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Vive l’Oligarchie !
Etat prédateur - Adieu la République…
Par Nadia Djabali
Bastamag - 26 octobre 2009 - Episode 1, 2 et 3

Origine : http://www.bastamag.net/article719.html

La polémique autour de Jean Sarkozy ou la proximité entre l’Elysée et de puissants hommes d’affaires ne sont que la partie émergée et médiatisée de l’iceberg. Depuis l’élection de Sarkozy père, la France ressemble de plus en plus à une oligarchie au service de quelques puissants intérêts privés qu’à une République en quête d’égalité et de solidarité. « L’Etat prédateur », le livre de l’économiste états-unien James Kenneth Galbraith, décrypte cette évolution de la droite conservatrice sous couvert de libre marché. Premier volet de ce dossier : les « partenariats public privé », véritables privatisations souterraines de massifs investissements publics. Des prisons à la grippe H1N1, petit tour d’un vaste scandale.

Elysée Business Group : Nicolas Sarkozy, accompagné de Christine Lagarde, Martin Bouygues et Pierre Gadonneix (ex PDG d’EDF) en visite sur le chantier de l’EPR de Flamanville.

Quel est le point commun entre le bouclier fiscal, le soutien financier aux banques, la nomination d’Henri Proglio à la tête d’EDF, la construction par Bouygues de prisons ultramodernes, la gestion de la grippe AH1N1 par le ministère de la santé, ou l’adoption de la loi légalisant le poker en ligne et les paris sportifs et hippiques sur Internet ? Ces événements illustrent la logique politico-économique qui guide l’action du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Une logique qui se caractérise par l’exploitation systématique et décomplexée des institutions publiques au profit d’intérêts privés. En clair : la France est en train de devenir une oligarchie.

Cette évolution n’est pas spécifique à notre pays. Elle a été menée par George W. Bush et son administration aux États-Unis ou par le New Labour d’Anthony Blair en Grande-Bretagne. Le gouvernement de Nicolas Sarkozy ne fait qu’appliquer à l’Hexagone des recettes déjà éprouvées outre-Atlantique et outre-Manche. Cette stratégie, qui transforme l’État en véritable partenaire des intérêts privés, est décrite de manière précise par l’économiste James Kenneth Galbraith dans son nouvel ouvrage « L’État prédateur — Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant » (Seuil). L’économiste américain y étudie le revirement, plus pragmatique qu’idéologique, qui s’est opéré sous l’égide de l’administration Bush. « Sous George W. Bush, les bases du conservatisme de libre marché ont été abandonnées et ont été remplacées par les structures d’un État prédateur, la capture des administrations publiques par la clientèle privée d’une élite au pouvoir », écrit-il. Pour l’économiste, l’exaltation du marché libre et de son efficacité par les néolibéraux n’est qu’un discours à usage externe qui permet de faire main basse sur les ressources du Trésor public.

« L’État prédateur est un système économique au sein duquel des secteurs entiers ont été construits pour festoyer aux dépens d’institutions publiques initialement mises en place à des fins d’intérêt publics (…). La république-entreprise administre simplement le « spoils system », le partage du butin. » En France, cette mainmise du privé sur l’argent public est aisément illustrée par la politique de partenariat public-privé mise en avant dans tous les secteurs où la puissance publique intervient : voirie, éclairage public, gestion du trafic urbain ou de l’eau, construction de bâtiments administratifs, culturels, éducatifs, sanitaires ou pénitentiaires… On peut aussi y ajouter les infrastructures sportives, le réseau Internet, le traitement des déchets, l’aménagement et les transports urbains, la formation, la vidéo surveillance ou l’accompagnement des demandeurs d’emplois.

Un butin de six à neuf milliards d’euros à se partager chaque année

Le principe est que l’État contracte l’achat de services de longue durée auprès du secteur privé. C’est le privé qui fournit le financement des infrastructures et qui a la charge de leur construction et de leur maintenance. En retour, il exploite pendant 15 à 30 ans le service fourni et reçoit un loyer de la collectivité locale ou de l’État, donc des contribuables. En janvier 2008, l’ensemble des partenariats public-privé (PPP) signés représentait 10 milliards d’euros. A terme, ces contrats représenteront 10 à 15 % des 60 milliards d’euros consacrés à l’investissement public, soit entre six et neuf milliards.

