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Date: 07 Février 2004
Subject: [infozone_l] BBA France: "Philippe Lemoine, patron
et intello", la colonisation expérimentale du quotidien
Le 7/02/04 9:29, Pedro a écrit :
« BBA France: Palmares de l'edition 2003 deux membres de la
Commission nationale de l'informatique et des libertes ont ete nomines
dont l'un selectionne dans la categorie Ensemble de son oeuvre.
Le premier, Philippe Lemoine, a ete reconduit pour cinq ans il y
a quelques jours, alors que ses activites privees (Galeries Lafayette)
sont incompatibles avec la loi de 1978. »
Vous pouvez zapper la sauce qui suit (déjà diffée
sur la liste électronique de la coord des intermittents et
précaires d'idf, ici dégraissée et remaniée)
pour lire, plus bas, l'article du Monde sur ce Philippe Lemoine
: exemplaire patron contemporain, ex-recentreur CFDT des années
70, artisan de ce nouveau contrôle préventif qui voit
grand patrons et intellectuels collaborer ouvertement depuis la
"refondation sociale " du Medef.
Lorsque, samedi 6 décembre dernier, bloqués par la
volaille en bleu aux abords de Matignon, les manifestants exécutèrent
un pas de coté pour visiter un autre temple, la visite du
Bon Marché résultait d'une proximité géographique.
Un passage aux Lafayettes eut été bienvenu... La modernité
culturelle EST marchande. Elle a ses prédateurs et camelots
de luxe - l'instar de Philippe Lemoine et ses galeries commerciales.
La grande distribution, exploitation "moderne".
Celle de ses travailleuses-travailleurs précaires bien sûr,
mais aussi d'une extension lucrative de la colonisation du quotidien
qui caractérise la culture (Une autre asphixiante culture
était donc possible !). L'inventivité sociale gratuite,
sous payée et capturée est ressource fondamentale
de l'extraction de sur-valeur.
La part culturelle du CHIFFRE d'affaires augmente ? C'est que la
culture est l'industrie qui produit la meilleure des marchandises.
S'y actualise sans cesse cette usine diffuse qui déborde
toutes les entreprises particulières pour enrégimenter
le temps vécu.
À travers la com et ses outils, où le TRAVAIL VIVANT
peut manifester sa puissance, le CAPITAL se trimballe. Ce capital
que l'on disait "fixe" est devenu lui aussi mobile, reliant
domiciles et entreprises en réseau. La vie quotidienne laboratoire
avec pour programme : atelier partout, droits sociaux nulle part.
La subordination salariale classique exige son complément
en terme de contrôle. Quel merveilleux organe éthique
de régulation la que nihil...
Il fait froid dans le monde et cela commence à se savoir
Laurent
Philippe Lemoine, patron et intello
LE MONDE | 06.01.04 |
Le coprésident des Galeries Lafayette aime mêler la
réflexion à ses activités de chef d'entreprise.
Il organise un débat sur la modernité au Théâtre
du Rond-Point, à Paris.
Dans un premier temps, le rendez-vous avait été fixé
dans son bureau des Galeries Lafayette, au septième étage
du boulevard Haussmann, à Paris.
Finalement, Philippe Lemoine opte pour l'Echangeur, rue des Archives,
dans le Marais. Avec ses murs orange vif et ses canapés design,
le bâtiment qui abrite Cofinoga, la filiale de crédit
à la consommation du groupe, se veut aussi une vitrine des
technologies de l'information, une sorte de club d'échanges
sur le commerce électronique.
"On a besoin de lieux pour incarner des idées",
affirme Philippe Lemoine.
Même si le coprésident des Galeries Lafayette n'avouera
jamais qu'il se sent mieux là que sous les lambris haussmanniens,
le contenant aide sûrement à mieux parler du contenu.
Car la grande affaire du moment pour Philippe Lemoine, ce ne sont
pas les soldes qui commencent cette semaine, mais ce grand débat
qu'il organise les 6 et 7 janvier, au Théâtre du Rond-Point,
à Paris, intitulé "Modernité 2004".
Pendant deux jours, le patron réunit une pléiade de
têtes bien faites pour débattre des rapports qu'entretient
la France avec la modernité. Des "auditions publiques"
entrecoupées de "respirations artistiques"(installations
multimédia de Du Zhenjun, interludes musicaux de Pascal Dusapin).
L'initiative pourrait passer pour une danseuse. Ce serait mal connaître
le personnage. Un intellectuel, un vrai. "Il aime à
la fois l'action et l'idée, dit de lui le sociologue Dominique
Wolton, avec qui il a fréquenté Sciences-Po et qui
est resté l'un de ses meilleurs amis. C'est quelqu'un qui
ne renonce pas à ses utopies, alors qu'il baigne dans le
monde économique et financier."
A 55 ans, Philippe Lemoine revendique haut et fort cette image
de "patron intello". Il est une exception dans le petit
milieu des entreprises de distribution où les dirigeants,
bien que bardés de diplômes, se piquent avec un certain
snobisme de se définir comme de simples "épiciers".
Lui se refuse à faire croire que le génie est spontané
: "Si on ne veut pas uniquement gérer mais innover,
il faut créer des occasions pour se forger des certitudes
sur des idées justes, et ça n'est possible qu'avec
du travail, des échanges, des discussions avec le monde intellectuel."
