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Le 6 avril, la section française accueillait dans ses locaux
une conférence de presse pour lancer un rapport intitulé
« France, pour une véritable justice ». À
la tribune, plusieurs victimes de violences policières, des
chercheurs, des avocats et la présidente d’Amnesty-France.
Présentation en 1997 par le préfet de police de Paris
des 33 premiers adjoints de sécurité affectés
dans la capitale AFP
« Violence policière : Amnesty dénonce l’indulgence
des juges » (Le Figaro) ; « L’État trop
doux avec les violences policières », (l’Humanité)
; « La police couvre la police, Amnesty dégaine son
rapport » (Libération), titrent les journaux le lendemain
de la conférence de presse. La veille, un reportage sur Tf1
malgré la couverture de la mort du pape et du prince Rainier
de Monaco, le soir même. Alliance, premier syndicat des gardiens
de la paix, lui, crie au scandale.
Au terme de dix années passées à réunir
des documents et détailler des affaires, Amnesty International
dévoile des éléments montrant que le système
judiciaire s’avère généralement incapable
d’enquêter sur les violations des droits humains et
d’en punir les auteurs.
Le gouvernement, les magistrats et les responsables de la police
nationale laissent les policiers faire un usage abusif de la force,
voire recourir à la force meurtrière, à l’encontre
des suspects d’origine arabe ou africaine, sans qu’ils
aient à craindre de sanctions sévères.
Dans la nuit du 17 décembre 1997, Abdelkader Bouziane, 16
ans, résidant à Dammarie-les-Lys, a été
abattu à un barrage de police à Fontainebleau. Il
circulait au volant d’une voiture, en compagnie de son cousin
lorsqu’un véhicule de police les a pris en chasse après
une infraction au code de la route. Le véhicule forçant
un barrage policier fit un tête à queue avant de s’immobiliser,
les deux officiers de la brigade anti-criminalité présents
ont ouvert le feu. D’après les informations reçues
par Amnesty international du rapport d’expertise balistique,
les policiers avaient tiré à bout portant en visant
l’intérieur de la voiture, ce qui excluait la thèse
de la légitime défense. À l’issue de
5 ans de procédure judiciaire, les deux policiers ont bénéficié
d’un non-lieu. Un cas extrait du rapport France d’Amnesty
qui décrit par le menu dix-huit affaires. Toutes concernent
des personnes étrangères ou d’origine étrangère.
Après des années d’enquêtes sur ces cas,
Amnesty International a conclu à l’existence d’un
phénomène d’impunité réelle pour
les forces de police en France.
Les violations prennent la forme d’homicides illégaux,
de recours abusifs à la force, d’actes de mauvais traitements
ou de torture, et d’injures racistes. La plupart des plaintes
déposées par les victimes viennent seulement d’aboutir
ou sont toujours en cours d’examen. Ainsi il a fallu plus
de six ans pour que l’affaire Aïssa Ihich, décédé
d’une crise cardiaque après avoir été
roué de coups au commissariat de Mantes-la-Jolie soit portée
devant la justice.
La France a été condamnée plusieurs fois par
la Cour européenne des droits de l’homme pour la lenteur
de sa justice. Dans l’affaire Ahmed Selmouni, citée
dans le rapport, la France a été condamnée
le 28 juillet 1999, par la Cour européenne pour avoir violé
« le droit de toute personne à voir sa cause entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable
», le tribunal correctionnel de Versailles avait attendu huit
années avant de statuer sur une affaire de violences policières
d’une exceptionnelle gravité. Le 1er avril 2004, elle
était aussi condamnée, à l’unanimité
des juges, pour « traitements inhumains et dégradants
» sur la personne de Giovanni Rivas, un ressortissant français
résidant à Nouméa (Nouvelle-Calédonie)
et mineur à l’époque des faits.
Les plaintes à la hausse
Pour Amnesty International, les forces de police jouent un rôle
important dans la protection des personnes contre la criminalité,
la violence et les atteintes aux droits humains en rendant possible
la comparution en justice des auteurs de tels actes. Cependant les
affaires décrites dans ce rapport et l’augmentation
continue du nombre de plaintes pour mauvais traitements policiers,
notable en 2004 (environ 18,5 % de plaintes en sus depuis 2003 reçues
par l’IGS et l’IGPN), mettent en évidence un
certain nombre de dysfonctionnements. Face à ce constat,
Amnesty International formule plusieurs recommandations préconisant
la nécessaire amélioration des conditions d’accès
au droit pour les victimes de violences policières.
Ce rapport, France : Pour une véritable justice, a été
adressé par la Secrétaire Générale d’Amnesty
International, Irène Khan, aux autorités française.
La section française, désormais habilitée «
à mener des actions d’opposition portant sur des atteintes
spécifiques aux droits humains en France », est décidée
à agir pour mettre fin à cette impunité. Deux
priorités : alerter l’opinion publique et interpeller
les autorités sur l’urgence d’en finir avec des
pratiques discriminatoires et illégales des forces de police.
Une justice à deux vitesses
Tout en reconnaissant qu’en France comme ailleurs, les policiers
travaillent souvent dans des conditions difficiles, tendues, dangereuses,
et sont parfois confrontés à des criminels violents,
Amnesty s’inquiète d’un climat d’impunité.
Les facteurs qui favorisent ce climat sont, entre autres, les lacunes
ou les faiblesses de la législation, notamment l’absence
de définition exhaustive de la torture dans le Code pénal
français et les dispositions qui privent les gardés
à vue de la possibilité de consulter un avocat dès
le début de leur garde à vue. Par ailleurs, la loi
n’est pas toujours bien appliquée et l’on constate
que les policiers, le ministère public et les tribunaux ne
marquent souvent aucun empressement à poursuivre les auteurs
de violations des droits humains quand il s’agit des policiers.
De plus, lorsque c’est le cas, les condamnations prononcées
ne sont souvent pas à la mesure de la gravité des
crimes commis. « Il existe une justice à deux vitesses
qui instruit beaucoup plus vite les plaintes émanant de policiers
que celles déposées contre ces derniers » assure
Gillian Flemming chercheuse France au Secrétariat international
d’Amnesty. Même s’ils sont anciens, les cas présentés
dans le rapport démontrent d’une part la lenteur de
la justice, lorsqu’on arrive à la saisir, d’autre
part l’impunité dont bénéficient les
auteurs des violations des droits de la personne due à la
partialité de l’institution judiciaire à la
fois juge et partie (IGS et IGN). De plus, sur une trentaine d’affaires
examinées de graves violations des droits humains, avérées
ou présumées, commises par des policiers, la plupart
concernent des jeunes.
Pour améliorer cette situation l’Organisation de défense
des droits humains propose une série de recommandations,
notamment la révision de la procédure relative au
contrôle d’identité, la présence d’un
avocat auprès des personnes dès la première
heure de la garde à vue, seule façon efficace d’éviter
les mauvais traitements et les violences verbales. Les ministères
de la Justice, de l’Intérieur, de la Défense,
le gouvernement et les syndicats de policiers sont interpellés
tant au niveau de la formation aux droits humains des agents que
du recueil des plaintes permettant la tenue de statistiques et aux
tribunaux de suivre les affaires sans oublier la ratification de
textes internationaux, notamment la signature du protocole facultatif
relatif à la Convention contre la torture. « La prévention
de la torture et des mauvais traitements est essentiellement un
problème de volonté politique, affirme un représentant
d’Amnesty. Quel que soit le rang qu’elle occupe, chaque
personne doit rendre compte de tous ses actes ».
Dernière modification le : 9 juin 2005
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