Compte tenu de la taille de ces marchés, seules les grosses entreprises sont capables de répondre à la commande, les PME se cantonnant au rôle de sous-traitants. Dans le secteur pénitentiaire, par exemple, les entreprises en lice pour la construction des nouvelles prisons sont les géants Bouygues, Eiffage, Spie Batignolles (Société parisienne pour l’industrie électrique) et Vinci. Vinci, par exemple, profite pleinement de ces « PPP » : « Le résultat est impressionnant. Vinci a la concession de ponts, de tunnels, d’aéroports et de plus de 4.400 kilomètres d’autoroutes en Europe. (…) Les concessions sont accordées pour des durées de trente à soixante-dix ans. Elles compensent le caractère cyclique de l’activité de construction et sont très rentables. Au premier semestre, elles ont généré 62 % du résultat opérationnel, pour moins de 15 % du chiffre d’affaires... », commente Le Journal des Finances. Merci l’Etat !

Encore candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy affirmait le 7 mars 2007 que les « PPP » étaient des « modes de financement innovants. Nous restons timides dans ce domaine, en comparaison de nos amis britanniques, alors que nombre d’études démontrent que la qualité du service rendu par les PPP est supérieure à celle de la gestion directe. » La Grande-Bretagne pratique le « PPP » depuis le début des années 90. Imaginé par les conservateurs, le dispositif connaît un essor spectaculaire sous le gouvernement néo-travailliste de Tony Blair. Les britanniques ont eu tout le loisir d’en expérimenter les effets pervers. « Alors que la réalisation des premiers projets indiquait un coût supérieur au public, Andrew Smith, secrétaire au Trésor du gouvernement Blair, a assuré en 2000, devant le Parlement qu’une étude intitulée Value for money, montrait que le partenariat public-privé coûtait en moyenne 20 % moins cher à la collectivité, explique l’universitaire Philippe Marlière, maître de conférence en sciences politiques à Londres. Le problème, c’est que le rapport n’existait pas et que M. Smith a du présenter ses excuses aux députés. »

Fin 2005, les contrats signés pour 50 milliards de livres sterling (54 milliards d’euros), engagent les contribuables britanniques à verser 7,5 milliards de livres par an pendant vingt ans, soit un total de 150 milliards de livres sterling (163 milliards d’euros) ! Pourtant les exemples de dysfonctionnement abondent : écoles qui refusent d’inscrire certains élèves pour maintenir leur taux de « réussite » et donc leur attractivité, fermeture de 15.000 lits d’hôpital en 9 ans… Un million et demi de Britanniques attendent parfois un an pour se faire soigner à l’hôpital. « En février 1999, le gouvernement a annulé un contrat après que des émeutes aient éclaté dans des prisons privées américaines dans les premiers mois de leur exploitation par une même entreprise, poursuit Philippe Marlière. Il a été établi que ces émeutes avaient été provoquées par les conditions inhumaines dans lesquelles la direction maintenait les prisonniers afin que l’entreprise puisse dégager des bénéfices plus importants. » Autre argument en faveur des « PPP » : permettre à l’Etat de ne pas accroître sa dette… On sait aujourd’hui que c’est une grande réussite.

Des prisons plus rentables et moins « humaines »

En France, point encore d’émeutes dans les prisons, mais de nombreux suicides. L’État prévoit un gros programme de modernisation du parc pénitentiaire (13.200 places) pour 1,4 milliards d’euros. En janvier 2008, le ministère de la Justice annonçait la signature d’un partenariat avec Bouygues, lui confiant ainsi la conception, la construction, le financement et la maintenance des établissements de Nantes (44), Annoeullin (59) et Réau (77). Un premier lot de quatre établissements pénitentiaires a également été gagné par Eiffage. Bouygues avait déjà remporté un autre lot de trois établissements. Le « PPP » confie au partenaire privé la quasi totalité des services à la personne : restauration, hôtellerie, cantine, travail pénitentiaire, formation professionnelle, transport et accueil des familles. « Le dispositif ppp a désormais fait ses preuves… Il assure de meilleurs délais de construction annoncés et tenus », se félicitait Rachida Dati, alors Garde des Sceaux.

