Le lien d'origine sur le site de la Revue Chimères : http://www.revue-chimeres.org/pdf/23chi15.pdf
Quand j’arrivai à La Borde, après mon sabordage
politique à l’UNEF (au prétexte qu’il n’était
pas bon qu’un gauchiste en fût le président), Félix
me fit lire une lettre de Trotski adressée à Joffé
: le chef de l’armée Rouge y donnait les raisons de son
effacement devant Staline car – disait-il en substance – «
il ne faudrait pas que la Révolution soit dirigée par
un Juif ».
Félix pensait aussi que l’organisation bolchevique devait
en partie son style au traumatisme de l’exécution du frère
de Lénine par la police tsariste. Les entrelacs de l’Histoire,
qui liaient quelque affect privé avec les grands mouvements des
masses, me furent un programme séduisant. Aujourd’hui encore
je n’en abandonne pas le mirage.
L’option « chimérique » tient sa spécificité
d’une articulation, affirmée depuis longtemps, entre la
préoccupation politique et la pratique, analytique et thérapeutique,
de la folie. De Tosquelles qui rêvait d’un PPF («Parti
psychiatrique français») à la FGERI (Fédération
des groupes d’études et de recherches institutionnelles)
et la revue Recherches (dont le nom me vient si souvent à la
bouche en lieu et place de Chimères…) en passant par La
Borde, l’Arc-en-Ciel et autres gauches « alternatives »,
le fil rouge de cette démarche pourrait se résumer en
peu de lignes : faire tenir ensemble – dans un même projet
d’analyses et d’actions – l’Histoire et l’inconscient,
les agencements collectifs d’énonciation et les singularités
existentielles, l’événement social et le fantasme,
l’une et l’autre « aliénation ».
Et cela peut avoir des conséquences non négligeables des
deux côtés. Dans l’approche de la folie, une nécessaire
référence aux déterminismes historico-sociaux.
Dans l’abord de l’Histoire, le refus des hiérarchies
structurelles, la mise en question des rapports de causalité
dialectique et du « primat » de l’économie.
De ce point de vue, l’idée surréaliste (« surmachinaliste
», dirait sans doute Nicolas Auray) d’une « production
» – sociale, collective, hétérogène
– de « subjectivité » est devenue pour nous
un thème insistant.
Pour Marx les besoins sont produits historiquement. Les manuscrits de
1844 opposaient les besoins grossiers, solvables, que génère
la société capitaliste, aux besoins humains proprement
dits. Et ceux-ci sont d’une autre nature, s’enracinent dans
un besoin profond d’auto-réalisation, ne s’enferment
ni dans les jeux privatifs du « manque », ni dans les illusions
mimétiques de la consommation. Cette source profonde, humaine
et non humaine, des besoins, s’affirme aujourd’hui dans les
concepts de désir et de devenirs qui déconnectent d’emblée
le besoin de la série des objets matériels susceptibles
de le saturer (1). Au plus vif des émeutes de la faim qui annoncèrent
en Algérie, il y a quelques années, la montée du
puissant mouvement de contestation intégriste, les combats de
rue cessaient brusquement à l’heure où « Dallas
» passait sur le petit écran. Et les « opiums du
peuple » – réels ou métaphoriques (drogues,
« communication », sports, sectes ou mafias) – se sont
intimement mêlés aux fonctions économiques et politiques
du capital.
Aujourd’hui les rapports entre les domaines micropolitiques ou
« moléculaires » de la « vie privée
» et les territoires « molaires » des institutions
sociales sont plus insaisissables que jamais. L’art d’un «
fascisme » berlusconien est de brouiller la limite, d’en
reconnaître les liens et le mélange.
L’heure n’est plus aux rigidités totalitaires. Le centre
fort du MSI peut faire alliance avec les segmentarités régionales
de la Ligue lombarde, pour peu que les clubs de football de Forza Italia
unifient ces disparités libidinales dans les jeux des corps,
des villes, de l’argent et de la gloire.
Malgré ces mauvaises nouvelles, nous sommes quelques-uns à
penser qu’après les « années d’hiver »
(beaucoup plus longues, certes, que celles qu’évoquait Félix),
un certain dégel s’est produit, pour le meilleur et pour
le pire. Et que le pire n’est pas certain.
* L’absence flagrante d’une théorie sociale de la subjectivité
inconsciente ou d’une réflexion sur l’impact du désir
dans le champ social a dépouillé les deux grandes pensées,
marxienne et freudienne, d’une importante part de leur charge subversive.
L’une et l’autre ont laissé se développer des
pratiques extensives de mise à l’ordre, mise au travail,
étalonnage des normes. Des dimensions macropolitiques de l’accumulation
(libérale ou planifiée) jusqu’à la mise en
équation des écarts « pathologiques » vis-à-vis
du symbolique (érigé en valeur, structure profonde et
ordre de la raison), en passant par la réglementation minutieuse
des représentations et consommations familiales, marxisme et
freudisme se sont largement aliénés à l’étalement
planétaire du mode de production capitaliste (2). Point de «
peste » ni de choléra, pas même dans les mélanges
« culturalistes » qui tentaient de marier les concepts tirant
à hue et à dia, plutôt que d’en user comme
des instruments nomades d’une nécessaire démolition.
