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Origine http://www.vacarme.eu.org/article85.html
Vous êtes un groupe, mouvement ou association, vous ne disposez
pas a priori d’une parcelle de parole autorisée à
la télévision. Vous voulez cependant utiliser la télé
comme instrument de propagation de votre discours, mais sans trop
en être victime, sans que votre discours y soit déformé,
tronqué, ou détourné.
Inutile de rêver à votre propre émission, vous
serez toujours inscrit dans un dispositif avec lequel il vous faudra
jouer Une seule exception à notre connaissance : la chronique
francilienne du Télé Bobine, qui nous a fait rêver
durant 4 mois d’une télé ouverte sur la réalité.
Sans contrôle lors de l’enregistrement ni censure au
montage, cet espace fut investi précisément par les
plus exclus de la télé. Mais c’est fini, et
ce n’était pas l’audience de TF1.
Autrement, il faut bien bricoler. Tous les groupes, associations,
ou mouvements issus de luttes sociales et politiques, ne peuvent
se passer de l’instrument qu’est la télévision.
Certains ont donc intégré une stratégie particulière
envers la télévision, dès leur création.
C’est le cas, entre autres, de Greenpeace, d’Act Up
et du DAL (Droit au logement). Cela demande une connaissance minimale
de l’aménagement technique du temps et de l’espace
publics que se sont appropriés ceux qui exercent le pouvoir
médiatique.
Voici donc plusieurs procédés, expérimentés
à ce jour, pour tenter de vous faire entendre à la
télé.
1) Créer un événement
Cette stratégie repose sur l’attrait des médias
pour le spectaculaire et l’inédit. L’actualité
est souvent constituée par ce qui ferait désordre
dans un ordre supposé établi et continu des choses.
Elle s’adresse en premier lieu aux journaux télévisés.
Il s’agit avant tout de fournir de l’illustration, des
images, et à cette occasion d’inviter les médias
à faire leur propre enquête.
Greenpeace utilise systématiquement cette stratégie,
tout comme Act Up (« encapotage » de l’obélisque
de la place de la Concorde), ou encore les militants anti-FN (banderole
déployée sur la façade de l’Opéra
Garnier), le DAL investissant des immeubles inoccupés, etc.
Ce procédé d’action a malheureusement aussi
été intégré par les commandos anti-avortement.
Mais pour ces derniers, par delà la portée médiatique,
il s’agit surtout de traumatiser les femmes qu’ils empêchent
d’avorter.
À jouer ainsi sur la fabrication d’images fortes et
émotionnelles, le risque principal est d’abandonner
entièrement au journaliste le soin de fabriquer le discours.
L’image est traditionnellement le lieu de l’émotionnel
et le texte celui de la rationalité. Essayez donc d’adapter
votre discours aux normes du journal télévisé,
prévoyez des interventions courtes et un langage à
la limite du slogan, intégrez votre discours aux images par
exemple sur des pancartes ou des banderoles. Là encore, malheureusement,
cette forme de pensée par slogans et simplifications semble
mieux convenir au FN qui s’attaque avant tout aux grands fantasmes
collectifs, qu’aux pensées plus subtiles et plus élaborées.
Mais il faut alors savoir opposer une inventivité et une
étrangeté de slogans multiples (« silence =
mort », « nature = vie », etc.) au ressassement
sombre des deux, trois mêmes équations simplistes (immigration
= chômage).
Choisissez enfin une date creuse en événements, faites
jouer la concurrence entre les différentes chaînes,
et sachez vous faire désirer, notamment, en ne dévoilant
jamais complètement à l’avance l’événement
que vous allez créer
2) Fournir de l’information
Il s’agit de se constituer en agence de presse, dont les
informations peuvent être reprises par les journaux télévisés,
et par toutes les émissions de débats. C’est
une méthode efficace si le dossier est suffisamment complet,
et sans grand risques. Sauf peut-être celui de heurter la
susceptibilité des journalistes professionnels qui refusent
de vous considérer comme une véritable agence de presse.
