SJFE : Le statut juridique des femmes au sein de l'Union européenne
LA PLACE DES FEMMES DANS LA VIE POLITIQUE, L'APPROCHE JURIDIQUE
Un discours juridique abstrait
Le constat est unanime : les femmes en France ne sont que des nomades,
des passagères de la politique. Leur participation est faible,
leur rôle en politique est rarement de premier plan. Les causes
de cette situation, qui relève de la spécificité
nationale, sont certes multiples et ne revêtent pas un aspect
mécanique. Le droit, en la matière, est, me semble-t-il,
déterminant, à condition que, pour comprendre sa portée,
on cherche ce qu'il y a derrière le discours du droit. Le droit
français construit une perception "spontanée"
du réel à partir d'abstractions neutralisantes : dès
lors, tout ce que dit le droit devient vrai. Les formes juridiques produisent
ce qu'elle énoncent, et font tenir pour naturel ce qui n'est
qu'artificiel.
Le droit est un discours d'autorité qui dit à la fois
ce qui est et ce qui doit être, et la façon dont il faut
nommer ce qui est. Le discours juridique est une parole créatrice
qui fait exister ce qu'elle énonce : tout acte du langage juridique
est à la fois un dire et un faire. Il faut alors s'interroger
sur le phénomène du renforcement de la hiérarchie
sexuelle sociale par le droit français tel qu'il a été
construit autour de concepts abstraits comme l'État-nation, a
le sujet de droit.
Une théorie de la représentation qui exclut la femme
La représentation politique notamment devient ce que dit le droit,
parce que le droit a pour fonction de révéler la représentation.
Or, que dit le droit politique français ? Que le représentant
incarne la volonté nationale, agit au nom de la Nation, peu importe
qui il est, homme ou femme. La théorie de la représentation
nationale "à la française" ne confère
de droits qu'à la Nation et non au peuple représenté
: seul compte un citoyen construit à l'aide de fictions juridiques
issues de la représentation-incarnation. La souveraineté
nationale occulte la projection populaire, la majorité n'est
pas un moyen de gouverner mais une valeur identificatoire. Les femmes
sont, dès lors, identifiées aux hommes, traitées
non comme les hommes mais "comme si" elles étaient
des hommes. Peu importe que les femmes ne soient pas présentes
sur la scène politique dès lors qu'elles sont représentées
à l'aide du concept central d'identification, véritable
concept d'englobement. Chacun est susceptible de se substituer à
un autre, l'interchangeabilité est totale. Or, pour des raisons
historiques que nous connaissons, ce sont les hommes qui ont toujours
dominé la scène politique. Le droit créant ce qu'il
dit, le normatif devient normal. Pour les hommes, leur apparence juridique
coïncide avec leur réalité physique : la vie politique
se vit au masculin et se pense au masculin. Le va et vient entre le
normal et le normatif, qui est le propre du droit, ne fonctionne qu'au
bénéfice des hommes. Le langage juridique actuel ne traduit
pas seulement des hiérarchies sociales, mais il désigne
aussi une hiérarchie sexuelle. En banalisant le terme "homme"
pour désigner l'être humain, le droit valorise implicitement
le sexe masculin, qui devient la Référence, derrière
l'image du Père.
La femme niée par le droit
Les concepts politiques sont exclusivement masculinisés, les
fonctions se disent au masculin : la modélisation joue à
sens unique. Il n'y a que l’UN : la femme n'a que le choix entre
être soit LE MÊME (un ministre, un député),
soit UNE autre (la mère), mais elle n'est jamais LA MÊME.
Cette modélisation juridique engendre à la fois la domination
et l'exclusion. Le droit est sexuant dans l'exacte mesure où
il n'est pas sexué : la femme est reconstruite en homme juridique
par le droit. Les formes neutres de la représentation produisent
une différence sexuelle d'autant plus efficace qu'elle se camoufle
sous une apparence symbolique. Les femmes subissent une véritable
invisibilité en droit : elles sont à la fois traduites
et oubliées.
Sans égalité juridique, pas d'égalitarisation sociale.
Mais se contenter de l'égalité juridique impersonnelle
et abstraite (égalité de chances), c'est maintenir, voire
renforcer, l'inégalité sociale : l'égal devient
inégal pour les inégaux. Le droit est ainsi indifférent
à la différence sexuelle, qui est pourtant l'élément
constitutif de la personne humaine, laquelle est toujours sexuée,
condition de la reproduction de l'humanité. La femme est traitée
par le droit comme un homme fictif, elle n'existe juridiquement qu'en
tant qu'homme. Il lui faut être autre chose qu'elle-même
pour pouvoir être reconnue comme "sujet de droit". Elle
n'est pas en droit de se présenter parce que femme. Elle est
le sexe second, le sexe oublié, impensé par le droit,
donc invisible.