Malgré Reich, Lukacs, Adorno ou Marcuse, rien de décisif
ne peut nous permettre de comprendre pourquoi « les masses se
sont trompées », ou « se sont laissé tromper
» , au point d’embrasser les idéologies les plus contraires
à leurs « intérêts historiques ».
Peu de choses ont fait suite à l’ébauche freudienne
d’une réflexion psychanalytique sur les folies de l’Histoire
(Malaise, L’avenir, Analyse du moi et psychologie collective…).
Marx, excepté peut-être dans La question juive, nous invite
rarement à nous interroger sur l’autonomie, au moins relative,
de la subjectivité vis-à-vis d’une conscience de
classe archétypique dans laquelle les aspérités
« folles » ou « géniales » de quelques-uns
seraient statistiquement diluées. C’est le reproche que
Sartre adressait aux critiques et biographes marxistes, en célébrant
le mérite indiscutable des questions freudiennes et l’utilité,
irremplaçable à ses yeux, des monographies (3).
Mais l’univocité de l’interprétation n’est
pas l’apanage des seuls dialecticiens matérialistes. Bien
des exégètes ont fait remarquer, à propos du «
Président Schreber » l’indifférence de Freud
à l’égard des conditions matérielles, sociales
et politiques qui semblent préparer le délire et les persécutions
du magistrat de la cour de cassation. Il fait allusion aux activités
pédagogiques – sadiques, disons-le –, du père
de ce célèbre psychotique. Mais il ne les situe pas dans
le contexte d’une Allemagne qui construit son unité orthopédique
autour du modèle militaire prussien et agit par une véritable
« contrainte par corps » sur le développement physique
et moral des jeunes générations.
La folie de Schreber mériterait au moins deux enquêtes
logiques distinctes, avant leur éventuelle combinaison. Une des
deux démarches est celle qu’emprunte Freud (proche en cela
des hypothèses de Tausk dans La genèse de la machine à
influencer). Elle invoque l’économie sexuelle et ses impasses
comme fondement d’une construction délirante.
L’autre, qui prendrait en compte les « agencements collectifs
d’énonciation », est étrangement forclose.
Pourtant la première admission psychiatrique de Schreber (à
42 ans) a lieu après la défaite aux élections du
Reichstag. Il y était candidat du parti national-libéral,
libre-échangiste, laïque, assez proche de Bismarck et opposé
aux catholiques romains. Et sa « guérison » coïncide,
elle aussi, avec la montée en puissance de ceux qui seront capables
d’entendre son très moderne plaidoyer pour la restitution
de ses droits.
Ici et là les théoriciens semblent avoir moins à
dire que les romanciers, les poètes ou les artistes. Ce sont
Panizza, Remarque, Thomas Mann, Heinrich Böll, et plus encore Musil,
Gunther Grass et Peter Handke qui nouent les trames folles d’une
grandeur allemande ; et l’œuvre cinématographique de
Fassbinder, Herzog, Von Trotta, Wenders, Fleischmann ou Schloendorff
décrira le douloureux point d’orgue d’une subjectivité
post-nazie. De même Le Maître et Marguerite (Boulgakov),
Une journée d’Ivan Denissovitch (Soljenitsyne) ou L’aveu
(Arthur London) explorent, mieux que les théoriciens, les paradoxes
d’une psychopathologie stalinienne.
Ce qui donne à ces fictions leur poids constant de vérité
tient sans doute à leur respect des configurations singulières.
Même si ces œuvres ne parlent pas d’un inconscient,
que parfois d’ailleurs elles méconnaissent ou récusent,
elles nous donnent à voir des forces psychiques ; et celles-ci
n’appartiennent pas à un ordre organique universel, mais
sont des formations historiques et datées. On peut faire leur
procès généalogique, en étudier les mutations,
les fonctions sociales et les destins. Ces puissances s’installent
dans l’Histoire, sur les scènes courtes des événements
ou les périodes de la « longue durée ». La
pulsion, le fantasme ou le refoulement se lisent parfois dans les actes,
manqués ou réussis, d’une collectivité; parfois
seulement dans des symptômes, dramatiquement individués.
Contrairement à nos habitudes herméneutiques, nous avons
pris goût à chercher, loin des mots de passe, des «
mots de passage », des termes nomades. Car les syncrétismes
du marxo-freudisme nous semblaient débordés par les faits
dont nous cherchions à rendre compte. Les avatars de la «
sublimation », des « investissements », de l’«
identification » et plus encore – parce qu’elle se voulait
omni-explicative – de la « pulsion de mort » avaient
occupé nos lectures dans les années 60. Avec Fromm, Sullivan,
Marcuse ou, en France, Lyotard et Castoriadis, nous avions cherché
les articulations vives de l’économie politique et de l’économie
libidinale.
