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LA PLACE DES FEMMES DANS LA VIE POLITIQUE, L'APPROCHE JURIDIQUE
Francine Demichel


SJFE : Le statut juridique des femmes au sein de l'Union européenne

LA PLACE DES FEMMES DANS LA VIE POLITIQUE, L'APPROCHE JURIDIQUE

Un discours juridique abstrait
Le constat est unanime : les femmes en France ne sont que des nomades, des passagères de la politique. Leur participation est faible, leur rôle en politique est rarement de premier plan. Les causes de cette situation, qui relève de la spécificité nationale, sont certes multiples et ne revêtent pas un aspect mécanique. Le droit, en la matière, est, me semble-t-il, déterminant, à condition que, pour comprendre sa portée, on cherche ce qu'il y a derrière le discours du droit. Le droit français construit une perception "spontanée" du réel à partir d'abstractions neutralisantes : dès lors, tout ce que dit le droit devient vrai. Les formes juridiques produisent ce qu'elle énoncent, et font tenir pour naturel ce qui n'est qu'artificiel.
Le droit est un discours d'autorité qui dit à la fois ce qui est et ce qui doit être, et la façon dont il faut nommer ce qui est. Le discours juridique est une parole créatrice qui fait exister ce qu'elle énonce : tout acte du langage juridique est à la fois un dire et un faire. Il faut alors s'interroger sur le phénomène du renforcement de la hiérarchie sexuelle sociale par le droit français tel qu'il a été construit autour de concepts abstraits comme l'État-nation, a le sujet de droit.

Une théorie de la représentation qui exclut la femme

La représentation politique notamment devient ce que dit le droit, parce que le droit a pour fonction de révéler la représentation. Or, que dit le droit politique français ? Que le représentant incarne la volonté nationale, agit au nom de la Nation, peu importe qui il est, homme ou femme. La théorie de la représentation nationale "à la française" ne confère de droits qu'à la Nation et non au peuple représenté : seul compte un citoyen construit à l'aide de fictions juridiques issues de la représentation-incarnation. La souveraineté nationale occulte la projection populaire, la majorité n'est pas un moyen de gouverner mais une valeur identificatoire. Les femmes sont, dès lors, identifiées aux hommes, traitées non comme les hommes mais "comme si" elles étaient des hommes. Peu importe que les femmes ne soient pas présentes sur la scène politique dès lors qu'elles sont représentées à l'aide du concept central d'identification, véritable concept d'englobement. Chacun est susceptible de se substituer à un autre, l'interchangeabilité est totale. Or, pour des raisons historiques que nous connaissons, ce sont les hommes qui ont toujours dominé la scène politique. Le droit créant ce qu'il dit, le normatif devient normal. Pour les hommes, leur apparence juridique coïncide avec leur réalité physique : la vie politique se vit au masculin et se pense au masculin. Le va et vient entre le normal et le normatif, qui est le propre du droit, ne fonctionne qu'au bénéfice des hommes. Le langage juridique actuel ne traduit pas seulement des hiérarchies sociales, mais il désigne aussi une hiérarchie sexuelle. En banalisant le terme "homme" pour désigner l'être humain, le droit valorise implicitement le sexe masculin, qui devient la Référence, derrière l'image du Père.

La femme niée par le droit

Les concepts politiques sont exclusivement masculinisés, les fonctions se disent au masculin : la modélisation joue à sens unique. Il n'y a que l’UN : la femme n'a que le choix entre être soit LE MÊME (un ministre, un député), soit UNE autre (la mère), mais elle n'est jamais LA MÊME. Cette modélisation juridique engendre à la fois la domination et l'exclusion. Le droit est sexuant dans l'exacte mesure où il n'est pas sexué : la femme est reconstruite en homme juridique par le droit. Les formes neutres de la représentation produisent une différence sexuelle d'autant plus efficace qu'elle se camoufle sous une apparence symbolique. Les femmes subissent une véritable invisibilité en droit : elles sont à la fois traduites et oubliées.
Sans égalité juridique, pas d'égalitarisation sociale. Mais se contenter de l'égalité juridique impersonnelle et abstraite (égalité de chances), c'est maintenir, voire renforcer, l'inégalité sociale : l'égal devient inégal pour les inégaux. Le droit est ainsi indifférent à la différence sexuelle, qui est pourtant l'élément constitutif de la personne humaine, laquelle est toujours sexuée, condition de la reproduction de l'humanité. La femme est traitée par le droit comme un homme fictif, elle n'existe juridiquement qu'en tant qu'homme. Il lui faut être autre chose qu'elle-même pour pouvoir être reconnue comme "sujet de droit". Elle n'est pas en droit de se présenter parce que femme. Elle est le sexe second, le sexe oublié, impensé par le droit, donc invisible.

