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Origine :
http://ciepfc.rhapsodyk.net/article.php3?id_article=53
Il est loin le temps où l'entraîneur de football de
l'équipe de France espérait rassurer ses supporters
en leur promettant une « réorganisation structuraliste
» des joueurs. Michel Foucault, avec Les mots et les choses
en 1966, venait de faire du structuralisme la nouvelle philosophie
parisienne qui devait éclipser l'existentialisme : elle affirmait
que le sujet ne donnait pas du sens à l'univers dans l'angoisse
de sa liberté, mais qu'il se contentait de réaliser
des possibilités inscrites d'avance dans des codes aussi
inconscients que sont les règles grammaticales. Althusser
professait à l'Ecole Normale Supérieure que Marx était
structuraliste, Lacan y réinventait la psychanalyse, Barthes
montrait que la mode vestimentaire obéissait à un
« système », bref le structuralisme donnait à
une époque mieux que des résultats théoriques
: une vision de l'homme et du monde avec laquelle elle se sentait
en affinité. Son principal instigateur, pourtant, ne voyait
pas ce succès public d'un bon œil : Claude Lévi-Strauss,
dont la publication en 1949 des Structures élémentaires
de la parenté peut être tenue pour la date de naissance
du structuralisme, considérait en effet le structuralisme
avant tout comme une méthode pour les sciences humaines.
L'avenir sembla lui donner raison : le structuralisme, comme ces
étoiles qui s'effondrent sur leur propre poids, fut aussi
contesté après mai 68 qu'il avait été
adulé avant. On lui reprochait de nier la dimension politique
des faits humains, de méconnaître l'histoire, et, finalement,
de désespérer Billancourt… Alors, méthode
prometteuse ou éphémère idéologie ?
Le mot lui-même a été inventé par le
linguiste Roman Jakobson dans un article de 1929. Il désignait
alors une « tendance de la science russe », opposée
à la science occidentale atomiste, mécaniste (c'est-à-dire
aveugle à l'importance de la finalité), et réductionniste,
donc incapable de montrer que les faits culturels obéissent
à des lois qui leur sont propres, et non pas seulement à
des causalités physiques ou biologiques. Un an plus tard,
Jakobson, esprit universel s'il en est, polyglotte par vocation
et exilé par destin, en faisait plus généreusement
la caractéristique de la science moderne, par opposition
au vieux « positivisme », obsédé par le
recueil de faits particuliers observables, et par la tentative pour
établir entre eux des régularités dûment
constatées. Mais la définition restait vague : si
le structuralisme consiste simplement à penser que le tout
précède et détermine les parties, que les relations
importent plus que les termes, et qu'on ne construit pas les lois
en généralisant à partir des observations,
ne devrait-on pas dire qu'Aristote, mais aussi Spinoza, Leibniz,
Goethe, Hegel ou Bergson, à quoi il faut adjoindre un grand
nombre de biologistes, la plupart des physiciens contemporains,
et sans doute tous les mathématiciens, sont également
structuralistes ? Tant d'extension ne risque-t-elle pas de faire
perdre au mouvement toute compréhension ? Pire : une telle
définition est-elle susceptible de clarifier une méthode
? Cette incertitude sur la définition devait plus tard amener
les auteurs les plus divers à s'y reconnaître, pour,
dans la même confusion, s'en écarter presque aussitôt.
Aussi vaut-il mieux, pour bien comprendre ce dont il s'agit, laisser
de côté les définitions explicites, et revenir
aux opérations même que les linguistes « structuralistes
» - au premier rang desquels Jakobson et son compatriote et
ami, le Prince Nicolaï Troubetzkoy - cherchèrent à
introduire dans leur discipline, pour montrer ensuite pourquoi et
comment Lévi-Strauss a cru pouvoir l'étendre à
l'étude de tous les faits culturels, règles de parenté,
récits mythiques, rites, ou construction des villages, ouvrant
ainsi au programme dont se griseront les années 50 et 60…
Le dix-neuvième fut le siècle de l'histoire : la
linguistique indo-européenne découvrait la possibilité
de reconstruire, à partir de la diversité des langues
actuelles (français, allemand, hindi, etc.), la langue disparue
dont elles dérivent à la manière de dialectes.