Mais la confrontation des concepts confinait le plus souvent à
des débats scolastiques. Et nos pratiques (la rue, le divan,
« psychothérapie institutionnelle »), requéraient
sans cesse des inventions, des néologismes, la mise en place
d’une pragmatique, la critique des dogmes et des nosographies.
Dans un bel article récent, Michel Fennetaux (4) nous rappelle
que « la civilisation, telle que Freud nous invite à la
penser, ne serait nullement un être mixte, ni juxtaposition, ni
même entrelacs d’éléments positifs et d’éléments
négatifs. Elle serait ambivalente dans l’intimité
même de son être, en sorte que tout fait humain serait hybride
et non chimère ».
C’est de cette conviction que la schizoanalyse s’échappe.
En rupture avec les grandes alternatives polaires qui actualisaient
en notre siècle le Bien et le Mal des traditions occidentales
– Eros et Thanatos dans la « dialectique » des pulsions,
Capital et Travail (bourgeoisie et prolétariat) dans les lois
progressives de l’Histoire, L’anti-Œdipe fluait, «
drainait », disséminait, entraînait plus qu’il
ne démontrait.
Le pari d’une alliance nécessaire de la forme et du fond,
d’une impossibilité de faire la part de l’une et de
l’autre, nous prit un peu par surprise, Car nous avions suivi la
rhétorique somptueuse de Foucault, et les démonstrations
impeccables de Sartre. Au travers de ce buissonnement joyeux, dont beaucoup
pensèrent qu’il incarnait dans l’écriture l’irrévérence
maniaque de 68, nous perçûmes encore mieux un enjeu insistant.
Il s’agissait d’écarter un dualisme incorrigible de
la pensée, l’algébrique des « contradictions
», les constructions des « oppositions distinctives ».
Avec les « flux », les « machines », les «
rhizomes » d’autres organisations, physiques ou humaines
étaient imaginables. Leurs proliférations ne seraient
plus hantées par le retour obligé des forces antagonistes
au sein d’une structure unitaire plus « évoluée
».
Elles n’impliqueraient plus le progrès, mais non plus la
décadence, parce qu’elles participeraient d’une hétérogenèse
imprévisible et du mouvement insistant, immanent, de la différence.
A rebours de notre citation, tout fait humain serait chimère,
et non hybride ; monstre, et non compromis.
Multiplicité.
* Le mélange des genres n’est pas seulement affaire de concepts.
Il affecte évidemment la praxis, l’analyse et les critiques
qui l’entourent. Tant qu’une exigence éthique ne déborde
pas l’institution psychiatrique, (la « messe » de Saint-
Alban avec Tosquelles, les réunions du « collectif »
à La Borde), elle ne gêne personne sauf ceux qui y détiennent
des positions de pouvoir. Sa possible exportation vers le « militantisme
» inquiéta rapidement tout l’éventail des gauchistes,
au prorata de leur référence dogmatique à la pensée
d’un chef plus ou moins prestigieux. Un documentaire récent
sur le Parti communiste (Mémoire d’ex) décrit bien
l’importance du refoulement sur lequel la direction fondait son
emprise autoritaire.
Les « autocritiques staliniennes », à l’occasion
de la liquidation politique des opposants, (« déviationnistes
» et « révisos ») n’étaient que
la manifestation publique d’une quotidienne censure surmoïque.
L’instrument essentiel de la répression était cette
fameuse séparation de la vie politique et de la vie privée,
celle-ci s’effaçant au profit de celle-là, l’Eros
devant faire taire ses exigences au nom de la « cause ».
Au cours des procès, la vie privée revenait au-devant
de la scène, dans les discours des procureurs, des chiens de
garde et des témoins à charge. Freud avait prévu
ce que les organisations pouvaient attendre d’un tel sacrifice.
Et Reich put faire directement l’expérience de l’intolérance
des formations révolutionnaires vis-à-vis de la moindre
manifestation d’un « retour du refoulé ». Au
seuil de 68, la plupart des « groupuscules » avaient repris
à leur compte les dichotomies des grands appareils.
Le dévouement, la discipline, l’abnégation et la
faute transportaient parmi ceux qui l’avaient prise pour cible
la vieille morale de l’Occident. Et il faudra bien des années
pour que Romain Goupil, dans son Mourir à trente ans nous donne
une description lucide de nos propres machines à décerveler.
Dans cette ambiance activiste, religieuse et militaire, les pratiques
analytiques collectives nous parurent à la fois provocatrices
et bienfaisantes, risquées mais nécessaires.
Il n’était pas si naïf d’accepter de chercher
ses propres voies, de renoncer aux bréviaires, aux décalques,
aux règles du jeu.
Et c’est avec beaucoup de prudence et de pudeur qu’on se mit
à parler de l’amour, de la mort, de la peur et des fantasmes.
Une militante maoïste nous raconta un jour un cauchemar récent.
Elle avait été appréhendée par des CRS,
dont l’un, plus grand que les autres et sanglé dans un bel
uniforme, la séduisait particulièrement. Elle commençait
de se déshabiller pour aller avec lui dans la chambre des tortures
quand elle se réveilla (5). Beaucoup d’entre nous se révoltaient
contre de tels récits. A l’occasion du Portier de nuit de
Cavani, ou du Lacombe Lucien de Malle, les mêmes polémiques,
reprises par les médias, nous divisèrent à nouveau.