L’égalité abstraite exclut la femme

Le clivage représentant/représenté occulte totalement le clivage homme/femme : la distinction naturelle entre les deux sexes n'existe plus. Ainsi, la hiérarchie sociale entre les sexes est redoublée en politique grâce au droit, qui la fait perdurer et la renforce en l'organisant. Le droit non différencialiste sexuellement conforte une inégalité sexuelle, à l'aide d'une égalité abstraite. Les femmes peuvent donc être à la fois présentes, en tant que représentées dans la nation, et absentes, en tant que représentantes du peuple, composé de deux sexes et non d'un seul.

Restaurer la dualité sexuelle dans la représentation

Si l'on veut développer la démocratie, obtenir une représentation politique juste, il faut introduire un véritable universalisme. Cela veut dire que le droit doit considérer le sexe non plus comme une simple variable individuelle, mais comme un élément déterminant de la personnalité. Les hommes représentent actuellement non seulement leur sexe mais l'ensemble de l’humanité. Il faut que les femmes soient présentes dans la participation au service public dans la gestion de l’État, et alors l'humanité sera représentée dans ses deux composantes. Les femmes en politique ne représentent pas les femmes, il ne s'agit donc pas de division du corps social, ni de création de catégories juridiques. Mais les femmes, en politique, n'exercent pas une liberté indifférenciée, elles participent à un pouvoir, à côté des hommes et, comme les hommes, et parce que femmes, elles représentent l'humanité entière. C'est parce qu’elles sont femmes qu'elles doivent participer, à parité, à la gestion de l'État. Elles sont femmes et personnes humaines, de même que les hommes sont hommes et personnes humaines. Il faut faire coïncider la représentation de la réalité et la réalité de la représentation. Aujourd'hui, le droit politique représente de manière purement fictive la réalité de la dualité sexuelle, à l'aide d'une égalité fausse car purement abstraite, désexualisée. Or, la représentation doit montrer, faire voir, ce qu'elle représente : un peuple sexué. La représentation doit exhiber, rendre visible, c'est à ce prix qu'elle peut rester démocratique.

Les femmes absentes de la vie politique

Aujourd'hui, nous vivons encore sur des concepts juridiques qui ne renvoient qu'à l'UN : un Dieu, un Père, une Loi, un Sexe. Le droit renvoie à UN, et jamais à DEUX, ni à NOUS. Or, de quoi s'agit-il, en fin de compte, sinon d'assurer une véritable cogestion de la politique, qui ne devrait pourtant pas être si difficile à obtenir ? Car la différence de place, et de rôle, entre les hommes et les femmes en politique n'est plus perçue, aujourd'hui, comme naturelle par la population. L'absence massive des femmes dans la vie politique accroît la distanciation entre le pouvoir politique et la population. La masse se reconnaît d'autant moins dans la politique que la moitié de la population constate qu'elle n'y participe pas. La politique est encore le lieu d'identification privilégié des individus. Ses effets d'homogénéisation sociale sont redoublés par le discours juridique, discours d'incontestabilité et de théâtralité. Mais pour que la crédibilité du politique persiste, encore faut-il que le rassemblement prenne en compte le réel, et que le décalage entre les deux ne soit pas trop grand .

Intégrer sans nier la différence (de sexe)

La démocratie est encore la meilleure façon de subjectiver la politique : il faut que la figure du peuple en soit la vérité révélée, reproduite. Le concept de représentation doit être un opérateur fiable, qui prenne en compte les partenaires, qui fasse des comptes justes, exacts et justifiés. Quand n’importe qui est supposé pouvoir faire n’importe quoi, ce n'est plus l'égalité, c'est l'injustice, la partialité. “Qui se ressemble s'assemble” fait-on dire au proverbe. Pas si sûr. Il vaudrait mieux dire : “qui se rassemble se ressemble”, à condition que ce rassemblement n'induise pas des ressemblances fictives, et se fonde sur la ressemblance dans la différence. Ce sont les différences qui font se ressembler, être semblables, pairs, et non l'identification imposée. La différence intègre sans assimiler, elle relie et rassemble à partir des non ressemblances et non à partir d'identifications fictives parce que neutres, asexuées. Le discours juridique ne doit pas se contenter de dire à chacun pour qui il faut qu'il se prenne, à travers une égalité purement fongible et des rituels purement magiques. Le droit ne doit pas se contenter de fabriquer du pouvoir absolu, de la représentation énigmatique, du tiers inclus (le juge, le chef). Le principe d'égalité doit dépasser la simple acception de l'égalité des chances pour devenir une véritable égalité positive, impliquant une égalité de traitement. Le droit à la dénomination sexuée, qui passe par le droit à la parité, doit être non seulement considéré comme un droit de la personne humaine, mais comme le droit qui fonde le pouvoir, pour la personne humaine, de participer à la démocratie politique. La femme impensée juridiquement, c'est le peuple impensé politiquement.

Janvier 1997
Francine Demichel (Université Paris 8)
E-Mail : sjfe@univ-paris8.fr


Le lien d'origine : http://www.helsinki.fi/science/xantippa/wle/wlf11.html