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L'eugénisme financier
L'Ornitho


On oublie que l'argent nuit gravement à la santé. Combien d'empoisonnements, de contaminations, de pollutions sont dues à notre quête effrénée de cette substance?

Voilà que nos réflexes conditionnés modifient notre vision de la médecine...

Le prix d'une vie.

Peut on imaginer des échanges de matière humaine régis par la loi de l'offre et de la demande? La France, elle l'a confirmé dans sa loi de «bioéthique» de 1994, fait partie des pays qui imposent la gratuité du don d'organe et de tissus, pour éviter la commercialisation du corps humain.

Cependant, avec les énormes progrès réalisés en matières de greffes d'organes et de tissus, la demande est infiniment plus forte que l'offre. Les listes d'attente sont très longues. D'où la tentation de «favoriser» la croissance de l'offre, par des importations en provenance de pays dans lequel de la "matière" humaine est disponible au moindre coût...

On lira à ce sujet le livre de Marie Monique Robin «Voleurs d'organes - enquête sur un trafic»"(1). Ce livre est tiré d'un très dense reportage télé qui a fait grand bruit à sa diffusion (1993), à tel point que trop «sensationnaliste» pour les uns, il a été fortement discrédité par les autres, et consensuellement jeté aux oubliettes (2).

Ce reportage a été l'objet de véritables polémiques sur l'éthique du journalisme. Mais personne ne s'est réellement interrogé sur les conditions d'existence d'un tel trafic (pénurie d'organes dans les pays riches, états pauvres corrompus, populations misérables dans des bidonvilles, criminalité incontrôlée, mafias puissantes), ni sur les liens entre la santé et l'argent...

Bonne volonté de mauvaise mémoire.

Derrière cette sombre histoire, il y a le douloureux problème du prix de la vie et de la survie. Qu'ils aient la mémoire trop courte ou les dents trop longues, le fait est que les partisans de la brevetabilité et de la commercialisation du vivant ne s'inquiètent pas de mêler argent et santé. Peut être le commerce légal et propre viendra dans un premier temps combattre la pénurie et éviter l'horreur des trafics.

Mais en mesure-t-on les dangers dans le contexte économique créé par la brevetabilité et le commerce d'éléments vitaux?

La théorie économique en vogue, sémantiquement très tournée vers la santé, multiplie les analogies biologiques et médicales dans sa modélisation du monde. On parle volontiers d'hygiène, d'assainissement des finances, de performance et de croissance, de traitement de choc, de perfusions… La santé de l'économie passe bien avant celle des hommes.

Dans le sillage de la globalisation, on désire désormais confier la gestion de la santé au marché. Si bien que la conception de la médecine se déforme. Elle commence à passer du devoir d'assistance à personne en danger au droit de rentabiliser toute assistance. Qu'advient-il des populations "non-rentables"?

La médecine devient prédictive. Déjà les compagnies d'assurance maladie adaptent leurs tarifs en fonction du profil du client, créant une «discrimination» génétique entre les individus.

La métamorphose de la médecine ne s'arrête pas là. L'homme, en accédant aux commandes de l'évolution, jusque là réservée à la sélection naturelle, se croit enfin maître de son destin. La conjugaison des perspectives scientifiques et de l'utopie libérale mène à la réapparition de thèses relative à la post-humanité, à l'avènement d'un homme supérieur (3)...

Selon Claude Humeau, Chef du service de biologie de la reproduction au CHU de Montpellier (4), la médecine traditionnelle est dis-génique, elle permet de faire survivre et reproduire les plus faibles. Elle conduit à notre «affaiblissement» et coûte cher à la collectivité. Il faudra donc revenir à une médecine plus eugénique, que la génétique permet déjà de réaliser "proprement" via le test prénatal (5)...

Sélection naturelle dernière génération...

L'homme a désormais les moyens de se modifier "consciemment". Mais selon quels critères? Selon les loi «naturelles»? On se substitue à la sélection naturelle, en prétendant rester fidèle à ses règles. Pour cela on généralise la guerre économique. C'est à dire qu'on généralise la notion de propriété, et on accentue les dépendances.

Au lieu de faire grossir une connaissance émancipatrice, la science ne semble destinée qu'à changer toujours plus spectaculairement de décor et de confort, pour nous donner l'impression d'avancer. Mais on reste prisonnier d'un système social bien figé. On peut constater à quel point la science nous permet de modifier tout ce qui nous entoure, ainsi que notre propre corps, mais pas notre intelligence collective. On continue à privilégier une collectivité établie sur la compétition. On n'arrive pas, loin de là, à combattre notre instinct naturel de prédation.

Peu importe diront les économistes, cet instinct est non seulement bénéfique, mais nécessaire à une «saine», «vertueuse» sélection naturelle. Celle qui mène à la vraie amélioration du monde. On en parle même pour se féliciter de la saine élimination des jeunes pousses de la nouvelle économie. La science n'a pas à aller à l'encontre de la vertu de la concurrence.

Alors la science fait du zèle. Elle favorise la sélection naturelle. Avec la génétique, elle veut la prendre à son compte, sans la remettre en cause, comme pour nous indiquer que l'idée de progrès qui anime notre civilisation a sans doute atteint son apogée à Auschwitz.

La science, avec les manipulations génétiques, va-t-elle nous révéler que c'est encore simplement la nature qui nous manipule?

Article écrit par Benoit


Pour le joindre son mail : Benoit


  (1) «Voleurs d'organes, enquête sur un trafic», 1995, éditions Bayard.

(2) Le reportage a reçu le prix Albert Londres, qui lui a été suspendu sous la pression de ses détracteurs, avant d'être réhabilité deux ans plus tard, après enquête du jury, dans la plus grande indifférence médiatique…

(3) Lire l'article de Patrick Viveret «Un humanisme à refonder», Le Monde Diplomatique, Février 2000.

(4) L'un des centres hospitaliers autorisés à pratiquer un diagnostic génétique préimplantatoire pour les fécondations in vitro.

(5) Propos tenus lors de la conférence «génie génétique, biotechnologies et enjeux démocratiques» le 16/02/2000 à Montpellier.
[ Ornitho N°24 - Juin 2000 ]


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