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De Palestine
salut à toutes et tous,
voici des nouvelles rapportées de Palestine, d'où
je rentre après une huitaine de jours passés entre
Bethlehem et Ramallah.
Sur place, dans les Territoires, la situation ne change pas : la
pression et l'oppression exercées par l'occupation militaire
(des morts chaque jour à Gaza, pas de levée des check-points
qui empêchent la circulation entre les villes palestiniennes),
l'avancée inexorable de la construction du Mur et des colonies
juives de peuplement en Cisjordanie, l'étouffement de l'économie,
la dégradation des conditions sanitaires, tout cela continue
malgré les déclarations d'intentions du gouvernement
israélien relayées par les medias occidentaux. Seule
l'agitation autour de l'élection présidentielle (pendant
que Mahmoud Abbas fait une grande campagne médiatique sans
encombre, les candidats d'opposition au Fatah ont à affronter
arrestations et intimidations de l'armée - Mustapha Barghouti,
candidat officiel "libre", soutenu par des franges du
PC et d'autres partis de gauche, a par exemple été
arrêté et interrogé 2 fois pendant plusieurs
heures la semaine dernière), seule cette campagne réactive
l'espoir des palestiniens (pas tous, car beaucoup ne se font guère
d'illusions sur ce qui peut advenir après l'élection)
que quelque chose bouge enfin dans le statu quo qu'ils connaissent
depuis 4 ans.
Mais ils craignent aussi qu'après le 9 janvier, quand les
projecteurs internationaux braqués sur le nouveau président
se seront tournés vers une actualité plus spectaculaire,
l'étau israélien se resserre et la colonisation s'accentue
de plus belle, avec son cortège de terres annexées,
de sources détournées, de barbelés autour des
champs d'oliviers et d'arbres fruitiers.
Actuellement, la vie est très chère en Palestine
: les produits agricoles de Gaza ne pouvant parvenir en Cisjordanie
à cause du blocus total qui paralyse la bande de Gaza, les
palestiniens doivent acheter les légumes et fruits israéliens,
vendus beaucoup trop cher pour le pouvoir d'achat d'un salarié
(15 shekels le kilo de tomate, soit 3 euros, quand le salaire moyen
d'un ouvrier ou employé palestinien est de 1500 shekels par
mois pour nourrir une famille de 8 à 15 personnes), sans
parler des innombrables sans travail qui ne survivent que par la
solidarité familiale et quelques litres d'huile et kilos
de farine distribués par l'office des réfugiés
de l'ONU.
A Bethlehem, où j'ai rencontré des personnels de
santé et visité l'hôpital de la fondation Caritas,
ainsi que le centre de soins ouvert dans le camp de réfugiés
de Deisheh pour tenter de pallier l'impossibilité de se rendre
dans les hôpitaux, les personnels soignants dressent un constat
alarmant : les maladies respiratoires sont de plus el plus graves,
l'asthme chronique invalidant notamment, y compris chez les tout-petits,
et l'accès aux médicaments est impossible à
la plupart des gens, faute d'argent pour les acheter (200 sheckels
un traitement contre l'asthme pour un mois, et pas de sécurité
sociale qui rembourse quoi que ce soit). Au camp de Deisheh, on
m'a demandé d'essayer de fournir des médicaments contre
l'asthme et des antalgiques, qu'un médecin du centre pédiatrique
Caritas pourrait recevoir et remettre au centre médical du
camp.
S'il y a des médecins et des personnels de santé parmi
nous, ou si nous en connaissons qui seraient prêts à
nous aider, peut-être pourrions-nous tenter de réunir
ces médicaments pour les acheminer sur place très
rapidement.
Le pharmacien du centre de soins m'a donné la composition
des médicaments dont il a besoin. Je peux communiquer ces
informations à toute personne intéressée.
