires, dont ils font la cause de "l’insécurité"
et le point de départ de "carrières" délinquantes
Une gestion policière de la désaffiliation
?
Les agences policières jouent un rôle particulier
dans le processus d’élaboration, de diffusion et de
naturalisation de ces systèmes de savoirs. Elles se caractérisent
en effet par la capacité à produire des énoncés
sur les illégalismes, les risques et les menaces dont le
succès dépend d’un système d’échanges
entre agents sociaux qui occupent des positions différentes
dans et hors de l’Etat.. Les définitions de l’ordre
(et du désordre) et de leurs modalités de régulation
se modifient de la sorte en permanence, en fonction de l’évolution
des relations entre chacun d’entre eux. Les transformations
du regard porté par la plupart des professionnels de la politique
sur les illégalismes populaires, de même que les réelles
difficultés que rencontrent les différentes institutions
présentes sur ces quartiers (écoles, bailleurs sociaux,
transporteurs publics, etc.) pour encadrer ces populations et leurs
comportements, vont renforcer certains types d’expertises
policières. Cette reformulation de la question sociale en
question d’abord policière va donner à l’institution
une place centrale dans la mise en forme du problème. Elle
va modifier les équilibres antérieurs tant internes
qu’avec d’autres espaces sociaux : justice, école,
services sociaux, etc.
Ce qui ne va pas sans difficultés. En effet, si la police
est valorisée, symboliquement comme en termes de crédits,
les réponses qu’elle peut apporter restent ambivalentes.
Les missions de "pacification sociale" n’intéressent
pas beaucoup les policiers, dont la hiérarchie des normes
est autre, plaçant au sommet de l’échelle le
travail judiciaire voire le renseignement. Cette latitude d’action
n’est pas forcément en phase avec les sollicitations
extérieures. La question des groupes d’adolescents
qui stationnent dans les halls d’immeubles jusqu’à
des heures très tardives est à ce point de vue intéressante,
puisqu’elle est le point de convergence de nombreuses plaintes,
tant de la part de particuliers que d’agents institutionnels.
Le décalage entre des demandes d’intervention relativement
anodines mais répétées et la poursuite des
délits limite l’enthousiasme des policiers pour intervenir.
En effet, les demandes de régulation des petits désordres
excèdent largement les capacités de la police et son
savoir-faire (ou son savoir-être).
Dans tous les cas de figure, ces missions restent peu gratifiantes
judiciairement et leur répétition instaure un fort
climat de défiance entre forces de l’ordre et les groupes
qu’elles contrôlent. Défiance qui trouve une
traduction immédiate dans l’augmentation des outrages,
voire des rebellions, qui passent de 11 687 en 1974 à 43
937 en 2001 . Ces deux délits devenant d’ailleurs le
plus souvent le seul chef d’inculpation possible dans ces
situations . Comme le soulignait un magistrat : "On se rend
compte que c’est le contrôle d’identité
lui même - contrôlé et ordonné par l’autorité
judiciaire - qui provoque l’apparition des délits.
Au départ, on a une personne qui n’a rien fait, qui
ne devait pas être contrôlée et qui au bout du
compte se retrouve poursuivie par la justice pour un délit
qui est provoqué directement par le contrôle lui même.
C’est-à-dire en effet l’outrage, parce qu’il
est parfaitement humiliant de se faire contrôler quand il
n’y a aucune raison de l’être et qu’il est
particulièrement humiliant de se retrouver avec les menottes
ou emmené au poste parce qu’on a pas une carte d’identité
dans la poche (...) la personne est systématiquement condamnée
selon des procédures rapides et dans lesquelles elle n’est
pas à même d’exercer ses droits à la défense".
[Juge d’instance. Entretien, mai 2002]
L’autorité judiciaire est ainsi enrôlée
dans une logique d’ordre public fort différente de
ses modes ordinaires de fonctionnement et sommée de prolonger
l’action de la police par des sanctions. Les circulaires des
gardes des Sceaux n’ont cessé de se multiplier depuis
une dizaine d’années appelant à l’abaissement
du temps de traitement de affaires, à la poursuite systématique
de tous les délits, et à plus de sévérité.
On assiste de la sorte à une accélération
du délai de traitement des petits délits. C’est
l’objet du traitement en temps réel de la délinquance
(TTR). Expérimenté au début des années
1990 au Parquet de Bobigny et généralisé par
Elisabeth Guigou quant elle devint ministre de la Justice (1997),
le TTR constitue l’une des transformations majeures du système
pénal français. D’abord limité, ce principe
s’est généralisé à l’ensemble
des Parquets, dépassant 90% de l’activité de
certains d’entre eux. Il vise à rapprocher les temps
judiciaires des temporalités de commission de l’acte.
Ce qui se joue ici est en fait un changement des modes d’évaluation
de l’activité judiciaire, qui induit une transformation
de son sens même.
