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Origine : http://savoirscommuns.org/contribution-de-pierre-dardot-et-christian-laval-pour-la-seance-du-19-janvier/
Sous ce titre [1], nous nous proposons d’esquisser la généalogie
d’une dualité, qui prit parfois tant historiquement
que théoriquement la forme d’une opposition, à
savoir celle du « communisme » et du « socialisme
», et ce bien avant les fixations sémantiques qui se
sont imposées au cours du XXe siècle et qui ont fini
par nous devenir tellement familières que nous ne songeons
guère à remonter en deçà pour questionner
leur évidence. La thèse que nous soutenons est que
cette dualité procède en dernière analyse de
la dualité entre communauté et association. Or la
constitution de cette dernière dualité ne va nullement
de soi, en premier lieu sur le plan philosophique. Deux brèves
indications suffiront à le faire entendre. Première
indication, la critique de Platon faite par Aristote dans le Livre
II des Politiques (chapitres 2 à 7 notamment) est entièrement
commandée par une question : jusqu’où doit aller
l’unité qui est requise par toute communauté
politique ? Faut-il aller jusqu’à la communauté
des biens comme le préconise Platon dans La République
? Pour Aristote ce serait là un excès d’unification
qui aboutirait à la négation de toute forme de multiplicité
et, de ce fait, à la ruine de la communauté politique
elle-même. Mais cette critique est intérieure à
l’exigence de la vie politique comme vie dans la communauté,
elle ne convoque jamais l’idée d’association
comme alternative possible à la communauté. Seconde
indication : Rousseau oppose dans Du Contrat social l’«
agrégation » à l’« association »
pour mieux penser le contrat social comme un « acte d’association
» et le corps politique qui résulte de cet acte à
la fois comme une « association » et comme une «
communauté » : comme une « association »
en ce que la liberté et l’égalité de
chaque associé sont préservées, comme une «
communauté » en ce que l’acte d’association
donne naissance à un « moi commun » qui réalise
une unité supérieure irréductible à
la simple somme des individus entrant dans l’association.
« Communisme » et « socialisme »
Pour comprendre comment cette dualité entre communauté
et association en est venu à se constituer au XIXe siècle
à travers les deux dénominations concurrentes de «
communisme » et de « socialisme », il faut rappeler
que ces deux noms étaient en 1842-1843 plutôt deux
aspects d’un même principe que deux doctrines nettement
séparées. Ainsi, Moses Hess rapporte le socialisme
à une « théorie » et le communisme à
la « vie pratique », le premier étant avant tout
relatif à « l’organisation du travail »
tandis que le second « embrasse la totalité de la vie
sociale » [2]. La lettre de Marx à Ruge de septembre
1843, qui voit dans le communisme existant une « abstraction
dogmatique », va dans le même sens en faisant du communisme
« une réalisation particulière, partielle, du
principe socialiste » [3]. Il faut en convenir, on est là
très loin d’une opposition entre deux principes. La
question est donc : pourquoi l’alternative au capitalisme
a-t-elle finalement été dite sous deux noms différents,
« socialisme » et « communisme », et non
par un seul ? De quoi témoigne au fond une telle dualité
?
Le marxisme orthodoxe a répondu de façon aussi sommaire
qu’impérative : il ne serait question, dans cette distinction,
que d’une progression historique qui irait du « socialisme
», terme désignant alors une première étape
de la société communiste, jusqu’à l’étape
finale de la société communiste pleinement développée
dans laquelle l’État ne sera plus nécessaire.
Dans cette perspective, la société socialiste serait
la société « telle qu’elle vient de sortir
de la société capitaliste », qui « porte
les stigmates de l’ancienne société des flancs
de laquelle elle est issue », selon les formules de Marx [4].
On sait pourtant que ce dernier s’est bien gardé de
désigner lui-même cette « phase inférieure
de la société communiste » de «socialiste
» [5].
Ce que l’on trouve chez Marx, c’est une opposition,
à l’intérieur du communisme, entre l’utopie
et la science. Elle est déjà en germe dans la typologie
des trois formes du communisme élaborée dans les Manuscrits
de 1844. Car ce qui fait la supériorité du communisme
« achevé » sur les deux formes antérieures,
celles du communisme grossier (Babeuf) et du communisme inachevé
(Cabet, Proudhon, etc.), c’est que seul le premier comprend
la suppression de la propriété privée comme
le résultat de tout le mouvement de l’histoire [6].
De ce point de vue, l’opposition du communisme au socialisme
n’est guère pertinente. Le Manifeste de 1848 le confirme,
qui intitule tout un développement de son chapitre III :
« Le socialisme et le communisme critiques et utopiques ».
Cependant, c’est à Engels qu’il est revenu sur
le tard de théoriser dans un opuscule à succès
l’opposition entre le socialisme utopique et le socialisme
scientifique [7]. Cette opposition repose, d’après
Engels, sur le degré de maturité du capitalisme. Selon
les critères du « matérialisme historique »,
« A l’immaturité de la production capitaliste,
à l’immaturité de la situation des classes,
répondit l’immaturité des théories. La
solution des problèmes sociaux, qui restait encore cachée
dans les rapports économiques embryonnaires devait jaillir
du cerveau (…).Ces nouveaux systèmes sociaux étaient
d’avance condamnées à l’utopie. Plus ils
étaient élaborés dans le détail, plus
ils devaient se perdre dans la fantaisie pure. [8]» A suivre
cette interprétation, on doit se convaincre qu’il existe
un communisme scientifique et un communisme utopique, tout comme
il existe un socialisme scientifique et un socialisme utopique.
Mais il ne fait pas de doute que, dans l’esprit de Marx et
d’Engels, il n’y a pas la moindre différence
entre le « socialisme scientifique » et le « communisme
scientifique ».
L’histoire aurait-elle définitivement arrêté
le sens des mots pour les faire désigner des régimes,
des organisations, des expériences sociales, politiques,
économiques ? Non, car ce que ces mots ont originairement
désigné comme formes sociales alternatives aux sociétés
marchandes et capitalistes intéresse au plus haut point tous
ceux qui cherchent aujourd’hui à repenser une politique
d’émancipation. En revenir au sens que ces mots avaient
avant Marx, ce n’est donc pas méconnaître l’influence
déterminante du marxisme sur le plan théorique et
historique, c’est plutôt comprendre à quels problèmes
il a essayé de répondre et comment il l’a fait.
C’est prendre le marxisme, non comme un ensemble de réponses
définitives sur le sens des mots, mais comme un champ de
questions à affronter.
Une étrange dualité
Toutes les définitions imposées par le marxisme orthodoxe
ne sont pas seulement insatisfaisantes et incomplètes, elles
constituent désormais, purement et simplement, des obstacles
à la pensée. Si l’on veut comprendre les principes
des divisions entre les courants qui se réclament du «
socialisme » ou du « communisme » entre 1830 et
1848, il faut se référer à la différence
et même à l’opposition de deux conceptions, de
deux perspectives, celle de la communauté des biens et celle
de l’association des individus. Cela ne veut pas dire que
les auteurs et les acteurs se partagent toujours très lucidement
entre les deux options, des formes d’hybridation multiples
sont évidemment repérables. Il y a pourtant clairement
deux logiques hétérogènes entre elles, étrangères
l’une à l’autre. C’est ce qu’avait
fort bien vu en son temps Émile Durkheim dans le cours inachevé
sur le socialisme qu’il a professé à Bordeaux
en 1895 et 1896 [9]. Texte sur lequel nous nous appuierons dans
notre exposé, mais dont nous montrerons également
certaines limites.
