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Questionnements de l'intervenante
Barbara Stiegler, spécialiste de Nietzsche, dit que, dans
ses recherches, elle s'intéresse à la notion d'adaptation
qu'elle relie à la question des flux. Il s'agit de notions
importées de la biologie dans le domaine de la pensée
politique et philosophique. Pour elle, néolibéralisme
et ultra-libéralisme (concept politique peu consistant) sont
à différencier. Elle s'interroge : le néolibéralisme
est-il un libéralisme hypertrophié ou un phénomène
nouveau?
Présentation de l'ouvrage
Pour lire Dardot et Laval, il faut croiser leur livre à
celui de Boltanski et Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme,
et à la retranscription du cours de 1978/79 de Foucault au
Collège de France, Naissance de la biopolitique. Dans l'introduction,
les deux auteurs reprennent 3 thèses formulées par
Foucault pour caractériser le néolibéralisme :
le néolibéralisme = une anthropologie, une politique
de la vie (manière dont nous vivons, sentons, pensons). Ce
n'est pas une doctrine économique, ni une idéologie.
C'est une nvlle rationalité qui nous façonne jusque
dans notre intimité. C'est une mutation anthropologique,
une théorie de la société, de l'homme et du
vivant. Le penseur de l'ordolibéralisme Alexander Rüstow
parle d'ailleurs de Vitalpolitik : le néolibéralisme
prend en compte la situation vitale totale.
Son essence = la promotion de l'individu en compétition,
partout et tjrs il impose la même norme à l'entreprise
de soi : une unité individuelle en concurrence/compétition
avec toutes les autres entités. C'est une redéfinition
du marché avec le passage de l'échange à la
concurrence.
Le néolibéralisme s'oppose au capitalisme des monopoles
pour faire des individualités (y compris collectives). L'entreprise
= la forme universelle. L'objectif est de permettre l'autonomie
des choix individuels pour l'organisation de sa vie personnelle
reposant sur le risque permanent inhérent à la concurrence.
C'est le gouvernement de soi : individu = foyer du gouvernement de
soi; l'individu = unité concurrentielle contre monopoles.
C'est une critique néolibérale du capitalisme. L'enjeu
n'est plus le calcul ou la marchandisation (dénoncés
par l'école de Francfort), mais de faire régner l'entreprise
et la concurrence. Il ne faut pas confondre le néolibéralisme
avec les néoclassiques. Il y a une norme, le passage de l'homme
producteur/consommateur à l'homme compétitif. Il ne
s'agit pas d'uniformiser le corps social en le massifiant mais de
démultiplier et différencier les entreprises. Le néolibéralisme
est différent de la marchandisation et du laisser-fairisme.
Le cœur du néolibéralisme, ce n'est pas l'État
minimal des libertariens ni le laisser-fairisme des libéraux.
Le libéralisme = l'auto-limitation de la raison gouvernementale;
alors que le néolibéralisme = nveau mode de gvt sans
limites qui impose la mise en concurrence, c'est une intervention
permanente des institutions politiques, une instauration active
de la concurrence.
Il existe deux courants néolibéraux :
un courant naturaliste et laisser-fairiste : celui de Reagan-Thatcher-Greenspan,
qui hérite de Friedman-Hayek-Von Mises, qui lui-même
hérite de Spencer;
un courant plus artificialiste, le plus pur : l'ordolibéralisme
de Rüstow, Röpke, etc.
Les deux sont à différencier des libertariens tels
que Nozik.
Les secteurs prioritaires du néolibéralisme sont
la santé et l'éducation. Les néolibéraux
ont construit l'idée de capital humain : santé + éducation
+ bientôt environnement. C'est le sens fondamental de la mutation
anthropologique néolibérale. On passe de l'homo oeconomicus
classique à l'homo oeconomicus néolibéral :
l'individu est son propre capital, il est par exemple enjoint à
soigner son capital santé. Foucault va très loin en
suggérant que le maternage pourrait être intégré
dans le calcul du capital humain. Un capital humain qui ne cesse
d'inclure de nvx secteurs... L'enjeu, c'est une plus gde adaptabilité.
