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L’armée israélienne est colonisée par les religieux
René Backmann, Médiapart,
lundi 15 décembre 2014

Origine : http://www.france-palestine.org/L-armee-israelienne-est-colonisee

Année après année, l’armée israélienne s’est « théocratisée ». Les rabbins se font désormais inspecteurs des casernes et négocient les missions et le statut des soldats avec les hauts gradés. Cette présence désormais massive de religieux ultra-orthodoxes pose le problème du rôle politique de l’armée et de son attitude si elle reçoit un jour l’ordre d’évacuer les 500 000 colons de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Datée du 9 juillet, au deuxième jour de l’opération « Bordure protectrice » contre la bande de Gaza, la lettre porte la signature du colonel Ofer Winter, commandant de la brigade Givati, l’une des plus célèbres unités d’infanterie de l’armée israélienne.

Né à Kyriat Ata, à l’est de Haïfa, formé à l’école militaire religieuse Bnei David, dans la colonie d’Eli, au coeur de la Cisjordanie, le colonel Winter, qui porte la kippa des juifs ultra-orthodoxes, est un soldat de choc. Pendant ses classes, il s’est porté volontaire pour le commando d’élite Sayeret Matkal, puis pour les parachutistes et l’unité spéciale Maglan, chargée de l’infiltration derrière les lignes ennemies, avant de coiffer le béret violet de la brigade Givati et d’en prendre le commandement en 2013.

Qu’un commandant d’unité de combat parle ou écrive à ses hommes avant une offensive pour préciser le sens et la valeur de leur mission est assez banal, en Israël comme ailleurs. Ce qui l’était moins, dans la lettre du colonel Winter, dactylographiée en hébreu et frappée de l’emblème des Givati, un renard pourpre, c’était le ton. Et le choix des arguments mobilisateurs. Après avoir affirmé à ses « chers officiers et soldats » qu’ils avaient « le grand privilège de commander et de servir dans la brigade Givati », il affirmait qu’ils avaient été « choisis par l’histoire pour être le fer de lance du combat contre l’ennemi terroriste qui maudit, défie et profère des blasphèmes contre le Dieu des armées d’Israël ». Et il concluait en adressant au ciel une prière : « Dieu d’Israël, donne-nous la victoire, aide-nous à vaincre cette bataille pour Ta Nation, Israël, contre un ennemi qui maudit Ton nom. »

Dérapage mystique d’un dévot en uniforme ? Égarement rhétorique d’un soldat en proie à une soudaine exaltation messianique ? Non. Choix décomplexé, assumé, d’un officier religieux qui ne voit pas de frontière entre son devoir de soldat et sa mission de croyant. Et établit sa propre hiérarchie entre les ordres de l’État, du gouvernement et les injonctions divines.

Car Ofer Winter ne s’en est pas tenu là. Quelques semaines plus tard, alors que l’offensive contre la bande de Gaza était toujours en cours, le commandant de la brigade Givati a accordé une longue interview à l’hebdomadaire ultra-orthodoxe Mishpacha dans laquelle il affirmait qu’il ne regrettait pas un mot de sa lettre. « Ceux qui m’ont attaqué à propos de ce texte, expliquait-il, n’ont vu des armes qu’en photo, n’ont jamais combattu et ne savent pas ce qu’est l’esprit du combat. Lorsqu’une personne se trouve dans une situation où sa vie est en péril, elle se trouve confrontée à ses vérités les plus profondes, et dans ces cas-là, même l’athée le plus athée rencontre Dieu. »

Dans la même interview, Ofer Winter allait plus loin encore en confiant à Mishpacha que son unité avait miraculeusement bénéficié de la protection divine au cours d’une opération. « Un raid nocturne que nous avions préparé a été retardé et le soleil venait de se lever lorsque les soldats se sont mis en route en direction de leur objectif, ce qui les exposait à l’ennemi. À ce moment précis, un brouillard épais est descendu du ciel pour couvrir leurs mouvements jusqu’à la fin du raid. Et il ne s’est dissipé que lorsqu’ils se sont retrouvés à l’abri, mission accomplie. C’était clairement l’exaucement du verset : Le Seigneur Dieu est celui qui t’accompagne pour te donner la victoire », ainsi qu’il est écrit dans le Deutéronome.