Les termes de « communisme » et de « socialisme
» renvoient à deux formes du lien social, à
deux modes de l’acte de faire société. Tandis
que « communisme » renvoie à une certaine subordination
de l’individu à la communauté dont il est membre,
subordination qui vise à garantir l’unité supérieure
du tout contre toute forme d’égoïsme et de cupidité,
« socialisme » se réfère à une
relation d’association entre des individus libres qui est,
au moins en droit, exclusive de toute hiérarchie en dehors
de celle indispensable au fonctionnement de la production. «
Communauté » ou « association », tel est
l’enjeu initial de cette distinction, qui a été
effacée plus tard par la volonté synthétique
et hégémonique du marxisme. Au principe de cette distinction,
plus encore que le rapport du marché et de l’État,
il y a le rapport de l’individu à la société.
Le socialisme est une théorie moderne, explique Durkheim,
qui vise à réfléchir les rapports entre les
initiatives des sujets économiques et le centre régulateur
de la société d’une autre manière que
le libéralisme : « on appelle socialiste toute doctrine
qui réclame le rattachement de toutes les fonctions économiques
ou de certaines d’entre elles qui sont actuellement diffuses,
aux centres directeurs et conscients de la société
» [10]. Cette dernière expression ne veut pas désigner
l’État tel que nous le connaissons, mais un organe
qui aurait pour contenu la vie économique et qui aurait la
fonction de l’organiser. Le socialisme est une organisation
politique de la vie économique en faveur des intérêts
généraux de la société. Le socialisme,
« c’est avant tout une aspiration à un réarrangement
du corps social ayant pour effet de situer autrement l’appareil
industriel dans l’ensemble de l’organisme, de le tirer
de l’ombre où il fonctionnait automatiquement, de l’appeler
à la lumière et au contrôle de la conscience
» [11].
Cet idéal de régulation n’est pas possible
avant la société industrielle et le développement
du nouveau mode de gouvernement libéral. Le socialisme n’est
même historiquement possible qu’à partir du moment
où le gouvernement s’est donné pour tâche
de diriger les actions économiques des individus, d’encadrer
leurs rapports, de les faire servir à la satisfaction des
besoins matériels. Mais le socialisme est également
la négation du gouvernement des hommes sur les hommes dans
la mesure où les rapports des individus les uns aux autres
sont définis comme des rapports de coopération entre
sociétaires d’une même grande entreprise, et
plus exactement, comme des relations de co-production. On sait la
formule fameuse de Saint-Simon reprise par Marx et Engels selon
laquelle « l’administration des choses » doit
remplacer « le gouvernement des hommes ». Le socialisme,
c’est l’administration économique de la société
par elle-même. A l’auto-équilibration des intérêts
du libéralisme, le socialisme répond par l’auto-organisation
économique consciente des hommes. Le socialisme n’est
rien sans l’association des individus, et plus précisément
de l’association des producteurs, c’est-à-dire
sans l’idée que les producteurs sont des sociétaires
d’une administration, non des sujets d’un gouvernement.
L’État est redéfini, recomposé comme
l’administration d’une entreprise composée de
sociétaires, de membres associés à la grande
œuvre productive. Dans le nouvel ordre, répètent
Bazard et Enfantin, l’Etat deviendra « association des
travailleurs » [12].
L’association universelle est un principe d’organisation
appelée à remplacer l’État mais aussi
toutes les formes de regroupement humain qui n’en ont été
que des esquisses partielles et des étapes. Les disciples
de Saint-Simon voient dans l’association tout à la
fois le but de toute l’histoire humaine, ce qu’ils appellent
« l’association universelle », et le principe
de la progression de cette histoire, principe qui s’oppose
au principe de l’antagonisme [13]. Dans cette perspective
très large, l’administration économique appelée
à triompher dans l’avenir se distingue du gouvernement
pensé comme assujettissement personnel. Dans l’association,
ce sont les nécessités mêmes de la production
collective et de l’organisation qui commandent les tâches
à réaliser, les conduites à avoir. C’est
la société-atelier dans laquelle comme le notera Engels
à propos de Saint-Simon, la politique est résorbée
dans l’économie [14]. C’est une telle conception
qui, en particulier, permet d’imaginer sinon la fin de l’État,
du moins le recul de la politique. Et ici, c’est bien à
Saint-Simon et au mouvement saint-simonien que tout le socialisme
est redevable. Cette matrice saint-simonienne de l’association
donnera naissance aux multiples courants du socialisme moral et
du mutuellisme, mais on en trouvera la marque aussi bien dans le
marxisme que dans le solidarisme républicain [15].
Mais on trouverait aussi du côté fouriériste
un autre fil parallèle de l’association fondée
sur l’unité universelle, sur la recherche de l’Harmonie
dans la société conformément à un ordre
suprême qui est lui-même harmonieux. L’harmonie
sociale ou le « régime sociétaire » s’oppose
aux sociétés morcelées où règnent
égoïsme, guerre, fléaux économiques, etc.
Pour Victor Considerant, « le mot association caractérise
une réunion volontaire de forces agissant dans une direction
commune pour réaliser, par leur synergie, un résultat
dont les avantages se répartissent, à chacune des
forces associées, proportionnellement à son concours
dans l’oeuvre collective ». Ce qui est intéressant
dans la version fouriériste de l’idée d’association,
c’est que l’on voit bien jouer dans cette définition
trois principes différents que Considérant nomme les
principes d’Ordre, de Liberté, et de Justice [16].
D’une part, l’idée d’une efficace propre
de l’unité de but et d’action ou de la convergence
des forces qui assurera prospérité et bonheur. D’autre
part, l’idée du caractère volontaire du concours
des forces dans l’association. Enfin, et ceci est très
important par rapport à l’idée de la communauté,
le principe de la « proportionnalité de répartition
», c’est-à-dire le partage des avantages entre
toutes les forces proportionnellement pour chacune à sa part
dans sa création collective .
Cette référence à Fourier souligne la limite
de la lecture de Durkheim, aussi intéressante soit-elle.
Le socialisme ne s’arrête pas à l’organisation
consciente de la production par les producteurs eux-mêmes.
L’association est une forme sociale générale,
un mode de société, un type de lien social et par
là, une nouvelle morale. Le socialisme c’est la théorie
de l’association comme forme d’organisation de l’économie,
sans doute, mais plus généralement de la société
pensée comme une relation de « sociétaires »,
comme disent les fouriéristes, ou d’associés
comme le disent les saint-simoniens, c’est-à-dire d’individus
librement, volontairement et solidairement associés pour
se rendre des services réciproques et complémentaires
[17]. La formule de l’association suffit à tout. C’est
une réponse universelle, un objet de foi, comme a pu l’être
le « marché » ou le « contrat » chez
d’autres penseurs sociaux et économiques. Benoit Malon
le dira bien pour qui l’association est « mère
non seulement de la moralité mais encore du développement
de l’humanité ». Et il ajoutait, « sans
l’association, l’homme ne serait pas né »
[18].
