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Origine :
http://pagesperso-orange.fr/libertaire/archive/2000/230-ete/bakounine.htm
Comme vous le savez, les anarchistes ne sont pas idolâtres.
Ils et elles n'ont ni dieu, ni maître, vivent sans entraves
l'amour libre loin des prisons matrimoniales et se refusent catégoriquement
à appeler leurs enfants, filles ou garçons, Buenaventura,
Emma, Louise, Rosa ou Pierre-Joseph. Quand ils ou elles s'entichent
d'un animal, ils ou elles l'appellent Le Chat, Le Chien et non Goldman,
Durrutti ou encore Kropotkine !
Ceci étant dit, célébrons sans chichi, le
185ème (ou 186ème ?) anniversaire de la naissance
de Mikhaïl Alexandrovitch Bakounine, né au fin fonds
de la tsariste Russie, à Premoukhino, le 30 mai 1814.
Ses parents font partie de la petite noblesse russe, plutôt
ouverte d'esprit et libérale dans ces temps où c'était
fort rare. À 14 ans, comme beaucoup de jeunes nobles, Michel
Bakounine est envoyé à l'école d'artillerie
de Saint-Pétersbourg pour y apprendre le métier des
armes. Mais le lascar n'a guère de goût pour l'uniforme
et la discipline. Au bout de quelques années, le voilà
qui prend le chemin de l'Université de Moscou pour s'y goinfrer
de philosophie, et notamment celle de l'Allemand Hegel.
À 26 ans, il fait ses valises et se rend à Berlin
dont l'Université est fort réputée. Lentement,
il commence à faire son éducation politique, fréquente
les milieux démocrates et anti-tsaristes. Du coup, sentant
que la police politique s'intéresse d'un peu trop près
à son cas, il quitte l'Allemagne pour la Suisse, la Belgique
puis, la France. C'est là qu'il fait la connaissance de Marx,
Engels et Proudhon, des milieux exilés allemands et polonais.
À la demande de ces derniers, il se fait même orateur
et déclame déjà suffisamment fort pour que
l'État français sous la pression tsariste ne l'exile
outre-Quiévrin.
Nous sommes en 1848. À Paris, la révolte gronde.
Bakounine quitte sans attendre Bruxelles. On le voit sur les barricades,
participer à un journal intitulé La Réforme
dans lequel il déclare que la révolution périra
si la royauté ne disparaît pas complètement
de la surface de l'Europe. Dans la foulée, il se rend à
Prague pour participer au congrès des slaves autrichiens,
congrès qui d'ailleurs se termine en émeute, puis
à Dresde où, la encore, la colère est dans
la rue. Arrêté, fait prisonnier il est condamné
en 1850 à la peine de mort. Finalement, la Saxe décide
de se débarrasser de l'encombrant en le livrant aux terribles
geôles tsaristes. Nous sommes en mai 1851.
Enfermé dans la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg
puis déporté au fin fond de la Sibérie, il
restera prisonnier du Tsar 10 ans. En 1861, il parvient à
s'échapper de la terrible Sibérie par le Japon, puis
les États-Unis.
De retour en Europe, il reprend contact avec tous ceux qu'il a
connus en 1848. Installé en Italie, le Bakounine presque
quinquagénaire a radicalisé son discours. Il est devenu
anti-autoritaire. Le voilà qui fonde une société
secrète, La Fraternité internationale. Ses premiers
textes anarchistes naissent à cette époque : il y
a le Catéchisme révolutionnaire, puis Fédéralisme,
socialisme, antithéologisme.
Dans la foulée, il crée l'Alliance internationale
de la démocratie socialiste pour laquelle il obtient, en
1868, l'adhésion à l'Association Internationale des
Travailleurs, dont le leader charismatique et redoutable a pour
nom Karl Marx.
Au sein de cette Première Internationale, Bakounine et Marx
vont s'affronter très durement. Querelle de personnalités
trop fortes ? En partie, sûrement. Mais beaucoup de choses
opposent les deux hommes. Pour Bakounine, Marx est un autoritaire
de la tête au pied. Voici ce qu'il écrit à propos
de Marx : Marx a toujours été sincèrement,
entièrement dévoué à la cause de l'émancipation
du prolétariat, cause à laquelle il a rendu d'incontestables
services, qu'il n'a jamais trahie sciemment, mais qu'il compromet
immensément aujourd'hui par sa vanité formidable,
par son caractère haineux, malveillant et par sa tendance
à la dictature au sein même du parti des révolutionnaires
socialistes.
