|
Origine : http://www.liberation.fr/rebonds/235289.FR.php
«Gestion des flux migratoires» : partout employée,
cette expression témoigne du triomphe d'une novlangue technicienne
qui déshumanise celles et ceux que l'on désigne, en
substituant aux enfants, femmes et hommes visés par ces termes
et par des législations toujours plus restrictives l'image
impersonnelle de populations prétendument menaçantes
qu'il faut endiguer. Des raisons pour lesquelles ces étrangers
ont été poussés à quitter leurs pays
d'origine, des conditions dans lesquelles ils ont effectué
un périple que beaucoup décrivent comme une épreuve
longue et périlleuse, mortelle parfois, de ces histoires
faites de persécutions ethniques, religieuses ou politiques,
de misère et d'exploitation, il ne reste rien.
Plus exactement, à la place de ce «rien» se découvrent
les figures réputées inquiétantes des «clandestins»,
puisque tel est le terme utilisé pour les désigner.
Sous couvert de nomination et de qualification objectives prospère
la disqualification des personnes en même temps que s'imposent
les représentations contenues dans le mot même de «clandestin».
Etre un «clandestin», ici, c'est se trouver ravalé
à la seule condition d'individu qui a franchi de façon
illégale des frontières, cependant que les causes
de cet acte, souvent indispensable à la préservation
de l'intégrité physique et psychologique de son auteur,
sont placées hors champ. Etre un «clandestin»,
ici, c'est être sans histoire personnelle, sans passé,
sans antécédent, sans autre antécédent
du moins que la violation des dispositions relatives à l'entrée
et au séjour des étrangers. Au terme de ce mouvement,
il n'y a donc plus ni hommes ni femmes fuyant des conditions d'existence
jugées insupportables par eux, mais seulement des «Africains»
et des «Maghrébins», qui, par l'argent, la ruse
et le recours à des passeurs, ont réussi à
déjouer les mesures destinées à contrôler
l'accès au territoire national. La surexposition langagière,
politique et médiatique du «clandestin» est au
coeur de deux phénomènes politiques distincts mais
étroitement articulés : la criminalisation de ce type
d'immigration, présentée comme un danger majeur ;
et la légitimation de l'ensemble de la chaîne répressive,
des arrestations aux expulsions en passant par l'incarcération
et le placement en zone de rétention.
Souvent euphémisée en «retour dans le pays
d'origine», l'expulsion par voie aérienne constitue
la dernière et la plus spectaculaire de ces étapes.
Parfois médiatisée, celle-là a permis à
plusieurs ministres de l'Intérieur, d'hier à Nicolas
Sarkozy aujourd'hui, de faire la démonstration de leur «fermeté»,
supposée être «au service des Français»
et de la «défense des lois de la République».
Continuité et pauvreté remarquables du discours répressif
dégradé en une écholalie sommaire que soutiennent
des arguments éculés. Au sommet de l'Etat et à
la tribune des meetings, c'est ainsi que les choses sont présentées.
Dans les commissariats, cela s'appelle «faire du chiffre».
C'est donc pour «faire du chiffre», conformément
aux injonctions ministérielles, que des policiers procèdent
à des arrestations massives, réalisées en des
lieux choisis les Restos du coeur dernièrement
sur des critères souvent raciaux, quand ce n'est pas à
l'occasion de démarches administratives effectuées
par les étrangers pour tenter d'obtenir la régularisation
de leur situation, ou après une hospitalisation d'urgence
comme cela s'est passé à Nantes pour une femme qui
fut par la suite expulsée avec son enfant.
De là le recours aux charters, qui permettent de procéder
à des reconduites massives et spectaculaires d'étrangers
en situation irrégulière dans leur pays d'origine.
De telles pratiques, rappelle Alvaro Gil-Robles, commissaire européen
aux Droits de l'homme, ont «pourtant été fortement
critiquées par la Commission nationale de déontologie
et de sécurité et jugées contraires au droit
français par le Conseil d'Etat». En vain, puisque le
ministre de l'Intérieur-candidat persévère
sans susciter ni scandale politique, ni tollé juridique,
ni réprobation médiatique. Remarquable et stupéfiante
démission de tous les contre-pouvoirs, souvent présentés
comme autant de freins à l'exercice arbitraire du pouvoir
exécutif dont l'un des titulaires majeurs peut agir en toute
impunité sans que rien ni personne ne soit en mesure de mettre
un terme à ses pratiques. Au nom de l'urgence et de la gravité
supposées de la situation provoquée par les «clandestins»,
on assiste donc au triomphe de la raison d'Etat sur des principes
pourtant jugés essentiels au bon fonctionnement de l'Etat
de droit. Etat de droit dont les mécanismes, supposés
garantir le respect des règles qui l'organisent, s'avèrent
être inefficaces face aux agissements d'un ministre de l'Intérieur
qui a recours aux méthodes que l'on sait avec le soutien
de son gouvernement.
Enfin, contrairement à la convention des Nations unies relative
aux droits de l'enfant et à la loi française qui «précise
que l'étranger mineur ne peut pas faire l'objet d'une mesure
de reconduite à la frontière» (article L. 511-4
du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile),
des enfants sont placés en centre de rétention en
vue de leur expulsion. La police, couverte parce que encouragée
par son autorité de tutelle et par le pouvoir politique dans
son ensemble, méconnaissent ainsi, de façon grave
et répétée, un traité international
pourtant ratifié par la France et des dispositions juridiques
nationales votées par le Parlement. Excusez du peu. Avérés,
constatés et consignés par de nombreuses institutions
et associations, nationales ou européennes, ces faits révèlent
ceci : les principes républicains et le respect des lois,
invoqués de façon solennelle par les uns et les autres,
couvrent leur violation courante légitimée par les
«impératifs de la sécurité» et
par la mise en scène démagogique et électoraliste
des chiffres. Ceux-là mêmes qui permettent au ministre
de l'Intérieur de faire croire qu'il dit ce qu'il fait et
qu'il fait ce qu'il dit, alors qu'il est à l'origine du développement
de pratiques illégales, dont certaines ont été
jugées telles par le Conseil d'Etat et par le commissaire
européen aux Droits de l'homme ! Oui, avec Nicolas Sarkozy,
tout est possible, même le plus arbitraire, même le
plus indigne. Que propose Ségolène Royal pour mettre
un terme à cette situation ? Nous n'en savons rien.
Dernier ouvrage paru,avec Gilles Lhuillier et Jérôme
Valluy, le Retour des «camps» ? Sangatte, Lampedusa,
Guantanamo..., éd. Autrement, 2007, 210 pp., 20 euros.
|
|