Origine : http://questionmarx.typepad.fr/files/lorigine-du-capitalisme.pdf
Qui veut sortir du capitalisme doit penser sa nature et comprendre
son histoire. Rien ici n’est simple, et il serait vain de
croire que l’historiographie nous livre une version unique
du processus qui a mené en quatre siècles à
la constitution du système capitaliste mondial.
Le livre d’Ellen Meiksins Wood va au coeur du débat
qui a divisé les historiens marxistes de langue anglaise
depuis les années 1950 : le capitalisme a-t-il été
le fruit d’un commerce de plus en plus florissant à
l’intérieur des villes et entre les grands pôles
marchands internationaux ?
Ou bien est-il un événement exceptionnel et propre
à une zone géographique très précise
?
La première hypothèse voit le capitalisme comme une
simple extension du marché tel qu’il a existé
sous de multiples formes dans les sociétés non capitalistes,
de sorte que la fin du processus (le capitalisme) qu’il faut
expliquer est contenue dans son commencement (le marché).
C’est ainsi que de nombreux historiens ont entériné
une vision linéaire qui fait de l’essor du capitalisme
le résultat d’une levée plus ou moins rapide
selon les pays des « obstacles » qui entravaient une
marche inéluctable vers la « modernité ».
Contre une telle « pétition de principe », L’origine
du capitalisme propose une conception fort différente.
Le capitalisme n’est pas réductible au marché
« en général ». Car ce dernier peut fonctionner
comme lieu d’échanges et occasions de profit sans imposer
sa logique à la production économique et à
la reproduction de la société. Le capitalisme est
un système économique unique dans l’histoire
qui fait de la concurrence elle-même une force contraignante
sur les producteurs, les poussant à accroître la productivité
du travail et les profits sous peine de disparaître. La question
est donc de savoir comment un système de normes orientant
les conduites des producteurs a pu s’établir dans un
premier pays puis, par la voie impérialiste, dans le reste
du monde.
Reprenant l’analyse que faisait Marx de « l’accumulation
primitive », l’auteur situe la rupture historique dans
la mise en place en Angleterre au XVI ème siècle de
rapports sociaux de propriété d’un nouveau genre.
L’aristocratie terrienne, pour des raisons en partie politiques,
a trouvé dans la pression concurrentielle exercée
sur les fermiers et sur leurs salariés agricoles, le moyen
d’accroître ses revenus. Ellen Meiksins Wood remet ainsi
au premier plan les relations de classe, en insistant sur la violence
de la destruction des droits coutumiers des paysans sur les «
communs » et leur expropriation massive.
Le grand intérêt du livre ne réside pas seulement
dans son éclairage historique sur le capitalisme agraire
anglais. Il montre comment l’extension du capitalisme procède
à la fois de la violence étatique et de la diffusion
des impératifs concurrentiels dans tous les pays et dans
toutes les activités. Les politiques néolibérales
qui font aujourd’hui de la « compétitivité
» la norme suprême de l’action publique et de
la vie sociale continuent d’étendre à toute
l’humanité la même logique impitoyable.
Christian Laval
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