Le communisme ou la communauté des biens
Selon Durkheim, le communisme renvoie à une communauté
de consommation, de vie, de pensée, de conduite qui tend
à expulser tout facteur de division en dehors de la vie du
groupe, alors que le socialisme est une association d’individus
posés d’emblée comme différents qui,
pour coordonner leurs activités économiques spécialisées,
forment une association dont ils sont les « sociétaires
». Le cœur du communisme c’est la « communauté
des biens », un idéal qui remonte très loin
dans l’histoire, et en particulier à la naissance du
christianisme.
Il s’agit pour Durkheim d’un modèle idéal
de société porté, de loin en loin dans l’histoire,
par des théoriciens et des philosophes isolés. Affirmation
que l’on pourrait contester lorsqu’on considère
la récurrence des tentatives depuis le christianisme primitif
de réalisation de communautés. Ce modèle n’est
pas centré sur la production des richesses et l’organisation
collective de la production, mais sur un idéal moral de vie
commune. Ce n’est pas tant la division sociale du travail
que le communisme veut organiser de façon consciente que
l’unité spirituelle, politique et morale qu’il
lui faut préserver contre tout ce qui pourrait diviser la
société et altérer une certaine pureté
idéale de relation entre les membres de la communauté.
De sorte que si le socialisme est bien une doctrine contemporaine
de l’anthropologie économique du XVIIIe siècle,
le communisme en serait plutôt le refus archaïsant. La
communauté, qu’elle soit pensée comme microcosme
ou comme macrocosme, vise surtout à se protéger de
« l’influence antisociale qui est attribuée à
la richesse » [19]. Il s’agit d’extirper du cœur
de l’homme ce que les Anciens appelaient la pleonexia, c’est-à-dire
le désir d’avoir plus que son dû, la soif de
possession devenue à elle-même sa propre fin [20].
Le communisme se rapporte par conséquent à ce que
Durkheim appelle dans un autre contexte la « solidarité
mécanique » entre des unités égales qui
produisent chacune de leur côté et consomment en commun,
tandis que le socialisme se rapporte à la « solidarité
organique » et à la nécessaire réglementation
des activités de production.
Durkheim n’indique peut-être pas assez à propos
du communisme tel qu’il resurgit dans la première moitié
du XIXe siècle, sur la filiation revendiquée avec
la tradition chrétienne et même préchrétienne
des mouvements communistes à partir de 1830. Engels, de son
côté, a mieux fait le rapprochement entre les débuts
du christianisme primitif et les débuts du communisme révolutionnaire
moderne [21]. Il a bien dit l’importance de tous ses petits
prophètes allemands des débuts du mouvement ouvrier
dans ses Remarques sur l’histoire de la Ligue des communistes
(1885). Le communisme en France et en Allemagne, comme il le remarque,
se caractérise entre 1830 et 1840 comme un christianisme,
mieux comme le vrai christianisme. C’est ce que l’on
voit bien chez un certain nombre de théoriciens français
mais aussi allemands, comme Cabet ou comme Weitling ou encore Moses
Hess.
Engels en 1844 dans le journal d’Owen, le New moral World,
notait après sa rencontre avec les Icariens : « tandis
que les socialistes anglais sont généralement opposés
au christianisme et ont à pâtir de tous les préjugés
religieux d’un peuple réellement chrétien, les
communistes français, alors qu’ils appartiennent à
un peuple notoire pour son incrédulité sont eux-mêmes
chrétiens. Un de leurs axiomes favoris est que : le christianisme
c’est le communisme (en français dans le texte). Ce
qu’ils essaient de prouver par la Bible, l’état
de communauté dans lequel les premiers chrétiens sont
dits avoir vécu, etc ». Il ajoutait qu’il avait
retrouvé le même trait chez Weitling : « Weitling
et son parti sont à cet égard exactement comme les
Icariens en France et ils prétendent que le christianisme
c’est le communisme » [22].
Les communistes des années 1830-1840 tiennent en effet que
« le communisme, c’est le christianisme », que
« le communisme n’est autre chose que le vrai christianisme
». « Oui Jésus Christ est communiste »
conclut Cabet dans son, livre Le vrai christianisme suivant Jésus-Christ
(1846). Non pas qu’il s’agisse de créer un «
nouveau christianisme » comme Saint-Simon le voudra, expression
qui marque un écart avec une religion chrétienne considérée
comme dépassée, mais comme le « vrai christianisme
», celui qu’a fondé réellement Jésus.
Weitling qui a écrit un nouvel évangile est dans la
même veine. Pour lui, Jésus est un essénien
révolutionnaire pour lequel le royaume des ceux était
un projet social idéal à réaliser pratiquement.
Cabet va dans le même sens : « Jésus Christ est
venu apporter une loi nouvelle, un nouveau principe social, un nouveau
système d’organisation pour la société
qu’il appelait le Règne ou le Royaume de Dieu, la communauté
nouvelle… Son grand principe social était donc la Fraternité
des Hommes et des Peuples…il recommandait la communauté
des biens en déclarant que l’opulence empêchait
d’entrer dans le Royaume de Dieu. (…) Notre communisme
icarien est donc le vrai christianisme, nous sommes de vrais chrétiens,
les disciples de Jésus Christ ; c’est son évangile
qui est notre code et c’est sa doctrine qui est notre guide
» [23].
La grande idée de Cabet c’est que « les communistes
actuels sont les disciples, les imitateurs et les continuateurs
de Jésus-Christ » [24]. Qu’entendre par là
? Jésus est le premier communiste parce qu’il a prêché
le renoncement à la propriété privée
et la communauté des biens. « Jésus Christ lui-même
a non seulement proclamé, prêché, recommandé
la Communauté comme enseignement de la Fraternité,
mais il l’a pratiquée avec ses Apôtres »
[25] . Et le christianisme vrai, c’est celui qui, tout au
long de son histoire, a appelé au renoncement à la
propriété et a pratiqué la communauté.
Il y a un autre passage intéressant du Voyage en Icarie qui
est le discours d’Icar aux prêtres et aux chrétiens,
« Prêchez la communauté des biens car Jésus
Christ ne l’a-t-il pas établie parmi ses disciples
et recommandée à tous les hommes ? Les Apôtres
n’étaient-ils pas en communauté ? Les premiers
Pères de l’Église ne prêchaient-ils pas
la communauté ? Pendant les premiers siècles du Christianisme,
tous les Chrétiens ne vivaient-ils pas autant que possible
en commun ? Depuis les plus ardents adorateurs de Jésus Christ
des milliers de pieux ouvriers n’ont-ils pas vécu dans
des Communautés religieuses, prêchant la communauté
par leurs actions et leurs paroles ? Oui vous ne seriez que de faux
Chrétiens si vous repoussiez la Communauté »
[26].
Ces théoriciens-prophètes mettent en avant que si
Jésus avait un projet d’organisation sociale fondée
sur la communauté des biens, il a connu de loin en loin des
réalisations partielles et plus ou moins éphémères,
mais qu’il a été finalement trahi par l’Église.
