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Origine : halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/32/52/23/DOC/PUB08019.doc
Introduction
Les sociétés occidentales offrent au monde un visage
original et par de nombreux aspects pathétique. Mais elles
ne le savent pas. Ces sociétés, si l’on en croit
du moins ceux qui en sont les porte-voix légitimes, tendent
à se confondre avec une vaste et intense machine productrice
de biens, de services, d’idées, de sentiments, d’affects
et de désirs. Et certains de leurs représentants et
de leurs intellectuels parmi les plus éminents semblent même
tenir que les sociétés du reste du monde n’aspirent
qu’à leur ressembler. L’Occident, d’après
les idéaux qu’il projette vers l’extérieur,
est au comble d’un désir d’expansion universelle
: toutes les populations du monde aspireraient à devenir
elles aussi des sociétés pleinement économiques,
des sociétés à haute intensité économique.
De ce point de vue, l’Occident va sans doute au devant de
nouveaux déboires. Si du destin de cette ambition, nous ne
savons rien, nous pouvons du moins saisir le point auquel sont arrivées
les sociétés que l’on dit modernes dans la grande
mutation qui les spécifie et penser à partir de ce
repère les multiples voies et facteurs qui ont conduit des
sociétés religieuses traditionnelles aux sociétés
économiques modernes.
Parmi les conceptions qui composent l’occidentalisme, il
en est une qui prend ou, plutôt, reprend aujourd’hui
une extrême vigueur : c’est celle qui fait du marché
le modèle unique des rapports humains. On sait que le dernier
tiers du XXe siècle, à l’occasion de l’effondrement
des sinistres régimes bureaucratiques « communistes
», a été marqué par l’étrange
résurgence des idéaux de la liberté absolue
de la production et de l’échange et, avec eux, de la
représentation de l’homme économique construite
par une imposante littérature depuis au moins le XVIIIe siècle.
Toutes les sociétés passées ou contemporaines
qui ne se conforment pas à ce type idéal semblent
condamnées à titre posthume, ou désignées
comme les cibles d’une réforme urgente et radicale.
L’aspiration au bien-être matériel est donnée
comme la seule destinée humaine concevable, l’homme
lui-même est présenté comme l’inlassable
chercheur de son avantage personnel maximal dans toutes les circonstances
de son existence, et il n’y a pas de domaine de cette existence
qui ne puisse être le terrain d’une visée maximisatrice
d’une satisfaction individuelle. Cette croyance est poussée
aujourd’hui à son paroxysme par ce qu’on appelle
le néo-libéralisme. Le Marché paraît
être devenu le grand Signifiant absolu, source de tous les
bienfaits et mode de résolution de tous les maux publics
et privés. L’Europe, pas moins que les Etats-Unis d’Amérique,
s’en veut désormais la terre d’élection.
Pour ce qui est de l’analyse de cette croyance dogmatique,
les grandes sociologies classiques nous ont largement ouvert la
voie . Il suffit de penser à Marx ou à Weber pour
s’en rendre compte. Le néolibéralisme actuel
nous oblige à reprendre à nouveaux frais une question
qui est au cœur des sciences sociales. Le problème posé
en Occident et au monde en tant qu’il s’occidentalise
est le suivant : comment a-t-on pu penser un univers social comme
le nôtre dans lequel fait loi la préférence
que chacun s’accorde à lui-même, l’intérêt
qui l’anime à entretenir les relations avec autrui,
voire l’utilité qu’il représente pour
les autres ? Quels sont les modes de raisonnement, les types d’anticipation,
les manières d’écarter et d’annuler les
objections qui ont permis d’imposer cette manière très
paradoxale de voir et ont inscrit dans le corps même des sociétés
cette logique dans laquelle apparemment nous sommes désormais
tous embarqués? Comment par-dessus tout, a-t-on pu penser
et agencer le gouvernement d’un monde social composé
d’êtres qui revendiquent la pleine légitimité
de penser d’abord à leurs propres intérêts
avant l’intérêt collectif, ce qui pourrait facilement
passer, au regard des autres morales sociales, pour une bien étrange
« transvaluation des valeurs » ? Nous vivons en effet
de plus en plus manifestement sous le régime normatif du
moi intéressé comme fondement paradoxal de la société.
La grande croyance
Longtemps, on s’est représenté la modernité
comme l’âge des ouvertures, des grands horizons, de
l’univers infini. Sortant des sociétés religieuses
closes et répétitives, l’humanité était
entrée dans un régime nouveau que l’on supposait
conduire à la réalisation intégrale des possibilités
recélées dans les facultés, dans la nature
et dans l’histoire même des hommes. Mais cette civilisation
telle que nous la connaissons mieux maintenant n’est-elle
pas fort différente de la conception que s’en faisaient
les prophètes de la modernité ? Ne s’est-elle
pas rétrécie et enfermée dans une logique de
la « production pour la production », dans cette illusion
du progrès illimité des richesses et du bien-être
humain que l’Occident entend faire partager au reste du monde
?
