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To: "Multitudes infos" <multitudes-infos@samizdat.net>
Date: Wed, 23 Mar 2005 21:13:54 +0100
Subject: [multitudes-infos] la firme mondialisée
Voici l'article paru dans Le Monde d'aujourd'hui de Carlos Ghosn,
actuel dirigeant de Nissan, prochain dirigeant de Renault, de nationalité
brésilienne. Il est un formidable condensé, intelligent,
de la manière dont pensent les patrons des firmes mondialisées.
Il ne faut pas sous-estimer ce type d'adversaire.
Philippe Zafirian
"Je m'apprête à diriger l'alliance Renault-Nissan.
Je suis heureux de retrouver professionnellement la France, que
j'ai quittée il y a six ans pour le Japon, et particulièrement
heureux de le faire chez Renault. Ancrée de longue date dans
le paysage industriel français, Renault est aujourd'hui une
entreprise emblématique de la France qui ose, de la France
qui gagne. Avec Louis Schweitzer, nous avons partagé des
moments forts au service de l'avenir du groupe. L'alliance Renault-Nissan
a constitué un des plus beaux défis que nous ayons
eu à relever ensemble. C'est, depuis 1999, une formidable
aventure industrielle et humaine ; un partenariat dans lequel l'union
concourt à la performance des deux entreprises, chacune conservant
son identité et sa culture. L'alliance entre un grand constructeur
européen, Renault, et un grand constructeur japonais, Nissan,
a donné naissance au quatrième groupe automobile du
monde, l'un des plus innovants et des plus rentables.
C'est avec confiance et enthousiasme que j'aborde ces nouvelles
responsabilités, car je crois en nos capacités, celles
de notre pays et de ses entreprises, à s'adapter aux exigences
du monde d'aujourd'hui comme de demain. J'aborde également
cette mission avec un certain nombre de convictions. Plusieurs années
d'expérience en France, au Brésil, aux Etats-Unis
et au Japon, l'intensité de l'action comme la diversité
des réflexions échangées avec les acteurs industriels
à travers la planète ont conforté mon approche
et forgent ma vision de l'entreprise du XXIe siècle. Notre
époque porte une marque de fabrique qui s'impose aux entreprises
comme à notre pays : le dépassement des frontières.
Le monde ancien avait pour principe d'organisation la frontière,
séparant le dedans du dehors, le connu de l'inconnu, avec
la force des simplicités binaires. Nationales, linguistiques,
culturelles, les frontières fonctionnent à la manière
de fractales : on en découvre de nouvelles à mesure
que l'on regarde de plus près. Ainsi apparaissent les frontières
opérationnelles et fonctionnelles, celles qui séparent
les savoirs, les métiers, les approches. Mais le monde actuel
se construit sur le dépassement de ces frontières.
Désormais, le contact est plus important que la séparation
; l'échange, plus enrichissant que la juxtaposition ; la
confrontation, un moindre risque que l'indifférence et l'isolement.
Dans le monde qui s'ouvre à nous, les frontières
nationales sont remises en question par la mondialisation, les frontières
culturelles transcendées par le multiculturalisme et, au
sein de l'entreprise, les frontières fonctionnelles et opérationnelles
s'effacent devant la transversalité des méthodes.
Ces dépassements de frontières comportent naturellement
des conséquences pour l'entreprise de demain : le franchissement
des frontières devient une condition du succès. L'entreprise
doit agir à l'échelle de la planète en s'appuyant
sur des collaborateurs issus de multiples cultures, et gagne à
être décloisonnée pour réunir des talents
complémentaires et assembler des intelligences de tous horizons.
Dans ce monde ouvert, je suis convaincu que la diversité
des cultures est une dimension essentielle pour l'entreprise. Choisissez
la diversité, elle vous le rendra au centuple. Dès
lors qu'une entreprise conduit ses opérations sur les marchés
mondiaux, il est indispensable de tenir compte des besoins et des
valeurs de cultures variées. C'est une question de compréhension,
d'efficacité, de vitesse et, finalement, de performance.
Il s'agit d'utiliser les différences et de jouer des complémentarités
pour apprendre et grandir, tout en renforçant sa propre identité.
Garder ses racines tout en ouvrant la porte à un changement
constructif grâce à un échange réciproque
: voilà ce que la mondialisation doit permettre. La diversité
des cultures ne signifie pas la confusion, la dilution de l'identité,
le règne de l'uniformité. Au contraire, elle est inséparable
du respect des différences et constitue une source infinie
d'enrichissement mutuel.
Au sein de l'entreprise, ce sont également les cloisonnements
fonctionnels qui peuvent être abolis grâce à
une plus grande transversalité. Elle invite à regarder
au-delà de son périmètre opérationnel
et suppose de se défaire de ses idées préconçues
pour confronter les approches et multiplier les angles de vue. Plus
que d'un concept, il s'agit d'une attitude qui requiert de l'écoute,
de la curiosité et de l'imagination. La transversalité
renvoie aussi à la vision d'une société moins
verticale et hiérarchisée, plus horizontale et réticulaire.
Une société où la distance diminue entre ceux
qui décident et ceux qui exécutent. Parce qu'elle
responsabilise davantage les acteurs, la transversalité est
un élément puissant d'implication, de motivation et
donc de performance.