C’est ce qu’on pourrait appeler la problématique
du « christianisme trahi », voire celle, avant la lettre,
de « la révolution trahie ». Voilà comment
Cabet décrit l’échec du communisme chrétien
: « Si les communautés, ajoute-t-il, avaient été
mieux organisées, si elles avaient réuni des familles
, et si chacune avait compris un grand nombre de membres, elles
auraient probablement établi la Communauté sur la
terre : mais ces communautés ne comprenant que des hommes
seulement ou que des femmes seulement , et en petit nombre, c’était
toujours une espèce d’individualisme, et le communisme
s’est arrêté , au mépris du commandement
de Jésus-Christ » [27]. De son côté, Weitling
soutenait que « si la communauté des biens n’a
pas pu fonder jusqu’ici de royaume durable chez les Chrétiens
, cela a toujours été dû à la perversion
des puissants et des prêtres. Inspirez-vous en tout , strictement
de l’enseignement du Christ et vous résisterez à
toutes les tentations » [28].
Cette filiation entre communisme et communauté chrétienne
des biens est un moment important dans l’histoire du communisme
moderne. D’abord parce que cette idée est apparemment
très répandue, au moins aux dires de ce témoin
qu’est Engels. Il y aurait selon lui en 1844, 500 000 prolétaires
Icariens en France. On peut trouver des indices de la diffusion
de ces idées assez tard. Dans une brochure d’avril
1848 intitulé L’individualisme et le communisme, rédigée
par un artisan communiste Lefuel, on trouve, cette expression «
Jésus C,hrist premier républicain de l’univers
et premier martyr de la liberté et de l’égalité
» et plus loin « la doctrine du Christ n’est pas
seulement républicaine , elle est communiste » [29].
On peut ensuite noter le caractère très général
de cette filiation jusqu’à des auteurs que l’on
n’attendrait pas sur ce terrain. Même les babouvistes
ne sont pas épargnés. Buonarroti écrivait :
« personne n’est plus convaincu que moi des intentions
bienfaisantes de Jésus. Je crois qu’il eut un but temporel
et qu’il fut un généreux prédicateur
d’égalité et de vertu » [30].
Intéressant aussi parce que la légitimité
de la « communauté des biens » ne se trouve nulle
part ailleurs que dans la Bible et dans l’histoire du christianisme,
ce qui donne raison à Durkheim qui y voit la manifestation
d’un écart radical par rapport aux questions et aux
nécessités pratiques de l’époque. Dans
son histoire du communisme chrétien, Cabet reproduit les
opinions de Saint Jean Chrysostome de Constantinople : « chez
les chrétiens qui se convertirent à la voix des Apôtres
l’égalité la plus parfaite régna constamment.
(…) ils puisaient indistinctement comme les autres dans le
trésor commun de la société ». Et Saint
Ambroise : « la nature a donné toutes les choses en
commun à tous les hommes ; car Dieu a voulu que tout fût
produit en sorte que chacun en tire sa nourriture , et que la terre
fût la possession commune de tous les hommes. La nature donc
a établi le droit de Communauté, et c’est l’usurpation
qui a produit le droit de propriété ». Et cet
autre extrait de Saint Ambroise toujours cité par Cabet :
« nous avons perdu les avantages de la communauté en
nous créant des propriétés privées ;
car l’appropriation, par l’incertitude qu’elle
apporte dans les récoltes détruit toute sécurité
pour l’avenir. Pourquoi donc ô Riche tiens-tu si fort
à ta fortune quand Dieu a voulu que les choses nécessaires
à la vie te fussent communes avec les autres êtres
animés ? » [31].
Cabet inscrit donc son communisme dans la suite des premiers chrétiens
tel qu’il a été présenté par Luc
dans les Actes des Apôtres, puis dans la tradition monastique,
dans les écrits des Pères de l’Église.
Engels soulignera à juste titre que les tentatives de créer
le « ciel sur la terre » n’ont en réalité
pas cessé depuis le début du christianisme, et il
inscrira tous les soulèvements paysans et tous mouvements
qui apparaissent à partir du XVI et XVII dans le sillage
de la Réforme jusqu’aux émanations communautaires
du piétisme qui allaient s’installer avec leurs pasteurs
en Amérique du Nord, comme des « masques religieux
qui apparaissaient comme des restaurations du christianisme primitif
à la suite d’une corruption envahissante » [32].
Mais Engels ne s’intéressera pas vraiment à
ce qui a pu passer du christianisme dans le socialisme et le communisme
moderne. Il ne se demandera pas comment il se fait que des formules
comme celles que l’on trouve dans les Actes des apôtres
ont pu être transmises dans la doctrine socialiste et communiste
au point de devenir des formules canoniques du communisme moderne
(« il est donné à chacun selon ses besoins »
Luc…).
Limite de la thèse de Durkheim
Dans les formes historiques de communisme religieux d’inspiration chrétienne
ce qui domine est indiscutablement l’idée que le renoncement
aux biens, la pauvreté voulue, la mise en commun des biens
et de la vie permettent le changement de l’individu, une amélioration
morale, un progrès spirituel. Le dépouillement de
ses biens personnels, la vie commune, sont des moyens du salut.
Il n’est pas question seulement, ou même prioritairement
de bien-être économique. Il ne s’agit pas de
créer le paradis sur terre, mais de se préparer à
y entrer. Sur ce point, Durkheim a raison. Mais il ne voit que le
côté archaïsant du communisme des années
1830. Or les communistes du XIXe sont bien autre chose que de simples
continuateurs du Christ prêchant la communauté des
biens, ils sont autre chose que ce qu’ils disent. Même
si la dimension morale du communisme reste prépondérante,
on commence cependant à passer à autre chose avec
Babeuf, Buonarroti ou Cabet, selon des glissements subtils, parce
que la période historique a changé. Le communisme
ne se conçoit pas seulement comme une mise en commun des
biens et des propriétés mais comme une organisation
collective du travail guidée par la préoccupation
non seulement de la vertu mais aussi du bien-être matériel
des membres de la communauté. De même que la dimension
morale de l’association ne doit et ne peut être ignorée,
la dimension économique de la communauté ne peut être
écartée. Ce n’est pas seulement un communisme
de l’amour, de la consommation, de la communion. C’est
aussi un communisme de la production, de l’organisation du
travail en tant que l’économie est régie par
les principes unitaires et égalitaires de la communauté.
Il s’agit bien de penser une grande société
« fondée sur la base de l’égalité
la plus parfaite » dans laquelle « toutes nos lois doivent
avoir pour but d’établir entre nous l’égalité
la plus absolue dans tous les cas où cette égalité
n’est pas matériellement impossible ». L’unité
de la communauté exige l’égalité dans
la production, dans la répartition, dans la consommation.
Deux éléments importants sont à retenir. Premier
élément, ce communisme est certes celui de l’égalité
et de la fraternité : « tous ne forment aussi qu’une
seule Famille, dont les membres sont unis par les liens de la Fraternité
» [33], mais il est fondé, par extension de la problématique
unitaire à l’ensemble de l’économie, sur
la communauté des travaux, dont le principe est l’égalité
dans les efforts de travail. Ces communistes tout chrétiens
qu’ils se veulent, sont les héritiers aussi de Gracchus
Babeuf qui avait dans sa doctrine des Égaux poser cette symétrie
entre consommation et production, entre jouissance et travail.
