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Origine : http://www.bastamag.net/article719.html
La polémique autour de Jean Sarkozy ou la proximité
entre l’Elysée et de puissants hommes d’affaires
ne sont que la partie émergée et médiatisée
de l’iceberg. Depuis l’élection de Sarkozy père,
la France ressemble de plus en plus à une oligarchie au service
de quelques puissants intérêts privés qu’à
une République en quête d’égalité
et de solidarité. « L’Etat prédateur »,
le livre de l’économiste états-unien James Kenneth
Galbraith, décrypte cette évolution de la droite conservatrice
sous couvert de libre marché. Premier volet de ce dossier
: les « partenariats public privé », véritables
privatisations souterraines de massifs investissements publics.
Des prisons à la grippe H1N1, petit tour d’un vaste
scandale.
Elysée Business Group : Nicolas Sarkozy, accompagné
de Christine Lagarde, Martin Bouygues et Pierre Gadonneix (ex PDG
d’EDF) en visite sur le chantier de l’EPR de Flamanville.
Quel est le point commun entre le bouclier fiscal, le soutien financier
aux banques, la nomination d’Henri Proglio à la tête
d’EDF, la construction par Bouygues de prisons ultramodernes,
la gestion de la grippe AH1N1 par le ministère de la santé,
ou l’adoption de la loi légalisant le poker en ligne
et les paris sportifs et hippiques sur Internet ? Ces événements
illustrent la logique politico-économique qui guide l’action
du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Une logique qui se caractérise
par l’exploitation systématique et décomplexée
des institutions publiques au profit d’intérêts
privés. En clair : la France est en train de devenir une
oligarchie.
Cette évolution n’est pas spécifique à
notre pays. Elle a été menée par George W.
Bush et son administration aux États-Unis ou par le New Labour
d’Anthony Blair en Grande-Bretagne. Le gouvernement de Nicolas
Sarkozy ne fait qu’appliquer à l’Hexagone des
recettes déjà éprouvées outre-Atlantique
et outre-Manche. Cette stratégie, qui transforme l’État
en véritable partenaire des intérêts privés,
est décrite de manière précise par l’économiste
James Kenneth Galbraith dans son nouvel ouvrage « L’État
prédateur — Comment la droite a renoncé au marché
libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant » (Seuil).
L’économiste américain y étudie le revirement,
plus pragmatique qu’idéologique, qui s’est opéré
sous l’égide de l’administration Bush. «
Sous George W. Bush, les bases du conservatisme de libre marché
ont été abandonnées et ont été
remplacées par les structures d’un État prédateur,
la capture des administrations publiques par la clientèle
privée d’une élite au pouvoir », écrit-il.
Pour l’économiste, l’exaltation du marché
libre et de son efficacité par les néolibéraux
n’est qu’un discours à usage externe qui permet
de faire main basse sur les ressources du Trésor public.
« L’État prédateur est un système
économique au sein duquel des secteurs entiers ont été
construits pour festoyer aux dépens d’institutions
publiques initialement mises en place à des fins d’intérêt
publics (…). La république-entreprise administre simplement
le « spoils system », le partage du butin. » En
France, cette mainmise du privé sur l’argent public
est aisément illustrée par la politique de partenariat
public-privé mise en avant dans tous les secteurs où
la puissance publique intervient : voirie, éclairage public,
gestion du trafic urbain ou de l’eau, construction de bâtiments
administratifs, culturels, éducatifs, sanitaires ou pénitentiaires…
On peut aussi y ajouter les infrastructures sportives, le réseau
Internet, le traitement des déchets, l’aménagement
et les transports urbains, la formation, la vidéo surveillance
ou l’accompagnement des demandeurs d’emplois.
Un butin de six à neuf milliards d’euros à
se partager chaque année
Le principe est que l’État contracte l’achat
de services de longue durée auprès du secteur privé.
C’est le privé qui fournit le financement des infrastructures
et qui a la charge de leur construction et de leur maintenance.
En retour, il exploite pendant 15 à 30 ans le service fourni
et reçoit un loyer de la collectivité locale ou de
l’État, donc des contribuables. En janvier 2008, l’ensemble
des partenariats public-privé (PPP) signés représentait
10 milliards d’euros. A terme, ces contrats représenteront
10 à 15 % des 60 milliards d’euros consacrés
à l’investissement public, soit entre six et neuf milliards.