Ce problème dépasse la seule question de “
l’idéologie bourgeoise ”. Que les propriétaires
des richesses veuillent être aussi les maîtres des raisons
et des fins de vivre, rien là de bien nouveau, mais que les
biens soient devenus les fins majeures des sujets humains et les
uniques desseins du monde “ en développement ”,
que les liens humains eux-mêmes tendent à devenir des
biens commerciaux, voilà qui déplace singulièrement
le registre des questions. L’illimitation productive et marchande
débouche sur une nouvelle clôture du monde, produit
une réduction générale des humains et de leurs
activités à des objets dont la valeur - et, partant,
leur droit à l’existence - ne dépend que de
leur utilité économique. Le règne des quantités
auxquelles nous sommes assignés se confond avec l’idée
dominante du bonheur humain maximal. Et l’homme même
est transformé en “ produit consommable ” comme
suffisent à l’attester les formules aujourd’hui
en usage de “ ressources humaines ” et de “ capital
humain ” ? Le néolibéralisme actuel semble radicaliser
cette orientation de longue durée, ignorant ce qui dans le
lien social présidait aux réciprocités entre
générations, entre sexes, entre groupes pour ne retenir
de la vie sociale que l’articulation marchande des fins individuelles
à maximiser. On peut penser que l’on est maintenant
très proche d’une pleine saturation capitaliste de
l’humanité, de ce que Marx appelait la subsomption
réelle de la société par le capital et qu’il
identifiait de façon fort optimiste, parce qu’étant
sans doute lui-même encore pris dans la grande croyance progressiste,
à la maturation d’une nouvelle société
communiste d’abondance.
Cette réduction de l’humain à la ressource
utile et à l’acquisition cumulative est donnée
partout comme l’évidence de notre commune présence
des uns aux autres. Pour conjurer le malaise des contemporains,
se multiplient, à mesure que l’on avance dans cette
voie, les mécanismes de défense et de diversion, les
procédés de divertissement et les tranquillisants
les plus divers. Il suffit de considérer la façon
dont une pensée rassurante cherche à distinguer une
saine économie de marché d’une mauvaise société
de marché, distinction qui paraît de jour en jour plus
illusoire. L’économie, dira-t-on, ne se réduit
pas au marché. Certes, mais c’est la « fiction
marchande », selon l’expression de Polanyi, qui a fait
de l’économie non pas tant un monde à part,
comme on le dit parfois, qu’une enveloppe qui enferme et modèle
toutes les relations sociales. Car il est désormais de plus
en plus difficile voire impossible de séparer le champ de
l’économie du domaine moral, esthétique, culturel
ou politique. L’économie, ou plus exactement, comme
on le verra, une certaine façon “ économique
”, comptable, calculatrice de penser le rapport humain, semble
avoir conquis la majeure partie de l’existence humaine. C’est
ce qui crée une nouvelle réalité sociale, un
nouvel ordre des choses, une nouvelle évidence : la société
se découvre comme un espace d’utilité mutuelle
qui est réglé par ses propres lois, que l’on
identifie à une nature de l’homme même et à
certaines qualités des relations qu’il entretient avec
les autres.
Le devenir économique de l’homme
Comment les sujets économiques que nous sommes, les sujets
de l’économie, les êtres assujettis à
l’économie, pourraient-ils trouver une autre voie possible
? Comment ces sujets de l’intérêt, de leur intérêt
propre, pourraient-ils agir face à la dislocation du cadre
symbolique des liens sociaux et à la montée de formes
multiples de dérèglements dans les relations que les
êtres humains entretiennent entre eux ? La question cruciale
est bien devenue celle-ci : où sont les sujets qui pourraient
s’élever contre les formes d’assujettissement
très particulières des sociétés économiques
? Question d’autant plus délicate que, plus la société
se conforme réellement à un marché, plus la
représentation que l’on s’en fait se réduit
à l’image de ce marché-là, plus le modèle
de l’homme économique semble devenir chair et os.
Cette tendance à assimiler société et marché,
et, plus fondamentalement encore, vie humaine et production économique,
a fait depuis fort longtemps l’objet d’une résistance
intellectuelle aux multiples formes. Aujourd’hui, réagissant
à l’exacerbation de cet économisme, on ne compte
plus les ouvrages qui exposent les logiques financières à
l’oeuvre, qui critiquent l’application irrationnelle
des politiques économiques libérales et des modèles
productivistes aux conséquences destructrices sur l’environnement,
sur les rapports sociaux et sur la vie culturelle. Mais il faut
bien admettre que malgré les crises à répétition,
malgré la dégradation des conditions de vie d’un
grand nombre d’humains, malgré la perspective d’une
possible catastrophe écologique, les populations des sociétés
occidentales – pour ne pas parler de leurs élites politiques
et économiques rivées au fonctionnement de la «
machine économique » -, n’ont su s’opposer
à cette orientation, du moins de façon suffisamment
massive et ferme. Comment se fait-il que l’Occident, et pas
seulement son foyer dominant constitué par le bloc anglo-saxon,
qui sert trop souvent d’alibi facile, se soit ainsi soumis
aux nouveaux idéaux sans que ne se manifeste un contre-mouvement
suffisant ? Comment se fait-il au fond que cette sorte d’intégrisme
très particulier ne soit pas combattu comme il devrait l’être?
