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Barbara Stiegler La Nouvelle raison du monde :
Essai sur la société néolibérale
Pierre Dardot & Christian Laval
Présentation par Barbara Stiegler (MCF en philosophie à Bdx 3) à la MSHA, le 04/03/10

Origine : http : //www.timothee-duverger.fr/article-la-nouvelle-raison-du-monde-dardot-laval-46117804.htm

Questionnements de l'intervenante

Barbara Stiegler, spécialiste de Nietzsche, dit que, dans ses recherches, elle s'intéresse à la notion d'adaptation qu'elle relie à la question des flux. Il s'agit de notions importées de la biologie dans le domaine de la pensée politique et philosophique. Pour elle, néolibéralisme et ultra-libéralisme (concept politique peu consistant) sont à différencier. Elle s'interroge : le néolibéralisme est-il un libéralisme hypertrophié ou un phénomène nouveau?

Présentation de l'ouvrage

Pour lire Dardot et Laval, il faut croiser leur livre à celui de Boltanski et Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme, et à la retranscription du cours de 1978/79 de Foucault au Collège de France, Naissance de la biopolitique. Dans l'introduction, les deux auteurs reprennent 3 thèses formulées par Foucault pour caractériser le néolibéralisme :

le néolibéralisme = une anthropologie, une politique de la vie (manière dont nous vivons, sentons, pensons). Ce n'est pas une doctrine économique, ni une idéologie. C'est une nvlle rationalité qui nous façonne jusque dans notre intimité. C'est une mutation anthropologique, une théorie de la société, de l'homme et du vivant. Le penseur de l'ordolibéralisme Alexander Rüstow parle d'ailleurs de Vitalpolitik : le néolibéralisme prend en compte la situation vitale totale.

Son essence = la promotion de l'individu en compétition, partout et tjrs il impose la même norme à l'entreprise de soi : une unité individuelle en concurrence/compétition avec toutes les autres entités. C'est une redéfinition du marché avec le passage de l'échange à la concurrence.

Le néolibéralisme s'oppose au capitalisme des monopoles pour faire des individualités (y compris collectives). L'entreprise = la forme universelle. L'objectif est de permettre l'autonomie des choix individuels pour l'organisation de sa vie personnelle reposant sur le risque permanent inhérent à la concurrence. C'est le gouvernement de soi : individu = foyer du gouvernement de soi; l'individu = unité concurrentielle contre monopoles. C'est une critique néolibérale du capitalisme. L'enjeu n'est plus le calcul ou la marchandisation (dénoncés par l'école de Francfort), mais de faire régner l'entreprise et la concurrence. Il ne faut pas confondre le néolibéralisme avec les néoclassiques. Il y a une norme, le passage de l'homme producteur/consommateur à l'homme compétitif. Il ne s'agit pas d'uniformiser le corps social en le massifiant mais de démultiplier et différencier les entreprises. Le néolibéralisme est différent de la marchandisation et du laisser-fairisme. Le cœur du néolibéralisme, ce n'est pas l'État minimal des libertariens ni le laisser-fairisme des libéraux. Le libéralisme = l'auto-limitation de la raison gouvernementale; alors que le néolibéralisme = nveau mode de gvt sans limites qui impose la mise en concurrence, c'est une intervention permanente des institutions politiques, une instauration active de la concurrence.

Il existe deux courants néolibéraux :

un courant naturaliste et laisser-fairiste : celui de Reagan-Thatcher-Greenspan, qui hérite de Friedman-Hayek-Von Mises, qui lui-même hérite de Spencer;

un courant plus artificialiste, le plus pur : l'ordolibéralisme de Rüstow, Röpke, etc.

Les deux sont à différencier des libertariens tels que Nozik.