Compte tenu de la taille de ces marchés, seules les grosses
entreprises sont capables de répondre à la commande,
les PME se cantonnant au rôle de sous-traitants. Dans le secteur
pénitentiaire, par exemple, les entreprises en lice pour
la construction des nouvelles prisons sont les géants Bouygues,
Eiffage, Spie Batignolles (Société parisienne pour
l’industrie électrique) et Vinci. Vinci, par exemple,
profite pleinement de ces « PPP » : « Le résultat
est impressionnant. Vinci a la concession de ponts, de tunnels,
d’aéroports et de plus de 4.400 kilomètres d’autoroutes
en Europe. (…) Les concessions sont accordées pour
des durées de trente à soixante-dix ans. Elles compensent
le caractère cyclique de l’activité de construction
et sont très rentables. Au premier semestre, elles ont généré
62 % du résultat opérationnel, pour moins de 15 %
du chiffre d’affaires... », commente Le Journal des
Finances. Merci l’Etat !
Encore candidat à l’élection présidentielle,
Nicolas Sarkozy affirmait le 7 mars 2007 que les « PPP »
étaient des « modes de financement innovants. Nous
restons timides dans ce domaine, en comparaison de nos amis britanniques,
alors que nombre d’études démontrent que la
qualité du service rendu par les PPP est supérieure
à celle de la gestion directe. » La Grande-Bretagne
pratique le « PPP » depuis le début des années
90. Imaginé par les conservateurs, le dispositif connaît
un essor spectaculaire sous le gouvernement néo-travailliste
de Tony Blair. Les britanniques ont eu tout le loisir d’en
expérimenter les effets pervers. « Alors que la réalisation
des premiers projets indiquait un coût supérieur au
public, Andrew Smith, secrétaire au Trésor du gouvernement
Blair, a assuré en 2000, devant le Parlement qu’une
étude intitulée Value for money, montrait que le partenariat
public-privé coûtait en moyenne 20 % moins cher à
la collectivité, explique l’universitaire Philippe
Marlière, maître de conférence en sciences politiques
à Londres. Le problème, c’est que le rapport
n’existait pas et que M. Smith a du présenter ses excuses
aux députés. »
Fin 2005, les contrats signés pour 50 milliards de livres
sterling (54 milliards d’euros), engagent les contribuables
britanniques à verser 7,5 milliards de livres par an pendant
vingt ans, soit un total de 150 milliards de livres sterling (163
milliards d’euros) ! Pourtant les exemples de dysfonctionnement
abondent : écoles qui refusent d’inscrire certains
élèves pour maintenir leur taux de « réussite
» et donc leur attractivité, fermeture de 15.000 lits
d’hôpital en 9 ans… Un million et demi de Britanniques
attendent parfois un an pour se faire soigner à l’hôpital.
« En février 1999, le gouvernement a annulé
un contrat après que des émeutes aient éclaté
dans des prisons privées américaines dans les premiers
mois de leur exploitation par une même entreprise, poursuit
Philippe Marlière. Il a été établi que
ces émeutes avaient été provoquées par
les conditions inhumaines dans lesquelles la direction maintenait
les prisonniers afin que l’entreprise puisse dégager
des bénéfices plus importants. » Autre argument
en faveur des « PPP » : permettre à l’Etat
de ne pas accroître sa dette… On sait aujourd’hui
que c’est une grande réussite.
Des prisons plus rentables et moins « humaines »
En France, point encore d’émeutes dans les prisons,
mais de nombreux suicides. L’État prévoit un
gros programme de modernisation du parc pénitentiaire (13.200
places) pour 1,4 milliards d’euros. En janvier 2008, le ministère
de la Justice annonçait la signature d’un partenariat
avec Bouygues, lui confiant ainsi la conception, la construction,
le financement et la maintenance des établissements de Nantes
(44), Annoeullin (59) et Réau (77). Un premier lot de quatre
établissements pénitentiaires a également été
gagné par Eiffage. Bouygues avait déjà remporté
un autre lot de trois établissements. Le « PPP »
confie au partenaire privé la quasi totalité des services
à la personne : restauration, hôtellerie, cantine,
travail pénitentiaire, formation professionnelle, transport
et accueil des familles. « Le dispositif ppp a désormais
fait ses preuves… Il assure de meilleurs délais de
construction annoncés et tenus », se félicitait
Rachida Dati, alors Garde des Sceaux.