A l’article 4 de la doctrine babouviste, il était
ainsi prescrit : « tous doivent supporter une égale
portion de travail et en retirer une égale quantité
de jouissance » [34]. Lorsqu’on considère le
passage décisif du Voyage en Icarie concernant les «
principes de l’organisation sociale en Icarie », on
voit bien que la question de l’organisation du travail, de
la répartition des efforts, de la propriété
des moyens de production y tient une grande place, sans rapport
explicite avec les évangiles ou des considérations
théologiques. « Tous travaillent le même nombre
d’heures » est un principe de base de la société
icarienne. Dans cette grande communauté, « tous sont
associés, citoyens, égaux en droits et en devoirs,
tous partagent également les charges et les bénéfices
de l’association ». [35] Et c’est la communauté
organisée politiquement de la façon la plus démocratique
par des assemblées locales et nationale qui possède
tout et organise tout : « Ainsi c’est la République
ou la Communauté qui seule est propriétaire de tout,
qui organise ses ouvriers et qui fait construire ses ateliers et
ses magasins ; c’est elle aussi qui fait cultiver la terre,
qui fait bâtir les maisons, qui fait fabriquer tous les objets
nécessaires à la nourriture , au vêtement, au
logement et à l’ameublement ; c’est elle enfin
qui nourrit, vêtit, loge et meuble chaque famille et chaque
citoyen » [36]. Tout est propriété commune :
« notre territoire, avec ses mines souterraines et ses constructions
supérieures, ne forme qu’un seul domaine, qui est notre
domaine social. Tous les biens meubles des associés, avec
tous les produits de la terre de l’industrie, ne forment qu’un
seul capital social. Ce domaine social et ce capital social appartiennent
indivisiblement au Peuple qui les cultive et les exploite en commun,
qui les administre par lui-même ou pas ses mandataires, et
qui partage ensuite également tous les produits ».
« Tous les instruments de travail et les matières à
travailler sont fournis sur le capital social, comme tous les produits
de la terre et de l’industrie sont déposés dans
des magasins publics. Nous sommes tous nourris, vêtus, logés
et meublés avec le capital social, et nous le sommes tous
de même, suivant le sexe, l’âge et quelques autres
circonstances prévues par la loi ». Comme on le voit,
on est très loin d’avoir à faire seulement à
un communisme de l’amour, de la consommation, de la communion.
Il s’agit plutôt d’une extension et d’une
application de la forme communautaire de filiation chrétienne
à l’économie industrielle et agricole moderne.
Le deuxième point, qui échappe à Durkheim,
et pour la même raison, c’est le rôle du progrès
technique dans le communisme moderne. La machine, pour Cabet, va
enfin permettre la réalisation effective de la communauté
complète. Elle est la condition enfin trouvée de la
réalisation du christianisme : la « Communauté
des biens sera réalisée beaucoup plus facilement grâce
aux progrès de l’industrie » ; « le développement
actuel et sans borne de la puissance productrice au moyen de la
vapeur et des machines peut assurer l’égalité
d’abondance » [37] .
Le communisme icarien a fait clivage et il a été
rejeté par nombre de socialistes, ou de mutuellistes, incarnant
pour beaucoup ce que plus tard les anarchistes appelleront le «
communisme autoritaire ». Une autre critique courra à
l’encontre d’un autre aspect de ce communisme, et qui
est l’égalité complète dans la répartition
des biens dans la communauté telle qu’elle était
promue par les babouvistes puis les Icariens. On a vu plus haut
ce qu’en pensaient les « phalanstériens »
de Victor Considérant. L’une des condamnations les
plus fermes dont Marx et Engels se souviendront est celle des saint-simoniens
dans la Doctrine de Saint-Simon, ouvrage dans lequel ils entendent
distinguer soigneusement « association » et «
communauté des biens » : « Nous devons prévoir
que quelques personnes confondront ce système (celui de l’association)
avec celui que l’on connaît sous le nom de communauté
des biens. Il n’existe cependant aucun rapport entre eux.
Dans l’organisation sociale de l’avenir, chacun, avons-nous
dit, devra se trouver classé selon sa capacité, rétribué
suivant ses œuvres ; c’est indiquer suffisamment l’inégalité
de partage. Dans le système de la communauté, au contraire,
toutes les parts sont égales ; et contre un pareil mode de
répartition, les objections nécessairement se présentent
en foule. Le principe de l’émulation est anéanti,
là où l’oisif est aussi avantageusement doté
que l’homme laborieux, et où celui-ci voit, par conséquent,
toutes les charges de la communauté retomber sur lui. (…)
Ces objections sont fondées et sans réplique quand
elles attaquent le système de la communauté des biens
; mais elles n’ont aucune valeur si on les oppose au principe
de la classification et de la rétribution selon les capacités
et les œuvres, principe que nous croyons destiné à
régler l’avenir. » [38]
Marx et Engels n’étaient pas moins critiques lorsque,
dans le Manifeste du parti communiste, ils n’avaient pas de
mots assez durs pour dénoncer l’esprit sectaire et
réactionnaire, de ceux qui ne voyaient d’issue au capitalisme
que dans la constitution de petites communautés où
règneraient « un ascétisme général
et un égalitarisme grossier » [39].
La question se pose de savoir ce que Marx et Engels vont faire
de cette disjonction entre communauté et association, comment
ils vont passer du slogan « tous les hommes sont frères
» de la Ligue des Justes au slogan « prolétaires
de tous les pays unissez-vous » de la Ligue des communistes.
Comment ont-ils repris à leur propre compte le nom de «
communisme » tout en rejetant la problématique égalitariste
et ascétique de la « communauté des biens »
qui jusque-là l’avait caractérisé ? Et
quel rapport, d’un autre côté, entretiennent-ils
avec la problématique de l’association des saint-simoniens
et des fouriéristes?
Marx et l’« être-commun » comme
association
Cette caractérisation du communisme utopique comme «
communauté des biens », dont l’institution-type
et la manifestation est le repas fraternel [40], n’est pas
totalement étrangère à Marx, pas plus qu’elle
ne l’est à Proudhon. Mais c’est un commun rejet
de ce modèle communautaire qui les inspire l’un et
l’autre. Dans les Manuscrits de 1844, Marx critique ce communisme
brut, grossier qui généralise la pauvreté.
Mais il y verra moins une position anhistorique qu’une négation
abstraite de la propriété privée et de la personnalité,
qui est encore marquée par ce qu’elle nie et qui n’a
pas encore saisi le mouvement de l’histoire comme négation
réelle de la propriété privée [41].
Quant à Proudhon, il s’en prendra à «
l’hypothèse communiste », qu’il oppose
à « l’hypothèse individualiste ».
Le communisme, écrit-il, veut absorber l’individu dans
le groupe, le soumettre entièrement à la communauté,
sans lui laisser aucune initiative : « Dans le communisme,
la société, l’État, extérieur
et supérieur à l’individu jouit seul de l’initiative
; hors de lui, point de libre action ; tout s’absorbe en une
autorité anonyme, autocratique, indiscutable, dont la providence
gracieuse ou vengeresse distribue d’en haut, sur les têtes
prosternées, les châtiments et les récompenses.