Dans le même temps, on observe une extension de la sphère
pénale à des comportements qui n’étaient
jusque-là pas poursuivis par la Justice (violences scolaires
légères, fraudes dans les transports en commun, et
plus largement les "incivilités"). C’est
l’objet de la 3e voie judiciaire, dont l’ambition affichée
est de réduire les classements secs. Cette inflation pénale
se traduit par la naissance, en amont de la chaîne pénale
de toutes les procédures de médiation pénale,
de conciliation, de réparation, qui s’effectuent dans
les maisons de justice et du droit (MJD).
Enfin, on note un durcissement des peines prononcées pour
les petits délits. La sévérité des chambres
de comparution immédiate par rapport aux juridictions ordinaires
est à cet égard particulièrement emblématique.
Les transformations de la Justice des enfants, où on observe
un accroissement massif des réponses pénales, au détriment
des réponses éducatives, plus longues à mettre
en place, sont un exemple significatif de ce mouvement .
Confrontations ritualisées
Ce durcissement observable dans le champ judiciaire est également
manifeste dans les méthodes d’intervention de la police.
Certains policiers eux-mêmes n’hésitent pas à
dénoncer une militarisation des rapports qu’illustrent
les attitudes (le " saute dessus ", les opérations
" coup de poing ") et les tenues adoptées par les
unités spécialisées qui travaillent dans ces
quartiers : combinaisons noires, assorties de nombreux accessoires
(tonfas, bombes lacrymogènes de grande taille, etc.), casques,
armement (flash-balls , fusils à pompe).
Le vocabulaire emprunte de plus en plus au registre guerrier. Des
policiers comme Richard Bousquet, commissaire divisionnaire et responsable
du syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police
nationale (SCHFPN, majoritaire) parlent de "logique de guerre",
de "zones de sécurité" qui entourent des
cages d’escalier, "d’armée en ordre de marche
disposant d’une logistique efficace", de "fantassins
de la drogue" , etc.
Ceci dit, les consignes ne suffisent pas à justifier ce
durcissement, qui découle également de motifs plus
structurels, au premier rang desquels la jeunesse des unités
d’intervention. Les interactions quotidiennes avec les groupes
de jeunes prennent la forme de confrontations ritualisées
où il s’agit de sauver l’honneur du groupe, voire
de laver virilement les affronts. Dans cette relation de rivalité
mimétique, sans doute jamais aussi nette que dans ce commentaire
d’un policier à un adolescent : "toi y’a
marqué Lacoste, moi y’a marqué Police",
toute défaite symbolique ou physique de l’un est vue
comme une victoire de l’autre.
Ceci explique les attroupements systématiques lors des contrôles
voire les "caillassages", auxquels répondent d’inutiles
vérifications d’identité à répétition,
des intimidations, des humiliations, voire les coups. Pour les groupes
de jeunes, il s’agit de "mettre la pression"- pour
reprendre une expression souvent entendue en entretien - sur les
policiers en leur faisant comprendre qu’ils sont en infériorité
numérique et donc que le rapport de force est en leur défaveur.
Pour les policiers, à l’inverse, l’enjeu est
de montrer qu’ils sont les maîtres de l’espace
public, quitte à faire un usage illégitime de leur
monopole de la violence légitime ou à jouer sur les
ressources d’autorité - morales et juridiques notamment
- que leur confère leur statut . Pour autant, le durcissement
des modes d’action et des relations, de même que l’augmentation
du nombre de poursuites pour outrages ne résolvent pas la
question initiale, celle des petites nuisances qui avaient déclenché
ce type d’interventions.
L’enrôlement policier des services sociaux et
éducatifs
Les policiers confrontés au quotidien à ce type de
contradictions sont alors d’autant plus portés à
s’investir dans les structures "partenariales",
comme les Contrats Locaux de Sécurité (CLS), qu’ils
ont pratiquement et symboliquement tout à y gagner. En effet,
engager d’autres agents sociaux dans le contrôle et
la normalisation de ces comportements déviants est l’une
des solutions les moins coûteuses et les plus efficaces pour
répondre à des troubles qu’ils sont incapables
de résoudre, pour des raisons tant internes (priorités
policières, "inversion hiérarchique") que
liées à leurs prérogatives (nécessité
de constater un délit, déplacement des problèmes,
de quelques mètres parfois en cas d’opérations
intensives de police).
C’est ainsi qu’on assiste en France à un travail
d’enrôlement policier des autres institutions, soit
direct dans le cas des bailleurs sociaux, des transporteurs publics,
voire des municipalités, qui développent leurs propres
forces de sécurité ; soit indirect, pour l’école,
les ANPE (agence nationale pour l’emploi), les missions locales
d’insertion, etc., sommées de fournir des informations
sur les adolescents qu’ils suivent ou côtoient. Cette
collaboration repose sur le décloisonnement de l’information
entre "partenaires".
L’échange "dans le respect des déontologies
réciproques" de données personnelles précises,
sur des individus qui "posent problème" est vu
comme l’une des clés du succès de l’action
publique locale. C’est ce qu’on appelle dans les arènes
où il se déploie le "secret partagé".