Il y a, me semble-t-il, trois éléments de réponse
qui se combinent. Le premier, que nous développerons dans
le présent ouvrage, réside dans le fait que la fiction
de la société comme machine à produire et comme
marché est une évidence qui appartient désormais
en propre à la culture occidentale, qu’elle est un
dogme très solidement installé au coeur de notre système
de représentation ; la deuxième raison est que cette
fiction n’est pas un simple produit de l’imagination,
qu’elle détermine des manières d’agir,
qu’elle fait corps avec des normes et des lois, qu’elle
s’inscrit de plus en plus dans la réalité vécue,
qu’elle est depuis longtemps le principe même des pouvoirs
régulateurs qui s’exercent sur nos comportements ;
la troisième raison tient à ce que cette croyance
de plus en plus réalisée et vécue nourrit les
espérances dans le progrès du bien-être matériel
aussi bien que des craintes de plus en plus fortes dans l’univers
du travail ; qu’elle renvoie en somme à un système
de récompenses et de contraintes, d’espérances
et de craintes qui enserre les individus dans ce que Max Weber appelait
la « cage d’acier » de l’économie
moderne. Nous sommes enfermés, mais nous nous pensons de
plus en plus libres. Nous devenons, souvent à notre corps
défendant, cet homme économique parce que nous vivons
pratiquement dans les catégories incarnées de «
l’humanité économique », comme la nomme
Georges Bataille.
La société de marché ne promet pas seulement
la jouissance matérielle qui libère de la nécessité,
elle promet aussi une certaine “ liberté individuelle
” dans toutes les dimensions de l’existence, liberté
d’un consommateur idéal qui pourrait universellement
choisir les biens, les êtres, les lieux et les temps qui conviennent
le mieux à ses perspectives personnelles de plaisir. La société
de marché est désirée dans l’exacte mesure
où elle favorise une certaine émancipation à
l’égard des traditions, croyances, devoirs, appartenances
au profit d’une dépendance subjective nouvelle, désormais
généralisée, à l’égard
des logiques abstraites de la valeur “ économique ”
à laquelle tendent à se réduire désormais
tous les éléments qui constituent “ l’environnement
” humain. L’essentiel n’est peut-être pas
dans l’idéologie régnante, laquelle peut osciller,
mais dans les changements subjectifs introduits par une certaine
forme de société qui, en ne considérant les
individus que dans la logique économique, les transforme
en sujets dédoublés. D’un côté,
l’être économique, l’homo oeconomicus,
est ce pur sujet abstrait des choix quand, de l’autre, il
est un simple objet utilisable ; d’un côté le
maître suprême des valeurs, de l’autre une frêle
“ unité de valeur ” dans la grande comptabilité
sociale. La liberté individuelle, celle du choix et de la
consommation, telle que nous la connaissons, est soeur de la sujétion
économique.
Les racines de la mutation anthropologique
La construction du nouveau sujet occidental n’est pas chose
récente. On doit à certains philosophes d’avoir
très tôt identifié la conception utilitariste
qui étend un modèle maximisateur et calculateur de
la conduite intéressée à l’ensemble des
relations humaines, qui regarde la société civile
comme une multiplicité de rapports d’utilisation des
hommes les uns par les autres, qui voit l’homme comme cet
être de besoin toujours mû par la fuite de la douleur
et la recherche du plaisir. Plus de transcendance au principe des
institutions humaines, rien que les jeux de l’attraction,
de la répulsion, de l’accord et du conflit qui trouvent
leur clé universelle dans les notions de l’utilité
et de l’intérêt. Hegel n’a pas été
le dernier à voir dans la philosophie de d’Holbach
et d’Helvétius une certaine impatience à se
débarrasser de tout ce qui outrepasserait le plan immanent
de l’intérêt : “ il existe la tendance
absolue à trouver une boussole sûre en soi-même,
c’est-à-dire dans l’esprit humain, dans l’immanence.