Le changement linguistique apparaissait alors comme ce qu'il y avait
d'objectif et de connaissable dans le phénomène du
langage, puisqu'il échappait à la conscience et à
la volonté des sujets : c'est insensiblement que le latin
est devenu le français... En réaction, Jakobson et
Troubetzkoy soutinrent qu'il était inutile de chercher à
expliquer l'histoire des langues à partir de contraintes
phonétiques (en dernière instance physiologiques)
qui conduiraient peu à peu les locuteurs à altérer
leurs manières de parler. En effet le langage a une fonction
: l'état actuel d'une langue ne dépend pas seulement
de son histoire, mais aussi des contraintes que lui imposent les
nécessités de la communication. C'est pourquoi on
ne peut évacuer toute considération sur la finalité
dans l'étude des phénomènes culturels. Aussi
élaborèrent-ils une méthode qui permettait
de ne retenir que ce qui, dans les performances verbales des individus,
était porteur de signification.
Elle consiste, dans un premier temps, à proposer aux locuteurs
d'une langue un test, dit de « commutation » ou de «
permutation », qui permet de distinguer entre les variations
phoniques qui induisent une variation significative, et celles qui
ne le font pas. Par exemple, en français, le mot «
tri » peut être prononcé avec un « r »
roulé, et non grasseyé, sans qu'un locuteur perçoive
une différence de sens. A l'inverse, la substitution de «
pli » à « tri » modifie la signification
(remarquons au passage que le locuteur n'a pas besoin de définir
chacun de ces termes séparément pour le sentir : il
suffit qu'il perçoive la différence). On induit donc
que [tr] et [pl] ont des particularités phoniques significatives
pour un français. En croisant les tests, par exemple en montrant
qu'il y a une différence entre « tri » et «
pris », on décompose la masse phonologique en «
phonèmes » ([r], [l], etc.), c'est-à-dire en
unités ultimes, qui apparaissent alors comme une somme ou
un « faisceau » de particularités phonétiques
distinctives (labial/non-labial, voisé/non-voisé,
etc.). Le phonème est donc une entité purement différentielle.
C'est ici que les « phonologues » russes rejoignent
les thèses d'un auteur alors un peu oublié, le linguiste
russe Ferdinand de Saussure mort en 1913, qui affirmait précisément
que « dans la langue, il n'y a que des différences
» (Cours de linguistique générale, Payot, 1973,
p. 166), et que « les phonèmes sont avant tout des
entités oppositives, relatives, et négatives »
(Ibid., p. 164).
Mais la méthode comporte un deuxième moment. En effet,
les mêmes traits distinctifs séparent plusieurs phonèmes
à la fois : ainsi p-t, b-d, m-n, par exemple, forment une
série, en s'opposant de la même manière. Un
phonème, dès lors, ne se définit plus seulement
par la somme des traits distinctifs qu'il actualise, mais aussi
par sa position dans un système de séries d'oppositions.
Et c'est précisément le schéma de ce système
qu'on appelle une structure : « La définition du contenu
d'un phonème dépend de la place qu'il occupe dans
le système des phonèmes donc il s'agit (…).
Un phonème ne possède un contenu phonologique définissable
que parce que le système des oppositions phonologiques présente
une structure, un ordre déterminé » (Troubetzkoy,
Principes de phonologie, trad. J. Cantineau, Klincksieck, Paris,
1964, p.69). Nous pouvons donc maintenant montrer une structure
: le « tableau du système phonologique des consonnes
de l'allemand » proposé par Troubetzkoy est peut-être
le premier exemple de formalisation structuraliste (ibid. p. 74).
<Tableau à copier>
Les sujets qui parlent allemand ne sont pas évidemment pas
conscients de cette structure, mais elle n'en est pas moins opératoire
: c'est elle qui leur permet non seulement de se comprendre, mais
encore de percevoir distinctement les sons émis. Ainsi les
lois du langage ne sont pas seulement historiques, mais aussi, comme
le disait Saussure, « synchroniques », puisque par définition
tous les éléments d'une structure doivent être
données en même temps. De plus, on peut comparer les
langues du point de vue de leur structure, montrer comment leur
évolution tend parfois à restaurer l'équilibre
structural menacé par la perte accidentelle d'une opposition
distinctive, etc. Le linguiste ramène donc la très
grande diversité des phénomènes du langage
à quelques principes simples, et peut même faire l'hypothèse
de « lois structurales » qui seraient valables universellement
pour toutes les langues. On comprend désormais comment une
nouvelle méthode de décomposition des faits du langage
a conduit à la thèse selon laquelle les éléments
sont définis non par des propriétés positives,
mais par la manière dont ils se rapportent les uns aux autres
: le [r] français n'est pas une certaine manière d'articuler
ou un certain profil sonore, mais uniquement une position dans le
schéma de la structure. Il peut, en ce sens, être représenté
de manière algébrique. Mais il ne faut jamais oublier
que cela n'a été possible que parce que les relations
sont des différences, ou plus exactement des différences
sonores corrélées à des différences
de signification.