Certains croyaient trouver dans l’argument des « symptômes
» les justifications alambiquées et psychologisantes d’un
crime. Et les explications œdipiennes de la « folie »
d’Hitler par Alice Miller ne firent que confirmer l’inacceptable
usage de la psychanalyse pour la compréhension des faits historiques,
avec les impasses éthiques qui en résultaient. Mais il
ne s’agissait pas pour nous 8 d’exercices de style ou d’applications.
Nous ressentions le besoin de penser ensemble le travail, le sexe et
la cité, le partage de nos investissements, l’ambivalence
de nos fantasmes.
Le mieux était d’en parler d’un seul tenant, dans le
même temps, comme si cela pouvait concerner le groupe. La pratique
des réunions, des « monographies », des descriptions
lentes et minutieuses – parfois indiscrètes – de nos
terrains, dessinait un style particulier, souvent assez contagieux.
Cette parole insolite, opposable à la langue de bois marxiste
ou aux rhétoriques figées de la phrase lacanienne possédait
sa logique propre, manifestement transgressive. Elle se prolongeait
nécessairement dans des bricolages organisationnels, des expériences
de vie, de travail ou de rémunération qui n’étaient
plus totalement assujetties aux normes « dominantes ».
« Passages à l’acte », par conséquent,
mais dont on se faisait maintenant une règle. D’accord avec
Marx, on ne voulait plus interpréter le monde, mais le modifier.
Ici et maintenant.
D’avoir dit librement ce qui nous agitait faisait de nous de possibles
agitateurs.
Autant que la violence, la fantaisie nous semblait accoucheuse de l’Histoire.
Et quelles qu’aient été nos prises de positions de
principe vis-à-vis des Autonomes italiens, de la bande à
Baader ou des Black Panthers – chaque fois que les répressions
aboutissaient à leur long emprisonnement ou à leur liquidation
physique –, c’est plutôt du côté des situationnistes,
des postsurréalistes, des happenings et des performances, du
théâtre de Dubillard, de l’humour de Devos ou de Coluche
qu’allaient notre sympathie ou nos connivences.
Une méfiance native vis-à-vis des doctrines établies
de la révolution amenait Félix à se séparer
rapidement de tout ce qui pouvait engendrer de la bureaucratie, ou des
attitudes paranoïaques. D’où cette tendance, quasi
instinctive, à reconstituer des minorités et des bandes
; et quand on voulait lui remettre les commandes, à les redistribuer
autour de lui en préférant des positions d’arbitrage.
Ce n’est pas qu’il répudiât le jeu des influences,
ou du transfert. Il en faisait au contraire un des ressorts décisifs
de toute entreprise collective. Mais il aimait que chaque groupe, constellation
ou mouvement se donne les moyens d’en repérer les effets
sur son propre fonctionnement.
Cette position explique, malgré nos contacts fréquents
avec la « psychologie sociale » de l’époque,
le refus de laisser à un corps de spécialistes le soin
de bâtir une clinique de la subversion, et de traiter «
de l’extérieur » les dissensions des dissidents. Un
« groupe-sujet » se constitue au prix d’une pratique
analytique permanente, parallèle à son action. Sa légitimité
se vérifie dans son hétérogénéité-même.
Si des maoïstes, des trotskistes de la Ligue, des anars ou des
Verts et des chrétiens de gauche peuvent parler ensemble de leurs
engagements ou de leurs indifférences, c’est qu’un
peu de la fameuse « transversalité » tisse entre
eux la trame solide d’une subjectivité. Dès lors,
un tel groupe n’est plus vraiment « récupérable
», parce qu’il est trop allergique à toutes les manifestations
moïques qui menacent les formations militantes (6) : attitudes
de prestance, inflation des statuts, hiérarchies imaginaires.
Mêler la politique à la psychopathologie de la vie quotidienne
ne fut pas, bien entendu, un mot d’ordre félicien. De Fourier
et des anarchistes du XIXe, siècle jusqu’aux communautés
américaines des années 60, une longue expérimentation,
plus ou moins libre selon la force des Etats ou des partis qui la réprimaient,
s’acharnait à dessiner les contours de l’utopie, à
définir son mode d’emploi. L’hypothèse nouvelle
fut de penser que les formes des agencements collectifs importent moins
que la cartographie active de leurs transformations.
Contrairement aux constructions des kibboutz, aux règles des
groupes de la sex-pol ou aux recettes des communautés hippies
californiennes, on ne proposait plus un modèle institué,
mais un principe, analytique et pragmatique, d’institutionnalisation.
Car la vieille querelle des révolutionnaires refait toujours
surface : changer le monde ou changer la conscience (l’inconscience
!) de ce monde ? Les dogmatiques avaient pris leur parti. La base d’abord,
puis les superstructures, pour les uns ; l’ascèse analytique
en premier lieu, et plus tard peut-être l’action, pour les
autres.