Ce n’est pas une cité, une société ;
c’est un troupeau présidé par un hiérarque,
à qui seul, de par la loi, appartiennent la raison, la liberté
et la dignité d’homme » [42]. Et cette position
ne sera pas isolée. On la retrouve chez tous ceux qui se
réclameront de l’anarchisme et tiennent que l’égalité
économique n’est pas une condition suffisante de la
liberté mais qu’il y faut encore l’abolition
de l’État. On sait que Marx avait également
cet objectif.
Le tour de force de Marx tient précisément au fait
d’être parti de la modernité saint-simonienne
du socialisme en cherchant à lui rattacher, par projection
dans l’avenir, la perspective du communisme présenté
comme une société enfin débarrassée
de l’hypothèque de la rareté et de la nécessité.
La société communiste peut alors être coupée
de toute attache au modèle de la société archaïque,
celle d’avant la division du travail. L’utopie communiste
de la communauté ascétique et hiérarchique,
telle que l’a critiquée Proudhon et analysée
Durkheim, est récusée avec la dernière énergie.
Le document qui est à cet égard le plus éloquent
est la « circulaire contre Hermann Kriege » de 1846.
Il s’agit en fait d’une suite de résolutions
adoptées par une réunion de huit communistes concernant
le journal allemand de New-York, Der Volks-Tribun, rédigé
par Hermann Kriege, communiste allemand émigré aux
Etats-Unis. La troisième section de ce document, intitulée
« Fanfaronnades métaphysiques », épingle
l’idéal de l’homme communiste tel qu’il
est défini par Kriege. Selon ce dernier, l’homme communiste
aspire à « se dévouer entièrement à
l’espèce ». La lutte pour la société
communiste est ainsi comprise comme « la quête du grand
esprit de la communauté », grand esprit qui déborde
« de la coupe de la communion » et jaillit, «
tel l’Esprit-Saint, de l’œil du frère ».
Il suffirait donc de reconnaître cet esprit « pour unir
tous les hommes dans l’amour ». Aux yeux de Marx et
d’Engels, ce « résultat métaphysique »
découle de la confusion entre communisme et communion. Leur
conclusion est la suivante : « Kriege prêche ainsi,
au nom du communisme, la vieille chimère religieuse élucubrée
par la philosophie allemande, qui est en contradiction directe avec
le communisme. » [43]Le geste de rupture ici accompli est
révélateur d’une intention théorique
profonde : retourner le « communisme » contre l’idéal
religieux de « communauté » dont il est pourtant
historiquement issu.
Ce retournement n’est possible qu’à la condition
qu’en lieu et place de l’opposition entre « socialisme
» et « communisme », ce soit l’opposition
entre une utopie d’inspiration religieuse et une science du
développement des sociétés qui devienne déterminante.
Le communisme ne veut plus alors désigner « ni un état
qui doit être créé, ni un idéal sur lequel
la réalité devra se régler », mais «
le mouvement réel qui abolit l’état actuel des
choses (die wirkliche Bewegung welche den jetzigen Zustand aufhebt)»,
selon les termes de L’idéologie allemande. Le communisme
ne se présente donc pas comme une utopie, mais à la
fois comme un processus historique, dont le socialisme serait la
science, et comme le résultat nécessaire de ce même
processus. On voit donc la complexité introduite dans des
réponses que seule la dogmatique ultérieure a cherchée
à lisser. Le « communisme » de Marx n’est
à certains moments rien d’autre que l’association
saint-simonienne posée non plus comme une création
imaginaire mais comme un phénomène inscrit dans le
mouvement de l’histoire. A d’autres moments, et en particulier
après la Commune de Paris comme « forme enfin trouvée
de la dictature du prolétariat », il semble bien que
la « communauté » ait pu être assimilée
à la forme communaliste, pourtant largement inspirée
de Proudhon [44]. Il n’est que d’examiner l’usage
que Marx et Engels peuvent faire du terme d’ « association
» pour se convaincre qu’ils continent à donner
à ce terme une force de sens qui n’est pas exempte
d’équivoque. Tantôt ce terme désigne un
processus objectif, celui de la coopération et de la division
du travail, tantôt il renvoie à la société
communiste qui se donne comme l’aboutissement de ce même
processus objectif. Ainsi, dans les Grundrisse, Marx écrit
que « l’association des travailleurs (Die Assoziation
der Arbeiter) », c’est-à-dire la coopération
et la division du travail, apparaît « comme force productive
du capital », et qu’en ce sens elle n’est «
pas non plus posée par les travailleurs, mais par le capital
», si bien que « leur réunion (Vereinigung) n’est
pas leur existence, mais l’existence du capital » [45].
Mais, d’un autre côté, Le Capital compare dans
un développement célèbre la société
communiste à l’activité de Robinson sur son
île : cette société est définie comme
« une association d’hommes libres (ein Verein von freier
Menschen) travaillant avec des moyens de production collectifs »
[46]. On fera valoir que Verein a ici le sens d’une forme
institutionnelle, ce qui n’est pas le cas pour la Vereinigung
du passage des Grundrisse. Reportons-nous au Manifeste communiste
: on y trouve les deux significations portées par le même
mot, celui d’Assoziation.
D’un côté, il est question du progrès
de l’industrie qui substitue à l’isolement des
ouvriers par la concurrence leur union révolutionnaire par
l’association (ihre revolutionäre Vereinigung durch die
Assoziation) [47]. Mais, d’un autre côté, la
société communiste est décrite comme «
une association (eine Assoziation) dans laquelle le libre développement
de chacun est la condition du libre développement de tous
», ce qui a pour condition que toute la production soit concentrée
« entre les mains des individus associés». On
voit que le mot « association » renvoie à la
fois à une tendance objective à l’œuvre
dans le capitalisme, celle de la concentration des ouvriers dans
la grande industrie, et à la société à
venir qui est censée résulter du « mouvement
réel », c’est-à-dire de cette même
tendance objective. Mais par là aucun raccord, sinon purement
verbal, entre les deux significations n’est véritablement
opéré. Car, si d’un côté l’on
considère le seul processus objectif de la coopération
et de la division du travail, ce qui se dessine c’est le modèle
d’une société-fabrique soumise à une
discipline de fer. En témoigne en particulier un passage
du Capital dans lequel Marx adresse aux apologues bourgeois de la
division manufacturière du travail une critique non exempte
d’ambiguïté : ces mêmes personnes «
ne trouvent rien à dire de pire contre toute idée
d’organisation générale du travail social que
celle-ci transformerait la société tout entière
en une vaste fabrique » [48]. Certes, Marx pointe ici l’inconséquence
qu’il y a à célébrer la division manufacturière
du travail tout en dénonçant tout contrôle social
conscient de la production comme une extension du modèle
de la fabrique à toute la société, mais à
le lire on ne peut se défendre de l’idée que
la transformation de la société « en une vaste
fabrique » est à ses yeux le prix à payer pour
la mise en œuvre d’une telle réglementation. D’un
autre côté, si l’on considère la représentation
de la société future en termes de grande association,
c’est alors un tout autre modèle qui s’impose
dont on voit mal comment il pourrait se concilier avec le premier,
tant la relation radicalement non hiérarchique qui y prévaut
semble exclure la stricte subordination entre les individus impliquée
par le modèle de la société-fabrique.