Pourtant… Malgré le passage au journal de 20 heures
de détenus triés sur le volet expliquant qu’ils
sont satisfaits de leurs nouveaux locaux, une série de pannes
à répétition défraient la chronique.
Le 2 septembre 2009, la prison de Roanne (Loire), inaugurée
en janvier, est victime d’un bug informatique empêchant
l’ouverture de toutes les serrures électroniques, paralysant
le système vidéo et les alarmes. Quelques jours plus
tôt, le 31 août 2009, l’établissement ultramoderne
de Corbas (Rhône), érigé par Bouygues, qui en
assurera l’exploitation pendant 20 ans, est sujet à
des ouvertures intempestives de grilles, à des égouts
qui débordent et des sèche-mains qui s’enflamment.
Les serrures électriques commandées à distance
par écran tactile ont cessé de fonctionner. Fin décembre
2008, à Mont-de-Marsan, la nouvelle prison tombe en panne
d’électricité. Sans lumière ni chauffage,
il faut évacuer les 87 détenus de l’établissement
« totalement novateur » qui a coûté 64
millions d’euros à la collectivité. La prison
est plongée dans le noir, la vidéo surveillance est
hors service, ainsi que le téléphone et le système
d’ouverture des grilles. La température descend à
9 degrés dans les cellules.
Jackpot pour les grands groupes pharmaceutiques
« L’État concurrentiel, ce n’est pas l’État
arbitre entre intérêts, c’est l’État
partenaire des intérêts oligopolistiques dans la guerre
économique mondiale », écrivent Philippe Dardot
et Christian Laval dans La Nouvelle raison du monde (La Découverte).
Sous couvert d’« urgence nationale », de véritables
cadeaux sont offerts aux multinationales. Citons la débauche
de moyens mis en place en direction des laboratoires pharmaceutiques
en charge de créer un vaccin contre la grippe AH1N1. C’est
presque triomphalement que Roselyne Bachelot annonce en juillet
que la France négocie la commande ferme de 98 millions de
doses de vaccin auprès du Français Sanofi-Aventis,
du Suisse Novartis, de l’Anglais GlaxoSmithKline et de l’Etats-unien
Baxter. Outre les vaccins, un milliard de masques sont également
commandés. Budget : 1,5 milliard d’euros. « C’est
cinq fois plus que le budget affecté par la France à
la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose »,
s’énerve Marc Gentilini, ancien président de
la Croix-Rouge française. D’autant qu’une enquête
compilant des résultats en Australie et en Nouvelle-Zélande
confirme la relative bénignité de la souche circulante.
Plus de 99 % des malades guérissent en quelques jours sans
aucune séquelle. Pas grave, Roselyne Bachelot explique que
les vaccins sont valables cinq ans et que la France pourra toujours
les donner aux pays pauvres s’il y en a trop.
Le ministère de la Santé risque de se retrouver avec
des millions de vaccins et de masques sur les bras si la population
est aussi récalcitrante que les médecins et infirmières
face à la campagne de vaccination. Pour l’heure, le
ministère s’apprête à envoyer à
chaque assuré social un courrier l’invitant à
aller se faire vacciner. Coût de l’opération
: 53 millions d’euros. Du côté des grands groupes
pharmaceutiques, on annonce d’importants bénéfices,
à l’instar de Sanofi-Aventis qui cumule plus de 2,3
milliards d’euros de bénéfices depuis le début
de l’année. De son côté, GlaxoSmithKline,
malgré 1,3 milliard de dollars de chiffre d’affaires
en 2008, s’apprête à licencier 434 personnes
en France. Suppressions d’emploi qui viennent s’ajouter
aux 750 de début 2009. Sans oublier la culpabilisation des
citoyens face au trou de la Sécurité sociale et les
pubs gouvernementales contre la fraude. Ces grands discours ne concernent
évidemment pas l’argent que retirent les actionnaires
des grands groupes pharmaceutiques des juteux investissements que
leur offre l’Etat.