Éclipsé par le fracas de la guerre qui se poursuivait à Gaza, l’incident a connu un écho modeste dans les médias israéliens. Quelques observateurs, civils et militaires, rendus vigilants par le poids croissant de la religion dans la société, la politique et les institutions israéliennes ont déploré l’initiative du colonel Winter. Les nostalgiques de l’Israël des pionniers ont rappelé que David Ben Gourion voulait une armée sans sectarisme, respectueuse des lois religieuses de base (respect de la cacherout et de la règle du Shabbat) mais loyale à l’État, au gouvernement, à l’état-major, sans lien avec les partis politiques et les autorités religieuses. L’incident était pourtant révélateur. D’autant qu’il n’était pas le premier du genre.

Début 2009, s’adressant à des soldats réunis sur la base de Tse’elim, dans le Negev, avant de participer à l’opération « Plomb durci », dans la bande de Gaza, un rabbin avait soutenu que « la bataille de Gaza est la guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres ». Un « halo de sainteté nous enveloppera dans cette guerre », avait poursuivi le religieux. Au cours du même rassemblement, une brochure du rabbinat militaire avait été distribuée aux soldats. On y lisait notamment qu’il est « interdit de céder un seul millimètre de la terre d’Israël » et que la cruauté à l’égard de l’ennemi « est parfois une vertu ».

Dans les années 1960, l’armée n’était pas une cible pour les religieux

En novembre de la même année, s’exprimant devant les étudiants de l’école militaire religieuse de la colonie de Karnei Shomron, à l’est de Qalqiliya, le rabbin Avichai Rontsky, aumônier en chef de l’armée israélienne, s’était référé au discours de Maimonide sur les lois de la guerre pour avertir ses auditeurs que « tout soldat qui manifesterait de la pitié à l’égard de l’ennemi serait damné ».

En 2005, déjà, lorsque l’armée israélienne avait été mobilisée pour participer à l’évacuation des colonies de la bande de Gaza, des signes inquiétants de « dissidence religieuse » avaient été constatés au sein de certaines unités. Affirmant que la participation à cette opération était proscrite par la loi divine, plusieurs rabbins avaient demandé aux soldats de désobéir aux ordres de l’état-major. Ancien officier devenu chercheur, Ze’ev Drori était alors de ceux qui mettaient en garde le monde politique israélien contre une évolution redoutable.

« Depuis l’élection de Menahem Begin comme premier ministre, en 1977, expliquait-il, une nouvelle religion est en train de se substituer, au sein de l’armée, à la vieille "religion de la sécurité nationale", c’est la "religion de la rédemption". Ses fidèles ont le devoir de se rebeller contre les institutions du gouvernement et de l’armée, si ces dernières agissent en contradiction avec les prescriptions de la religion ou les droits qui ont été accordés au peuple juif en vertu de la promesse divine. »

L’état-major avait réagi en plaçant les unités militaires en deuxième ou troisième rideau, derrière les policiers, au cours des opérations d’évacuation des colonies de Gaza, pour éviter que des soldats portant les kippas tricotées des colons soient directement confrontés aux colons chassés de leurs maisons. La manoeuvre semblait avoir réussi : 63 soldats seulement avaient refusé d’obéir aux ordres. Ce qui n’avait pas rassuré Drori. « Comment une armée nationale unifiée, s’interrogeait-il, peut-elle accepter que les missions assignées à ses unités soient choisies en fonction de critères religieux ? La volonté des Forces de défense d’Israël de trouver un compromis avec le camp national religieux pose clairement un problème de principes aux officiers ».

« Dans les années 1960 et 70, l’armée n’était pas une cible pour les religieux. Au contraire, nombre d’entre eux, et au premier chef leurs rabbins, redoutaient même le risque de sécularisation des croyants que créait leur coexistence sous l’uniforme avec les laïcs », explique Yagil Levy, spécialiste de l’armée au département de sociologie et de sciences politiques de l’Université ouverte de Raanana.