Il est urgent pour l’esprit humain d’être en possession
d’un tel point fixe s’il doit jamais être libre
en lui-même, si du moins il doit être libre dans son
monde ” . L’utilitarisme du XVIIIe siècle et
l’économie politique se bâtiront sur ces postulats
fondamentaux, indissolublement scientifiques et normatifs : l’action
humaine, de quelque nature et de quelque portée qu’elle
soit, obéit à une rationalité qui assure le
choix des fins les plus satisfaisantes et le succès de l’action
par l’adéquation des moyens à ces fins. Ces
postulats composent l’axiome de l’utilité tel
qu’il a été formulé par le philosophe
et juriste Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle
: “ La nature a placé l’humanité sous
la domination de deux maîtres souverains : la peine et le
plaisir. Ce sont eux seuls qui nous montrent ce que nous devons
faire, comme ils déterminent ce que nous ferons. D’un
côté le critère du Bien et du Mal, de l’autre
la chaîne des causes et des effets sont attachés à
leur trône. Ils nous gouvernent dans tous nos actes, dans
toutes nos paroles, dans toutes nos pensées : tout effort
pour échapper à notre sujétion ne servira qu’à
la démontrer et à la confirmer. En paroles, un homme
peut prétendre abjurer leur empire, mais en réalité
il restera son sujet tout le temps. Le principe d’utilité
reconnaît cette sujétion et le prend pour fondement
de ce système dont l’objet est d’élever
l’édifice de la félicité au moyen de
la raison et du droit. Les systèmes qui le contestent manient
des sons au lieu du sens, du caprice au lieu de la raison, de l’obscurité
au lieu de la lumière ” .
La rationalité de l’intérêt qui s’était
en réalité affirmée bien avant Bentham s’est
étendue après le XVIIe siècle et a gagné
tous les champs de savoirs concernant l’homme : l’économie
politique et son analytique des valeurs et des prix lui donnent
les éléments de calculabilité ; la médecine
et la physiologie lui fournissent “ l’anatomie ”
des plaisirs et des douleurs ; l’histoire de la langue et
des institutions vient confirmer cette prévalence du besoin
dans l’invention des “ outils ” intellectuels
et politiques. L’acte économique étant un acte
social devait trouver sa place dans la morale. C’est ainsi
que la science économique ne pouvait naître qu’en
se dégageant de la morale ancienne, pour devenir la théologie
et le catéchisme d’une nouvelle normativité
à prétention scientifique. Mais c’est tout le
regard que l’on porte sur la vie, et peut-être d’abord
sur les devoirs de l’homme en société qui change.
Hume a parfaitement dit ce glissement vers l’âge du
bonheur dans lequel l’austérité est bannie,
et où la morale rejoint toujours l’intérêt
individuel : « La vertu n’a plus cette robe lugubre
dont beaucoup de théologiens et quelques philosophes l’ont
affublée ; elle est toute bonté, humanité,
bienfaisance et affabilité ; et en de justes occasions, elle
prend même un tour joueur, espiègle et gai. Elle ne
parle pas d’austérité ni de rigueur superflues,
de souffrance ni de renoncement à soi. Elle déclare
que son seul objet, s’il est possible, est de rendre contents
et joyeux ses disciples et tous les hommes, à chaque moment
de leur existence; jamais elle ne les prive volontiers d’un
plaisir, si ce n’est dans l’espoir d’en être
grandement dédommagés à une autre période
de leur vie. Le seul effort qu’elle exige est celui du juste
calcul et de la préférence donnée au bonheur
le plus grand » . On le voit, c’est à une conception
d’ensemble de l’homme, à une anthropologie que
nous avons affaire, véritable socle sur lequel sont toujours
assises nos représentations .
Rendre compte, au moins partiellement, du triomphe historique de
la représentation du sujet humain comme un « moi »
intéressé en Occident, tel est le propos de notre
ouvrage. Quand nous parlons d’homme économique, on
pourrait croire qu’on ne désigne que la part des activités
spécifiées comme « économiques »
: celles de la production, de la circulation, de la consommation
des biens satisfaisant des besoins. En réalité, la
nouvelle représentation de l’homme comme « machine
à calculer », selon la forte expression de Mauss dans
l’Essai sur le don, s’étend bien au-delà
de cette sphère étroite, et ceci dès le début
de son apparition, même si l’autonomisation et le dynamisme
de la sphère économique ont donné à
cette conception force et rayonnement. L’idée que l’individu
est gouverné par son intérêt et que sa conduite
se confond avec un calcul de maximisation ne s’est jamais
arrêtée au seul domaine économique stricto sensu.
C’est bel et bien une économie générale
de l’humanité qui s’est imposée selon
laquelle ce sont toutes les relations humaines qui sont régies
par la considération de l’utilité personnelle.