L’égalité abstraite exclut la femme
Le clivage représentant/représenté occulte totalement
le clivage homme/femme : la distinction naturelle entre les deux sexes
n'existe plus. Ainsi, la hiérarchie sociale entre les sexes est
redoublée en politique grâce au droit, qui la fait perdurer
et la renforce en l'organisant. Le droit non différencialiste
sexuellement conforte une inégalité sexuelle, à
l'aide d'une égalité abstraite. Les femmes peuvent donc
être à la fois présentes, en tant que représentées
dans la nation, et absentes, en tant que représentantes du peuple,
composé de deux sexes et non d'un seul.
Restaurer la dualité sexuelle dans la représentation
Si l'on veut développer la démocratie, obtenir une représentation
politique juste, il faut introduire un véritable universalisme.
Cela veut dire que le droit doit considérer le sexe non plus
comme une simple variable individuelle, mais comme un élément
déterminant de la personnalité. Les hommes représentent
actuellement non seulement leur sexe mais l'ensemble de l’humanité.
Il faut que les femmes soient présentes dans la participation
au service public dans la gestion de l’État, et alors l'humanité
sera représentée dans ses deux composantes. Les femmes
en politique ne représentent pas les femmes, il ne s'agit donc
pas de division du corps social, ni de création de catégories
juridiques. Mais les femmes, en politique, n'exercent pas une liberté
indifférenciée, elles participent à un pouvoir,
à côté des hommes et, comme les hommes, et parce
que femmes, elles représentent l'humanité entière.
C'est parce qu’elles sont femmes qu'elles doivent participer,
à parité, à la gestion de l'État. Elles
sont femmes et personnes humaines, de même que les hommes sont
hommes et personnes humaines. Il faut faire coïncider la représentation
de la réalité et la réalité de la représentation.
Aujourd'hui, le droit politique représente de manière
purement fictive la réalité de la dualité sexuelle,
à l'aide d'une égalité fausse car purement abstraite,
désexualisée. Or, la représentation doit montrer,
faire voir, ce qu'elle représente : un peuple sexué. La
représentation doit exhiber, rendre visible, c'est à ce
prix qu'elle peut rester démocratique.
Les femmes absentes de la vie politique
Aujourd'hui, nous vivons encore sur des concepts juridiques qui ne renvoient
qu'à l'UN : un Dieu, un Père, une Loi, un Sexe. Le droit
renvoie à UN, et jamais à DEUX, ni à NOUS. Or,
de quoi s'agit-il, en fin de compte, sinon d'assurer une véritable
cogestion de la politique, qui ne devrait pourtant pas être si
difficile à obtenir ? Car la différence de place, et de
rôle, entre les hommes et les femmes en politique n'est plus perçue,
aujourd'hui, comme naturelle par la population. L'absence massive des
femmes dans la vie politique accroît la distanciation entre le
pouvoir politique et la population. La masse se reconnaît d'autant
moins dans la politique que la moitié de la population constate
qu'elle n'y participe pas. La politique est encore le lieu d'identification
privilégié des individus. Ses effets d'homogénéisation
sociale sont redoublés par le discours juridique, discours d'incontestabilité
et de théâtralité. Mais pour que la crédibilité
du politique persiste, encore faut-il que le rassemblement prenne en
compte le réel, et que le décalage entre les deux ne soit
pas trop grand .
Intégrer sans nier la différence (de sexe)
La démocratie est encore la meilleure façon de subjectiver
la politique : il faut que la figure du peuple en soit la vérité
révélée, reproduite. Le concept de représentation
doit être un opérateur fiable, qui prenne en compte les
partenaires, qui fasse des comptes justes, exacts et justifiés.
Quand n’importe qui est supposé pouvoir faire n’importe
quoi, ce n'est plus l'égalité, c'est l'injustice, la partialité.
“Qui se ressemble s'assemble” fait-on dire au proverbe.
Pas si sûr. Il vaudrait mieux dire : “qui se rassemble se
ressemble”, à condition que ce rassemblement n'induise
pas des ressemblances fictives, et se fonde sur la ressemblance dans
la différence. Ce sont les différences qui font se ressembler,
être semblables, pairs, et non l'identification imposée.
La différence intègre sans assimiler, elle relie et rassemble
à partir des non ressemblances et non à partir d'identifications
fictives parce que neutres, asexuées. Le discours juridique ne
doit pas se contenter de dire à chacun pour qui il faut qu'il
se prenne, à travers une égalité purement fongible
et des rituels purement magiques. Le droit ne doit pas se contenter
de fabriquer du pouvoir absolu, de la représentation énigmatique,
du tiers inclus (le juge, le chef). Le principe d'égalité
doit dépasser la simple acception de l'égalité
des chances pour devenir une véritable égalité
positive, impliquant une égalité de traitement. Le droit
à la dénomination sexuée, qui passe par le droit
à la parité, doit être non seulement considéré
comme un droit de la personne humaine, mais comme le droit qui fonde
le pouvoir, pour la personne humaine, de participer à la démocratie
politique. La femme impensée juridiquement, c'est le peuple impensé
politiquement.
Janvier 1997
Francine Demichel (Université Paris 8)
E-Mail : sjfe@univ-paris8.fr
Le lien d'origine :
http://www.helsinki.fi/science/xantippa/wle/wlf11.html