A Ramallah, par l'intermédiaire de Sirine, la directrice
d'école qui faisait partie de la mission syndicale palestinienne
venue nous voir à Dole et Besançon fin novembre, j'ai
pu visiter son établissement (école privée
non-confessionnelle qui n'a de ressources que la participation des
familles), et discuter avec plusieurs membres du personnel. Comme
le français y est enseigné dès les petites
classes (il n'y a pas d'école maternelle spécifique,
et cette école accueille les enfants à partir de 3
ans), ils sont demandeurs d'aide pour accéder aux méthodes
récentes d'enseignement du français langue étrangère,
pour avoir des manuels produits en France, des cassettes et CD de
chansons et poésies françaises, et proposent un jumelage
avec une école française pour échange de correspondance
et travail commun.
A Ramallah toujours, j'ai revu Mahmoud (membre DWRC et responsable
comité des familles de prisonniers), Nayef (syndicat des
travailleurs des municipalités) et Karim (syndicat des personnels
de l'Université de Bir Zeit). Le groupe venu en France n'a
pas encore pu se réunir et faire un premier bilan (d'autant
que Maha est toujours ici en attente de son passeport, ce qui devrait
être résolu dans les prochains jours), mais tous ont
tenu à nous remercier pour l'accueil qui leur a été
réservé et la solidarité exprimée avec
le peuple palestinien dans toutes les villes où ils sont
passés. Ils m'ont aussi chargée de vous dire que vous
êtes les bienvenu-es en Palestine, qu'ils/elles espèrent
à leur tour pouvoir accueillir un groupe de nos régions
dès que possible et continuer une collaboration fructueuse
avec les réseaux, les associations, les syndicats.
J'ai aussi pu assister à une réunion "nationale"
des syndicats des travailleurs municipaux, qui sont en train de
structurer une Fédération, indépendamment de
l'Autorité palestinienne qui est leur employeur. 93 sections
syndicales sont actuellement impliquées dans ce projet de
Fédération. Nayef (municipalité Al Bireh) et
Khalil (Bethlehem) sont parmi les initiateurs de ce mouvement.
Wisam et les 3 autres syndicalistes de Jéricho licenciés
pour fait de syndicalisme ont été réintégrés
par décision de justice, mais la municipalité Fatah
refuse d'appliquer cette décision. Heureusement, les choses
peuvent évoluer favorablement puisque les élections
municipales qui viennent d'avoir lieu ont démis le maire
licencieur...
A Bethlehem aussi, le maire a perdu son poste.
Dans quelques autres municipalités du sud de la Cisjordanie,
le Fatah a aussi pris une veste (parfois aucun élu, alors
que la participation a dépassé les 80% malgré
l'appel au boycott du Hamas). Mais cela n'empêche pas les
militants politiques et syndicaux, y compris oppositionnels, dans
les villes du Nord surtout, de soutenir très fortement Mahmoud
Abbas, qui est perçu comme le candidat qui aura l'appui de
l'Europe, des USA, et négociera avec Israel de meilleures
conditions de vie pour les palestiniens.
Situation politique complexe donc, où ceux qui combattent
le Fatah et son système corrompu soutiennent aussi son candidat
à la présidentielle..., avec une inconnue : le taux
d'abstention. Abbas semble avoir négocié avec le Hamas
une paix des braves, et bien que ne présentant aucun candidat
(sur les 7 candidats officiels, seuls 4 sont connus par les gens
: Abbas, Mustapha Barghouti, le candidat soutenu par une partie
du FPLP, le candidat du PC. Les autres, dont l'un vit aux USA, sont
tout à fait inconnus de la population), le Hamas n'appellera
pas au boycott. De même, Abbas s'est assuré l'appui
de Zacharia, 25 ans, leader du mouvement des martyrs d'Al Aqsa,
recruteur de bombes vivantes paradant dans les rues de Naplouse,
ce qui fait dire aux palestiniens que ce jeune homme doit bien servir
les intérêts israéliens pour jouir d'une telle
liberté de mouvement...
