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Un livre de Dardot et Laval
Danse contemporaine et néo-libéralisme
Publié le17 mai 2011

Origine : http://danseamontp.wordpress.com/2011/05/17/un-livre-de-dardot-et-laval/

Je vous repasse un article de 2009 dont je suis très fier, y compris pour la justesse de son prévisionnel !

Commentaires sur un livre qui formalise clairement ce qu’on savait déjà sans oser se l’avouer…

Le livre s’intitule “La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale” et est publié chez La Découverte.

Bien sûr, certains peuvent se dire qu’on est à 100 lieues de la danse contemporaine. Oui et non. Tout d’abord, la danse contemporaine a ceci de particulier qu’elle peut se saisir sur scène de tout sujet, contrairement aux danses qui l’ont précédé. Elle peut notamment être subversive, alors que les rares danses qui ont été politiques et savantes étaient des danses de cour, donc au service du pouvoir (exemple type : Louis XIV).

Rien n’empêche donc un auteur de se saisir de ce livre (Je reconnais que cet argument m’arrange bien… car il implique que dans ce webzine, on peut traiter de TOUT… ah ah). Pour la suite, vous verrez que la vie des compagnies dépend de ce que décrit le livre.

Bon, en deux mots, le livre suggère une erreur dans l’interprétation classique (habituelle) du néo-libéralisme. Contrairement au libéralisme, le néo, ce n’est pas moins d’état, c’est plus d’état. Le crédo économique est le même : il faut favoriser les entreprises (au sens : capital + travail) mais la mise en œuvre est différente : l’état est une machine de guerre qui se doit d’empêcher toute organisation qui va CONTRE l’entreprise capitaliste.

Et l’organisation qui va CONTRE l’entreprise capitaliste, c’est la MUTUALISATION.

Le néo-libéralisme (que nous – français ou habitants de France – découvrons depuis 2002 et avec intensité depuis 2007) est donc l’utilisation de l’Etat afin de détruire tout ce qui est mutualisant. La solution est de transformer chaque individu en ENTREPRISE et d’appliquer les règles de la comptabilité privée à la vie publique et/ou individuelle. Pour cela, on créera tout une série de règlements et de normes légales.
(Pour éviter tout polémique : le PS est partagée 50-50 (chacune de ses élections internes le prouve) entre droite et gauche. De ce fait, sa politique oscille entre néo-libéralisme et mutualisation. Rien d’étonnant à ce que chacune de ses initiatives soit un délicat mélange des deux. Donc, oui, la politique néo-libérale était déjà à l’œuvre en partie sous Mitterrand et plus spécifiquement sous Rocard puis Bérégovoy et Jospin.)

Tous ces règlements et normes ont pour but d’empêcher le bénévolat (on en a déjà parlé), le “gratuit”, le don, l’échange de produits. On cachera ça sous le terme “professionnalisation”.

Revenons aux Compagnies de danse. Cela se traduit par une demande d’embauche par les pouvoirs publics ! Mais pas d’embauche des danseurs ! (D’ailleurs le respect des conventions collectives est l’affaire des syndicats via l’UNEDIC, pas tout à fait étatisé !). Non, d’embauche d’ADMINISTRATIFS.

Or, s’il y a bien une chose que les bénévoles non-artistes qui tournent autour des Compagnies pourraient faire (bien plus que de passer sur scène), c’est l’administratif ! Pour empêcher ça, on appuie sur le statut des associations loi 1901.

1. Pas de salaires (ou de remboursements disons appuyés) pour les responsables de l’association.

2. Ce sont les “associatifs” qui doivent se plier aux horaires et agendas de l’administration d’état et pas l’inverse.

Résultat : aucun salarié, même un peu à l’aise, ne peut s’occuper sérieusement en tant qu’administrateur (au sens propre de ce terme – et pourtant, il peut être président du CA de l’association qui gère la Compagnie) bénévole d’une Compagnie. Cela a deux “avantages” :

1. Faire perdre de l’argent aux Compagnies par l’intermédiaire du salaire des administratifs (je n’ai rien contre eux et j’ai même plusieurs relations amicales avec certains d’entre eux/elles, mais en tant que chef d’entreprise, si j’avais des économies à faire, c’est là que je les ferais… Et c’est là et seulement là que je ne PEUX pas !)