Les secteurs prioritaires du néolibéralisme sont la santé et l'éducation. Les néolibéraux ont construit l'idée de capital humain : santé + éducation + bientôt environnement. C'est le sens fondamental de la mutation anthropologique néolibérale. On passe de l'homo oeconomicus classique à l'homo oeconomicus néolibéral : l'individu est son propre capital, il est par exemple enjoint à soigner son capital santé. Foucault va très loin en suggérant que le maternage pourrait être intégré dans le calcul du capital humain. Un capital humain qui ne cesse d'inclure de nvx secteurs... L'enjeu, c'est une plus gde adaptabilité. L'éducation a pour enjeu la capacité d'adaptation, l'objectif étant de s'adapter en permanence au chgt, l'enjeu fondamental étant l'employabilité (avec par exemple la formation tt au long de la vie).

Au cœur du néolibéralisme, ce n'est pas tant la question de l'État ou de son intervention active que celle de l'adaptabilité. La gauche contemporaine, en particulier avec Tony Blair et Gerhard Schröder, reprend ces thèmes. Ce sont des notions de la biologie évolutionniste : compétition, adaptation, sélection des plus aptes, évolution. Elles servent à construire l'injonction à l'autonomie néolibérale. Mais il existe d'autres formes d'autonomie. Par ailleurs, toute mise en compétition est-elle néolibérale? Non, il existe des formes anciennes de compétition, telles que les tournois et les joutes. Il y avait une dimension agonistique dans la cité. Le concours, est-ce néolibéral? Foucault note une reprise néolibérale de la notion de souci de soi.

Réflexions complémentaires de l'intervenante

L'individu néolibéral se caractérise par la lutte biologique pour l'existence qui l'oblige à l'adaptation. C'est une version biologique de la compétition comme lutte pour l'existence, très différente de la joute. Les origines biologisantes du néolibéralisme se trouvent chez Spencer. Philosophe anglais très influant à la fin du XIX°, il a transféré les catégories biologiques dans le champ philosophique et a même influencé jusqu'à Darwin lui-même qui reprend son concept de « sélection des plus aptes ». C'est un auteur oublié, mais qui reste très présent...

3 domaines sont investis : le travail, la santé et l'éducation. Le marché élimine les moins aptes plutôt que de mettre en place une coopération par l'échange. Ces thèmes biologisants restent même lorsque les ordolibéraux abandonnent l'évolutionnisme biologique. Le passage s'est opéré par Sumner aux États-Unis. On parle d'ailleurs d'un « évolutionnisme » hayékien.

Le néolibéralisme (plutôt sa branche ordolibérale) parle d'une création artificielle du marché. Pourquoi Foucault ne parle-t-il pas de Spencer? Il prend trop au sérieux la critique du biologisme par les ordolibéraux allemands. Foucault établit qu'ils ont suivi les cours d'Husserl sur la phénoménologie et qu'ils en ont retenu que l'eidos est à construire par l'histoire et ne devrait rien au biologisme. Pour Foucault, il y a donc une rupture qui se caractérise par l'artificialité, mais n'est-ce pas plutôt un transfert de la biologie vers la philosophie?

Il y a une temporalité libérale qui liquide tout ce qui relève de la stase et toute capacité à s'individuer. Cela vient de son origine biologique : l'évolution (= temporalité). Plusieurs catégories de la biologie sont reprises. Lippman parle aussi bcp d'adaptation, il y a besoin d'hommes nvx, d'où l'importance de l'éducation, d'où l'école pensée à partir de la question de l'employabilité.

L'adaptabilité est une notion très présente dans le néo-management décrit par Boltanski et Chiapello. Elle est corrélée à la compétition et provoque l'instabilité généralisée du sujet néolibéral (le néosujet) enjoint à dépasser toute forme de limites. Quel rapport aux flux? C'est une crise de la modalité traditionnelle de la stase. Le néolibéralisme = liquéfaction de toutes les stases car nvlle anthropologie et nvlle conception de la vie (nvlle philosophie du bios).

http : //www.timothee-duverger.fr/article-la-nouvelle-raison-du-monde-dardot-laval-46117804.htm