Vous pouvez avoir parfois la désagréable surprise
de voir votre dossier réduit quelques points d’une
importance secondaire pour vous.
3) Se faire inviter sur son thème
Si vous êtes déjà un peu reconnu en tant que
groupe, ou en tant que personne, vous pouvez avoir l’opportunité
de participer à une émission. Réussir à
placer quelques unes de ses revendications au cours des débats
ne va pas sans difficultés. Tout intervenant va se retrouver
prisonnier d’une règle du jeu qu’il ne maîtrise
pas, soumis aux décisions du présentateur qui distribue
les temps de parole, et fait généralement du chantage
au temps. Les conditions « naturelles » de la discussion,
de l’expression et de la réflexion sont largement faussées
et entamées par les dispositifs techniques de ces émissions.
Il vaut mieux renoncer à ce genre de participation, si l’on
ne se sent pas le courage de supporter tout cela et de batailler
avec, si l’on ne possède pas une certaine connaissance
du mode d’intervention instauré dans l’émission
et du statut de sa parole. Ne pas rêver au quart d’heure
de gloire, car on sort la plupart du temps frustré et humilié
Pour éviter la dépression « post-passage à
télé », mieux vaut ne pas se laisser emporter
par la logique du débat, ne pas se disperser en répondant
à des questions qui n’ont aucun rapport avec votre
propos. Il faut essayer de réduire son discours à
un point, et y revenir au besoin. Un dernier conseil : renoncer
définitivement aux talk-shows du type « Mireille Dumas
et ses amis ».
4) Perturber l’émission (hors règle
du jeu)
La stratégie consistant à profiter du dire pour créer
un scandale en interrompant l’émission, quels qu’en
soient le genre et thème, fait beaucoup rêver. Il y
a quelque années, l’irruption intempestive demeure
envisageable. Aujourd’hui la télévision transformée
en bunker, particulièrement les studios de direct. L’arrivée
d’une trentaine sans-papiers, devant le hall de France 2 à
20 heures, provoqua cet hiver la fermeté immédiate
de toutes les issues et le déploiement de C.R.S. dans toutes
les rues avoisinantes.
Rêvons un peu ! Vous parvenez quand même à franchir
le triple sas de l’entrée, vous arrivez jusqu’au
plateau sans perdre la moitié des militants en route, vous
déployez votre banderole et vos pancartes devant les caméras
sans trop vous prendre les pieds dans les câbles. Mais attention
! Vous risquez fort d’être avalés par l’émission
et intégrés au décor, en particulier dans ces
shows « bric-à-brac » qui digèrent tout
ce qui se présente. Vous n’aurez pas le temps de dire
grand chose d’intéressant, et vous passerez finalement
pour des guignols. La télévision ne supporte pas que
soit cassé le rythme et le rituel établis.
5) Perturber une émission (de l’intérieur)
Certaines émissions de débats prévoient l’intervention
du public, il est a priori relativement aisé d’y participer.
Il faut alors entrer au moment opportun dans le débat. Vous
êtes dans une position relativement privilégiée,
qui permet d’éviter le strict face à face dans
lequel le présentateur enferme souvent les interlocuteurs
principaux, réduisant leurs discours à une opposition
circonstancielle. En outre, vous bénéficiez du respect
et de la politesse que la télé instaure envers cet
intervenant venu du public, peut-être parce que son statut
fait de lui une figure emblématique du téléspectateur
Cependant il faut savoir qu’on ne vous donnera pas la parole
à plusieurs reprises. Il vaut mieux donc se limiter à
une seule intervention et surtout, ne jamais rendre la parole avant
d’avoir tout dit.
6) Produire ses propres images
Vous aurez ainsi l’avantage de maîtriser toutes les
étapes : élaboration du discours, tournage et montage.