« De leur côté, ajoute-t-il, les militaires qui ne voulaient pas se retrouver dans l’obligation de prendre des dispositions spéciales pour les religieux pratiquants, les écartaient des unités de combat et les cantonnaient dans des unités auxiliaires ou dans l’administration. Le problème de la présence croissante des hommes à kippa dans l’armée a commencé à se poser après la Guerre d’octobre, en 1973, puis au lendemain de la première guerre du Liban en 1982. En manque de personnel, et confronté à l’arrivée massive de conscrits issus de la classe moyenne, qui avaient d’autres rêves que de combattre, l’état-major s’est efforcé d’attirer les jeunes religieux. En multipliant les marchandages avec les rabbins et les arrangements spécifiques destinés à faciliter l’enrôlement des religieux pratiquants. »

C’est à cette époque qu’a été créée la première académie militaire religieuse, Bnei David, à Eli, celle-là même où fut formé le colonel Winter. D’année en année, grâce à l’hospitalité bienveillante ou à l’indifférence imprudente de l’état-major, le nombre de soldats religieux a commencé à croître, particulièrement dans l’armée de terre. La marine et surtout l’aviation, demeurant, jusqu’à ce jour, manifestement moins attirantes. Ou moins accueillantes. Pourquoi ? « Parce que la formation scientifique et technique requise des aviateurs est peu compatible avec l’étude assidue de la Torah, explique un officier. Mais aussi, et peut-être surtout parce que c’est l’infanterie qui est, sur le terrain, chargée de défendre et protéger les colonies, d’où sont issues la majeure partie des recrues religieuses. »

Les rabbins sont ainsi devenus, progressivement, les partenaires institutionnels des responsables militaires. Au point de débattre avec eux des questions de statut des conscrits, d’organisation du service, voire de déploiement des unités. « Aujourd’hui les responsables des ressources humaines de l’armée, les commandants de division, les gens de l’état-major ont totalement accepté l’empreinte des rabbins dans l’armée, confirme Yagil Levy. Ils sont même contents de négocier avec eux. De leur déléguer une partie de la formation des soldats. Tant qu’il a été au pouvoir, Ben Gourion a refusé la création des Hesder Yeshiva où les études talmudiques sont poursuivies parallèlement à la formation militaire puis au service actif, pendant cinq ans. La première a été créée en 1965, deux ans après son départ du pouvoir à Kerem Yavneh, près d’Ashdod. En 1998 il en existait déjà 30. En 2011, il y en avait 68, rassemblant 8 500 étudiants. Dans le même temps sont apparus des commandants de bataillon, de division, et même, dans les années 1990, les premiers généraux religieux. »

« Un besoin de rattacher les soldats aux valeurs juives »

Observateurs extérieurs et officiers hostiles à la « théocratie militaire » sont d’accord sur ce point : pour la première fois, au début des années 2000, les rabbins ont jugé la « masse critique » de religieux au sein de l’armée suffisante pour tenter de convaincre leurs étudiants de désobéir s’ils recevaient l’ordre d’évacuer des colonies. L’état-major y a répondu en recourant, comme il l’a fait en 2005 à Gaza, à une stratégie de déploiement qui évite aux soldats de se retrouver confrontés aux colons. Une manière de contourner le problème sans le résoudre. Une étape décisive de la théocratisation de l’armée a été franchie dans les années 2000, après la « deuxième intifada », lorsque certains commandants qui déploraient l’effet démobilisateur des accords d’Oslo sur le moral de leurs troupes, ont entrepris de combattre le libéralisme des conscrits, contaminés par l’hédonisme de l’heure, et de promouvoir au sein de leurs unités la ferveur nationaliste qui leur faisait défaut en s’appuyant sur les valeurs juives traditionnelles. L’état-major a concentré ses efforts sur la réforme des corps d’éducation, au sein de l’armée. Et les rabbins militaires ont saisi cette occasion pour revendiquer?–?et obtenir?–?un rôle accru dans l’encadrement et la formation des jeunes soldats.