Ce décloisonnement de l’information est un processus
de divulgation dont l’ambition est de ruiner les différentes
personnalités ou facettes que peut présenter un individu
à différentes institutions. Il renvoie aux mécanismes
du secret d’initiés décrits par Erwing Goffman
: "les différentes images de lui-même qui lui
sont habituellement renvoyées à tous les niveaux de
son entourage finissent ici par se retrouver réduites, derrière
son dos, à une seule" .
Mais cet échange reste profondément inégalitaire,
puisque la police en conserve très largement le leadership,
y compris d’ailleurs vis-à-vis de la justice. Ce "partenariat"
confère aux policiers une position de centralité assez
nouvelle dans la régulation de comportements qualifiés
publiquement de déviants, qui étaient auparavant pris
en charge par d’autres institutions sociales ou sur d’autres
modes
La prégnance de l’expertise policière transfigure
les formes de traitement de ces phénomènes. Murray
Edelman rappelle en effet que les bureaucraties ont tendance "à
construire les problèmes comme justifications des solutions
qu’elles proposent" . L’habitus professionnel des
policiers, qui place au sommet de la hiérarchie des normes
le judiciaire - ce dont témoigne ce vieux leitmotiv : "nous
ne sommes pas des assistantes sociales" - valorise la coercition.
Les arrestations et les poursuites sont la pierre angulaire de leurs
pratiques professionnelles. Et même si beaucoup de policiers
sont conscients que les condamnations ne suffisent pas à
faire disparaître le jeunes délinquants qu’ils
côtoient, ils restent prisonniers d’une grille de lecture
du monde fortement solidifiée : celle de leur institution
et de ses fonctions sociales. Ceci se traduit par une naturalisation
de la délinquance - qu’attestent les qualificatifs
de mineur délinquant, de voyou, de malfaisant, etc. - au
détriment de visions qui resituent l’acte délinquant
dans une histoire de vie plus complexe, où il voisine avec
de multiples autres insertions (scolaire, familiale, affective,
professionnelle, etc.).
Court-circuit sécuritaire
Les ressorts de cette "collaboration durable", que l’on
retrouve également dans d’autres institutions, comme
la prévention spécialisée, l’animation
socio-culturelle, etc. sont à rechercher dans la situation
de porte-à-faux dans laquelle se retrouvent placés
les agents subalternes de l’Etat (ou des collectivités
locales), particulièrement ceux qui sont chargés de
remplir les fonctions dites "sociales". Ceux-ci sont obligés
de compenser sans en avoir les moyens les effets et les carences
les plus intolérables de la logique du marché et des
mutations économiques de ces vingt dernières années.
La contradiction entre ces missions démesurées et
la confrontation effective avec les populations les plus démunies
économiquement et culturellement ne peut dès lors
être résolue qu’au prix du sacrifice - et de
l’exclusion - des éléments perturbateurs, qui
mettent en péril les faibles chances d’amélioration
du destin social collectif.
Les poursuites systématiques, l’incarcération
ou la mise à l’écart dans des structures spécialisées
(unité éducatives à encadrement renforcé
[UEER], centre éducatifs renforcés [CER], centres
éducatifs fermés) deviennent de la sorte le mode naturel
de régulation de ces "surnuméraires".
Si ces mesures sont politiquement très fonctionnelles, particulièrement
en période électorale, parce qu’elles permettent
aux gouvernements successifs de s’exonérer des conséquences
de leurs politiques et qu’elles viennent redonner force au
mythe de la souveraineté du politique, battu en brèche
en matière économique et financière notamment,
elles posent problème à moyen et à long terme.
La police n’a en effet pas les moyens de juguler la petite
délinquance, qui constitue bien souvent - avec le travail
intérimaire, les allocations sociales le travail au noir
- l’un des seuls modes de (sur)vie de petits groupes exclus
durablement du circuit des échanges productifs. Elle peut
arrêter autant de revendeurs de drogue qu’elle veut,
il existe une véritable armée de réserve de
jeunes gens prêts à les remplacer .
Ensuite, l’incarcération - dont la France vient d’atteindre
un record historique avec 60 513 détenus en mai 2003 - reste
marquée par de très forts taux de récidive.
Le passage par l’enfermement renforce en effet le stigmate
initial sur les marchés scolaire, de l’emploi, voire
sexuel, rendant l’insertion plus difficile encore et la poursuite
d’activités illicites plus plausible
Ce court circuit sécuritaire est d’autant plus préjudiciable,
qu’il repose sur des présupposés erronés.
La sécurité n’est pas le contraire de l’insécurité,
mais son double. Il faut insécuriser pour sécuriser,
et toute procédure de sécurisation insécurise
. La fuite en avant dans le maelström sécuritaire génère
des représentations du monde où tout devient menaçant
et où chaque incertitude se mue en peur. Ce mouvement consolide
le racisme et la méfiance à l’encontre de ceux
qui tendent à devenir des "nouvelles classes dangereuses"
et rend, par là même, leur marginalisation plus profonde.
