Origine : http://www.preavis.org/breche-numerique/spip.php?page=_imprimer&id_article=2163
Philosophe, spécialiste de l’oeuvre de Marx et Hegel,
il a publié avec Christian Laval La Nouvelle Raison du monde
– Essai sur la société néolibérale
(La Découverte, 2008).
Il participe les 22 et 23 janvier 2010 au colloque organisé
par l’université Paris-VIII de Saint-Denis, «
Puissances du communisme » (préparé par le philosophe
Daniel Bensaïd), avec Jacques Rancière, Michel Surya,
Etienne Balibar, Christian Laval, Elsa Dorlin...
Renseignements : societelouisemichel at @free.fr
Question : Après s’être réunis à
Londres en mars dernier, un certain nombre d’intellectuels
vont se retrouver à Paris fin janvier pour un colloque intitulé
« Puissances du communisme ». Le communisme serait-il
en train de redevenir fréquentable ?
L’existence même de ces colloques prouve un changement
d’attitude depuis quelques années : certains intellectuels
font à nouveau référence au communisme. Cela
n’a rien à voir avec une légitimation après
coup de tous les crimes perpétrés par ce que l’on
a appelé le communisme ou le « socialisme réel
». Le colloque de l’université Paris-VIII montre
que l’idée du communisme fait question et que son contenu
doit faire l’objet d’un débat. Ce n’est
donc pas une nouvelle mode intellectuelle ou une posture mondaine
où l’on adorerait aujourd’hui ce que l’on
a brûlé hier.
Question : « L’hypothèse communiste »,
formulée par Alain Badiou, est-elle celle d’un communisme
qui inclut les mouvements d’émancipation passés
et présents, de Robespierre à l’Iran d’aujourd’hui
?
Je ne parlerai pas pour ma part d’une « hypothèse
». Il s’agit là d’une notion fâcheusement
indéterminée qui pourrait donner à penser une
continuité illusoire entre des mouvements très hétérogènes.
Par exemple, on ne doit pas confondre la Commune insurrectionnelle
de 1792 avec la « dictature de la vertu » de Robespierre
qui ne m’inspire aucune sympathie. Quant au mouvement d’opposition
en Iran, il me semble très divisé entre ceux qui veulent
réformer le régime et ceux qui veulent le renverser,
eux-mêmes divisés sur leurs motivations. Je parlerai
donc plutôt du communisme comme d’un objectif stratégique
qui doit orienter des pratiques ici et maintenant dans une situation
déterminée, nouvelle, et comme telle très différente
de celles du passé.
Question : On a beaucoup parlé du retour de Marx à
la faveur de la crise financière de 2009, mais cette hypothèse
communiste se fait-elle avec ou sans Marx ? Avec un Marx lavé
des horreurs historiques perpétrées en son nom ?
Si renouveau de la pensée du communisme il doit y avoir,
ce que pour ma part je souhaite, c’est à la condition
que la référence à Marx soit centrale. Non
que la pensée du communisme soit née avec Marx, mais
parce que l’élaboration qu’il lui a donnée
a joué un rôle fondamental pendant plus d’un
siècle. On ne peut donc faire comme s’il n’avait
pas existé et l’enjamber pour renouer, comme si de
rien n’était, avec la lignée de Platon, Thomas
More, Campanella, Babeuf, etc. Qu’on le veuille ou non, Marx
fait date et c’est à partir de lui qu’il faut
tout reprendre. Il faut s’expliquer avec sa pensée,
au besoin contre lui, mais certainement pas sans lui.
Question : Quel est le point commun entre Rancière et Badiou,
Zizek et Negri, invités de ce colloque ? Sur quelle idée
vous êtes-vous réunis ? Celle de penser en dehors des
partis, en dehors du consensus libéral ?
Le point commun, me semble-t-il, c’est précisément
la nécessité de discuter de l’idée du
communisme pour aider à renouer le fil de la pensée
de l’émancipation, tout en faisant face aux nouveaux
défis posés par la mondialisation capitaliste. Ceci
n’implique aucun accord doctrinal mais une commune opposition
à ce que vous appelez le « consensus libéral
», c’est-à-dire à l’idée
d’un épuisement de la pensée de gauche qui découragerait
toute alternative au capitalisme , idée énoncée
sur le mode de l’évidence par Peter Sloterdijk en Allemagne.
Question : Ce communisme est plus proche de Deleuze et Guattari
que de Marx finalement ?
Je ne crois pas que l’on puisse dire cela. Les références
de ces auteurs sont très diverses : si certains comme Negri
se réclament en un sens de Deleuze et Guattari, d’autres
se montrent au contraire assez critiques à leur égard,
en particulier Badiou et Zizek. Christian Laval et moi-même
sommes davantage enclins à nous référer à
Marx et à Foucault.
Question : C’est un communisme qui a abandonné l’idée
de révolution au profit d’un syndicalisme dur ? Qui
entend pousser les réformistes à faire de vraies réformes
?
Un communisme qui s’identifierait à un syndicalisme
dur me paraît un non-sens pur et simple. Le communisme est
indissociable de l’objectif d’une transformation radicale
des rapports sociaux. Quant à l’idée de révolution,
il faudrait la redéfinir de manière à éviter
l’écueil de la table rase : la révolution ne
relève pas seulement de la « poésie de l’avenir
», elle a aussi à voir avec la prose du passé,
elle s’inscrit elle-même dans une tradition et ne gagne
rien à l’oublier.
Question : Cette mouvance de résistance se situerait nécessairement
en dehors des partis ?
Je crois que cet effort pour penser le communisme ne peut se dissocier
d’une pratique de résistance qui doit, pour s’installer
dans la durée, être indépendante des partis,
ni en dehors ni dedans. Daniel Bensaïd, décédé
la semaine dernière, était à l’origine
de ce colloque : il a très tôt défendu cette
idée de communisme comme « résistance »
? En effet, il faut reconnaître qu’il fut l’un
des rares à ne pas céder sur la référence
au communisme pendant toute la période du triomphe du capitalisme
néolibéral, alors que certains, parmi les anciens
de l’extrême gauche issue de 68, célébraient
les vertus du marché. Ajoutons qu’il n’a jamais
faibli non plus sur la critique des crimes du stalinisme, ce qui
est tout autant à son honneur.
Question : Il cherchait à accompagner les métamorphoses
du communisme pour penser celui du xixe siècle ?
Je ne me sens pas habilité à parler pour lui. Mais
ses ouvrages me portent à penser qu’il a toujours regardé
vers l’avenir, en ce sens que, comme tout vrai « passeur
», il entendait jeter un pont entre le passé et l’avenir
pour nourrir les combats du présent. On trouve chez lui une
certaine mélancolie, jamais de nostalgie.
P.-S.
Propos recueillis par Hugo Lindenberg.
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