Cette difficulté est moins résolue que déplacée
par la thèse selon laquelle cette grande association formerait
une communauté au sens d’un « être »
ou d’une « essence » commune (Gemeinwesen). Ce
concept permet d’éviter l’écueil organiciste
ou spiritualiste de la communauté (Gemeinschaft) comme être
moral supérieur aux individus, ce qui exigerait de la part
de ces derniers une subordination sans réserve, comme c’était
précisément le cas dans l’égalitarisme
grossier du communisme babouviste. En ce sens il répond à
une préoccupation bien légitime : comment obtenir
de l’association qu’elle donne naissance à un
tout sans pour autant que ce tout ne soit supérieur aux individus
qui le composent et aux liens qu’ils ont volontairement établis
entre eux, ce qui aurait immanquablement pour effet de défaire
le lien de l’association ? Mais il est plus difficile de comprendre
en quoi cette essence commune se distingue de la communauté
autoritaire et vertueuse des utopistes. On doit resituer la préoccupation
de Marx dans le contexte de la polémique contre Stirner.
Rappelons que dans L’Unique et sa propriété
(1844) ce dernier oppose l’« association » à
la « société » ou à la «
communauté ». L’association limite ma liberté
mais non mon individualité, car il ne s’agit que d’une
convention qui ne crée aucune puissance supérieure
à la mienne. Au contraire, la société ou la
communauté constitue une puissance « en soi »
ou « au-dessus de moi », à laquelle je dois sacrifier
non seulement ma liberté, mais mon individualité.
L’Etat est précisément la figure de la communauté
en tant qu’elle revendique « mon vrai Moi » devant
lequel je suis sommé de me prosterner. A l’inverse,
« l’association de quelque sorte qu’elle soit
est toujours ma création propre, ma créature, elle
n’est pas sacrée, elle n’est pas une puissance
spirituelle dominant mon esprit ». Ce que je suis comme individu
ne peut donc s’affirmer que dans l’association, «
parce que l’association ne te possèdes pas, parce que
c’est au contraire toi qui la possèdes et l’utilises
à ton profit ». Si « la société
que veut fonder le communisme paraît tenir de très
près à l’association », il n’y a
là en réalité qu’une apparence trompeuse
: le communisme, assure Stirner en faisant référence
à Weitling, ne fait que donner au principe chrétien
« les conséquences les plus rigoureuses ». En
somme, si l’association n’est qu’un moyen pour
le moi de renforcer sa puissance, la communauté préconisée
par les « communistes » est en revanche une fin en soi
qui immole mon bien et ma propriété sur l’autel
du « bien commun » : « la société
se sert de toi, tu te sers de l’association » [49].
Il faut chercher la réponse de Marx à Stirner du
côté du type d’individualité reconnue
à ceux qui partagent l’être-commun de ce qu’il
faut bien appeler l’« association communiste ».
Dans L’Idéologie allemande, Marx oppose à Stirner
et à son « association volontaire d’égoïstes
» la conception qu’un Fourier se faisait de l’association
: alors que Stirner fait l’éloge des « unions
bourgeoises » et des « clubs bourgeois » existants,
Fourier rapporte ces associations aux conditions de production et
d’échange existantes et en appelle à une «
transformation totale et révolutionnaire de la société
» [50]. De fait, lorsqu’il se représente l’individu
de l’association communiste, Marx est proche de Fourier. A
l’individualisme étriqué de Stirner il oppose
l’« individu total » de l’association communiste.
Il comprend par cette expression un individu qui déploie
une totalité de facultés dans sa propre activité
de production. Ce qui implique que l’activité de cet
individu ne soit plus mutilée et séparée d’elle-même
par la division du travail. On obtient ainsi une homologie parfaite
entre le tout-individu et le tout-communauté : si la communauté
n’est plus un être séparé des individus,
c’est pour autant que chaque individu est en lui-même,
non plus un individu partiel, mais un individu total. La communauté
n’est un tout non hiérarchique que parce que chaque
individu est déjà en lui-même un totus, de sorte
que la relation des individus les uns avec les autres est une relation
d’entre-expression immédiate entre des totalités.
C’est ce que disait déjà avec force ce texte
tiré des Notes de lecture de 1844 : « Supposons que
nous produisions comme des êtres humains : chacun de nous
s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même
et l’autre … J’aurais dans mes manifestations
individuelles, la joie de créer la manifestation de ta vie,
c’est-à-dire de réaliser et d’affirmer
dans mon activité individuelle ma vraie nature, mon être-commun
(Gemeinwesen). Nos productions seraient autant de miroirs où
nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre.»
[51] Si l’on suit cette ligne de pensée, on voit s’ébaucher
l’image d’une « société-personne
» [52] qui se rapporte immédiatement à elle-même
en raison de la « simplicité transparente » de
ses relations sociales : c’est très exactement la vision
de la société communiste donnée par le chapitre
I du Capital, cette association d’hommes « dépensant
consciemment leurs nombreuses forces de travail individuelles comme
une seule (eine) force de travail sociale » [53]. Si l’on
demande maintenant ce qui fait dès à présent
de cet individu total une nécessité pratique, on obtient
cette réponse déconcertante : c’est le mouvement
de la grande industrie qui crée lui-même les présuppositions
matérielles (materiellen Voraussetzungen) du remplacement
de l’individu partiel (Teilindividuum) par l’individu
totalement développé (total entwickelte Individuum)
[54]. Le même problème demeure donc toujours : de la
division du travail dans la grande industrie à la société
qui se rapporte à elle-même immédiatement à
travers le travail de ses membres, il n’y a aucun passage
nécessaire, mais à l’inverse une projection
typiquement idéaliste qui est déniée comme
telle.
On mesure par là l’étrange et tragique destin
du marxisme. Tandis que Marx a modifié le sens du mot «
communisme » pour lui faire désigner une société
d’individus émancipés de toute contrainte, les
partis et les régimes communistes se sont employé
après lui, et en son nom, à mettre en œuvre une
oppression inédite des individus par l’État
allant jusqu’à l’emprisonnement et l’extermination
de masse. C’était pour le moins donner raison à
tous ceux qui, à l’instar de Proudhon, pouvaient craindre
que « l’hypothèse communiste » des philosophes
abstraits ne donne lieu au pire des régimes. Que la réactivation
de cette « hypothèse » se fasse aujourd’hui
sous le signe d’un platonisme déclaré (en l’occurrence,
celui d’Alain Badiou) n’étonnera guère
ceux qui savent que le communisme pré-marxiste doit à
l’auteur de La République l’essentiel de son
inspiration. Sur ce point, il vaut la peine de se remémorer
le jugement sans appel de Marx : « La République de
Platon, dans la mesure où la division du travail y est développée
comme principe constitutif de l’Etat, n’est que l’idéalisation
athénienne du système égyptien des castes »
[55]. Toute la question est de savoir s’il faut redonner vie
à la doctrine du « socialisme associationniste »
pour faire pièce à une telle remise au goût
du jour. On peut légitimement douter que l’idéal
de la société comme « grande association »
transparente à elle-même soit de nature à constituer
une alternative crédible à la nouvelle apologie de
la communauté platonicienne. Toute pensée soucieuse
d’affronter aujourd’hui la question du commun doit sortir
de cette alternative et commencer par poser que le commun n’est
ni dans l’avoir-en-commun de la communauté, ni dans
l’être-commun de l’association, mais seulement
dans l’agir commun comme institution du commun.
