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Origine : http://iresmo.jimdo.com/2011/07/08/dardot-pierre-et-laval-christian-la-nouvelle-raison-du-monde/
Le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval proposent
dans La nouvelle raison du monde une analyse de l’émergence
et des caractéristiques du néolibéralisme.
L’ouvrage s’organise en trois grands pans: le libéralisme
classique, l’émergence du néolibéralisme
et donc ce qui le distingue fondamentalement du libéralisme
classique, l’analyse de la nouvelle rationalité néolibérale.
L’originalité de la position de ces deux auteurs consiste
à analyser le néolibéralisme comme “la
raison du capitalisme contemporain” (p.7). Ils définissent
ainsi le néolibéralisme comme “l’ensemble
des discours, des pratiques, des dispositifs qui déterminent
un nouveau mode de gouvernement des hommes selon le principe universel
de la concurrence” (p.6). En effet, le principe du marché
néolibéral n’est pas selon eux l’échange,
mais la concurrence. Une telle étude en termes de rationalité
instaurant de nouvelles formes de gouvernementalité, et en
particulier de gouvernement de soi, inscrit les analyses des auteurs
dans la lignée de Michel Foucault. Ainsi, cette perspective
sur le néobéralisme, qui insiste sur le type de rationalité
que celui instaure sur les activités des acteurs, n’est
pas sans nous faire penser aux approches wébériennes
et à celles de l’Ecole de Franckfort. En tout cas,
elle se distingue à la fois de celles qui réduisent
le néolibéralisme à n’être qu’une
idéologie, et de celles qui, spécifiquement matérialistes,
analysent le néolibéralisme comme une phase particulière
du capitalisme qui correspondrait à un certain état
des moyens de production.
La seconde originalité de l’ouvrage est son insistance
à battre en brèche la thèse qui avait pu être
dominante dans une première phase de l’antilibéralisme
à la suite de Pierre Bourdieu et qui voyait dans les politiques
néolibérales une diminution de l’Etat, en tout
cas sous sa forme d’Etat social. Les deux auteurs insistent
sur l’influence de l’ordolibéralisme dans l’émergence
du néolibéralisme. Ce courant “né dans
les cercles intellectuels en opposition au nazisme [...] est ainsi
une doctrine de transformation sociale qui en appelle à la
responsabilité des hommes” (p.188). Sa conception de
l’Etat se distingue fortement de celle du libéralisme
classique en ne lui assignant pas uniquement un rôle de veilleur
de nuit, mais en considérant l’intervention de l’Etat
comme nécessaire à la constitution et au maintien
du cadre du marché concurrentiel. Les auteurs examinent en
particulier les liens entre ces courants et la Troisième
voie sociale-libérale et la construction européenne.
Une analyse du néolibéralisme qui mette en valeur
l’importance du rôle de l’Etat s’avérait
en effet fortement nécessaire à la lumière
de l’intervention des Etats dans le sauvetage du système
bancaire lors de la crise du subprimes en 2008. Pour les deux auteurs,
il ne s’agit pas d’un renforcement de l’intervention
de l’Etat ou d’un tournant, mais d’une continuité
avec les principes même du néolibéralisme. En
cela, ils s’opposent également aux thèses postmodernes
qui avaient pu interpréter la phase néo-libérale
du capitalisme comme correspondant à une disparition des
Etats au profit de nouvelles formes de gouvernance supra-étatiques.
Un des points que mettent en valeur les auteurs, c’est que
les réformes néo-managériales de l’Etat,
si elles ne visent pas à en diminuer l’intervention,
transforment profondement la nature de celui-ci, en effectuant le
passage de l’Etat bureaucratique, étudié par
Weber, à un Etat dont le modèle organisationnel serait
l’entreprise.
Troisième élément qu’il nous semble
important de mettre en valeur concernant cet ouvrage, c’est
l’analyse qu’effectuent les deux auteurs du type de
subjectivisation et de gouvernement de soi que produit le néolibéralisme.
En effet, en s’appuyant sur les apports de la philosophie
de Michel Foucault et sur le travail empirique de la psychosociologie
clinique du travail, ils mettent en valeur ce qui leur paraît
être les principales caractéristiques du “sujet
néolibéral”. Il est possible d’en mentionner
deux éléments. D’une part, le sujet est encouragé
à se transformer en entrepreneur de lui-même. D’autre
part, les idéaux d’autonomie fonctionnent en réalité
comme des injonctions à l’autonomie, des contraintes
sous une apparence de liberté.
La nouvelle raison du monde de Pierre Dardot et Christian Laval
est un ouvrage qui s’est rapidement imposé comme une
référence de l’analyse du néolibéralisme
par la synthèse foisonnante qu’il opère sur
le sujet !
Irène Pereira
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