Il constitue à l’évidence une impasse, sauf
à admettre que le creusement des inégalités
et l’exclusion de certains groupes sociaux ne relèvent
que d’une prise en charge policière. C’est-à-dire
à accepter la doxa conservatrice qui limite les fonctions
régaliennes d’un Etat au maintien de l’ordre
social et subordonne l’ensemble de ses activités intellectuelles,
administratives et politiques à cette fin.
Notes
1 Elias N., Qu'est-ce que la sociologie ?, Paris, Edde l'aube,
1991, pp154 et suiv
2 Lenoir R., « Objet sociologique et problème social
», in Champagne P., Lenoir R., Merllié Det Pinto LInitiation
à la pratique sociologique, Paris, Dunod, 1996, p77
3 Entre 1955 et 1975, deux millions de logements sociaux ont été
construits en France Sur l'évolution de la question du logement
depuis la seconde guerre mondiale, voir Flamand J.-P., Loger le
peuple : essai sur l'histoire du logement social en France, La Découverte,
Paris 1989 et Bachmann Cet Le Guennec N., Violences urbaines Ascension
et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de
politique de la ville, Paris, Albin Michel, 1996, particulièrement
la troisième partie, pp105 et suiv
4 Seys B., « L'évolution de la population active »,
INSEE Première n°434, mars 1996
5 A partir d'une enquête en banlieue parisienne, Olivier
Masclet montre à la fois les réticences des familles
ouvrières à intégrer ces grands ensembles et
l'exclusion des familles immigrées qui n'ont pu y accéder
qu'à la faveur de leur désertification - et décadence
– progressive Voir Masclet O., La gauche et les cités
Enquête sur un rendez-vous manqué, Paris, La dispute,
2003
6 Bourdieu P., Les structures sociales de l'Economie, Paris, Seuil,
2000, particulièrement pp113 et suiv
7 Il convient de manier les catégories « français
» et « immigrés » avec prudence En effet,
elles ne reposent pas sur des catégories objectives désignant
un groupe social, mais au contraire sont un perpétuel enjeu
de luttes, à l'intérieur et à l'extérieur
du groupe Elles tendent de surcroît à agréger
sous un même label des situations sociales, des statuts et
des conditions hétérogènes, qui opposent les
individus plus qu'elles ne les rassemblent Il en va de même
pour les représentations statistiques d'Etat, qui loin d'être
neutralisées engagent des présupposés que l'on
ne peut négliger lorsqu'il s'agit de distinguer statistiquement
qui fait partie de la communauté nationale ou non Pour autant,
en l'absence d'indicateurs alternatifs, c'est sur ces taxinomies
que sont basées les différentes données socio-morphologiques
sur les « immigrés » utilisées infra Pour
l'INSEE, « est considérée comme immigrée
toute personne résidant en France née à l'étranger
et se déclarant de nationalité étrangère
ou française par acquisition »En 1999, la population
immigrée de 15 ans ou plus vivant dans des ménages
s'établit à 3 800 000 personnes Près de 30%
d'entre elles ont pris la nationalité française(Thave
S., « L'emploi des immigrés en 1999 », INSEE
Première n°717, mai 2000)
8 En 1996, le parc social abrite près d'un ménage
immigré sur trois (un sur deux pour les immigrés originaires
du Maghreb), contre moins de un sur six pour l'ensemble des ménages
Boëldieu Jet Thave S., « Le logement des immigrés
en 1996 », INSEE Première n°730, août 2000
9 Chardon O., « Les transformations de l'emploi non qualifié
depuis vingt ans », INSEE Première n°796, juillet
2001
10 Thave S., « L'emploi des immigrés en 1999 »,
opcit
11 Cézard M., « Les ouvriers », INSEE Première
n° 455, mai 1996
12 Chardon O., « Les transformations de l'emploi non qualifié
depuis vingt ans », opcit
13 Sur les comportements de ces groupes, voir Mauger Get Fossé-Poliak
C., « Les loubards », Actes de la recherche en sciences
sociales n°50, novembre 1983
14 Voir notamment Willis P., « L'école des ouvriers
», Actes de la recherche en sciences sociales n°24, novembre
1978
15 Sur les transformations de la structure de l'emploi industriel
et ses effets sur les adolescents des quartiers populaires, voir
Pialoux M., « jeunesse sans avenir et travail intérimaire
», Actes de la recherche en sciences sociales, n°26-27,
mars-avril 1979, pp19-47
16 « Dans le commerce, des emplois peu qualifiés ont
accompagné l'essor de la grande distribution : les caissiers,
les vendeurs en alimentation et les employés de libre-service
sont 273 000 de plus qu'il y a 20 ans(…) Dans le domaine de
l'entretien, les employés de nettoyage de bureaux ou de locaux
industriels sont 117 000 de plus qu'en 1982De même, les professions
d'agents de sécurité ou de surveillance se sont développées(…)
L'essor de la restauration et notamment de la restauration rapide
a bénéficié aux emplois de serveurs, aides