L'éducation a pour enjeu la capacité d'adaptation,
l'objectif étant de s'adapter en permanence au chgt, l'enjeu
fondamental étant l'employabilité (avec par exemple
la formation tt au long de la vie).
Au cœur du néolibéralisme, ce n'est pas tant
la question de l'État ou de son intervention active que celle
de l'adaptabilité. La gauche contemporaine, en particulier
avec Tony Blair et Gerhard Schröder, reprend ces thèmes.
Ce sont des notions de la biologie évolutionniste : compétition,
adaptation, sélection des plus aptes, évolution. Elles
servent à construire l'injonction à l'autonomie néolibérale.
Mais il existe d'autres formes d'autonomie. Par ailleurs, toute
mise en compétition est-elle néolibérale? Non,
il existe des formes anciennes de compétition, telles que
les tournois et les joutes. Il y avait une dimension agonistique
dans la cité. Le concours, est-ce néolibéral?
Foucault note une reprise néolibérale de la notion
de souci de soi.
Réflexions complémentaires de l'intervenante
L'individu néolibéral se caractérise par la
lutte biologique pour l'existence qui l'oblige à l'adaptation.
C'est une version biologique de la compétition comme lutte
pour l'existence, très différente de la joute. Les
origines biologisantes du néolibéralisme se trouvent
chez Spencer. Philosophe anglais très influant à la
fin du XIX°, il a transféré les catégories
biologiques dans le champ philosophique et a même influencé
jusqu'à Darwin lui-même qui reprend son concept de
« sélection des plus aptes ». C'est un auteur
oublié, mais qui reste très présent...
3 domaines sont investis : le travail, la santé et l'éducation.
Le marché élimine les moins aptes plutôt que
de mettre en place une coopération par l'échange.
Ces thèmes biologisants restent même lorsque les ordolibéraux
abandonnent l'évolutionnisme biologique. Le passage s'est
opéré par Sumner aux États-Unis. On parle d'ailleurs
d'un « évolutionnisme » hayékien.
Le néolibéralisme (plutôt sa branche ordolibérale)
parle d'une création artificielle du marché. Pourquoi
Foucault ne parle-t-il pas de Spencer? Il prend trop au sérieux
la critique du biologisme par les ordolibéraux allemands.
Foucault établit qu'ils ont suivi les cours d'Husserl sur
la phénoménologie et qu'ils en ont retenu que l'eidos
est à construire par l'histoire et ne devrait rien au biologisme.
Pour Foucault, il y a donc une rupture qui se caractérise
par l'artificialité, mais n'est-ce pas plutôt un transfert
de la biologie vers la philosophie?
Il y a une temporalité libérale qui liquide tout
ce qui relève de la stase et toute capacité à
s'individuer. Cela vient de son origine biologique : l'évolution
(= temporalité). Plusieurs catégories de la biologie
sont reprises. Lippman parle aussi bcp d'adaptation, il y a besoin
d'hommes nvx, d'où l'importance de l'éducation, d'où
l'école pensée à partir de la question de l'employabilité.
L'adaptabilité est une notion très présente
dans le néo-management décrit par Boltanski et Chiapello.
Elle est corrélée à la compétition et
provoque l'instabilité généralisée du
sujet néolibéral (le néosujet) enjoint à
dépasser toute forme de limites. Quel rapport aux flux? C'est
une crise de la modalité traditionnelle de la stase. Le néolibéralisme
= liquéfaction de toutes les stases car nvlle anthropologie
et nvlle conception de la vie (nvlle philosophie du bios).
http : //www.timothee-duverger.fr/article-la-nouvelle-raison-du-monde-dardot-laval-46117804.htm
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