Selon l’économiste américain James Kenneth
Galbraith, aucune des entreprises investies dans le processus n’a
intérêt à couper la main qui lui donne à
manger : l’État. Sans ses interventions économiques,
ces entreprises ne pourraient prospérer. « Leur raison
d’être est plutôt de tirer de l’argent de
l’État. Cela exige le mariage d’une organisation
économique et d’une organisation politique, explique-t-il.
Ce qui s’y joue n’est pas l’affrontement bipolaire
sur lequel se concentre une si large part des efforts de pensée
et d’argumentation — « l’État »
contre « le marché ». Contrairement à
ce que leur formation en économie conduit de nombreux esprits
à supposer, on n’y livre pas non plus, pour l’essentiel,
un combat perpétuel autour de l’enjeu : « Faut-il
élargir ou rétrécir le champ d’action
de l’État ? » On y postule plutôt que peu
à peu, au fil du temps, le rôle de l’État
va grandir. Tous ceux qui jouent un rôle sérieux dans
les débats sur l’action publique, au fond, sont d’accord
là-dessus. »
Nadia Djabali
A suivre : Adieu la République ! Vive l’Oligarchie
! Episode 2. Non seulement dirigeants, grandes fortunes et gros
actionnaires s’enrichissent grâce aux largesses de l’Etat
en matière d’investissement, mais en plus, leurs impôts
baissent.
*****************
Vive l’Oligarchie !
Qui veut gagner des milliards ?
Adieu la République…
Par Nadia Djabali (28 octobre 2009)
(Episode 2)
http://www.bastamag.net/article721.html
La nouvelle loterie développée par l’Elyséenne
des jeux remporte un vif succès : 14.000 joueurs, 14.000
gagnants ! Ce jeu pour les personnes déjà millionnaires
se nomme « bouclier fiscal » et ne doit rien au hasard.
A tous les coups on gagne. Si l’épargne amassée
par les grandes fortunes se retrouve menacée par la crise
financière : pas de panique ! L’Etat vole au secours
des banques, de leurs actionnaires et gros clients distribuant des
enveloppes de plusieurs milliards d’euros. Mais quand il s’agit
de la Sécurité sociale…
Non content de devenir un pourvoyeur d’investissements publics
au profit des grandes entreprises privées, la nouvelle oligarchie
élyséenne offre aux dirigeants et gros actionnaires
d’impressionnantes ristournes fiscales. La fiscalité
n’est jamais neutre. Souvent décrite comme résultant
de choix techniques, elle est en réalité adossée
à des choix politiques qui définissent la redistribution
des richesses au sein d’une société. Aux Etats-Unis,
chaque dispositif de réduction d’impôts «
prévoyait de petites sommes pour les catégories les
plus basses, ce qui permettait à ses auteurs d’affirmer
sans mensonge que la plupart des contribuables verraient leur prélèvement
fiscal diminuer. Mais les réductions les plus importantes
étaient toujours pour les plus gros. La répartition
des revenus étant ce qu’elle est, les bénéficiaires
des grosses réductions ont toujours été beaucoup
moins nombreux que ceux des miettes offertes à la population
», explique l’économiste James Kenneth Galbraith,
dans son livre L’État prédateur (Seuil).
Cette remarque s’applique à merveille au bouclier
fiscal mis en place par Dominique de Villepin en 2006 puis renforcé
par Nicolas Sarkozy en 2007. Il pose comme principe qu’un
contribuable ne peut payer en impôt direct plus de 60 % de
ses revenus, sous Dominique de Villepin. Le taux est passé
à 50 % (en incluant la CSG et la CRDS) en août 2007
grâce à Nicolas Sarkozy. Pour justifier cette mesure,
les médias ont réalisé de nombreux reportages
sur l’infortuné retraité, possesseur d’un
champ de pomme de terre sur l’île de Ré, contraint
de payer l’impôt sur la fortune. Un rapport parlementaire
publié en juillet 2009 remet les pendules à l’heure.
Le député UMP Gilles Carrez indique que les cent foyers
ayant reçu le plus d’argent de la part du fisc en 2008
ont capté plus du tiers des remboursements avec un chèque
de 1,15 million d’euros en moyenne. Les 1.000 bénéficiaires
les plus importants ont reçu à eux seuls 337,2 millions
d’euros. Soit 337.200 euros de cadeaux fiscaux par famille
et par an !