Sans doute la science économique naissante a-t-elle eu des
effets ambivalents, prétendant délimiter un ensemble
de comportements et d’activités spécifiques,
et laissant à d’autres disciplines et discours le soin
de penser d’autres types de lien et d’autres aspects
de l’humain. Adam Smith a peut-être fourni le modèle
de cette division normative du travail de représentation
de la société. Mais avant, pendant et après
Smith, un discours beaucoup plus intégral, une véritable
anthropologie, complète, cohérente, de l’homme
intéressé se déployait, donnant à la
représentation occidentale un fondement normatif unitaire
donné comme le pur et simple substitut du dogme de la religion
chrétienne. C’est cette axiomatique de l’intérêt
qui aujourd’hui revient en force. Les économistes actuels
qui font mine de découvrir une économie politique
de l’amour, de la famille ou de la criminalité ignorent
souvent l’histoire de cette axiomatique fondamentale. Marx,
après Hegel, avait pourtant dit l’essentiel quand il
avait caractérisé le lien social des sociétés
capitalistes comme un pur et simple rapport d’utilité,
rapport dont il cherchera le secret dans les métamorphoses
de la marchandise devenue reine du monde social .
Le terme d’homme économique que nous employons ici
est évidemment susceptible de malentendu. Comme on le verra
en examinant plus loin ses premiers pas, ce n’est pas l’homme
de la seule économie politique, il n’a pas été
inventé par les seuls économistes, il n’est
pas la production et la propriété de la science économique.
C’est plutôt l’économie comme science qui
s’est appuyée sur ce socle anthropologique pour son
propre développement, qui l’a utilisée comme
postulat indiscuté pour le déploiement de son axiomatique
spéciale au point de le réduire par étapes
à un « agent rationnel » délibérément
déréalisé. L’homme économique,
sujet du rapport social d’intérêt, est transversal
dans ses manifestations, universel dans ses propriétés.
Il doit être considéré et étudié
comme un fait social et historique, comme un effet de civilisation.
Un fait social et historique
La doctrine utilitariste est en rapport étroit avec ce que
Karl Polanyi appelle un « utilitarisme pratique » et
Alain Caillé un « utilitarisme diffus ». Nous
avons nous-même montré dans un ouvrage précédent
que l’établissement du rapport entre le plan doctrinal
et le plan pratique de la représentation utilitariste était
à la fois une méthode et un acquis des grandes sociologies
classiques. Il s’agit ici de traiter d’un fait pleinement
social qui concerne la manière dont les individus sont conduits
à se représenter leur propre être lorsqu’ils
sont de plus en plus immergés dans des rapports sociaux de
type marchand. A rebours, il convient de se demander quels ont pu
être les effets de formation ou de conformation sur la pratique
humaine d’une telle conception.
L’idée même d’un homme économique,
conduit par son intérêt, cherchant à maximiser
sa satisfaction et à économiser ses efforts, dit d’abord
la standardisation d’un comportement sur le marché.
L’homme devient un calculateur sur le plan de la représentation
morale et politique comme il est invité à le devenir
de plus en plus dans son comportement effectif. Ou plus exactement,
cette représentation qu’il peut avoir de son propre
comportement entre en résonance avec l’expérience
d’un commerce plus individualisé et plus réfléchi
telle qu’on pouvait déjà la faire au XVII e
et XVIII e siècle. C’est la stylisation progressive
de cette expérience qui fait pour une grande part l’intérêt
de la riche période de recomposition des représentations
au cours de laquelle la science économique s’affirmera
comme science du comportement social. Le sujet du calcul comme mode
de rapport aux choses et aux autres renvoie à un individu
réel qui commence à se libérer des cadres sociaux
traditionnels essentiellement prescriptifs et se découvre
de plus en plus dépendant pour sa subsistance, pour son statut,
pour l’idée qu’il a de lui, de l’estimation
que l’on fait de lui, de sa valeur marchande, de celle des
« produits » qu’il apporte, en un mot de son utilité
pour les autres. L’époque moderne n’a fait qu’étendre
cette expérience sociale des individus à travers laquelle
ils doivent se constituer face aux risques comme un centre de décision,
voire comme une « entreprise de soi-même » . Très
tôt, beaucoup plus tôt qu’on ne le dit souvent,
l’individu calculateur est apparu comme cet être qui
ne veut voir son « environnement » qu’à
la manière d’une « variable », pour lequel
les institutions sociales et les autres sont soit des obstacles,
soit des atouts qui entravent ou favorisent leur action. Pour le
calculateur, la société des semblables se présente
comme le lieu des opportunités et des risques. Elle est proprement
une société de marché, c’est-à-dire
une société regardée comme un marché
et rien de plus.
L’homme économique et la société de
marché sont donnés ensemble, catégories inséparables
du fait même qu’ils dérivent du même postulat
selon lequel le rapport humain, ce qui lie les individus les uns
aux autres, est l’intérêt que chacun se porte
d’abord à lui-même. Le nouvel ordre social est
l’ordre des échanges : il ne pouvait s’appuyer
que sur des régularités explicables et ces régularités
qui rendaient les relations économiques et leurs résultats
prévisibles ne pouvaient se fonder que sur un modèle
stable de comportement, celui précisément de l’homme
économique cherchant à maximiser ses gains. Il y a
une profonde solidarité de pensée entre la conception
d’un ordre régulier et autonome de la société
économique et le présupposé de l’homme
maximisateur.