En quoi cette méthode est-elle transposable au domaine de
l'anthropologie ? Saussure l'avait anticipé en promettant
l'avènement d'une discipline nouvelle, la sémiologie,
« science qui étudie la vie des signes » (Cours
de linguistique générale, op. cit., p. 33), Troubetzkoy
l'avait suivi, mais rien n'avait été réalisé.
Quand Lévi-Strauss rencontre Jakobson à New York pendant
la guerre, il prépare une synthèse sur les phénomènes
de parenté. On sait en effet depuis Henry Lewis Morgan que
les sociétés « primitives » se caractérisent
par des règles de parenté complexes et diverses. L'hypothèse
de Lévi-Strauss est que ces règles peuvent être
réduites à quelques principes simples, si on fait
l'hypothèse qu'elles traduisent autant de manières
d'échanger les femmes : par exemple, le fait pour une jeune
fille de devoir épouser un de ses cousins croisés
(c'est-à-dire un fils du frère de sa mère,
ou un fils de la sœur de son père) s'explique par une
contrainte symétrique et complémentaire : celle où
se trouve, à la même génération ou à
la génération suivante, une sœur de son cousin
de devoir épouser un de ses frères à elle.
Les mariages forment un système qui lie ensemble les différentes
familles dans un réseau de réciprocité. La
notion de structure semble donc désigner les différentes
manières dont « l'esprit humain » peut s'y prendre
pour construire des systèmes de réciprocité.
Ainsi, un acte particulier comme un mariage n'a pas son sens en
lui-même, mais dépend de sa position dans le système,
et de la manière dont celui-ci est construit. Mieux : chaque
système de parenté ne fait que réaliser une
des possibilités logiques de l'esprit, et on pourrait les
comparer en les plaçant dans un vaste tableau combinatoire.
Mais en quoi cela évoque-t-il le travail de Troubetzkoy et
Jakobson ?
C'est qu'en réalité la thèse est plus précise.
Si les femmes sont échangées en effet, c'est parce
qu'elles sont des signes, au sens des linguistes structuralistes,
c'est-à-dire des entités oppositives et relatives.
Chaque femme est définie par son opposition à d'autres
: « c'est un acte de conscience primitif et indivisible qui
fait appréhender la fille ou la sœur comme une valeur
offerte, et réciproquement la fille et la sœur d'autrui
comme une valeur exigible » (Structures élémentaires
de la parenté, Mouton, p. 162). Les dernières sont
nécessairement complémentaires des premières,
et elles constituent ensemble une structure : passant des épouses
aux filles, les attitudes s'inversent, le désir doit devenir
répulsion, le cadeau, dette, au lieu de se montrer, on se
cache, etc.. Il y a corrélation entre des traits distinctifs.
L'ensemble des femmes dans une société donnée
constituent donc un système de signes. « Tous les phénomènes
auxquels s'intéresse l'anthropologue, dira finalement Lévi-Strauss,
offrent le caractère de signes. » (Anthropologie structurale
deux, Plon, 1973). Le deuxième grand moment de l'œuvre
de Lévi-Strauss est en effet la rédaction des quatre
gros volumes des Mythologiques. Il y montre que des motifs apparemment
aussi dissemblables qu'un signe et un fourmilier, du poison et un
séducteur, un collier de perles et une tête coupée,
peuvent être considérés comme des variantes
du même signe mythologique, dans la mesure où le passage
de l'un à l'autre est définissable par un ensemble
d'inversions d'oppositions distinctives, les uns se présentant
comme le négatif des autres : « chaque personnage,
loin de constituer une entité, est à la manière
du phonème tel que le conçoit Jakobson, un faisceau
d'éléments différentiels » (Anthropologie
structurale deux, p. 162).