C'est en voulant créer ce lien entre action et réflexion
que Philippe Lemoine s'est lancé le défi d'organiser
ces rencontres "Modernité 2004". "Un travail
de dix ans", lâche-t-il du haut de son double mètre.
Son but ? "Provoquer un déclic, la France n'a pas assez
réfléchi sur le thème de la modernité."
Pour y parvenir, Philippe Lemoine cherche à décloisonner
la réflexion en réunissant sur une même scène
un parterre mêlant sociologues (Edgar Morin ou Dominique Wolton),
patrons de grands groupes (Bertrand Collomb, de Lafarge, ou Ernest-Antoine
Seillière, président du Medef), syndicalistes (Denis
Cohen, de la CGT, ou Marc Blondel, de FO) et ministres d'hier et
d'aujourd'hui (Michel Rocard ou Jean-Louis Borloo). Finalement,
ce casting ressemble au parcours de Philippe Lemoine, qui a toujours
navigué aux confins de la politique, de l'entreprise et de
la réflexion.
DU PUBLIC AU PRIVÉ
Au départ, rien ne le prédisposait à devenir
président des Galeries Lafayette. Après Sciences-Po
et une licence de droit, Philippe Lemoine commence une carrière
de chercheur. Il milite à la CFDT et contribue, au côté
d'Edmond Maire, au recentrage du syndicat. En 1976, il prend la
responsabilité du dossier "Informatisation de la société"
au ministère de l'industrie.
Au début des années 1980, Philippe Lemoine prend
ses distances avec la haute administration. La suite est une histoire
de famille. Son épouse, née Moulin, est l'une des
héritières des Galeries Lafayette. "Dans les
années 1980, certains faisaient des pieds et des mains pour
entrer dans le privé, moi je me suis plutôt fait désirer",
note-t-il.
Sous la pression familiale, Philippe Lemoine se laisse convaincre.
Il se dit séduit par l'humilité nécessaire
pour comprendre les mécanismes de la consommation. En 1998,
à la mort du président des Galeries, Georges Meyer,
la famille lui propose, ainsi qu'à son beau-frère,
Philippe Houzé (marié à une autre fille Moulin),
de partager la tête du groupe. "Au départ, j'étais
très sceptique sur cette direction en tandem, aconte Jacques
Calvet, membre du conseil de surveillance du groupe et ancien président
de Peugeot. J'ai une vision monarchique du pouvoir, mais il faut
bien reconnaître qu'aujourd'hui cela fonctionne bien : Houzé
apporte son expérience et son professionnalisme, tandis que
Lemoine tire vers l'avant en apportant une constante volonté
d'évolution."
Car, tout patron qu'il est devenu, Philippe Lemoine n'a pas coupé
les liens avec la réflexion. Marylise Lebranchu, alors ministre
du commerce, l'avait appris à ses dépens en 1997,
lors de l'inauguration de l'Echangeur. En introduction, Philippe
Lemoine livre un brillant exposé sur le citoyen consommateur
via l'analyse des économistes italiens des XVIIIe et XIXe
siècles. "J'ai été obligée de ranger
mon discours officiel dans ma poche et j'ai tenté d'improviser
quelque chose sur Habermas, se souvient Mme Lebranchu. Il a une
curiosité perpétuelle, un goût d'apprendre sans
aucun égoïsme car son envie est de partager pour faire
comprendre." Cette envie est perceptible à la façon
qu'il a d'accélérer son débit, à la
limite de l'audible, lorqu'il veut convaincre.
Philippe Lemoine est souvent là où on ne l'attend
pas. Un de ses interlocuteurs se souvient avoir remarqué
sur son poignet le bracelet d'entrée à un concert
de Johnny Hallyday, qui avait eu lieu la veille. Ce patron ne se
prend jamais au sérieux. "Il aime le pouvoir, mais n'en
est pas dupe, analyse Dominique Wolton. C'est une vraie qualité
de croire plus en la transformation de la société
qu'à ses propres rôles."
Pour Jean-Michel Ribes, le directeur du Théâtre du
Rond-Point, à qui a été confiée la mission
de faire de "Modernité 2004" quelque chose de "léger"
grâce à une mise en scène décalée,
"Philippe Lemoine n'est pas habillé du statut de grand
patron. Quand j'ai rencontré cet homme, il y a six mois,
on m'aurait dit il est éditeur, responsable de galerie d'art
ou chasseur de tigre en Birmanie, je l'aurais cru". La vérité
du personnage est sans doute plus simple.
Comme le dit Jean-Michel Ribes, "il se passe toujours quelque
chose dans la tête de Philippe Lemoine". Une phrase qui
résonne comme un slogan des Galeries Lafayette.
Stéphane Lauer
Biographie 1949 Naissance à Neuilly-sur-Seine.
1976 Responsable du dossier "Informatisation de la société"
au ministère de l'industrie. Participe à ce titre
à la rédaction du rapport Nora-Minc.
1998 Coprésident des Galeries Lafayette.
I N F O Z O N E
web page : http://listes.samizdat.net/wws/info/infozone_l/
fil d'infos : http://infos.samizdat.net/blog/
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