cuisiniers ou plongeurs, dont les effectifs ont augmenté
de plus d'un quart Au total, les professions non qualifiées
en essor ont vu leurs effectifs progresser d'un million en 20 ans
En 2001, ces emplois représentent la moitié de l'emploi
non qualifié, contre moins d'un tiers en 1982 »Chardon
O., « Les transformations de l'emploi non qualifié
depuis vingt ans », opcit
17 Les travaux qu'a pu mener Philippe Bourgois sur les dealers
de crack à New York sont très éclairants pour
comprendre comment ces normes et ces valeurs s'opposent en tous
points à celles qui ont cours dans les nouveaux emplois déqualifiésVoir
Bourgois P., En quête de respect Le crack à New York,
Paris, Seuil, 2001, 327 pages, particulièrement chapitres
4 et 5
18 Les enfants des ménages immigrés longeant en HLM
quittent tardivement le foyer parental : 48% des jeunes de 20 à
34 ans vivent encore avec leurs parents, soit deux fois plus souvent
que la moyenne Boëldieu Jet Thave S., « Le logement des
immigrés en 1996 », opcit
19 Sur ce sujet, voir Beaud Set Pialoux M., Retour sur la condition
ouvrière, Paris, Fayard, 1999, particulièrement la
seconde partie « Le salut par l'école » et Grignon
C., L'ordre des chosesLes fonctions sociales de l'enseignement technique,
Paris, Editions de Minuit, 1971
20 Poupeau F., « Professeurs en grève », Actes
de la recherche en sciences sociales, n°136-137, mars 2002,
pp83-94 et Garcia Set Poupeau F., « Violences scolaires :
la faute à l'école ? » in Bonelli Let Sainati
G (dir.), La machine à punir Pratiques et discours sécuritaires,
Paris, L'Esprit frappeur, 2001, pp125-126
21 Castel R., Les métamorphoses de la question sociale Une
chronique du salariat, Paris, Gallimard, 1999, pp665-666
22 Mauger G., « La reproduction des milieux populaires en
'crise' », Ville - Ecole - Intégration n°113, 1998
23 Lepoutre D., Cœur de banlieue Codes rites et langages,
Paris, Odile Jacob, 1997
24 « Parce qu'ils ne peuvent fournir ce minimum de sécurité
et d'assurances concernant le présent et l'avenir immédiat
que procurent l'emploi permanent et le salaire régulier,
le chômage, l'emploi intermittent et le travail comme simple
occupation interdisent tout effort pour rationaliser la conduite
économique en référence à une fin future
et enferment l'existence dans la hantise du lendemain, c'est-à-dire
dans la fascination de l'immédiat » Bourdieu P., «
Les sous prolétaires algériens », Agone n°26/27,
2002, p205 [Les temps modernes, décembre 1962]
25 Bourgois P., En quête de respect, opcit
26 Beaud S., « L'école et le quartier », Critiques
sociales n°5-6, 1994, pp13-46Olivier Masclet montre pour sa
part le « déshonneur », la « honte »
des pères immigrés algériens devant la déviance
de leurs fils : « l'arrestation des 'fils indignes' (…)
est plutôt le signe insupportable du fossé qui s'est
creusé entre eux », entre ouvriers stables et sous-prolétaires,
entre « ouvriers respectables » et « jeunes sans
avenir » Masclet O., « Les parents immigrés pris
au piège de la cité », Cultures & Conflits
n°46, 2002, pp147-173
27 Elias Net Scotson J.L., Les logiques de l'exclusion, Fayard,
Paris 1997 [1965], pp158 et suiv
28 Thompson EP., La formation de la classe ouvrière anglaise,
Paris, Gallimard - le Seuil, 1988 [1963]
29 Rey H., Etude pour le compte de la délégation
interministérielle à la ville, rapport dactylographié,
2001
30 Sur ce sujet voir Mauger G., « La politique des bandes
», Politix n°14, 1991
31 Voir notamment Pudal B., Prendre parti Pour une sociologie historique
du PCF, Paris, Presses de Science-Po, 1989
32 C'est le rendez-vous manqué entre le PCF et les jeunes
des cités que décrit de manière très
détaillée Olivier Masclet dans La gauche et les cités,
opcit
33Sayad A., La double absence Des illusions de l'émigré
aux souffrances de l'immigré, Paris, Seuil, 1999, 439 pages
34 Ministres de l'Intérieur français, respectivement
de gauche et de droite
35 Khaled Kelkal, un jeune de Vaulx en Velin impliqué dans
les attentats de 1995 en France constitue de ce point de vue une
exception due à l'implication forte de sa famille dans les
questions algériennesSon père était à
cette période imam en Algérie et très engagé
dans l'islam politique
36 Pour un historique, voir Abdallah M.H., J'y suis, j'y reste
! Les luttes de l'immigration en France depuis les années
60, Paris, Reflex, 2001,160 p
37 Le préfet de région commentait ainsi les mouvements
consécutifs au décès d'un adolescent, tué
par un policier à Toulouse en décembre 1998 : «
ces casseurs ne sont pas sans liens avec les 19 personnes que nous
avons arrêtées récemment pour des casses chez
des commerçants Au-delà de l'émotion légitime
ressentie après la mort du jeune Habib, on peut voir dans
les mouvements du Mirail une réaction à ces arrestations