Dans ce monde où les frontières s'estompent, un impératif
émerge avec toujours plus de force, identique en tout point
de la planète : la performance. C'est une langue universelle.
Qualité, coûts, délais : elle se parle de la
même manière au Japon, en Europe ou aux Etats-Unis.
La performance est un devoir. Un devoir vis-à-vis de nos
clients, qui attendent de nous le meilleur ; un devoir vis-à-vis
des femmes et des hommes collaborateurs, partenaires, actionnaires
qui font vivre l'entreprise et en partagent les fruits ; un devoir
enfin vis-à-vis de notre pays, dès lors que la compétitivité
de ses entreprises lui permet de relever le défi de la mondialisation.
Créatrice de valeur, ouverte à la diversité
culturelle et transversale dans ses approches, c'est ainsi que je
vois l'entreprise performante du XXIe siècle.
Quel doit être, en son sein, le rôle d'un dirigeant
? Qu'est-on en droit d'attendre de lui ? Trois choses principalement
: l'engagement sur des objectifs, la transparence dans l'action
et la responsabilité des résultats. Telles sont, à
mes yeux, les conditions de son autorité et de sa légitimité.
L'engagement d'un dirigeant se fonde sur des objectifs. Ambitieux
en même temps que réalistes, ils doivent traduire une
stratégie de long terme en leviers de mise en oeuvre opérationnelle.
Ainsi, les plans successifs engagés chez Nissan depuis 1999
le "plan de renaissance de Nissan", "Nissan 180"
et "Nissan Value-Up" se sont tous articulés autour
d'objectifs clairs, quantifiables, mesurables et échelonnés
dans le temps. A titre d'exemple, le plan "Nissan Value-Up",
qui couvrira la période 2005-2007, se décline en trois
engagements majeurs : 4,2 millions d'unités vendues à
travers le monde en fin de plan, une rentabilité au plus
haut niveau des constructeurs généralistes et un taux
de retour moyen sur les capitaux investis supérieur ou égal
à 20 %. Ces objectifs doivent être exposés à
toutes les parties prenantes de l'entreprise, tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur. L'engagement requiert un ingrédient
supplémentaire : la volonté de transparence.
A une époque où l'information ne connaît plus
de frontières, où elle est virtuellement accessible
à tous, à tout moment et en tous lieux, il est indispensable
d'en assurer l'authenticité et la fiabilité. Ce n'est
pas qu'une question d'éthique. Le secret et la dissimulation
peuvent se révéler dévastateurs. Diriger une
entreprise impose un devoir de vérité et de transparence.
Les vérités sont parfois brutales, mais ce n'est pas
être brutal que de les révéler. Il est même
de la responsabilité d'un patron d'avoir le courage et l'honnêteté
de les affronter, de prendre les décisions qui s'imposent
et de les expliquer. Pour cela, j'ai l'habitude de partir d'une
feuille blanche, d'observer sans a priori et d'écouter les
différents acteurs dans tous les secteurs et à tous
les niveaux. Puis, sur la base d'un diagnostic partagé, des
solutions pragmatiques peuvent être élaborées
en commun, décidées et mises en oeuvre. Un dirigeant
est enfin personnellement et totalement responsable des résultats.
Il assume à la fois le passé, le présent et
l'avenir de son entreprise. Je crois profondément à
la nécessité, pour le chef d'entreprise, de s'engager
puis de rendre compte. Il n'y a pas d'échappatoire. Il faut
dire ce que l'on va faire et faire ce que l'on a dit. C'est fidèle
à cet esprit que, le 2 mai, tout en conservant la direction
de Nissan, je vais retrouver Renault... Je vais retrouver "les"
Renault.
Ce sont d'abord les femmes et les hommes qui font la valeur d'une
entreprise : leur talent, leurs compétences, leur engagement,
leur passion. Pour moi, ni la performance ni l'efficacité
ne sont possibles sans une vision et une volonté partagées
par tous, sans un consensus actif sur son devenir. Rien n'arrête
des femmes et des hommes motivés et performants. Performants,
parce que motivés par un défi commun. J'irai à
leur rencontre dès ma prise de fonctions. Je connais les
Renault, mais je sais que je dois les redécouvrir. Ils me
connaissent, mais je reviens vers eux, riche d'une expérience
nouvelle à partager et avec l'envie de vivre ensemble des
moments forts. Depuis son origine, l'alliance est à réinventer
sans cesse. Sa réussite apporte dès aujourd'hui la
démonstration de l'intérêt d'une stratégie
mondiale fondée sur un partenariat respectueux de l'identité
et de la culture de chaque entité et favorisant les synergies
par-delà les frontières. Renault-Nissan préfigure
à mes yeux l'entreprise de demain. C'est en perpétuant
cet équilibre dynamique, avec tous les collaborateurs de
Renault et de Nissan, que nous allons poursuivre la croissance d'une
alliance résolument tournée vers l'avenir." par
Carlos Ghosn
Philippe Zarifian
site personnel : http://perso.wanadoo.fr/philippe.zarifian/
m u l t i t u d e s - i n f o s
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