Mieux que l’euromillion, le bouclier fiscal : 14.000
joueurs, 14.000 gagnants
5 % de l’ensemble des foyers fiscaux qui font jouer le bouclier
reçoivent à eux seuls les trois quarts des sommes
reversées par le Trésor public. En 2008, le bouclier
fiscal a permis à 14.000 familles de soustraire de l’impôt
458 millions d’euros. 14.000 joueurs, 14.000 gagnants ! Le
hasard des loteries, c’est bon pour les ouvriers, les chômeurs
et les familles monoparentales banlieusardes. « La moyenne
de remboursement croît au fur et à mesure que la valeur
du patrimoine augmente, ce qui montre le lien structurel existant
entre le bouclier et l’impôt sur la fortune »,
remarque-t-on au Syndicat national unifié des impôts
(Snui/Sud-Trésor). Depuis 2009, les contribuables peuvent
déduire directement de leurs impôts les sommes dépassant
la barre des 50 % sans attendre le remboursement de l’administration.
Si le gouvernement reste droit dans ses bottes, en ces temps de
crise, de plus en plus de députés UMP ne sont plus
aussi convaincus de la « justesse » du dispositif. Pour
preuve les séances houleuses de l’Assemblée
nationale qui examine depuis le 20 octobre le projet de budget 2010.
La commission des Finances de l’Assemblée a rejeté
un amendement UMP proposant de retirer la contribution au remboursement
de la dette sociale (CRDS) du calcul du bouclier fiscal. Le maintien
de ce dispositif, considéré par Xavier Bertrand, secrétaire
général de l’UMP, comme « marqueur idéologique
», fait de plus en plus grincer des dents. Si des hausses
d’impôts devaient avoir lieu, les contribuables les
plus aisés ne seraient pas touchés. C’est dans
ce contexte que Didier Migaud, président socialiste de la
commission des Finances, a proposé un amendement qui augmenterait
de 10 % l’Impôt sur les sociétés (IS)
payé par les banques en 2010. Christine Lagarde, ministre
de l’Economie, n’en veut pas. La Belgique a pourtant
adopté une mesure similaire. Les Anglais s’apprêteraient
à le faire.
Sauver les banques, même si elles réalisent
de confortables bénéfices…
Lorsqu’on examine l’action de Nicolas Sarkozy pour
sauver les banques de la tourmente financière, l’expression
spoils system (partage du butin) utilisée par James Kenneth
Galbraith prend tout son sens. Objectif officiel du gouvernement
: sauver les économies des Français et aider les entreprises,
notamment les PME, à passer ce mauvais moment. 320 milliards
d’euros ont été budgétés pour
garantir les emprunts des banques et 40 milliards d’euros
ont été réunis pour les injecter, si besoin,
dans leur capital. Le plan français se différencie
de ceux de ses voisins européens - et du plan de Barack Obama
aux Etats-Unis - qui n’ont pas hésité à
nationaliser un certain nombre d’établissements au
bord de la faillite. En France, on est davantage « civilisé
» : l’État peut devenir actionnaire des banques
mais seulement à la demande de celles-ci.
Une exception culturelle qui en a choqué plus d’un,
y compris les gardiens de l’orthodoxie libérale de
la Commission européenne. Celle-ci n’a pas digéré
que le gouvernement n’ait pas exigé plus de pouvoir
dans les établissements aidés. L’Etat n’est
pas entré dans les conseils d’administration (hormis
chez Dexia), et n’a pas suspendu le versement des dividendes
aux actionnaires. Concurrence déloyale, juge Bruxelles, considérant
que ces aides permettent aux banquiers français de pratiquer
des taux d’intérêts plus intéressants.
Au total, 3 milliards d’euros ont été injectés
dans les fonds propres du Crédit Agricole ; 5,1 milliards
pour BNP-Paribas (qui a pu ainsi mettre la main sur les activités
du leader belge et luxembourgeois Fortis) ; 3,4 milliards pour la
Société Générale ; 1,2 milliards pour
le Crédit mutuel et 7 milliards pour les Caisses d’Épargne
et Banques populaires. En dehors des Caisses d’Épargne
(2 milliards de pertes) et des Banques Populaires (468 millions
de pertes), en 2008, chaque établissement affiche un bénéfice
en baisse, mais le secteur demeure encore très rentable.