On voit bien comment Lévi-Strauss emprunte à la linguistique
en même temps qu'il s'en distingue. Alors que pour cette dernière,
la structure est un système de séries d'oppositions,
pour Lévi-Strauss elle sera un « groupe de transformations
» : « En premier lieu une structure offre un caractère
de système. Elle consiste en éléments tels
qu'une modification quelconque de l'un d'eux entraîne une
modification de tous les autres. En second lieu, tout modèle
appartient à un groupe de transformations dont chacune correspond
à un modèle de la même famille, si bien que
l'ensemble de ces transformations constitue un groupe de modèles.
Troisièmement, les propriétés indiquées
ci-dessus permettent de prévoir de quelle façon réagira
le modèle, en cas de modification de l'un de ses éléments.
Enfin, le modèle doit être construit de telle façon
que son fonctionnement puisse rendre compte de tous les faits observés.
» (Anthropologie structurale, Plon, 1958, p. 306). Il est
caractéristique que Lévi-Strauss ne définisse
pas la systématicité par un lien interne entre des
éléments observables : c'est la même chose qui
fait tenir ensemble les éléments d'un système,
et qui rapporte ce système à d'autres dont il diffère.
C'est pourquoi la mise en évidence des structures qui supportent
les différents systèmes symboliques exige une méthode
comparatiste, qui est propre à l'anthropologie, puisque celle-ci
consiste précisément à chercher l'homme à
travers la variation culturelle.
Mais il se distingue aussi des phonologues en que l'extension de
la méthode « sémiologique » à tous
les faits culturels ne se justifie pas pour lui au nom d'une hypothèse
sur leur fonction (la communication), mais parce qu'ils présentent
tous également cette propriété d'être
essentiellement variables. Mieux : si on a besoin de la méthode
structurale dans les sciences humaines, c'est parce qu'on ne peut
jamais juger l'identité entre plusieurs actes (comme des
motifs narratifs dans les mythes, ou des actes codés dans
des rituels) sur la base de leurs seules ressemblances observables.
Ce que Lévi-Strauss disait pour les mythes vaut pour tous
les traits culturels. Supposons qu'on s'intéresse à
l'histoire d'une pratique, comme mettre en prison les coupables
: en se contentant de tracer une ligne continue jusqu'au premier
témoignage de cet usage, on risque de commettre de graves
contresens, car cette pratique, isolée abstraitement par
nous, aura un sens tout à fait différent en fonction
du système dans lequel elle s'inscrit ; peut-être même
dans certains ne vaudra-t-elle pas comme telle. Et, inversement,
il se peut qu'elle soit une manière d'être fidèle
à un usage qui ne lui ressemble pas, mais dont on peut montrer
qu'il occupe la même position dans un système de transformations.
Ainsi, l'hypothèse selon laquelle les faits culturels sont
des signes ne repose pas sur leur fonction, mais sur leur nature
: ils ne peuvent être identifiés que si on les replace
dans le système de signes, au sein duquel ils apparaissent
comme substituables et différentiels.
Ainsi, il se peut qu'aussi bien la puissance de la méthode
structurale que l'intérêt philosophique de ses résultats
tiennent, non pas à ce qu'elle nie le caractère primordial
de la liberté humaine, mais à qu'elle montre qu'on
peut faire une science de ce dont la nature même est de varier,
à condition de ne le définir que par la corrélation
de différences. De fait, Louis Althusser, Michel Foucault,
Gilles Deleuze, entre autres, y trouvèrent des instruments
pour repenser l'histoire et le temps. Qu'ils aient eu le sentiment
de devoir se distinguer du structuralisme presque aussitôt,
tient sans doute au malentendu qui a accompagné l'extension
de la méthode structurale. On croyait y voir une réduction
de l'humanité à un vaste tableau combinatoire, alors
qu'il s'agissait avant tout de prendre conscience des problèmes
que posent, aussi bien au savant qu'au philosophe, la simple délimitation
de ces faits bien particuliers que sont les faits culturels. Mais
il se peut aussi que cette confusion ait été nécessaire
pour que certains, aiguillés par l'étrange histoire
de ce mouvement renversé en son contraire en même temps
qu'il triomphait, redécouvrent le problème qu'il chercha
vainement à poser, et en montrent ainsi la toujours vibrante
actualité.
Répondre à cet article
Forum de l'article
> Patrice Maniglier : « La pensée structuraliste
»
23 février 2005, par 1001nuits
Tout d'abord, merci pour cet article qui a l'avantage de poser
plus de questions que de donner des réponses et d'être
plus didactique que directif.
