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Origine : Liste Multitudes
Une nouvelle forme de pauvreté
La précarité, de Patrick Cingolani, PUF, "Que sais-je
?", 128p, 8euro
Monde des livres le10.06.05
« Il n'y a pas de précarité qui soit
une liberté », souligne un « Que sais-je
? » bien informé
Une caissière de supermarché, un étudiant
employé dans la restauration rapide occupent des emplois
précaires. Le salarié d'une entreprise de nettoyage
sous-traitante, la vendeuse en contrat à durée déterminée
également. Le travail à temps partiel, le travail
temporaire, les contrats à durée déterminée
concernent aujourd'hui 20 % de la population active. L'emploi précaire
se définit par la discontinuité des temps, l'intermittence.
Le droit entérine ces ruptures en évoquant les tâches
non durables des intérimaires - leurs « missions »
- et en considérant comme travailleurs à temps partiel
ceux dont la durée de travail mensuelle est inférieure
d'un cinquième à la durée légale du
travail.
A cette instabilité s'associent de faibles revenus et une
moindre protection sociale. L'emploi précaire, montre Patrick
Cingolani, remplit ainsi ses fonctions au sein des entreprises.
Il permet d'ajuster l'effectif salarié aux surcharges récurrentes
d'activités momentanées et de renforcer la subordination
des salariés aux employeurs, la perte d'emploi devenant un
objet de chantage et le moyen d'imposer des conditions de travail
dégradées.
En 1986, dans son livre L'Exil du précaire, Patrick Cingolani
s'était attaché à décrire les nouveaux
comportements de jeunes dont le rapport au travail était
subordonné au désir d'activités à caractère
esthétique, politique ou culturel. Sans renier ses anciennes
analyses, il les situe aujourd'hui dans un contexte économique
et politique beaucoup mieux défini. Certains jeunes salariés
tentent de travailler autrement. Des parcours singuliers se construisent,
ceux de jeunes gens qui, sur un pan de leur vie, sont musiciens
ou graphistes, sur l'autre, coursiers ou manutentionnaires. La précarité
a ses tactiques, destinées à harmoniser le temps d'épanouissement
personnel et le temps de travail. Pourtant, « il n'y a pas
de précarité qui soit une liberté, ceux qui
le disent à droite ou à gauche se bercent et bercent
d'illusions. »
Le plan de cette mise au point bien informée et méthodique
est éloquent, puisqu'il fait se succéder l'étude
de l'emploi précaire, des pratiques des précaires
et de la précarité comme manifestation spécifique
de la pauvreté. La dimension culturelle de la pauvreté
a changé. Elle n'apparaît plus sous la forme des bidonvilles
à la périphérie des métropoles. La nouvelle
pauvreté est à penser sous le signe de l'accumulation
des précarités. Elle est le produit d'une somme de
handicaps et de vulnérabilités psychiques, familiales
et professionnelles qui s'accumulent et conduisent à la désorganisation
des rythmes, à la lésine et aux tracas, à la
maladie aussi, puis à la désocialisation provisoire
ou définitive.
Refusant tout misérabilisme, Patrick Cingolani envisage
« une politique de la précarité ». Tenue
pour exemplaire, la lutte récente des intermittents du spectacle
témoignerait de la volonté nouvelle d'associer les
potentialités d'épanouissement de l'emploi discontinu
et la protection de l'assurance-chômage.
Reste que les discontinuités temporelles de la précarité
traduisent d'abord une sujétion et une humiliation. Prendre
son temps n'est pas donné à tous.
Jean-Paul Thomas
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