BNP-Paribas gagne 3 milliards, la Société Générale
2 milliards et le Crédit Agricole 1 milliard.
La perplexité nous gagne. Le sauvetage des banques par les
fonds publics se justifiait-il vraiment ? Ce plan était soumis
à conditions : que les banques augmentent de 3 à 4
% le volume de leurs prêts afin de soutenir la relance. Il
semble que les établissements financiers aient empoché
les aides sans tenir leurs engagements. Malgré sept convocations
des grands banquiers à l’Élysée, sous
les caméras de télévision, le gouvernement
n’a jamais eu l’intention de les contraindre à
honorer leurs engagements. Ce cadeau est loin d’être
le seul, ni le plus luxueux.
…Et leurs fortunés actionnaires, même
s’ils sont déjà méga riches
Pour relancer la machine à prêts entre banques et
la circulation de l’argent, l’Etat a créé
à l’automne 2008 la Société de financement
de l’économie française (SFEF). Celle-ci gère
les 320 milliards d’emprunt que le gouvernement s’est
engagé à garantir au secteur financier, jusqu’au
7 octobre 2009. Ces mêmes sept grandes banques françaises,
à qui l’on assure l’emprunt, se sont vues octroyer
66% du capital de la SFEF. En clair : l’Etat, donc les contribuables,
garantit vos prêts, en assume les risques et vous permet d’en
empocher les bénéfices sans crainte de perdre de l’argent.
La SFEF a rapporté 1,2 milliard d’euros à l’Etat
qui possède 34% du capital de la SFEF. Cela induit que les
banques (66% du capital) se seraient donc partagées 2,4 milliards
d’euros.
Encore mieux : en contrepartie des 19,8 milliards injectés
dans les banques, l’Etat recevra 713 millions d’euros
d’intérêts. Or, les titres achetés, sans
droit de vote dans les conseil d’administration, seront remboursés
au prix d’émission : au prix affiché en Bourse
au moment où leur cours était au plus bas. L’Etat
va ainsi revendre à BNP-Paribas des titres acquis le 31 mars
2009 à 27,24 € alors qu’ils sont cotés
aujourd’hui à 58,20 €. Un cadeau de 5,8 milliards
d’euros. La Société Générale,
elle, économise 6 milliards d’euros. L’addition
augmentera lorsque le Crédit Agricole et les Banques Populaires
- Caisses d’Epargne passeront au guichet. Cet argent aurait
pu servir à combler au moins de moitié le déficit
de la Sécurité sociale. La santé de tous ou
les gigantesques intérêts financiers de quelques-uns
? L’oligarchie a ses priorités : les banques, leurs
actionnaires et leurs gros clients via les fonds d’investissements
spéculatifs, où l’on retrouve forcément
les fortunes placées par les 14.000 familles.
Autre question : comment les banques arrivent-elles à faire
des bénéfices aussi importants alors que l’ensemble
de l’économie est en récession ? « Selon
certains signes, des éléments du secteur financier
ont repris des pratiques de prises de risque qui rappellent celles
ayant mené à la crise », s’inquiète
Christian Noyer, gouverneur de la banque de France. Une crise financière
latente ? Pas grave, les contribuables seront là pour prêter
de l’argent aux banquiers. Mais certainement pas au taux du
crédit revolving. Cela aussi, comme les jeux de hasard, c’est
réservé au bas peuple.
Nadia Djabali
A suivre : Episode 3. Ces « oligarques » aux commandes
des grandes entreprises privées, des entreprises et organismes
publics. Quand la loi profite aux amis du chef de l’Etat.
*************
Oligarques à gogo !
Adieu la République...
Par Nadia Djabali (3 novembre 2009)
(Episode 3)
www.bastamag.net/article728.html
Pendant que le « débat » sur l’identité
nationale accapare la sphère médiatique, la prédation
d’entreprises publiques, de multinationales dont l’Etat
est actionnaire et de groupes bancaires par un petit clan s’intensifie.