En 1871 éclate la Commune de Paris. Tandis que Marx dédaigne
l'action des communards, considérant que seul le mouvement
ouvrier allemand est réellement mûr pour faire la révolution,
Bakounine se jette dans le combat à Paris et à Lyon
où une éphémère Commune voit le jour
avant d'être sauvagement réprimée. De nouveau,
il est contraint à prendre la fuite et trouve refuge dans
le Jura suisse auprès de son ami James Guillaume. Là-bas
au sein de la communauté des horlogers libertaires, il reprend
le combat au sein de l'AIT. Son discours anti-étatique et
anti-parlementaire fait des émules en Italie, en Espagne,
en Belgique. Cela déplaît inévitablement à
Marx et Engels. Dès l'année suivante, à la
Haye, le congrès de l'AIT met une dernière fois aux
prises anarchistes et marxistes. Les seconds l'emportent ; les anarchistes
sont exclus, l'AIT déménage sous la pression de Marx
aux États-Unis où elle va s'éteindre inévitablement.
Bakounine, vieilli, usé par tant de luttes et d'années
de cachot, désabusé, se retire lentement de la vie
politique. Le 1er juillet 1876, il s'éteint à Berne,
en Suisse. Un jour, c'est sûr, j'irai m'y recueillir, mais
sans idolâtrie aucune...
Si je vous parle aujourd'hui de la vie sulfureuse et faramineuse
du camarade Bakounine, cela ne tient évidemment pas au seul
fait que le lascar a vu le jour le 30 mai 1814. Non ! Si je vous
en parle ce soir, c'est parce que les éditions Calmann-Lévy
ont eu le bon goût et l'intelligence de rééditer
la biographie qu'a consacrée Madeleine Grawitz au révolutionnaire
russe. En plus de 600 pages, cette agrégée de droit
public nous fait voyager dans les pas du géant russe, nous
parle de sa vie et de ses combats. Publié pour la première
fois chez Plon en 1990, ce livre est donc de nouveau disponible
dans toutes les bonnes librairies. Seul regret, évidemment,
son prix.
Celles et ceux que la perspective de lire un tel pavé effraie,
qui n'ont pas les moyens de le payer, ni le désir de le voler,
peuvent toujours commander la brochure coéditée par
les Éditions du Monde Libertaire de Paris et Alternative
Libertaire de Bruxelles. Cette brochure au prix modique de 100 fb
ou 20 ff rassemble deux textes très intéressants.
Le premier a pour auteur Amédée Dunois, militant anarchiste
qui s'est rapproché ensuite des socialiste jauressiens, avant
d'adhérer en 1920 au Parti communiste. Il s'agit d'une biographie
courte mais globalement positive, publiée en 1909. Le second
est de René Berthier. Berthier est un militant connu et respecté
dans le milieu anarchiste et anarcho-syndicaliste. On lui doit,
outre de nombreux articles, trois ouvrages de qualité ! L'Occident
et la guerre contre les arabes aux Éd. L'Harmattan, ouvrage
qui jette un regard critique sur la guerre du Golfe et le droit
international ! Ex-Yougoslavie - Ordre mondial et fascisme local,
coédité par les Éd. du ML-ACL-Réflexes
! et en 1991, un Bakounine politique passionnant aux Éd.
du ML, notamment pour celles et ceux qui portent un intérêt
à la question identitaire.
Dans cette petite brochure, Berthier revient sur les principales
idées de Bakounine, sa critique du parlementarisme, du marxisme
et de son État "populaire", du suffrage universel,
etc... Si la Grande Faucheuse me laisse encore un peu en paix, il
n'est pas dit qu'à la rentrée prochaine, je ne vous
inflige pas un ou deux articles sur les idées de ce phénomène.
Ne dites pas non, cela me fait plaisir.
Bref, cela se lit vite, bien et c'est riche d'enseignements. À
ma connaissance, cette brochure appelée sobrement Michel
Bakounine est toujours disponible à la vente. N'hésitez
pas à la commander par correspondance !
Si vous fréquentez les bouquinistes, peut-être tomberez-vous
un jour sur les livres suivants que j'ai lus et que donc je vous
conseille
- Bakounine - La liberté, un choix de textes publié
par les Éd. Pauvert
- La pensée constructive de Bakounine,
ouvrage rédigé par l'anarchiste Gaston Leval et publié
par les Éd. Spartacus
- ou encore le Bakounine - La vie d'un
révolutionnaire écrit par Kaminsky et réédité
en 1971 par les Éd. Bélibaste.
Bonnes lectures estivales.
Patsy
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