Notes
[1] Cet exposé reprend et prolonge notre article «
Entre communauté et association », publié dans
« Socialisme : y revenir » ? Cités, n°43,
Presses universitaires de France, 2010.
[2] Gérard Bensussan, Moses Hess la philosophie le socialisme
(1836-1845), PUF, p. 162.
[3] Karl Marx, Philosophie, Folio essais, 2005, p. 44.
[4] Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, Éditions
sociales, 1981, p. 30
[5] « La différence scientifique entre socialisme
et communisme », tel est en revanche le propos de Lénine
dans le chapitre 5 de L’État et la révolution.
[6] Karl Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844,
introduit, traduit et annoté par F. Fischbach, Vrin, 2007,
p. 143-147.
[7] Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique,
Éditions sociales, édition bilingue, 1977.
[8] Ibid., p. 93-95.
[9] Emile Durkheim, Le socialisme, sa définition, ses débuts,
la doctrine saint-simonienne, Librairie Felix Alcan, 1928.
[10] Ibid., p. 25.
[11] Ibid., p. 34.
[12] Doctrine de Saint-Simon, Exposition, Paris, 1830, p. 115.
[13] Ibid., p. 77 à 83.
[14] F. Engels, op.cit., p. 99.
[15] Cf. Philippe Chanial, Justice, don et association, La délicate
essence de la démocratie, La Découverte/Mauss, 2001
et plus récemment, La délicate essence du socialisme,
Au bord de l’eau, 2009.
[16] Victor Considerant, Principes du socialisme, Manifeste de
la démocratie au XIXe siècle première édition
1843, et réédition 1847, suivi de La solution ou le
gouvernement direct du peuple, 1850, Réédition Otto
Zeller, Osnabrück, 1978, p. 80 et 81.
[17] Ibid. p. 41.
[18] Cité par Philippe Chanial, La délicate essence
du socialisme, Au bord de l’eau, 2009, p. 70 et 71.
[19] Emile Durkheim, op. cit., p. 46.
[20] Cette dimension est très fortement soulignée
dans le texte de Gerrard Winstanley, L’étendard déployé
des vrais niveleurs (1649) : la suppression de la propriété
privée, grâce à laquelle un peuple sera «
uni dans l’unité (Oneness) par une commune communauté
de vie (common community of livelihood) », doit anéantir
« l’homme charnel empli de convoitise et d’orgueil
», cf. la traduction du texte aux Editions Allia, 2007.
[21] Friedrich Engels, « Contributions à l’histoire
du christianisme primitif », Devenir social, 1894.
[22] MEGA, I, 2, 441.Cité par Henri Desroche, Socialismes
et sociologie religieuse, Editions Cujas , 1965.
[23] Étienne Cabet, Colonie icarienne aux Etats-Unis : sa
situation, Paris 1856. Cité par Henri Desroche, in préface
au Voyage en Icarie, Anthropos , 1970.
[24] Appendice au Voyage en Icarie, Anthropos, 1970, p. 567.
[25] Ibid., p. 567.
[26] Ibid., pp. 345-346
[27] Appendice au Voyage, p. 567.
[28] W.Weitling, L’humanité telle qu’elle est
et telle qu’elle devrait être, cité par Auguste
Cornu , Karl Marx et Friedrich Engels, Leur vie et leur œuvre,
tome second, PUF, 1958, p. 148.
[29] Paris, chez Desloges, 1848, p.4 et 5.
[30] Lettre de 16 avril 1830 cité par Desroche p. 123
[31] cité par Cabet, Le vrai christianisme suivant Jésus-Christ,
bureau du Populaire, avril 1846. p. 232 et 233 et p. 589.
[32] F.Engels, Contributions à l’histoire du christianisme
primitif, Devenir social, 1894. F. Engels remarque à propos
des communistes après 1830 : « Les communistes révolutionnaires
français, de même que Weitling et ses adhérents,
se réclamèrent du christianisme primitif, bien longtemps
avant que Renan ait dit : « Si vous voulez vous faire une
idée des premières communautés chrétiennes,
regardez une section locale de l’Association internationale
des travailleurs. »
[33] Voyage, p. 35.
[34] Philippe Buonarroti, Conspiration pour l’égalité
dite de Baboeuf, Tome premier, Paris , Baudouin Frères, 1828,
p. 142-143 .
[35] Voyage, p. 35.
[36] Voyage, p. 36
[37] Préface au Voyage, p. III.
[38] Doctrine de Saint-Simon, Exposition, édition 1831,
p. 183.
[39] Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti communiste,
Livre de poche, p. 48.
[40] On sait que Pierre Leroux voit dans cette pratique spartiate
des « philities » une institution qui prépare
l’eucharistie chrétienne et le socialisme (De l’Egalité,
Paris, 1838).
[41] Cf. K. Marx, Manuscrits économico-philosophiques de
1844, op. cit.
[42] Pierre-Joseph Proudhon, De la Justice dans la Révolution
et dans l’Église (1858), p.151. Dans De la capacité
politique des classes ouvrières (1865), il oppose dans le
même esprit le « système du Luxemburg »,
ou « système communiste », au « système
du Manifeste », ou « système mutuelliste ».
La première expression renvoie à la commission du
Luxemburg de la révolution de 1848, la seconde au Manifeste
des soixante ouvriers parisiens de 1864.
[43] Karl Marx, Œuvres III, La Pléiade, p. 1472-1473.
[44] Il suffit de se reporter à la note ajoutée par
Engels pour l’édition de 1885 de l’Adresse du
Comité central de la Ligue des communistes (mars 1850) pour
voir au prix de quelles contorsions théoriques ce dernier
cherche à justifier rétrospectivement la condamnation
de la « constitution communale libre » en mars 1850
tout en se ralliant à la Selbstregierung provinciale et locale
en 1885 (Œuvres IV, p. 557).
[45] Manuscrits de 1857-58, II, p. 75 (traduction modifiée).
[46] Le Capital, Livre I, p.90.
[47] Marx § Engels, Manifeste du parti communiste, GF Flammarion,
p. 89. Ce passage est reproduit en note dans la partie du chapitre
XXIV du Livre I du Capital consacrée à la «
Tendance historique de l’accumulation capitaliste »
(Ibid., p. 857).
[48] Le Capital, op. cit., p. 401.
[49] Max Stirner, L’Unique et sa propriété,
La Table ronde, 2000, p. 334. Sur tous ces points, ibid., p. 327
à p. 333.
[50] L’Idéologie allemande, Editions sociales, 1968,
p. 457-458.
[51] Karl Marx, Œuvres II, p. 33 (traduction modifiée).
[52] L’expression est de Bernard Chavance, Marx et le capitalisme,
Armand Colin, 2009, p. 137.
[53] Le Capital, op. cit., p. 90.
[54] Ibid., p. 547-548. La notion de l’ « individu
total » apparaît dès L’Idéologie
allemande qui parle expressément de totalen Individuen (Marx-Engels
Jahrbuch 2003, Akademie Verlag, Berlin 2004, p. 90-91). Elle ne
sera jamais abandonnée.
[55] Ibid., p. 413.
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