Origine http://www.osezleclito.fr/interview-de-pierre-foldes
http://blogs.mediapart.fr/blog/adeline-chenon-ramlat/110711/pierre-foldes-la-chirurgie-reparatrice-dintimites-mutilees
OLF : Qu’est-ce qui vous a conduit à élaborer
des techniques de chirurgie réparatrice des organes génitaux
mutilés ?
Pierre Foldès : En tant que chirurgien humanitaire longtemps
engagé sur des opérations difficiles, sur des conflits,
j’ai été interpelé par des situations
dramatiques d’urgence. Peu à peu, confronté
à des problèmes de fistules vésico-vaginales
et d’incontinences graves, j’ai découvert que
des femmes étaient victimes des crimes les plus effroyables.
J’ai constaté qu’elles souffraient terriblement
des conséquences de ces mutilations, qui étaient jusque
là comme ignorées.
OLF : Quand on parle d’excision, on pense très vite
à l’Afrique subsaharienne, or il y a d’autres
régions ou les mutilations sexuelles sont infligées
aux toutes petites filles et aux femmes. Pouvez-vous nous en dire
plus ?
P.F. : Je suis spécialiste de l’Asie. Afrique de l’ouest
et de l’est et la Corne de l’Afrique semblent en effet
présenter une prévalence importante de mutilations
génitales féminines. Cependant, on trouve aussi des
mutilations en Inde, en Papouasie, en Malaisie, en Amérique
centrale et dans les pays d’Europe et d’Amérique
du nord, du fait de la persistance de ces pratiques dans les pays
d’origine et du transit des femmes migrantes qui passent par
nos pays ou y trouvent durablement refuge.
OLF : A quoi ressemble le clitoris ?
P.F. : Pendant longtemps, on ne connaissait pas le clitoris alors
qu’on savait détailler les moindres détails
de l’anatomie humaine. Le clitoris mesure entre 11 et 15 cm
environ, sauf qu’il est enfoui. Il est formé de plusieurs
parties : la partie principale, les corps, ancrés sur l’os
du bassin. Ces corps se rejoignent en haut pour former un virage
qu’on appelle genou clitoridien. Le genou se prolonge vers
une extrémité visible qui est le gland du clitoris.
On a longtemps cru que le clitoris se réduisait à
ce gland lui-même parfois à peine visible. Le clitoris
est donc quelque chose de grand, déployé dans le périnée
féminin. A l’intérieur de cette première
arche existe une seconde arche, les bulbes, en forme de fer à
cheval, qui entourent l’entrée de la vulve. Le clitoris
forme donc une double arche qui coiffe l’entrée du
vagin et dont le centre de convergence se situe à l’endroit
de la zone G que plein de femmes ont décrite mais à
laquelle certains ne veulent pas croire. Le dilemme « clitoridienne
ou vaginale ?» est complètement dépassé
: la zone G perçue au niveau du vagin, c’est du clitoris
! Le clitoris est l’organe central des plaisirs des femmes
pour lequel les hommes n’ont pas d’équivalent.
Il n’est pas question de mettre en concurrence les plaisirs,
mais simplement de constater que seules les femmes ont un organe
dédié au plaisir. C’est pour ça que depuis
27 siècles on a choisir de le mutiler et ou de l’ignorer.
OLF : Il y a différents types de mutilations, dit-on. Cette
classification peut donner à penser que les traumatismes
seraient fonction du type d’atteinte physiologique : qu’en
est-il ?
P.F. : La Mutilation Génitale Féminine est une atteinte
à l’intégrité du sexe féminin.
C’est une tentative d’ablation du clitoris dont la puissance
et l’autonomie a toujours dérangé des hommes.
La forme la plus connue est l’excision : une blessure plus
ou moins profonde de la partie externe du clitoris, le gland. Il
y a trois stades de MGF selon l’OMS mais pour ma part, je
constate qu’il n’y a aucun parallélisme entre
les types d’atteintes et les types de traumas. Il y a des
formes très graves, complètes et profondes en Afrique
de l’est où l’on observe parfois paradoxalement
une conservation de la sensibilité clitoridienne. Il y a
en Afrique de l’ouest des formes d’excision avec de
plus « petites » atteintes et où pourtant, les
conditions atroces dans lesquelles on va blesser le sexe de la très
petite fille ou de la femme vont déclencher un immense traumatisme
physiologique et psychique. Malheureusement, dans 2 cas sur 3, il
y a blessure plus ou moins directe des petites lèvres (lame
qui dérape ou atteinte délibérée) :
on arrache, on gratte, on coud les petites lèvres pour fermer
le sexe, etc. Ces pratiques dites d’infibulation peuvent aller
jusqu’à la fermeture complète de la vulve et
cela aggrave l’excision et produit des conditions de vie sexuelle
et obstétricale (grossesses invivables) dramatiques. En Somalie
ou en Egypte, on creuse profond et on ferme complètement
les grandes lèvres. Croissance, vie sexuelle et accouchements
vont considérablement accroitre l’ampleur de toutes
ces atteintes. Ainsi, ce n’est pas seulement une femme excisée
qu’on rencontre, mais une femme brisée dans son sexe.
OLF : Vous accompagnez des femmes qui ont subi des mutilations.
En quoi consiste cet accompagnement ?
P.F. : Je me suis certes fixé pour mission de réparer
le clitoris, mais aussi d’essayer de restaurer le plus possible
l’intégrité des corps de ces femmes et de l’idée
qu’elles s’en font. Au-delà d’une opération
de chirurgie, ce que veulent ces femmes, c’est un retour à
la normale, une intégrité physique et un retour à
une sexualité « normale », c'est-à-dire
non traumatique.