Dans les deux cas guettaient une pensée des étapes, une
chronologie du progrès, les cercles vicieux de la sociologie.
Nous préférâmes « et… et » à
ces « ou bien… ou bien » (7).
* Nous sommes nombreux à penser que les enjeux planétaires
du troisième millénaire seront dominés par deux
ordres d’urgence. La progression d’un désastre «
écologique » au sens le plus large du terme, englobant
l’écologie sociale et l’écologie de l’esprit,
réalise les conditions d’une disparition de l’espèce
humaine ou, à tout le moins, de son « humanité ».
La radicalisation dramatique d’une « contradiction »
entre le Nord et le Sud débordera le cadre des frontières
et de la géographie.
Car le Sud existe déjà partout, aux quatre points cardinaux.
En France : les immigrés, leur descendants, les chômeurs,
les handicapés, un pseudo « quart-monde » sous prolétarisé.
Le Sud va tenter de survivre de différentes manières,
non exclusives. D’une part en cherchant à s’intégrer
peu ou prou dans la fameuse « économie de marché
» ; et les divers Etats n’auront pas, selon leurs moyens,
leurs ressources humaines et énergétiques, leurs matières
premières, leurs alliances et protections économiques,
des chances analogues.
Pour cinq ou six « dragons » nés dans les marges
de l’économie japonaise, des dizaines de nations sont vouées
à la mort, famine et sida réunis. Une migration massive,
continue, irrésistible s’ébranle d’autre part
du Sud vers le Nord.
Selon Emmanuel Wallerstein (cité par Le Monde diplomatique),
les populations vivant en Amérique du Nord, en Europe, et même
au Japon, seront à moitié, sinon davantage, de souche
« sudiste » d’ici à cinquante ans. C’est
dire que la xénophobie et les replis nationalistes ne sont pas
circonstanciels et que les conflits qui s’amorcent aujourd’hui
autour de ce brassage de peuples ne sont que des préliminaires.
Beaucoup de penseurs de la modernité tentent d’échapper
aux certitudes d’un déterminisme téléologique.
Mais leurs écrits dessinent encore souvent la traine millénariste
d’une « fin de l’Histoire ». Fukuyama nous en
donne une version positive et résignée. Les écologistes
« fondamentalistes » annoncent la catastrophe définitive.
Entre ces deux extrêmes on oscille d’une critique pessimiste
de la technologie (aux accents heideggeriens indiscutables), jusqu’aux
espoirs postkantiens d’une rationalité des discours et des
communications démocratiques.
Dans tous les cas les jeux sont faits ; la science et la technologie
sont grosses des drames ou des progrès pour les générations
futures. L’informatique fait promesse d’un développement
inouï de l’intelligence humaine, des échanges et de
la solidarité pour les uns ; ou annonce pour d’autres la
digitalisation à outrance de sociétés de contrôle
homogènes, saturées par l’omniprésence «
moléculaire », micro-sociale, de l’Etat.
Au travers des interventions de Félix, dans le sillage des Mille
plateaux écrits avec Deleuze, on a vu s’affirmer une position
plus « ouverte » et pragmatique. S’il fallait l’illustrer
d’un seul exemple, on prendrait celui des « radios libres
». La libre disposition d’un matériel d’émission,
la mise en place de circuits d’échanges ou d’informations
autonomes n’a pas été seulement l’occasion d’une
surconsommation de gadgets radiophoniques, de moyens d’enregistrement
ou de documents gravés. Dans un certain contexte d’enthousiasme,
de plaisir et d’inventivité, ces moyens de surveillance
ou de désinformation peuvent se muer en espaces de liberté.
A Bologne et à Paris, parfois de façon précaire
et transitoire, les radios ont été de véritables
foyers de subversion, d’initiatives, de résistances et de
survie.
Récemment une émission de Fun Radio (station largement
financée par Hersant), où des adolescents prétendaient
parler librement de leur vie érotique avec deux adultes «
conseillers », a résisté aux assauts indignés
des associations familiales, des censeurs et des prêtres qui voulaient
la supprimer.
C’étaient des dialogues ouverts, heureusement indécis
dans leurs messages, partagés entre la gaudriole, la morale et
la prophylaxie. Mais les réactions suscitées donnèrent
un visage à la réaction et celle-ci força une génération
à choisir son camp.
Gilles et Félix opposent la fureur « extérieure
» et nomade des « machines de guerre » à la
guerre proprement dite, qui est affaire d’Etats. Les hordes, groupes,
bandes et minorités sont des machines actives et dissidentes.
Les techniques peuvent être les rouages de leur créativité
; et rien ne nous assure a priori de leur complicité intrinsèque
avec les appareils de pouvoir. Aucune malédiction originaire
ne donne à la télévision la capacité de
nous transformer en catatoniques, culs-dejatte ou zombies. Les rapports
de force sont certes inégaux : quelques chercheurs vidéastes
ne nous font pas oublier les jeux électroniques de la guerre
du Golfe, et quelques belles soirées thématiques sur Arte
n’effacent pas la honte des « reality- shows ». Dans
Farenheit 451 l’autodafé fasciste des livres oblige les
clandestins à prendre le maquis et à apprendre par cœur
les textes qu’on n’a plus le droit d’imprimer. La transmission
orale ainsi reprend ses droits, contre un avenir inculte. Bradbury n’imagine
de résistance que régressive, comme un retour aux échanges
primitifs. Plus tentante est pour nous l’hypothèse constructiviste
d’une accélération le long des nouvelles lignes de
fuite techniques, scientifiques ou esthétiques : seules nos pratiques
sociales en décideraient, et de nouvelles passions.
