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Paul Veyne cite Foucault dans son livre “ Foucault, sa pensée,
sa personne ”, éditions Albin Michel, Paris, 2008,
214 pages.
Origine : Le matricule des anges
http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=59837
Se tenant à distance de l'hommage compassé et, en
même temps, de la vaine glose érudite, l'historien
Paul Veyne redonne vie à celui qui fut, à la fois,
comme Socrate, un penseur et un homme, un homme vivant sa pensée.
Le titre aurait de quoi nous effrayer (à moins qu'il faille
voir là de l'ironie...) : Foucault, sa pensée, sa
personne, cela nous remet en mémoire des dizaines de vieux
volumes que l'on trouve encore, çà et là, dans
des bibliothèques mal assorties, des Voltaire, sa vie, son
oeuvre ou, pire encore, La Vie passionnée d'Arthur Rimbaud.
Mais il s'agit bien, pour Paul Veyne, de tenter de nous faire approcher
le nouage, la liaison vitale, entre le parcours intellectuel et
la personnalité de Foucault, d'écrire en quelque sorte
une biographie spirituelle.
Ajoutons ce point essentiel : Veyne fut, de Foucault, l'ami, ou
du moins, ainsi qu'il se présente avec modestie, l'interlocuteur.
Ils ne partageaient ni l'orientation politique ni l'orientation
sexuelle (pour user d'euphémismes) mais furent cependant,
de longues années durant, des complices intellectuels. C'est
donc à un parcours sinueux, riche de digressions, mais toujours
vif et perspicace que Veyne nous convie, à travers une oeuvre
qu'il semble approcher avec une sorte de gourmandise, d'enjouement
- et à laquelle il mêle judicieusement ses propres
objets d'étude : la société romaine, l'avènement
du christianisme...
Dès l'entrée Veyne s'attaque à ce qui demeure
parfois un cliché facile (répandu en particulier par
les adversaires d'une prétendue " pensée 68 "
qu'ils modelèrent à leur usage polémique, les
Ferry, Lévy et complices) : loin d'être un " nihiliste
" destructeur, Foucault fut avant tout un sceptique. Il "
n'admettait aucune transcendance fondatrice " : nous n'avons
pas accès à la vérité puisque "
la " vérité n'existe pas. Il n'y a que des "
discours ", qu'il s'efforça de mettre au jour dans différents
domaines. Il s'agit là de " l'ultime différence
" de " chaque formation historique ". L'Antiquité,
par exemple, se soucia d'une économie des " plaisirs
", là où le christianisme médiéval
pensait la question de " la chair " et l'époque
moderne cette construction conceptuelle que représente la
" sexualité ". De même c'est un certain "
discours ", historiquement repérable, qui considéra
les fous comme des malades mentaux - et agit avec eux en conséquence.
Ces " discours " sont en effet en même temps au
coeur de " dispositifs " qui les mettent en oeuvre, et
qui sont, résume Veyne, " les lois, actes, paroles ou
pratiques qui constituent une formation historique, que ce soit
la science, l'hôpital, l'amour sexuel ou l'armée. "
C'est bien en s'attachant à étudier des pratiques,
repérables en particulier dans les archives, que Foucault
peut mettre au jour ces " discours-dispositifs ". Il y
a donc là, Veyne y insiste, des points de rencontre avec
les historiens - qui l'ont pourtant, au départ, mal accueilli,
mésestimé. Nul nihilisme non plus dans la " phrase
fatale " qui clôt Les Mots et les Choses : " L'homme
s'effacera, comme à la limite de la mer un visage de sable
" ; ceci " signifiait simplement qu'on pouvait dire de
quoi l'homme était fait, mais non interroger "l'être
de l'homme" comme Heidegger ou son intériorité
comme Sartre ".
Enfin, si nous n'avons jamais affaire qu'à des vérités
" ensablées " (Foucault) dans les discours qui
la visent ou la formulent, nous pouvons réagir face à
ces configurations de savoir-pouvoir qu'elle détermine. Foucault
croit à la liberté humaine, aux choix individuels,
d'ordre civique et politique bien sûr : " Il ne cesse
d'employer le mot de stratégie, entendant par là la
fin choisie dans une lutte où il s'agit de vaincre ".
Foucault fut un " militant ", Veyne dit même un
" samouraï ", engagé, y compris avec un certain
courage physique, dans de nombreux combats - en particulier à
propos des prisons. C'est qu'en définitive - et là
est la leçon ultime - " sur le terrain pratique de l'action,
l'irrationalisme foucaldien [en fait le scepticisme tel que nous
l'avons décrit] débouche sur un décisionnisme
individuel ". Dans nos luttes, l'intellectuel spécifique
peut venir, non pas guider (maître-penseur ou prophète)
ceux qui lui seraient inférieurs, mais proposer " une
critique de l'actualité qui se garde de donner des prescriptions
pour l'action, mais lui fournit des connaissances ". Laissons
Foucault conclure : " Le rôle d'un intellectuel est de
ruiner les évidences, de dissiper les familiarités
admises ; il n'est pas de modeler la volonté politique des
autres, de leur dire ce qu'ils ont à faire. De quel droit
le ferait-il ? "
Foucault, sa pensée, sa personne de Paul Veyne, Albin Michel,
219 pages, 16 e
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