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A l’origine, le néo-libéralisme était...français !
Jeudi 3 Décembre 2009
Hervé Nathan - Marianne

Origine : http://www.marianne2.fr/A-l-origine-le-neo-liberalisme-etait-francais_a182989.html

Face aux fascismes, au communisme, et au planisme du Front Populaire des années 30, un certain nombre d'intellectuels ont posé les premières pierres de ce qu'est devenu le néo-libéralisme. Hervé Nathan nous raconte cette genèse.

Interrogeons n’importe quel citoyen dans la rue, il nous répondra : « un néolibéral ? C’est un Américain ou un Anglais qui fait passer le marché avant l’humanité ». Le bon sens populaire se trompe rarement sur toute la ligne. D’abord parce que certains chercheurs et non des moindres, comme le sociologue Pierre Bourdieu, ont enseigné dans les années 90 une définition similaire du néolibéralisme. Et ensuite, il y a bien dans la pratique actuelle de certains de nos néolib’ la sauvagerie que décrit notre quidam du coin de la rue.

Notre homme serait bien étonné s’il découvrait que le néolibéralisme est né…à Paris, en août 1938, lorsque 26 économistes se réunirent lors du colloque Walter Lippmann (du nom d’un célèbre journaliste et intellectuel américain, auteur de « La Cité libre »), à l’initiative du philosophe positiviste français Jacques Rougier. Il y avait urgence. « On était alors juste après l’Anschluss. Le totalitarisme semblait gagner partout sur la planète. L’ordre économique libéral qui régnait sur le monde occidental depuis 150 ans se révélait incapable de soutenir les démocraties », explique le philosophe Pierre Dardot.

Drôle de colloque où un quart des participants étaient des réfugiés politiques ayant fui le fascisme, dont les Autrichiens Friedrich Hayek ou Ludwig von Mises, l’Allemand Alexander Rüstow ou encore l’Espagnol Jose Castillo. On trouve aussi deux jeunes français dont on entendra reparler : Jacques Rueff et Raymond Aron. Beaucoup partagent alors une conviction : le libéralisme de papa que l’on appelle alors le «laissez-fairisme » ou libéralisme « manchestérien », car héritier de Ricardo et de Malthus a échoué.

Rompre avec le laissez-fairisme, contenir le socialisme en pleine ascension ou refouler le « planisme » expérimenté par le Front populaire, voilà donc le programme que développe l’Allemand Alexander Rüstow, contre Hayek et les tenants de « l’école autrichienne » : « Tout bien considéré, il est indéniable qu’ici, dans notre cercle, deux points de vue différents sont représentés. Les uns ne trouvent rien d’essentiel à critiquer ou à changer au libéralisme traditionnel, tel qu’il fut et tel qu’il est, abstraction faite, naturellement, des adaptations et des développements courants qui vont de soi. À leur avis, la responsabilité de tout le malheur incombe exclusivement au côté opposé, à ceux qui par stupidité ou par méchanceté, ou par un mélange des deux, ne peuvent ou ne veulent pas apercevoir et observer les vérités salutaires du libéralisme. Nous autres, nous cherchons la responsabilité du déclin du libéralisme dans le libéralisme lui-même ; et, par conséquent, nous cherchons l’issue dans un renouvellement fondamental du libéralisme » (in Serge Audier, Le Colloque Lippmann. Aux origines du néo-libéralisme, page 333, Latresne, Éditions Le Bord de l’Eau, 2008).

Les économistes s’empaillèrent pour savoir s’il fallait appeler leur courant « rénovation » ou « refondation » du libéralisme, « individualisme » ou… « néo-libéralisme ». Ils ne tranchèrent pas, mais le mot était inventé! Et pour certains, sa signification était bien qu’il fallait chercher à marier l’Etat et le marché et non plus nier le rôle de l’Etat.

Une partie des économistes du colloque Lippmann, dont Jacques Rueff (futur conseiller du général De Gaulle en 1958), se retrouvèrent en 1947 au Mont Pèlerin autour de Fridriech Hayek, qui venait de publier un best seller, « La Route de la servitude » (600.000 exemplaires vendus !). Maurice Allais qui deviendra le seul prix Nobel d’économie français, refusa de signer le manifeste de la Société du Mont Pélérin, qui était selon lui trop attaché au droit de propriété. Alexander Rüstow, lui, fonda de son côté «l’ordo-libéralisme » aux racines du modèle allemande d’économie sociale de marché. Les ultras de l’école autrichienne, au premier rand desquels figure Milton Friedmann, l’animateur de l’école de Chicago, avaient capté l’héritage néolibéral. Ce n’étaient pas des rigolos. Les Chicago Boys s’illustrèrent en conseillant Pinochet après la coup d’Etat de septembre 1973 au Chili. Il est vari que pour les théoriciens comme Hayek, la liberté des affaires était première, voire supérieure aux libertés politiques. En clair, il s’accomodait d’une petit peu de dictature, pourvu que le marché demeure libre. Il faudra attendre les années 90, et la révolution conservatrice de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, pour comprendre à quel point cette branche spécifique du néolibéralisme était en fait proche du « laissez-fairisme ». Ces néolibéraux contemporains ont même, selon Pierre Dardot, perfectionné l’ultra-libéralisme : « il ne se contente plus de vouloir refouler la sphère de l’Etat, de réduire son influence dans l’économie, mais il exige de l’Etat qu’il abandonne ses règles propres, pour adopter celle du marché et de la concurrence. »

A lire :

Pierre Dardot, Christian Laval : « La nouvelle raison du monde ». La Découverte

Michaël Laisné : «Le marché introuvable » Syllepse

François Denord : « Néo-libéralisme, version française. Histoire d’une idéologie politique ». Démopolis

Alan Greenspan : « Le Temps des turbulences », JC Lattès.