* La défaite du bloc socialiste a levé d’un coup
l’ensemble des hypothèques qui pesaient sur des conflits
géopolitiques régionaux.
A l’intérieur de l’Empire oriental, la plupart des
prédictions lancinantes de Hélène Carrère
d’Encausse continuent de se vérifier: éclatement
des ensembles, revendications ethno-culturelles, naissance de nouvelles
nations et de nouvelles guerres. Les pays occidentaux en viennent à
souhaiter la reconstitution d’une grande puissance russe, débarrassée
de ses tentations panslaves et « jirinovskiennes » ; à
tout le moins une guerre tiède.
A l’extérieur du camp socialiste proprement dit les effets
de l’effondrement ne sont pas univoques. La fin de l’apartheid
en Afrique du Sud et la mise en place progressive de zones autonomes
palestiniennes au Moyen-Orient témoignent des bénéfices
qu’ont pu tirer les luttes d’émancipation de l’éclatement
du cadre contraignant que leur imposaient les superpuissances.
Le nouveau partage de la planète par le capitalisme mondial intégré
semble ainsi, paradoxalement, moins imparable dans sa forme quasi hégémonique
actuelle que derrière les représentations simplificatrices
d’un antagonisme entre deux « systèmes » prétendument
contradictoires. Du même coup, les initiatives, révoltes,
luttes et alternatives peuvent se développer à nouveau
pour leur propre compte. Elles n’apparaîtront plus comme
les instruments ou les mouvements d’un « ennemi » mythique
mondial et recouvrent en quelque sorte la légitimité qui
leur était jusque-là refusée.
Le « dégel » pourrait donc bien entraîner la
reprise d’un processus de luttes hétérogène,
irréductible aux mécanismes polaires de la guerre froide,
aux stratégies bureaucratiques d’« une conquête
du pouvoir par le prolétariat mondial ». Si demain Lula
et le Parti des travailleurs gagnaient les élections au Brésil,
il est peu probable que les Américains y fomentent un complot
à la chilienne. Les guérillas zapatistes du Mexique, qui
s’étaient interrompues depuis plus de trente ans, ont réapparu
avec une vigueur nouvelle, obligeant le gouvernement à négocier.
Et la reconquête social-démocrate du pouvoir dans les pays
de l’Est atteste que les ex-communistes, dans un contexte de jungle
« libérale », de corruption et d’arrivisme,
peuvent se refaire une vertu.
Au pessimisme horrifié de tous ceux qui voient réapparaître,
comme en ex-Yougoslavie, les spectres racistes, nationalistes ou intégristes
que le carcan soviétique avait refoulés (mais on sait
qu’il pouvait aussi en disposer dans ses stratégies à
long terme), il faut opposer aujourd’hui l’optimisme raisonnable
de ceux qui peuvent enfin tenter d’être socialistes, utopistes,
et même marxistes, sans risquer d’affronter le communisme
comme leur plus implacable ennemi.
Les bouleversements de subjectivité de « l’après-socialisme
» ne sont pas mineurs. Plusieurs générations de
militants ont dû, avec ou contre Staline, assumer la logique idéologique
d’un duel politique international. On peut même se demander
si l’engouement structuraliste n’a pas partie liée
avec les contrats et les dichotormes issues de Yalta ; et si les intérêts,
tantôt conjugués, tantôt opposés, de l’URSS
et des Etats-Unis n’ont pas formé les conditions d’un
Œdipe planétaire, fondamentalement réfractaire aux
flux pulsionnels et créateurs des classes et des peuples opprimés.
L’écologie politique a eu au moins le mérite de dénoncer,
dans le thème du « développement illimité
des forces productives », le mythe eschatologique commun aux deux
grands systèmes qui se partageaient la scène de l’histoire
contemporaine (André Gorz, dès 1970). Ce projet n’est
pas seulement un théâtre économique d’actions,
de décors et de machines ; mais une production constante de représentations,
une scène originelle aux dimensions du monde, un idéal
« archétypique » pour tout ce qui échappe,
disperse et singularise ; un modèle « molaire » de
référence parasitant en chaîne toutes les manifestations
« moléculaires » d’une quelconque altérité.
Lénine, en parlant du gauchisme comme d’une « maladie
infantile », croyait lui faire la plus grave injure. Les Verts
sont couleur de l’immaturité. Leur enfance est riche de
possibles ; ils auraient toutes les raisons de la revendiquer.