qui n'ont certainement pas fait plaisir à tout le monde,
en mettant un coup d'arrêt à toute sortes de trafics
»La Croix, 18 décembre 1999Sur l'attitude de la municipalité
et de la préfecture lors de la mobilisation d'un quartier
de Dammarie les Lys durant l'été 2002, autour de l'association
Bouge qui bouge et du Mouvement de l'Immigration et des Banlieues
(MIB), voir Vacarme n°21, automne 2002
38 L'exemple du mouvement Stop la violence, lancé à
la suite de la mort de Stéphane Coulibaly à Bouffémont,
dans le Val d'Oise, le 14 janvier 1999 est emblématique Parti
de la volonté d'un certain nombre d'adolescents de rétablir
l'image de leur camarade, présenté dans les médias
comme un délinquant, ce mouvement - encadré dès
le début par un journaliste de Nova et un conseiller municipal
socialiste (David Assouline, adjoint au maire du XXe arrondissement
de Paris) - va connaître une reconnaissance rapide des pouvoirs
publics et des médiasFondé sur un manifeste condamnant
« la violence des banlieues », il cadre parfaitement
dans le fond et dans les formes avec les catégories pertinentes
du moment dans le jeu politique Des émissions spéciales
on lieu à la radio, Canal + tourne un documentaire, diffusé
en mai, et surtout, des représentants sont invités
à grand renfort de publicité aux Rencontres nationales
des acteurs de la prévention de la délinquance à
Montpellier, en mars 1999Le ministre de la Ville, Claude Bartolone
les reçoit, alors que Jean-Pierre Chevènement, ministre
de l'Intérieur, leur adresse un message d'encouragement,
avant de donner des consignes aux préfets pour favoriser
le développement de groupes locaux
39 Claude Grignon et Jean-Claude Passeron parlent même de
racisme de classe, entendu comme « certitude propre à
une classe pour monopoliser la définition culturelle de l'être
humain et donc des hommes qui méritent d'être pleinement
reconnus comme tels »Ils précisent également
que cette certitude « habite de vastes secteurs des classes
dominantes, et pas forcément les plus traditionnels ou les
plus élitistes »Grignon Cet Passeron J-CLe savant et
le populaire Misérabilisme et populisme en sociologie et
en littérature, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1989, p32
40 Comité d'études sur la violence, la criminalité
et la délinquance, Réponses à la violence,
Paris, Presses Pocket, 1977
41 Pour la nébuleuse modernisatrice, et les transformations
des manières de dire et de faire l'Etat durant les «
trente glorieuses », voir Kuisel RF., Le capitalisme et l'Etat
en France Modernisme et dirigisme au XXème siècle,
Paris, Gallimard, 1984, 477 pages
42 Le CERES était un courant d'orientation marxiste dirigé
par Jean-Pierre Chevènement, qui rédigea notamment
le programme du parti socialiste de 1980Lire à ce sujet les
doléances et l'amertume exprimées par Serge July et
Michel Marian, dans « Surpris, soufflés hors du coup…
», Esprit n°10-11, octobre-novembre 1981, pp196-210
43 L'ouvrage de Jacques Donzelot et Philippe Estèbe (L'Etat
animateurEssai sur la politique de la ville, éditions Esprit,
1994) constitue un bon résumé de ces thèses
Sur la structuration des catégories de pensée de la
politique de la Ville - et leurs effets - voir la thèse de
Sylvie Tissot : Réformer les quartiers Enquête sociologique
sur une catégorie de l'action publique, sous la direction
de Christian Topalov, Paris, EHESS, 2002
44 Alors que les rodéos des Minguettes n'avaient fait l'objet
que d'un entrefilet dans le Monde, le Figaro et l'Humanité
(Libération les passe sous silence), la flambée de
violence du quartier du Mas du Taureau, à Vaulx-en-Velin,
en octobre 1990, donna lieu à 34 reportages et 9 éditoriaux
dans la presse audiovisuelle, alors que la presse écrite
nationale y consacrait 60 articles Le volume des articles sur la
question du « malaise », du « mal » ou de
« la crise » des banlieues se multiplie dès lors
et cela devient un « genre » journalistique à
part entière Sur l'évolution du traitement de ces
questions voir Collovald A., « Des désordres sociaux
à la violence urbaine », Actes de la recherche en sciences
sociales, n°136-137, mars 2001Les médias, notamment audiovisuels,
vont dès lors jouer un rôle important dans la structuration
d'une image publique du problème, en homogénéisant
des réalités sociales et géographiques («
les banlieues ») ; des populations (les « jeunes »)
et des faits (les « violences urbaines », les «
émeutes ») de statuts très hétérogènes
Voir Champagne P., « La construction médiatique des
'malaises sociaux' », Actes de la recherche en sciences sociales
n°90, décembre 1991, pp64-75
45 Philippe Juhem montre de la sorte « l'affaiblissement
tendanciel de la prééminence des hommes politiques