La tâche a été entamée par le rabbin militaire en chef Israël Weiss et poursuivie, à partir de 2006, par son successeur Avichai Rontsky. Né dans une famille non-religieuse d’Haïfa, devenu croyant et rabbin sous l’uniforme, Avichai Rontsky a créé la hesder eshiva de la colonie d’Elon Moreh, près de Naplouse, avant de participer en 1984 à la naissance de la colonie d’Itamar, où il dirige toujours l’école talmudique. Auteur d’un guide en quatre volumes des règles de la vie religieuse à l’usage des militaires, il a imposé l’idée que les religieux étaient plus aptes au combat et meilleurs soldats que les laïcs et entrepris de ramener dans la bonne voie les recrues non-croyantes, ouvrant avec certains des officiers chargés de la formation un conflit qui n’a toujours pas été réglé.

Dans une lettre adressée aux officiers du rabbinat militaire en octobre 2008, Avichai Rontsky assurait qu’il « existait un besoin crucial de rattacher les soldats à leurs racines et aux valeurs juives » et qu’il revenait aux rabbins militaires d’inculquer ces valeurs aux recrues. Sous son autorité, le rabbinat militaire avait même distribué, début 2009, des « études quotidiennes de la Torah pour les soldats et officiers de l’opération Plomb durci » critiquées, par le spécialiste des affaires miliaires de Haaretz, Amos Harel, pour leur nationalisme aux frontières du racisme.

Comme on pouvait le redouter, ce poids croissant des religieux au sein de la hiérarchie et de l’institution militaire s’est aussi traduit par une offensive contre la mixité de l’armée, spécificité historique des Forces de défense d’Israël.

Jusqu’au début des années 2000, le rôle des femmes n’avait cessé de s’étendre. Longtemps cantonnées aux tâches de soutien et à l’administration, elles avaient bataillé jusqu’à faire leur apparition dans les unités de combat et même dans l’armée de l’air. En 2001, Roni Zuckerman, petite-fille de rescapés de l’insurrection du ghetto de Varsovie, était devenue la première pilote d’avion de combat de l’armée de l’air israélienne. Confronté à un sérieux problème de main d’oeuvre, l’état-major, selon Yagil Levy, avait alors jugé judicieux d’être plus attentif aux revendications des féministes, d’autant qu’il y était encouragé par plusieurs décisions de la Cour suprême et par un amendement à la loi sur le service militaire adopté en 2000 qui garantissait des droits strictement égaux aux femmes et aux hommes à servir dans l’armée. En 2011, 33 % des soldats et 51 % des officiers de l’armée israélienne étaient des femmes.

Bien qu’il ait rencontré celle qui allait devenir sa propre femme dans l’armée, au cours de son service militaire, le général-rabbin Rontsky était ouvertement hostile à la promiscuité des sexes qu’entraîne la vie militaire. À ses yeux, la présence de femmes dans les unités de combat nuisait à l’efficacité du déploiement et à l’ardeur à la guerre des hommes. Cela avait conduit à l’époque le député travailliste Ophir Pines Paz à demander au ministre de la défense, Ehoud Barak, une enquête sur les activités du rabbinat militaire, accusé « d’outrepasser son autorité, qui consiste à fournir des services religieux ».« Rontsky, écrivait Pines Paz, mène une campagne agressive pour convaincre les soldats des Forces de défense d’Israël de devenir des religieux pratiquants. En agissant ainsi, il sape les fondements des relations entre religieux et laïcs au sein de l’armée, et utilise l’institution militaire pour promouvoir ses idées religieuses et politiques. »

« La coopération entre soldats religieux et colons a créé une nouvelle réalité en Cisjordanie »

La réponse de l’état-major aux inquiétudes de Rontsky et des rabbins militaires, largement relayées hors de l’armée au sein des courants nationalistes et ultra orthodoxes, a été, une fois encore une concession aux religieux les plus radicaux. Édictées en 2002, des « Règles d’intégration appropriées » avaient pour but de séparer les femmes et les religieux dans les unités de combat, d’éviter le voisinage de leurs vêtements et de donner aux soldates des uniformes plus « décents ». Ces règles offraient aussi aux soldats religieux de servir dans des unités exclusivement composées d’hommes. Pour veiller à l’application de cette réglementation, l’état-major avait accepté la création d’une administration spéciale, dirigée par… des rabbins, qui oeuvrent comme les gardiens de la décence, inspectant les camps militaires, traquant les causes de promiscuité, soulevant les problèmes permanents d’impudeur que pose, à leurs yeux, la présence des femmes parmi les hommes. Ce qui s’est traduit, selon un officier attaché à la « neutralité religieuse » de l’armée, par l’exclusion des femmes de nombreux rôles.