Depuis début 2008, l’Elysée a procédé
à la nomination d’une douzaine de grands patrons, de
François Pérol à Henri Proglio. La nouvelle
loi sur les jeux d’argent en ligne sert aussi le même
petit clan, présent au célèbre dîner
du Fouquet’s, avec à la clé un marché
juteux de 3 milliards d’euros. Voici le troisième volet
de notre série « Adieu la République... Vive
l’Oligarchie ! ».
En un an et demi, Nicolas Sarkozy et son exécutif ont nommé
une douzaine de patrons. Parmi eux, Alain de Pouzilhac : cet ancien
PDG de l’agence de communication Euro RSCG est choisi en février
2008 pour diriger la holding Audiovisuel extérieur de la
France qui regroupe la chaîne d’information France 24,
la radio RFI et la chaîne de télévision généraliste
TV5 Monde. En octobre 2008, Pierre Mariani, ex directeur de cabinet
de Nicolas Sarkozy entre 1993 et 1995, quitte BNP-Paribas pour prendre
à 52 ans la direction exécutive de la banque franco-belge
Dexia. En février 2009, François Pérol, secrétaire
général adjoint de l’Élysée est
placé à la tête du nouveau géant bancaire
Banques Populaires - Caisses d’épargne de BPCE malgré
la loi du 29 janvier 1993, qui interdit à tout fonctionnaire
de rejoindre une entreprise privée sur laquelle il a exercé
un contrôle.
En mai 2009, Luc Vigneron, PDG depuis 2001 du groupe d’armement
terrestre public Giat Industries, devenu en 2006 Nexter, prend la
direction de Thales (technologies électroniques et spatiales)
détenu à 27% par l’Etat français. Il
a été directeur de la stratégie puis directeur
général d’Alcatel Alstom. En juin, Bernard Delpit,
ancien directeur adjoint de l’entreprise franco-chinoise Dongfeng
Peugeot-Citroën Automobile, puis conseiller économique
à l’Élysée depuis 2007, est nommé
directeur général délégué en
charge des finances de La Poste.
L’argent des contribuables
Le 1er septembre, Stéphane Richard, directeur de cabinet
de Christine Lagarde, est nommé directeur général
délégué de France-Telecom - Orange, dont l’Etat
détient 26% des actions. Si tout se passe comme prévu
il devrait prendre la succession de Didier Lombard dont le mandat
de PDG arrivera à échéance en 2011. Ancien
patron de la filiale immobilière de la Générale
des Eaux qu’il a racheté, il est devenu multimillionnaire
lors de sa revente. Ce proche de Nicolas Sarkozy a ensuite occupé
des fonctions de dirigeant chez Veolia Environnement et Veolia Transport,
filiale du groupe Veolia dirigé par Henri Proglio. La nomination
de ce dernier à la tête d’EDF a aussi de quoi
inquiéter. Il devrait s’installer à la tête
d’EDF le 22 novembre prochain tout en gardant la présidence
du conseil de surveillance de Veolia. Après la fusion GDF-Suez,
voilà qui augure le rapprochement EDF-Veolia. « Proglio
doit présider un géant mondial de l’électricité
et engager une nouvelle configuration qui fera à terme d’EDF
le premier actionnaire de Veolia, explique le sociologue Marc Laimé.
Cette opération verra EDF abandonner les parts qu’elle
détient dans Dalkia, la filiale spécialisée
dans le chauffage, sans que Veolia ne débourse un centime
». Le sociologue rappelle qu’avec ses 58 centrales et
plus de 400 barrages, EDF est le premier gestionnaire des masses
d’eau de surface en France. Un précieux patrimoine
aquifère pour Veolia qui a bâti son empire grâce
au marché de la gestion de l’eau et à la rente
qu’il procure.