sur les journalistes », lié à l'alternance politique
Voir Juhem PSOS-Racisme, histoire d'une mobilisation « apolitique
»Contribution à une analyse des transformations des
représentations politiques après 1981, Thèse
de science politique sous la direction de Bernard Lacroix, Paris
X-Nanterre, 1998
46 Rapport sur La politique de la ville, présenté
par Gérard Larché, Sénat, session 1992-1993,
p12
47 Le Parisien, 31 octobre 2001
48 Interview télévisée de monsieur Jacques
Chirac, président de la République à l'occasion
de la fête nationale, samedi 14 juillet 2001
49 Voir notamment Roché S., Tolérance Zéro
? Incivilités et insécurité, Paris, Odile Jacob,
2002 ; « La théorie de la vitre cassée en France
Incivilités et désordres en public », Revue
française de science politique, vol50, n°3, juin 2000,
pp387-412
50 Wilson J.Q et Kelling G., « Broken Windows : The Police
and Neighbourhood Safety », The Atlantic Monthly, march 1982
Pour une traduction française, voir les Cahiers de la sécurité
intérieure, n°15, 1er trimestre 1994
51 Voir par exemple Bousquet R., Insécurité : nouveaux
risques Les quartiers de tous les dangers, Paris, L'Harmattan, 1998
ou Bauer Aet Raufer X., Violences et insécurité urbaine,
Paris, PUF (CollQue sais-je n° 3421), 1998
52 Les travaux fins sur les trajectoires de jeunes délinquants
- corroborés par des témoignages policiers et judiciaires
- font apparaître dans la majorité des cas une baisse
voire une disparition de l'activité délictuelle dès
que ces adolescents trouvent un emploi, fondent un couple, etcVoir
par exemple Mauger G., « Espace des styles de vie déviants
des jeunes de milieux populaires », in Baudelot Cet Mauger
G(dir.), Jeunesses populaires Générations de la crise,
Paris, L'Harmattan, 1994Dans un registre différent, on lira
avec intérêt Harcourt BE., « Reflecting on the
Subject : A Critique of the Social Influence Conception of Deterrence,
the Broken Windows Theory, and Order-Maintenance Policing New-York
Style », Michigan Law Review, 97-2, November 1998, pp291-389
53 Voir Mucchielli L., Violences et insécurité Fantasmes
et réalités dans le débat français,
Paris, La découverte, 2001 et Rimbert P., « Les managers
de l'insécurité Production et circulation d'un discours
sécuritaire », in Bonelli Let Sainati G(dir.), La machine
à punir (…), opcit
54 Salvatore Palidda parle ainsi de « gestion négociée
des règles du désordre »Voir Palidda S., Polizia
postmoderna Etnografia del nuovo controllo sociale, Milan, Feltrinelli,
2000
55 La montée en puissance des catégories de la sécurité
publique va avoir des effets sur les autres services qui s'occupent
du renseignement ou du judiciaireSur ce processus, voir notamment
Bonelli L., « Les Renseignements généraux et
les violences urbaines », Actes de la Recherche en Sciences
Sociales, n°136-137, mars 2001, pp95-103Pour les tensions inhérentes
à la structuration d'un champ des professionnels de la sécurité,
voir Bigo D« La mondialisation de la sécurité
? Réflexions sur le champ des professionnels de la gestion
des inquiétudes à l'échelle transatlantique
et sur ses implications », TRACES, à paraître,
et Bigo DPolices en réseaux L'expérience européenne,
Paris, Presse de Science-Po, 1996
56 Muir W.K., Police : Street Corner Politicians, Chicago, University
of Chicago, 1977
57 Ces délits consistent respectivement en des insultes
et des violences exercées sur des dépositaires de
l'autorité Ils passent sur la période de 0,64% à
1,08% de l'ensemble des faits constatés(Source : Aspects
de la criminalité et de la délinquance constatée
en France, Paris, La documentation française)Ce calcul reste
toutefois trop global, car il agrège des réalités
très différentes, notamment entre petites et grandes
villes Sur l'un de mes terrains en banlieue parisienne, l'augmentation
est de 470% entre 1993 et 2001
58 La loi pour la sécurité intérieure du 18
mars 2003 (NOR : INTX0200145L) stipule à l'article L126-3
que « les voies de fait (…) ou l'entrave apportée,
de manière délibérée, à l'accès
et à la libre circulation des personnes ou au bon fonctionnement
des dispositifs de sécurité et de sûreté,
lorsqu'elles sont commises en réunion de plusieurs auteurs
ou complices, dans les entrées, cages d'escaliers ou autres
parties communes d'immeubles collectifs d'habitation, sont punies
de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 Euros d'amende »Pour
la première fois, le 8 juillet 2003, trois adolescent(e)s
de la cité de Brugnauts à Bagneux ont été
mis(es) en examen pour « occupation d'une cage d'escalier
»Le 25 juillet, le tribunal correctionnel de Lille condamnait
à son tour deux jeunes de 19 ans à un mois de prison
ferme pour « occupation illicite des parties communes d'un