La nouvelle humanité économique se distingue par
sa morale particulière. La grande nouveauté à
cet égard n’est pas la révélation de
l’égoïsme humain et son caractère condamnable,
c’est bien plutôt que la préférence que
chacun a pour lui-même soit affirmée comme une donnée
irrépressible de l’ humanité, et qu’elle
soit présentée comme la seule base des rapports moraux
et politiques que les hommes entretiennent entre eux. Mieux même,
que cette self-preference soit regardée comme la condition
même de la science humaine et de la nouvelle normativité
qu’elle permet d’asseoir solidement, en lieu et place
de la sanction sociale d’essence religieuse. En effet, il
y a bien longtemps que la morale en tant qu’elle est une expression
sociale traque les comportements trop autocentrés au regard
de la vie collective et des formes de réciprocité
symbolique qu’elle appelle. La nouveauté proprement
historique du triomphe de l’intérêt individuel
comme matériau et fondement normatif, et toutes les difficultés
à le penser et à l’assumer, tient précisément
au véritable renversement auquel il invite : ce qui était
donné jusque-là comme la face sombre de l’humain,
une menace même pour le groupe : la primauté de l’individu
sur le collectif, la soif d’acquisition, le refus de partager,
le défaut de gratitude, devient la donnée élémentaire
à partir de laquelle un nouvel ordre humain s’impose,
un ordre jugé plus naturel, plus heureux, en un mot un ordre
si évident qu’on ne conçoit plus que les sociétés
d’antan, et celles d’aujourd’hui en tant qu’elles
ne sont pas encore pleinement modernes, ressortissent à d’autres
logiques que celles de l’utilitarisme dominant.
Ce n’est pas, en effet, qu’on ne sache plus la déférence
que l’on doit à autrui, le respect pour les lois du
groupe, les obligations de rendre ce qu’on a accepté
et toutes les formes qui s’imposent aux relations sociales,
c’est qu’on les croit toujours issus de l’intérêt
personnel bien compris. On ne conçoit plus, ou difficilement,
que d’autres sociétés se soient organisées
selon des mises en forme réglées du lien humain visé
et entretenu pour lui-même, on ne parvient plus à penser
que le sujet humain ait pu se représenter et se définir
d’abord et essentiellement par une place dans des relations
sociales ni qu’il ait trouvé « évident
» que le groupe auquel il appartenait possédât
une valeur ontologique et morale supérieure à sa propre
existence. En un mot, pour emprunter au vocabulaire sociologique
et ethnologique, on ne saisit plus dans le lien humain ce qu’il
y a en lui d’excès au regard de l’utilité
individuelle, ce qu’il possède de proprement social,
et plus précisément, on ne comprend plus et on n’admet
moins encore son essence symbolique. Il y a dans la puissance de
la revendication du moi intéressé un profond refus
de l’aliénation au monde du symbole en tant que celui-ci
ne se plie pas aux perspectives de la satisfaction individuelle.
« L’individualisme » des sociétés
modernes porte comme son ombre le déni de ce qu’implique
l’assujettissement humain à la dimension symbolique.
Le fondement normatif de la nouvelle humanité
L’histoire de l’intérêt est l’histoire
d’une représentation du lien aux autres, aux institutions,
à la langue comme un effet ou une projection où je
me reconnais : c’est l’histoire du moi en Occident.
Hegel, Marx puis Lacan ont dit l’essentiel. Le premier explique
à propos de l’utilitarisme des Français du XVIIIe
siècle que cette liberté subjective revendiquée
ne se réduit pas à la détermination de la sensibilité
physique, qu’elle implique une exigence du moi de se retrouver
partout chez lui comme dans un jardin, sous l’espèce
d’une satisfaction qui lui soit propre: « Le «
moi-même » est un moment essentiel. Ce que je veux,
fût-ce la chose la plus sacrée, est mon but. Je dois
y être présent, je dois l’approuver, je dois
le trouver bon ». D’où, comme on s’en étonnera
parfois plus tard, l’intégration de l’altruisme
et du sacrifice comme composante de l’utilitarisme. La satisfaction
du « moi-même » est la forme que doit prendre
le rapport aux autres et à la société : «
Tout sacrifice s’accompagne toujours d’une satisfaction,
on s’y retrouve toujours soi-même. Le moment du soi,
la liberté subjective doit toujours y être présente
» . Toute action humaine est en vérité marquée
de cette exigence, quand cette action serait le sacrifice d’un
être cher ou de sa propre vie du moment que ce sacrifice suprême
répondît à un engagement où le moi s’y
est mis tout entier. Le devoir ne pourra plus être pensé
en dehors de l’intérêt propre, il devra non seulement
composer avec lui mais se donner même pour sa réalisation.