Outre les directions des entreprises, on peut aussi citer le cas
du fonds stratégique d’investissement. Ce fonds souverain
« à la française » doté de 20 milliards
d’euros est créé en 2008 pour favoriser le développement
des PME. Il est présidé par Jean-François Dehecq,
qui dirige aussi le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis. À
la tête de son comité d’investissement, qui choisit
où placer l’argent des contribuables, on trouve Patricia
Barbizet. Elle est actuellement présidente du conseil de
surveillance du Groupe PPR (Pinault – Printemps – Redoute),
où elle occupe aussi le poste de directrice générale
d’Artemis, la holding qui gère les participations de
François Pinault (propriétaire de PPR et 6ème
fortune de France). Artemis est également impliquée
dans l’affaire Executive Life, ce rachat hasardeux d’une
société états-unienne en faillite par le Crédit
Lyonnais, qui coûta 15 milliards d’euros aux contribuables
français. La filiale du groupe PPR a été initialement
condamnée par la justice américaine à payer
une amende de 241 millions de dollars, pour dissimulation volontaire
d’informations, déclarations frauduleuses et participation
à une conspiration. L’amende a pour l’instant
été annulée. De quoi s’interroger cependant
sur les compétences de celles et ceux qui gèrent ce
tout nouveau fonds souverain et sur la justesse de leurs investissements…
De la pub et des jeux
Les exemples illustrant comment l’État rend service
aux grandes entreprises sont légions, en plus des «
partenariats public – privé ». L’annonce
de la fin de la pub sur la télé publique et la redistribution
éventuelle d’un gâteau publicitaire de 850 millions
d’euros a été suivie par une hausse de 10% de
l’action TF1 à la Bourse de Paris et de 4,5% de celle
de M6. La régie publicitaire de France Télévisions
cédera 70% de son capital début 2010. Six repreneurs
sont encore en lice : Stéphane Courbit, propriétaire
de la boîte de production Endemol, actionnaire de Direct Energie,
proche de Nicolas Sarkozy et de Vincent Bolloré ; le couple
Charles Beigbeder (dirigeant de Poweo, proche de l’UMP) et
Gaspard de Chavagnac (Televista) ; Fabrice Larue, ancien dirigeant
du groupe LVMH, propriétaire de la société
d’investissement dans la production médias et cinéma
FL Capital Partners, allié à la Caisse d’épargne
; NextradioTV, détenu par Alain Weill (BFM, RMC, La Tribune)
; Walter Butler (Butler Capital Partners), proche de Dominique de
Villepin. Une rumeur fait aussi état de l’intérêt
de… France Télécom – Orange. Au final,
deux repreneurs seront désignés. Ils auront comme
première mission de mettre en œuvre un plan social qui
menace les 288 salariés de la régie.
L’Assemblée nationale adopte le 13 octobre dernier
la loi légalisant le poker et les paris sportifs et hippiques
sur Internet. Le texte entrera en vigueur en 2010 à la plus
grande satisfaction de Bernard Arnault, propriétaire du groupe
de luxe LVMH et 1ère fortune française, Stéphane
Courbit, Martin Bouygues (groupe Bouygues), François Pinault
(PPR), Patrick Le Lay, ancien dirigeant de TF1, à la tête
d’un fonds d’investissement dont Bouygues et Artemis
(filiale de PPR) sont actionnaires, et enfin Dominique Desseigne,
dirigeant du Groupe Lucien Barrière, spécialisé
dans les casinos. Quel est leur point commun ? Ces personnalités
sont toutes investies dans des projets de sociétés
de paris sportifs ou hippiques sur Internet. Elles ont aussi la
particularité d’avoir dîné ensemble le
soir du 6 mai 2007 au Fouquet’s en présence de Nicolas
Sarkozy, tout fraîchement élu. Le marché des
jeux en ligne concerne 5% de la population et est actuellement évalué
à 3 milliards d’euros.
Oligarque : « Ce mot, qui n’est pas flatteur, exprime
une idée sur laquelle il y a un large consensus : on ne peut
pas attendre de particuliers dotés d’une telle richesse
qu’ils servent un autre intérêt que le leur »,
prévient l’économiste états-unien James
Kenneth Galbraith (L’Etat Prédateur, éditions
du Seuil). « Non seulement l’État n’a pas
disparu, non seulement il s’est mis plus que jamais au service
des entreprises, mais il s’est même mué en un
gouvernement de type entrepreneurial, dénoncent le sociologue
Christian Laval et philosophe Pierre Dardot dans La Nouvelle Raison
du Monde (Editions La Découverte). Cette mutation ne vise
pas seulement à accroître l’efficacité
et à réduire les coûts de l’action publique,
elle subvertit radicalement les fondements modernes de la démocratie.
». Ce n’est pas l’Etat qui a disparu, mais l’intérêt
général.
Nadia Djabali
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