2. Transformer la Compagnie en entreprise, même si le fond de son art est l’harmonie ou la paix, ou que sais-je…

Cette offensive sur le rôle de l’état présente un avantage pour les néo-libéraux. Elle permet de récupérer une masse de gens au service du néo-libéralisme. Car le néo-libéralisme a un énorme problème en terme d’acceptation populaire (ou massive) de sa politique. Dans le fond, celle-ci raye énormément de gens de sa “carte”. Dans tous les pays du monde, la solidarité existe. Si quelqu’un vous demande un service (que sais-je ? Sortir un objet lourd lors d’un déménagement, pousser une voiture en panne, tenir la caisse d’un spectacle “au chapeau”, nettoyer une vieille église pour y faire des concerts… toutes choses qui en néo-libéralisme demandent une FACTURE), tout un chacun le rend. Plein de gens, de villes, de régions vivent grâce à ça (l’amour du pays, de l’équipe, etc). Si on les comptait seulement en termes de “rentabilité”, ils/elles n’existeraient plus. Et sitôt qu’on commence à compter, on “raye de la carte”. C’est ce qui vient d’arriver aux IUFM, aux Universités de l’ouest de la France, aux Compagnies de danse pesant moins de 80 000 euros annuels (un jour, je reviendrai sur ce critère…), au Massif Central, au “Sud de France”…

Le peuple disparaissant comme soutien politique du néo-libéralisme (le vote FN est en train de quitter Sarkozy, un exemple de ce que je veux dire. Il le fait en même temps que les Doyens de Droit… pourtant sociologiquement, ils sont à des lunes, mais du point de vue “rentabilité” capitaliste, ils sont sur le même plan : au poteau !), il faut trouver de nouveaux appuis.

Ces appuis, ce sont les hauts et moyen-fonctionnaires, qui ont un rôle à jouer dans la réorganisation de la France, la “rupture”. Et qu’on caressera pour cela dans le sens du poil.

Le slogan ”la casse du service public” est donc un mauvais slogan. Ce qui nous guette, c’est la ”réorganisation du service public”. Des tas de fonctionnaires vont être dragués. “Aidez-nous à réussir la rupture !” En universitaire, c’est simple : “Aidez-nous à transformer les Universités françaises (de merde) en Harvard !”

Dans l’art de la danse, ce sera : “Aidez-nous à transformer ces petites compagnies (de merde) en Alonzo King’s Ballet“.

Le prix à payer pour les autres sera benoitement passé sous silence.

Les Compagnies doivent donc apprendre à se méfier des DRAC. Tout sera fait [au ministère et dans l'appui idéologique (discours, presse)] pour les tuer (humainement parlant : tuer leur art). Soit officiellement. Soit par la bande, en faisant tout pour tuer la solidarité, la mutualisation, l’entraide, le bénévolat.
Du point de vue des fonctionnaires, leur honneur leur dicte évidemment de tout faire pour aller contre ça (y compris changer de poste) ou de dénoncer ça.

Au boulot !

PS : Pendant la guerre, le père de Danielle Mitterrand, qui était Proviseur, reçut une lettre de son Recteur lui demandant de comptabiliser et de lister les enfants juifs de son lycée. Il renvoya une lettre au Recteur, sur laquelle il avait simplement mis : “Non”. Puis il rentra chez lui et dit à sa famille qu’ils allaient sans doute être virés de son appartement de fonction et qu’il allait falloir se serrer la ceinture et notamment habiter dans une cabane en bois qu’il avait sur un terrain de famille à la campagne. Ils se mirent à la culture des légumes. Sans sourciller.