L’utilitarisme n’est certes pas un « égoïsme
» qui refuserait tout service à autrui, c’est
un « moïsme » où toute cession d’une
partie de soi-même ou de son bien doit toujours se donner
pour un échange intéressé où le moi
s’y « retrouve », c’est-à-dire se
procure une satisfaction . Tel est désormais le ton de la
normativité : celle du bonheur, plus fort que toute considération
théologique et ontologique. C’est sans doute chez Helvétius,
un auteur central pour notre étude, que l’on entend
le mieux, car sans détours, cet eudémonisme fondamental
: « (…) si l’amour de notre être est fondé
sur la crainte de la douleur et l’amour du plaisir, le désir
d’être heureux est donc en nous plus puissant que le
désir d’être. Pour obtenir l’objet à
la possession duquel on attache son bonheur, chacun est donc capable
de s’exposer à des dangers plus ou moins grands, mais
toujours proportionnés au désir plus ou moins vif
qu’il a de posséder cet objet » . C’est
à partir de là que l’on comprend mieux la place
fondatrice de « l’intérêt », l’autre
nom de cette satisfaction du moi dans la représentation occidentale.
L’intérêt est cette implication du « moi-même
» dans ce qu’on cherche, fait ou pense, il est cette
adhésion subjective aux buts poursuivis de sorte que sa satisfaction
réside dans l’approbation du moi à la possession
de l’objet ou à la réalisation de l’action
morale ou politique telle qu’elle se reflète dans le
regard ou la parole d’autrui.
On entrevoit sans doute que nous n’avons pas affaire à
une mécanique superficielle qui laisserait en l’état
les bases religieuses, morales et politiques de la société.
Cette approbation recherchée, dont le critère prendra
le nom générique de principe d’intérêt
ou principe d’utilité, se présente comme le
principe normatif suprême, comme le seul naturel, le seul
possible, le seul évident. Le nouveau principe qui s’impose
aux sociétés et aux hommes doit devenir le guide de
la réforme générale des institutions. Il prend
à ce titre la place du principe divin et des dogmes qui s’en
déduisaient. Helvétius, à propos du travail,
tirait cet enseignement du basculement de la morale : « Regarder
la nécessité du travail comme une suite du péché
originel et comme une punition de Dieu, c’est une absurdité.
Cette nécessité au contraire est une faveur du Ciel.
Que la nourriture de l’homme soit le prix de son travail,
c’est un fait. Or pour expliquer un fait si simple, qu’est-il
besoin de recourir à des causes surnaturelles et de présenter
toujours l’homme comme une énigme ? S’il parut
tel autrefois, il faut convenir qu’on a depuis si généralisé
le principe de l’intérêt, si bien prouvé
que cet intérêt est le principe de toutes nos pensées
et de toutes nos actions, que le mot de l’énigme est
enfin deviné, et que pour expliquer l’homme, il n’est
plus nécessaire, comme le prétend Pascal, de recourir
au péché originel » . Ce principe de l’intérêt
ou de l’utilité, présenté comme l’équivalent
de la force de gravitation newtonienne, est tout simplement la nouvelle
clé universelle qui ouvre à la connaissance vraie
de l’homme et le pivot autour duquel doit tourner toute l’organisation
sociale et toute politique gouvernementale. C’est le mot de
l’énigme humaine, enfin résolue. On ne pourra
plus penser autrement le groupement social que comme un ensemble
d’être réunis par un certain intérêt
qui les a poussés à vivre associés. Mieux,
la « société » ne devient vraiment l’objet
d’une représentation et d’une réflexion
spécifique qu’à partir de là, comme en
témoignent, de façon encore hybride sans doute, les
grandes théories du contrat et du droit naturel, à
commencer par celle de Hobbes.
Symptômes et résistances
Notre propos ne vise pas à contester l’utilitarisme
comme doctrine scientifiquement fausse, à souligner le caractère
réducteur du calcul maximisateur dans l’analyse économique,
ni même à entre dans les débats techniques de
la science économique sur l’utilité pas plus
que ceux de la philosophie morale. Depuis Thomas Macaulay, la démonstration
de la nature profondément tautologique de l’explication
utilitariste de la conduite humaine a été recommencée
des centaines de fois sans grand effet . C’est sans doute
que la question n’est pas d’abord épistémologique,
ou plutôt qu’avant de l’être, elle est sociologique
et historique. S’il y a tautologie de l’explication
de la conduite par l’intérêt et l’utilité,
c’est qu’il y a ontologie normative de l’être
humain défini comme être intéressé. C’est
cette dernière qui demande à être éclairée.
C’est une chose de reconnaître dans ce discours utilitariste
le remplaçant des discours de la normativité ancienne.