Le marasme actuel des écologistes en France tient sans doute
à leur difficulté à garder un style « mouvementiste
», fluide, de « minorité », face aux grands
appareils d’organisation et de représentation politique
qui occupent la scène « démocratique ». Délaissant
les expérimentations, les marges, les intensités de la
micropolitique quotidienne, quelques chefs se muent en têtes de
listes, savants et conseillers. Et le pouvoir qu’ils contestent
farouchement parfois déjà s’infiltre dans leurs manières
de faire ou leurs façons de penser.
* A côté de l’histoire de la psychiatrie (Foucault,
Gauchet, Swain) on rêverait d’une histoire véritable
de la folie, et des maladies mentales. Non seulement pour comprendre
le sort que les sociétés leur réservent ; mais
pour suivre le cours de leur existence, de leur texture, les liens intimes
de la clinique avec les logiques symboliques et institutionnelles qui
définissent la place des « symptômes » dans
l’envahissante l’économie de marché.
Des névroses on serait tenté de redire ce que Lacan, de
passage à l’université de Yale, expliquait aux étudiants
américains : dans sa longue pratique il n’avait trouvé
là qu’un nombre réduit de fantasmes, tristes archétypes
de l’inconscient familial, hanté par le meurtre et l’inceste.
Il notait fort justement que la grande majorité des citoyens
ne peut qu’en rêver et que seuls quelques privilégiés,
flics ou soldats, allaient jusqu’à les mettre en œuvre
: « ils sont payés pour ça ». Le triste destin
des « normopathes » parfois s’enrichit d’un exploit
spectaculaire. La prise d’otages dans l’école de Neuilly-sur-Seine
fut l’occasion d’une grande cérémonie phallique,
présidée par Pasqua. Deux femmes exemplaires et quelques
tireurs d’élite participèrent à ce rituel
d’une castration en direct, pour le plus grand bonheur des foules,
que le suicide récent d’un premier ministre avait quelque
peu déboussolées.
Les perversions, plus que tout autre domaine de la clinique, prennent
appui sur les conventions sociales, les mœurs et les lois. Les
avatars du fétichisme et les impasses de la castration n’y
manifestent leurs effets que dans le contexte d’un ordre et d’un
rapport de classes. Sade, Sacher Masoch, Genet, Barthes ou Deleuze désignent
clairement le fond de pouvoirs, de contrats et de normes sur lequel
se détachent les fantasmes des dépravés. Les perversions,
négatifs (ou positifs) de la névrose, mettent au défi
les coordonnées sociales de la « réalité
», l’éthique commune, les sexualités familiales.
Le processus pervers peut se prêter au compromis, ou rester morbide
dans son exigence. Il prend racine dans l’institution sociale et
l’érode tout à la fois.
Il faut relire les pages de Proust (Sodome et Gomorrhe) où les
juifs sont comparés aux homosexuels, pour voir comment l’interprétation
du narrateur excède et relativise celle des psychanalystes.
Au-delà des faillites de l’investissement libidinal dans
les voies obligées de l’identité sexuelle, Proust
prend la mesure d’une surdétermination sociale de l’être
homosexuel comme réprouvé minoritaire. Les attitudes,
gestes et rites des homosexuels ne sont plus déchiffrables en
termes d’identification, d’anatomie, de semblance ou d’altérité
sexuelles ; mais comme les manifestations spécifiques d’un
Eros clandestin, transversal aux protocoles des classes sociales, mutualistes
ou religieux comme celui d’une franc-maçonnerie des plaisirs.
Et, de ce fait, politique sans médiation, politique d’emblée.
On s’écarte d’une ontologie de l’homosexualité,
mode de structuration de l’être sexué ; et on s’oriente
vers l’abord anthropologique de la subjectivité homosexuelle
comme processus, avec ses moments, triomphes, misères, métamorphoses,
abolitions et renaissances, ses « devenirs ». Dans La recherche,
la comparaison entre juifs et « invertis » ne veut pas rendre
compte d’un destin identique dans l’histoire de l’Occident.
Les faits s’y opposeraient pour l’essentiel. Proust situe
cette subjectivité minoritaire dans le contexte conflictuel de
l’affaire Dreyfus, du déclin des aristocraties de sang,
de la montée des oligarchies financières, de la conscription
égalitaire de l’armée républicaine, etc. Ces
événements font retour sur les images du corps, l’organisation
des plaisirs, les jeux du regard, les passions et les convoitises, jusqu’à
leur donner les traits et les marques évidents d’une époque.
Charlus, Saint-Loup et le narrateur apparaissent comme les porteurs
d’une homosexualité singulière, détachée
sur le fond d’une production perverse dont ils ne sont que des
« sousproduits accidentels » (au sens de Hannah Arendt).
Et cette homosexualité ne déploie ses talents ou ses vices
qu’au gré des espaces sociaux qu’elle investit, des
territoires existentiels qui lui donnent ses modèles d’expression
ou de créativité.
L’homophilie des danseurs ou des stylistes n’est pas celle
des pédagogues, des militaires, des sportifs ou des chauffeurs
de poids lourds : signes, codes, et sentiments différenciés,
organisés en sous-ensembles distincts, parfois opposés,
voire antagonistes.