« Si au sein d’un bataillon, 20 % des soldats sont religieux, explique cet officier, et si leurs délégués vont voir le commandant en l’informant qu’ils n’adresseront pas la parole à l’administratrice ou qu’ils refuseront d’obéir à la monitrice de sport, il y a de grandes chances que le commandant, qui ne veut pas avoir de problèmes, obtienne de ses supérieurs le remplacement de l’administratrice et de la monitrice de sport par des hommes. »

Lorsqu’en septembre 2011, neuf soldats religieux ont quitté une cérémonie à l’école d’officiers parce qu’un orchestre comprenant deux chanteuses venait de prendre place sur scène, le commandant de l’école a exclu quatre des « rebelles » qui se déclaraient prêts à recommencer. Mais l’état-major a accepté de revoir la réglementation de ce genre de cérémonies pour tenir compte du nombre de soldats religieux dans les unités de combat.

D’arrangements en arrangements, de petits reculs engrandes concessions, grâce à la complicité ou la négligence des responsables politiques, les religieux ont étendu leur influence au sein de l’armée, dans l’indifférence totale de la majeure partie de la population non-religieuse. Tout comme ils ont fini par « oublier » l’existence des Palestiniens, relégués au-delà du mur de séparation, la majorité des Israéliens, comme leur représentation parlementaire, se sont désintéressés de l’évolution de leur armée. Et ce, au moment où elle était littéralement colonisée par les religieux.

« Sur les 29 écoles de formation militaires aujourd’hui en activité, constate Yagil Levy, 16 sont religieuses, 8 mixtes et 5 laïques. À l’école d’officiers de l’infanterie, le pourcentage d’officiers religieux est passé de 2,5 % au milieu des années 1990 à plus de 25 % au milieu des années 2000 et près de 10 % de fonctions de combat sont désormais assurées par des gens issus des Hesder yeshiva ou des écoles religieuses de formation militaire. Selon mes calculs, en 2011, un tiers des réservistes, officiers et soldats venaient de Cisjordanie, ce qui signifie qu’ils étaient des colons.

« Des généraux comme Yaacov Amidror (le premier général religieux), qui tenait les laïcs pour des "goys parlant hébreu", ou Elazar Stern, qui a utilisé l’armée comme parcours de conversion au judaïsme des immigrants chrétiens de Russie, ont été les artisans de cette évolution. Ce qui m’inquiète aujourd’hui n’est pas de savoir ce que les soldats religieux feront le jour J, s’ils obéiront ou non à un gouvernement qui leur ordonnerait d’évacuer les colonies, mais de savoir jusqu’à quel point ils sont capables de retarder, voire d’empêcher ce jour J.

« Une chose est claire : la coopération informelle mais quotidienne entre soldats religieux et colons a créé une nouvelle réalité en Cisjordanie. Il arrive même qu’un véritable fossé apparaisse entre les intentions du commandement suprême et la manière dont elles sont traduites au niveau de la brigade, du bataillon, et à plus forte raison, de la compagnie ou de la section, sur le terrain. »

Attendre dans ces conditions que l’état-major prête l’oreille aux partisans de la neutralité religieuse de l’armée, ou aux défenseurs des droits de l’homme, en sanctionnant les dérapages d’Ofer Winter, ou au moins en ouvrant une enquête sur ses propos et son mode de commandement, relève de l’angélisme. Certes, il ne figurait pas, au lendemain de l’opération « Bordure protectrice », dans la liste des colonels promus au grade supérieur. Mais il a été envoyé poursuivre plusieurs années durant sa formation stratégique à l’Institut de la sécurité nationale. Ce qui peut le conduire à un confortable placard kaki. Ou lui ouvrir une voie royale vers le poste prestigieux de chef d’état-major.