C’en serait une autre de prétendre qu’il s’est
répandu sans contestation. Il n’est peut-être
pas un discours qui n’ait été plus critiqué,
plus combattu, plus dénoncé que celui de l’intérêt
et de l’utilité. Et ceci de toutes les manières
possibles. Pas seulement de façon passive, régressive,
improductive d’ailleurs : des contre-discours majeurs se sont
développés en littérature, en sociologie, en
philosophie. La généalogie de l’utilitarisme
et du sujet économique, appelle une suite, qui sera l’histoire
de quelques-unes des formes principales de la résistance,
elle-même toujours liée aux symptômes divers
de l’histoire individuelle et collective. Si l’utilitarisme
est bien ce socle de la représentation de l’homme,
il ne l’est qu’à la façon d’un discours
dominant capable par sa force même de susciter et d’engendrer
ses dissidences et ses hérésies qui le prennent pour
cible, c’est-à-dire le reconnaissent, l’assimilent
pour une part, le rejettent pour une autre et tentent toujours de
le subvertir au risque de le forcer à se faire plus discret
ou plus subtil.
Mais il ne s’agit pas seulement de discours mais aussi de
formes de vie, de contre-vies sur lesquelles les discours de résistance
prennent appui et qu’ils encouragent. Ce n’est pas de
sitôt que tous les sujets sociaux accepteront de se concevoir
à la fois comme des vendeurs cyniques de leurs services et
des matériaux d’une consommation productive plus ou
moins utiles. D’autres relations humaines, d’autres
expériences vitales font pièce à la complète
métamorphose du sujet en cette “ machine à calculer
” dont parlait Mauss pour désigner l’homo oeconomicus
moderne . Le marché, placé comme s’il était
le monde commun des hommes, ne peut que provoquer un grand sentiment
de vide parce qu’il laisse échapper ce qui fait aussi
le plus précieux des relations humaines. Ce que certains
appellent le don ou la dette, ce qui noue les sujets sociaux les
uns aux autres par les grandes constructions symboliques, se réfugie
dans les circuits intimes de la réciprocité familiale
et amicale, les élaborations de l’art, les rapports
de socialisation et d’éducation, et même, quoique
sous une forme bureaucratisée, dans les agencements politiques
de la redistribution.
L’analyse du triomphe du néolibéralisme et
des résistances qu’il provoque est donc nécessaire
mais insuffisante pour comprendre où nous en sommes et ce
que nous devons faire. En deçà des oscillations politiques,
un mouvement plus profond a changé les rapports entre individus,
les relations des individus aux institutions, la manière
dont chacun est amené à concevoir sa vie. C’est
ce socle historique de l’utilitarisme comme conception proprement
occidentale de l’existence individuelle et collective qu’il
faut atteindre. En d’autres termes, il convient de s’interroger
sur les conditions politiques, intellectuelles, économiques
et sociales de la fabrication historique du sujet économique
de l’Occident moderne, dans le droit fil de la tradition sociologique
et des travaux historiens consacrés à cette représentation.
Le propos central du présent ouvrage est donc le suivant
: comment, dans quelles conditions, à travers quelles remises
en cause, le discours utilitariste est-il parvenu à constituer
l’image crédible d’une réalité
humaine, morale et politique qui s’impose à nous ?
Comme on le voit, la question que nous voulons poser dépasse
de très loin les ressorts de l’économie politique,
l’explication des comportements économiques et l’analyse
de leurs effets. Elle concerne la place fondatrice attribuée
à l’homme économique et au critère de
l’utilité qui l’accompagne partout comme une
ombre. En d’autres termes, ce qui est en jeu, c’est
la forme, le contenu, la nature de la normativité occidentale
moderne. En faisant l’histoire de l’intérêt
et de l’utilité, nous cherchons à analyser la
naissance du régime normatif moderne, dans ses dimensions
diverses : la nature des pouvoirs qui s’appliquent sur la
conduite individuelle ; les discours qui définissent le sujet
et le type de liens qu’il entretient avec autrui ; les justifications
des pouvoirs qui s’exercent sur lui.
L’histoire que l’on va lire n’a rien de linéaire
et d’entièrement homogène. On l’a dit,
l’homme économique croît et diffuse de multiples
côtés, il travaille tous les discours et tous les domaines,
le modèle polarise les représentations sociales, il
est au principe d’une nouvelle distribution hiérarchique
des savoirs sur l’homme. Ce n’est donc pas par le moyen
d’une histoire de la naissance de la pensée économique
que l’on fera voir son développement ; c’est
plutôt par la mise en évidence du faisceau des transformations
articulées qui touchent la religion, la morale, la politique,
que l’on pourra rendre compte de l’émergence
d’une nouvelle normativité dans laquelle l’économie
politique tient une position majeure. Mais on verra également
que cette pluralité des transformations ne conduit pas à
un discours parfaitement homogène en toutes ses parties.
Dès le commencement, il n’y a rien de simple à
fonder la morale sur le désir ou à définir
la nature de l’action gouvernementale dans une société
de marché. C’est un monde de tensions et de renversements
qui apparaissent au XVIIe et au XVIIIe siècles et qui esquissent
les grandes voies qu’emprunteront plus tard les idéologies
et les pratiques politiques des siècles suivants.
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