La pensée structuraliste se heurte, à mon humble
avis, à un problème de modèle. Par modèle,
j'entends modélisation comme on l'entend en sciences dites
dures. Tous les travaux sur les "signes" comme vous les
appelez peuvent être considérés comme des travaux
sur des "objets" ou sur des "phénomènes".
En ce sens, si l'analyse structurale d'une langue fait penser aux
travaux structuraux de Levi-Strauss, j'ai du mal à y voir
une analogie plus que formelle, la notion de signe étant,
selon moi, de nature très différente entre la structure
phonétique d'une langue et les éléments structurels
de la parenté.
Au coeur de ce débat est probablement en premier lieu la
définition de l'objet étudié. En second lieu,
on pourrait se poser la question de la bonne représentation
de cet objet et du modèle que nous allons lui appliquer (signe
ou modèle plus complexe). Puis vient l'analyse des relations
des différents objets entre eux et la recherche de lois abstraites
régissant le système. Néanmoins, dès
que la notion de "système" est abordée,
il faut y voir le problème de l'hétérogénéité
des objets qui peuvent le composer et le perturber. Nous sommes
ici comme en physique complexe : nous cherchons à définir
un système relativement isolé pour l'étudier
structurellement. Vient donc la qualification des relations entre
divers types d'objets.
Tout cela pour dire que le structuralisme est un outil très
incomplet, même s'il semble reposer sur des intuitions partagées.
En ce sens, la complexité d'un modèle structuraliste
pourrait être beaucoup plus grande qu'une simple logique probabiliste
ou combinatoire, même pour des modèles simples qui
auraient pour objet de nous faire obtenir les moyens de prévoir
avec une marge d'erreur faible certains comportements du système.
En ce sens, je suis pour continuer le mouvement structuraliste mais
avec de nouveaux outils plus puissants et une rigueur beaucoup plus
draconienne. Les sciences dites dures fournissant ce genre d'outils,
le futur du structuralisme n'est-il pas dans la convergence des
sciences, dans le renouveau des outils ?
Ce qui, en dehors de la technique d'analyse elle-même, a
à mon sens desservi le structuralisme surtout après
68, est cette image combinatoire et donc image de possibilité
de prévision d'un système. Il est en effet très
inquiétant pour des philosophes de se voir confronter avec
des structuralistes qui, dans le domaine de l'anthropologie semblent
lire les lois cachées. Quels peuvent être les fruits
de théories comme celles-là, comment peut-on les utiliser
? C'est à mon avis la raison principale de la prise de distance
de Foucault par rapport au structuralisme de Lévi-Strauss
: comment analyser les structures de la société sans
exhiber un risque de manipulation par la connaissance de la structure.
La connaissance de la structure en tant que pouvoir, voilà
qui ferait un joli sujet de dissertation, même pour Foucault
qui finalement, fait quelque part un peu ce qu'il ne souhaite pas
faire : travailler sur un matériau à double tranchant.
A la fin des années 60, les intellectuels ont, à mon
avis, refoulé cette théorie en raison de la possibilité
de la représnetation qu'elle laissait planer : un danger
de société lié à la manipulation consécutive
à un savoir non partagé, mais aussi et surtout la
peur de se voir entrer dans des équations et d'avoir une
preuve scientifique de son aliénation structurelle, de la
prévisibilité de son comportement. C'est bien à
mon avis la peur de perdre une liberté très évanescente
qui a motivé la mise à l'écart du structuralisme,
refoulé par la société comme un humain refoule
un trait de personnalité qu'il ne veut pas voir en lui-même.
En conclusion, comment faire revivre ou simplement continuer ce
mouvement structuraliste au XXIème siècle ? Probablement
tout d'abord en changeant de méthode de manière drastique
(mais non de principes dans l'approche), et ensuite en étant
prêt à essuyer des attaques sociales sur l'intérêt
et sur la schématisation des groupes humains, en étant
prêt à supporter les procès d'intentions à
venir, en étant robuste à un tollé des intellectuels.
C'est revivre l'aventure de Freud au niveau de la société
elle-même.
Or, je ne suis pas certain que notre contexte social soit prêt
à faire naître ou à héberger une institution
permettant ce genre de renaissance.
1001
Caverne poétique et philosophique des 1001 nuits
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