Avec un minimum de matériel et quelques compétences
techniques, tout groupe peut envisager la fabrication de produits
audiovisuels. Cela peut aller des simples images de ses actions
qui pourront être utilisées par les journaux télévisés,
au film ou clip plus élaborés. Pour ces derniers,
trouver un diffuseur à la télévision devient
plus difficile ; toute image quelque peu militante se voit généralement
refusée par les chaînes.
7) Vendre sa structure
Dès qu’un groupe connaît une certaine renommée,
les émissions de reportages s’intéressent à
son fonctionnement. Les durées souvent conséquentes
de ces reportages permettent de vendre l’image du groupe et
d’instiller dans le PAF les messages que l’on veut faire
passer, même s’ils disparaissent très souvent
derrière la fascination pour les structures. Il vous sera
difficile de contrôler ce qui est filmé, et vous ne
posséderez aucune maîtrise des différentes étapes
de la production. Cependant il en restera toujours quelque chose
!
8) Se greffer sur un autre événement
Du défilé du 14 juillet à la visite de la
crèche locale par un ministre, tout événement
qui attire des caméras peut être investi, qu’il
soit ou non en relation directe avec le discours que l’on
veut faire passer. Mais on court le risque de voir son intervention
devenir purement anecdotique, de faire partie du décorum,
et d’être au mieux réduit au rôle de figurants
dans deux plans de quatre secondes (voir point 4). Il vaut mieux
ne pas trop s’engager dans ce genre d’action, sachant
que plus l’événement est considérable
- et donc potentiellement porteur - plus il devient difficile de
le détourner.
9) Participer à l’élaboration d’une
émission
Les « professionnels » de la télé ne
lâchent pas facilement une partie de leur pouvoir, essentiellement
par peur des dérapages. Cela peut se produire dans les grands
shows humanitaires, type Téléthon et Sidaction. Même
en participant aux premières étapes de la fabrication
de ces émissions, vous vous retrouverez rapidement en porte-à-faux.
Jamais considéré comme un véritable collaborateur,
vous serez rapidement contraint de faire des compromis, et de laisser
l’ultime pouvoir de décision aux « professionnels
», d’autant plus que vous aurez des velléités
de discours politique. Il faudra essayer de rattraper in extremis
le flux de l’émission, et ne pas hésiter à
se plaindre sur le plateau, en direct (voir Act Up lors des Sidactions).
Vous connaissez les limites et les difficultés de l’utilisation
de la télévision à des fins politiques. Mais
ne vous privez pas de cet espace public, ce serait ridicule. Envisager
la télévision comme un lieu infréquentable
est une position réservée à ceux qui ont d’autres
lieux de diffusion de leurs idées. Vous regrettez que la
télévision devienne l’arbitre l’accès
à l’existence politique ? Sachez vous en servir malgré
tout. Vous hésitez encore à le faire ? Espérez-vous
garder une sorte de virginité par rapport la télé
? Ne soyez pas si naïf.
Il est toujours possible de s’inscrire dans cet espace public,
ne serait-ce que dans quelque interstices du flux télévisuel,
car le mode de communication de la télé est tel qu’il
suffit d’occuper quelques parcelles de la continuité
pour y prendre une place visible.
On peut considérer la télévision comme dangereuse
pour la démocratie, car soumise à la logique de l’audimat.
On peut aussi y voir une technique qui participe à sa manière
aux processus de démocratisation. Des mouvements ou groupes
politiques ont réussi à faire passer leurs idées
en grande partie grâce à la télévision.
Apprendre à se servir de la télévision, ne
plus être passif et analphabète devant son fonctionnement
peut aider à transformer les normes télévisuelles
et à investir cet espace public qui pourrait être davantage
un miroir de toute la société.
Enfin, rappelez-vous que pour toute action publique, il n’y
a aujourd’hui rien de mieux qu’une caméra de
télévision pour vous protéger de la violence
toujours possible de la police, des vigiles, des militants FN. Encore
que depuis Saint-Bernard, on ne soit plus sûr de rien...
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