Dans toute les villes de Palestine, de Jénine à Hébron,
des comités de chômeurs travaillent à se structurer
à l'échelle "nationale" (combien ce mot
est inadapté à un peuple sans Etat, sans autonomie,
sans lois propres) et ont besoin d'aide pour financer la location
et l'équipement d'un local où ils pourraient se réunir
et organiser leur activité. Avec un taux de chômage
qui atteint entre 40 et 70% des hommes en âge de travailler,
sans compter les femmes, et alors qu'il n'existe aucune protection
sociale pour les privés d'emploi et leurs familles, organiser
la solidarité et trouver des voies de survie pour les plus
démunis est une priorité absolue. Parallèlement,
le combat pour conquérir des droits sociaux, comme il peut
en exister dans les pays dits développés, est un des
moteurs de ces comités de chômeurs que les syndicats
institutionnels palestiniens ignorent chaque jour davantage. Quant
aux syndicats israéliens ou jordaniens, depuis Oslo et l'installation
de l'Autorité Palestinienne, sous prétexte d'"autonomie",
ils ne défendent plus les travailleurs palestiniens, ne soutiennent
plus ceux qui leur ont payé des décennies de cotisations,
du temps où ils travaillaient en Israel (ils étaient
des centaines de milliers jusqu'en 2000). Toutes les cotisations
sociales et syndicales versées par les palestiniens sont
confisquées par l'Etat et les bureaucraties, sans reversion
possible.
Dans la région d'Hébron, ce sont les paysans qui
demandent la participation des occidentaux à l'activité
agricole pour permettre un accès plus facile à leurs
terres en passant les barrières électrifiées,
ouvertes quelques minutes par jour en temps "ordinaires".
En effet, lorsque des témoins extérieurs sont susceptibles
de voir et entendre ce que vivent quotidiennement les palestiniens,
la pression militaire se relâche quelque peu et les soldats
ont plus de mal à perpétrer leurs humiliations et
la destruction des plantations d'arbres ou de légumes (les
oliviers sont "méthodiquement" coupés à
la tronçonneuse pour empêcher toute poursuite de l'activité
agricole et obliger les paysans à quitter leur terre).
La présence des européens limite aussi pour les palestiniens
le risque de se faire tirer dessus par les colons ou les militaires
qui interdisent l'accès aux terres agricoles sous prétexte
de couvre-feu pour "raisons de sécurité".
Après la récolte des olives, de septembre à
novembre, la saison des plantations commence maintenant et va durer
jusqu'à mars. Pour tous ceux qui ont du temps et veulent
s'impliquer concrètement dans la solidarité, plusieurs
contacts directs sont à disposition...
Enfin, j'ai rapporté de Palestine le produit de l'activité
de femmes brodeuses du camp de Deisheh, plusieurs sacs de tailles
diverses brodés à la main sur des motifs traditionnels.
L'achat de cette production artisanale permet de soutenir le travail
des femmes, qui sont souvent les seules à pouvoir trouver
une activité rémunérée dans ce contexte
économique difficile. C'est une reconnaissance sociale de
leur travail, et, organisées en comités de travailleuses,
elles luttent autant pour la conquête de leurs droits sociaux
que pour la survie de leurs familles.
Le prix à l'unité varie de 15 à 25 euros,
selon la taille.
Si vous êtes intéressé-e, faites-le moi savoir.
Je ne voudrais pas oublier de vous dire combien les Palestiniens,
partout où je les ai rencontrés, ont tenu à
saluer les marques de solidarité témoignées
à leur égard par le peuple de France au moment du
décès de leur Président Yasser Arafat. Ils
ont été particulièrement sensibles à
ce témoignage que leur lutte pour leurs droits en tant que
peuple n'est pas une lutte isolée, eux qui souffrent tant
de l'abandon des Etats arabes et de l'acharnemnt des puissances
coloniales à détruire leur culture, leur société,
leurs maisons, leurs terres, leurs vies.
Ils savent qu'ils ne sont pas seuls, et pouvoir compter sur la
solidarité et l'aide des peuples amis soutient leur volonté
de continuer la lutte pour une vie libre et digne qu'ils mènent
avec tant de détermination et de courage.
Souhaitons que l'année 2005 ne les déçoive
pas et soit pour eux à nouveau le moment d'espérer.
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