immeuble »
59 Le traitement en temps réel, DACG, ministère de
la Justice, p3
60 Ibid., p4
61 Mary P., « Pénalité et gestion des risques
: vers une justice 'actuarielle' en Europe ? », Déviance
et société, vol25, n°1, 2001, p35
62 Voir Sainati G., « Des techniques aux pratiques de pénalisation
de la pauvreté » in Bonelli Let Sainati G(dir), La
machine à punir (…), opcit., pp87-105
63 Pistolet spécial tirant des balles en caoutchouc
64 Insécurité : les nouveaux risques, opcit., pp121-122Il
est repris en cela par des journalistes à sensation, comme
Christian Jelen, par exemple, qui n'hésite pas à intituler
son ouvrage La guerre des rues (Paris, Plon, 1999)
65 Le rapport 2002 du Comité pour les droits, la justice
et les libertés de Saint Denis (Seine Saint Denis) donne
de nombreux témoignages de ces relations mimétiques
tant au niveau du langage (« pourquoi tu m'as regardé
? » ; « alors, c'est qui le chef ? » ; «
viens te battre si t'es un homme ») que des pratiquesOn trouvera
d'autres exemples dans le rapport de la commission d'enquête
sur les comportements policiers à Châtenay-Malabry,
Poissy et Paris 20e (juillet 2002), menée par la Ligue des
droits de l'homme, le syndicat des avocats de France et le syndicat
de la magistrature
66 Voir Jobard F., Bavures policières ? La force publique
et ses usages, Paris, La découverte, 2002
67 Contrat local de sécurité de la ville de Chalon
sur Saône - Document de travail page 66 - 26 septembre 2002
- Annexe 4 : Note sur le suivi personnalisé des familles
et mineurs signalés
68Goffman E., AsilesEtudes sur la condition sociale des malades
mentaux, Paris, éditions de Minuit, 1968, pp214-218
69 Pierre Bourdieu rappelle de la sorte qu'on ne peut pas rendre
compte des dispositions et des pratiques des adolescents des quartiers
populaires, et notamment des plus « déviantes »,
sans faire intervenir d'autres facteurs, au premier rang desquels
« le dépérissement ou l'affaiblissement des
instances de mobilisation, telles les organisations politiques et
syndicales qui, dans les anciennes 'banlieues rouges', ne se contentaient
pas seulement, comme on le dit souvent de 'canaliser et de réguler
la révolte', mais assuraient une sorte 'd'enveloppement continu'
de toute l'existence (à travers notamment l'organisation
des activités sportives, culturelles et sociales), contribuant
ainsi à donner un sens à la révolte, mais aussi
à toute l'existence »Bourdieu P(dir.), La misère
du monde, Paris, Seuil, 1993, p225
70 Edelman M., Pièces et règles du jeu politique,
Paris, Seuil, 1991, pp53 et suiv
71 « there is no limit to police participation in the construction
and management of social problems[The police are] shaping the knowledges
requirements of other institutions in order to assist those institutions
in the risk management of the special populations for whom they
are responsible »Ericson RVand Haggerty KD., Policing the
Risk Society, University of Toronto Press, 1997, pp73 et 75
72 Castel R., Les métamorphoses de la question sociale Une
chronique du salariat, opcitp163
73 Christie N., L'industrie de la punition Prison et politique
pénale en Occident, Paris, Autrement, 2003
74 Ce qui diffère fondamentalement des groupes organisés,
qu'ils soient « criminels » ou « terroristes »En
cas d'arrestations, reconstituer un groupe dont la cohérence
repose sur des relations de confiance à la hauteur des risques
encourus est en effet beaucoup plus long et compliqué
75 Pour une présentation de ces thèses, voir Wacquant
L., « Les mythes savants du nouveau sécuritarisme »,
Les politiques sociales, n° 1&2 - 2003
76 En 2002, l'inspection générale de la police nationale
(IGPN) a enregistré 592 plaintes pour violences policières
illégitimes, contre 566 en 2001 et 548 en 2000, soit une
hausse de 8% en trois ansCette évolution est encore plus
flagrante pour l'inspection générale des services
(IGS) qui s'occupe de Paris et de la petite couronne : 432 dossiers
en 2001, 385 en 2001, 360 en 2000, et 216 en 1997En cinq ans, ce
chiffre a donc été multiplié par deux(Source,
Le Monde, 21 février 2003)
77 Voir Bigo D., « Sécurité et immigration
Vers une gouvernementalité par l'inquiétude ? »,
Cultures & Conflits n°32-32, automne 1998 et Delumeau J.,
Rassurer et protéger : le sentiment de sécurité
dans l'Occident d'autrefois, Paris, Fayard, 1989
78 Beaud Set Pialoux M. Violences urbaines, violences sociales
Genèse des nouvelles classes dangereuses, Paris, Fayard,
2003.
Laurent Bonelli, « Evolutions et régulations des illégalismes
populaires en France depuis le début des années 1980
», Cultures & Conflits, 51, automne 2003, [En ligne],
mis en ligne le 02 février 2004.
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