A rebours des passions nosographiques, les psychoses ne devraient plus
être conçues comme de simples formes contingentes d’une
structure profonde universelle et transcendante ; mais comme des constructions
labiles, dont le destin resterait toujours imprévisible et contextuel.
L’anti-Œdipe propose la toile de fond sur laquelle se détachent
tour à tour les folies compatibles ou les figures de l’exclusion.
La schizophrénie y apparaît comme le répondant psychique
et l’épure du processus de déterritorialisation ;
la paranoïa reprend, à contre courant, les éléments
de reterritorialisation que suscitent constamment les formations capitalistiques.
Une psychopathologie critique ne fera plus de différences de
nature entre les manifestations collectives d’un délire
omnipotent et l’individuation asilaire de ses symptômes mégalomaniaques.
Mais l’opposition de leurs destins est une source inépuisable
de questions pour la psychiatrie de notre temps.
Cesari fait remarquer que les sociétés les plus folles
(« totalitaires ») sont profondément allergiques
aux délires individuels : les psychotiques ont été
les premières victimes du nazisme en Allemagne, et de l’Occupation
en France. Non pas seulement parce que leur improductivité les
désignait comme inutiles ou « bouches à nourrir
», ce qui serait une explication matérialiste un peu courte
; mais parce que leur aberration singulière entrave l’homogénéité
d’une « production de subjectivité » à
l’échelle des politiques d’Etat. Elle vient enfoncer
un coin dans l’image idéale d’un homme nouveau, aryen,
soviétique ou islamique, et contester les droits de préséance
requis par la pureté de ses traits, physiques ou mentaux.
Car le fou, lui, est l’Untermensch idéal.
L’association fondatrice des termes « schizophrénie
» et « capitalisme » a été souvent mal
comprise. Les interprétations les plus caricaturales (et non
nécessairement mal intentionnées) ont cru que l’un
fabriquait l’autre et que le fou, au comble de l’aliénation,
était le nouveau sujet de l’Histoire. A défaut de
ce programme héroïque il nous reste une insistante question.
Avec un de nos amis, nous la nommerons « folisophique »,
parce qu’elle interroge sans relâche, au-delà de notre
impuissance thérapeutique, les certitudes et les fondements de
notre pensée. Les psychotiques, de ce point de vue, nous sont
indispensables. Leurs énigmes nous emportent loin des signifiants,
des signes et du logos qui balisent notre prise de pouvoir sur le monde.
Leurs inventions, douleurs, effondrements ou visions sollicitent en
chacun de nous des univers secrets, dont nous savons qu’ils nous
ont habités, mais que nous ne connaissons plus, parce qu’ils
n’émargent pas au registre de la mémoire, ni de la
langue, ni d’une quelconque représentation. Gisela Pankow
pense qu’aucune psychanalyse de névrose ne peut se passer
d’une incursion dans ces régions chaotiques, où les
constructions défensives de la parole s’ombiliquent obscurément.
Oury et Maldiney, texte après texte, essayent de découvrir
ce continent « pathique » si vivant chez les psychotiques,
si éteint chez ceux qui les écoutent.
Et Félix proposait dans sa Chaosmose des itinéraires poético-philosophiques
entre chaos et complexité, avec l’aide de quelques guides
aventureux : artistes, savants et fous.
1. « Les croyances et les désirs sont le fond de toute
société, parce que ce sont des flux, “quantifiables”
à ce titre, véritables quantités sociales, tandis
que les sensations sont qualitatives, et les représentations,
de simples résultantes. » G. Deleuze, F. Guattari, Mille
plateaux, Minuit, 1980.
2. Voir notamment J. Oury, L’aliénation, Galilée,
1992.
3. Après L’enfance d’un chef, c’est autour de
son Flaubert que Sartre perfectionnera sa méthode, éprouvera
ses modèles, dans le souci de tenir ensemble les déterminismes
collectifs d’une classe et le microcosme, nécessairement
singulier, de l’aventure œdipienne.
4. M. Fennetaux, « L’avenir a-t-il une civilisation ? »,
Notre malaise, Césure n°4, revue de la Convention psychanalytique,
Paris, 1993.
5. Un très beau film de Carmen Castillo est consacré au
témoignage de « la Flaca », une militante du MIR
qui, sous la torture, donna plusieurs de ses copains. Elle ose dire
(et ses camarades osent entendre) que la victime d’un bourreau
peut, du fond de sa détresse, céder à l’illusion
fascinatoire d’un tortionnaire, omniprésent et « beau
».
6. Voir à ce sujet le beau pamphlet de François Fourquet,
« L’idéal historique », in Recherches.
7. On n’oubliera pas qu’à l’acmé de l’engagement
massif des étudiants dans les combats de la décolonisation
et de la transformation démocratique de l’Université,
des penseurs marxistes patentés, cautionnés par la «
théorie » althussérienne, n’avaient de cesse
de démontrer l’appartenance irréversible des «
pseudo-révoltés » aux classes dominantes dont ils
étaient les « héritiers ».
Le lien d'origine sur le site de la Revue Chimères : http://www.revue-chimeres.org/pdf/23chi15.pdf