Cela nécessite un accompagnement triple : il y a l’accompagnement
médical qui consiste à voir si la cicatrisation se
fait bien, s’il n’y a pas de douleur résiduelle
ou de complication, etc. Il y a un accompagnement sexologique pour
pouvoir apprendre ce qui n’a pas été découvert.
Et il y a un accompagnement psychologique pour toute la partie post-traumatique
qui peut être extrêmement importante. J’exerce
ces trois rôles, mais il est très important qu’on
soit toute une équipe à pouvoir répondre à
tous ces enjeux.
OLF : Comment fonctionne l’opération de chirurgie
réparatrice du clitoris ?
P.F. : Comme dans toute chirurgie réparatrice, il faut d’abord
connaître la physiologie et l’anatomie de l’organe.
On va retirer les parties lésées qui font que la cicatrice
fait mal. Il faut ensuite retrouver ce qui reste de l’anatomie
normale et, avec cela, reconstituer un organe fonctionnel et le
plus proche possible de la normale. Les femmes demandent souvent
si on va chercher autre chose, greffer des tissus : en réalité,
il n’y a rien à ajouter. Il y a suffisamment de tissus
pour reconstituer un clitoris normal. Il y a plus de 10 000 capteurs
de plaisirs (corpuscules de Pacini et de Krause) répartis
entre le gland et le genou du clitoris qui est bien enfoui et rarement
touché par les exciseuses. Il y a également beaucoup
de ces mêmes capteurs de plaisir dans le début des
corps et dans tout l’organe. On peut donc dans la grande majorité
des cas redonner sa puissance au clitoris.
Une fois réparé, l’organe vit et évolue,
ses interactions avec les différentes zones du cerveau aussi.
Il n’y a donc aucun sens à faire comme si tout se passait
dans la tête ou dans le sexe. Les deux sont indissociables
: porter atteinte à la tête en désinformant
ou en ignorant, ça peut faire beaucoup de mal à la
capacité à sentir pleinement son clitoris, et la mutilation
d’un sexe peut mutiler des pans d’une personne jusque
dans son rapport au monde.
Cette chirurgie dure à peu près ¾ d’heure
et est intégralement remboursée par l’assurance
maladie, dans le cadre de la Couverture Maladie Universelle et de
l’AME. Je me suis battu pour que ces pathologies soient reconnues
et que cette chirurgie soit remboursée, il y a sept ans.
OLF : Vous employez souvent le terme d’"excision culturelle,
intellectuelle et scientifique" pour désigner l’omerta
qui pèse sur la libération des sexualités des
femmes. Pourquoi insistez-vous pour employer cette expression ?
P.F. : Quand on regarde la science médicale, le clitoris
n’existe pas, il y a un organe dont on ne parle pas et c’est
celui là ! Un jour, j’ai testé le moteur de
recherche de l’OMS : il y avait je ne sais combien de milliers
de pages sur le pénis et aucune sur le clitoris ! C’est
typique ! J’espère que ça a changé !
Le clitoris gène : il n’est pas directement utile
pour la reproduction ni pour les plaisirs masculins, donc on n’en
parle pas. Quand on examine les différentes motivations des
excisions, on leur retrouve une base commune avec le mépris
infligé par les sciences et les cultures, à savoir
le contrôle des sexualités des femmes par les hommes.
Voilà le fondement du crime ! Enfermer les femmes dans l'ignorance
de leurs propres sexes et dans la croyance que seuls les hommes
auraient un vrai sexe et de forts appétits sexuels est un
dispositif efficace pour les dominer. Il y a dans les deux phénomènes
une volonté plus ou moins consciente de la part de beaucoup
d’hommes de contrôler et soumettre une sexualité
qui leur fait peur et les dépasse. C’est le même
crime, me semble-t-il, qui se décline différemment
dans le rejet de la liberté sexuelle pour les femmes et dans
l’excision.
OLF : En Egypte où l’excision est très prégnante,
les mutilations sexuelles infligées aux femmes sont médicalisées,
faisant là aussi l’objet d’un commerce, mais
cette fois non pas perpétré par des femmes pauvres,
dominées et peu instruites, mais par des médecins
!
P.F. : En effet, c’est un vrai business ! Les mutilations
perpétrées par ces médecins sont beaucoup plus
graves. Une exciseuse traditionnelle, si elle coupe trop, met ses
relations familiales en danger avec la survie de l’enfant
et perd un marché. Le médecin dispose de toutes les
conditions d’asepsie (instruments stériles, endroit
propre) et d’anesthésie pour pouvoir mutiler en profondeur
sans faire mourir la petite fille ou la femme. Ces médecins
ferment les vulves et mettent à mal les missions de la médecine.
La médecine n’est pas là pour aider des tortionnaires
à faire tenir plus longtemps leurs victimes ni pour mutiler
et tuer des gens dans leur sexe ! La médecine est là
pour soigner, pas pour aider le crime.
Pierre Foldès, en nous disant au revoir, a tenu à
dire la chose suivante : « Il a fallu déjà toute
une révolution copernicienne pour admettre que les femmes
avaient un cerveau et que leur cerveau n’était pas
de nature différente ni moindre que celui des hommes, alors
vous et moi sommes là pour encourager les gens à admettre
que les femmes ont un vrai sexe, et non pas un creux pour accueillir
un pénis ou un enfant ! ».
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