Pourtant… Malgré le passage au journal de 20 heures de détenus triés sur le volet expliquant qu’ils sont satisfaits de leurs nouveaux locaux, une série de pannes à répétition défraient la chronique. Le 2 septembre 2009, la prison de Roanne (Loire), inaugurée en janvier, est victime d’un bug informatique empêchant l’ouverture de toutes les serrures électroniques, paralysant le système vidéo et les alarmes. Quelques jours plus tôt, le 31 août 2009, l’établissement ultramoderne de Corbas (Rhône), érigé par Bouygues, qui en assurera l’exploitation pendant 20 ans, est sujet à des ouvertures intempestives de grilles, à des égouts qui débordent et des sèche-mains qui s’enflamment. Les serrures électriques commandées à distance par écran tactile ont cessé de fonctionner. Fin décembre 2008, à Mont-de-Marsan, la nouvelle prison tombe en panne d’électricité. Sans lumière ni chauffage, il faut évacuer les 87 détenus de l’établissement « totalement novateur » qui a coûté 64 millions d’euros à la collectivité. La prison est plongée dans le noir, la vidéo surveillance est hors service, ainsi que le téléphone et le système d’ouverture des grilles. La température descend à 9 degrés dans les cellules.

Jackpot pour les grands groupes pharmaceutiques

« L’État concurrentiel, ce n’est pas l’État arbitre entre intérêts, c’est l’État partenaire des intérêts oligopolistiques dans la guerre économique mondiale », écrivent Philippe Dardot et Christian Laval dans La Nouvelle raison du monde (La Découverte). Sous couvert d’« urgence nationale », de véritables cadeaux sont offerts aux multinationales. Citons la débauche de moyens mis en place en direction des laboratoires pharmaceutiques en charge de créer un vaccin contre la grippe AH1N1. C’est presque triomphalement que Roselyne Bachelot annonce en juillet que la France négocie la commande ferme de 98 millions de doses de vaccin auprès du Français Sanofi-Aventis, du Suisse Novartis, de l’Anglais GlaxoSmithKline et de l’Etats-unien Baxter. Outre les vaccins, un milliard de masques sont également commandés. Budget : 1,5 milliard d’euros. « C’est cinq fois plus que le budget affecté par la France à la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose », s’énerve Marc Gentilini, ancien président de la Croix-Rouge française. D’autant qu’une enquête compilant des résultats en Australie et en Nouvelle-Zélande confirme la relative bénignité de la souche circulante. Plus de 99 % des malades guérissent en quelques jours sans aucune séquelle. Pas grave, Roselyne Bachelot explique que les vaccins sont valables cinq ans et que la France pourra toujours les donner aux pays pauvres s’il y en a trop.

Le ministère de la Santé risque de se retrouver avec des millions de vaccins et de masques sur les bras si la population est aussi récalcitrante que les médecins et infirmières face à la campagne de vaccination. Pour l’heure, le ministère s’apprête à envoyer à chaque assuré social un courrier l’invitant à aller se faire vacciner. Coût de l’opération : 53 millions d’euros. Du côté des grands groupes pharmaceutiques, on annonce d’importants bénéfices, à l’instar de Sanofi-Aventis qui cumule plus de 2,3 milliards d’euros de bénéfices depuis le début de l’année. De son côté, GlaxoSmithKline, malgré 1,3 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2008, s’apprête à licencier 434 personnes en France. Suppressions d’emploi qui viennent s’ajouter aux 750 de début 2009. Sans oublier la culpabilisation des citoyens face au trou de la Sécurité sociale et les pubs gouvernementales contre la fraude. Ces grands discours ne concernent évidemment pas l’argent que retirent les actionnaires des grands groupes pharmaceutiques des juteux investissements que leur offre l’Etat.

Selon l’économiste américain James Kenneth Galbraith, aucune des entreprises investies dans le processus n’a intérêt à couper la main qui lui donne à manger : l’État. Sans ses interventions économiques, ces entreprises ne pourraient prospérer. « Leur raison d’être est plutôt de tirer de l’argent de l’État. Cela exige le mariage d’une organisation économique et d’une organisation politique, explique-t-il. Ce qui s’y joue n’est pas l’affrontement bipolaire sur lequel se concentre une si large part des efforts de pensée et d’argumentation — « l’État » contre « le marché ». Contrairement à ce que leur formation en économie conduit de nombreux esprits à supposer, on n’y livre pas non plus, pour l’essentiel, un combat perpétuel autour de l’enjeu : « Faut-il élargir ou rétrécir le champ d’action de l’État ? » On y postule plutôt que peu à peu, au fil du temps, le rôle de l’État va grandir. Tous ceux qui jouent un rôle sérieux dans les débats sur l’action publique, au fond, sont d’accord là-dessus. »

Nadia Djabali

A suivre : Adieu la République ! Vive l’Oligarchie ! Episode 2. Non seulement dirigeants, grandes fortunes et gros actionnaires s’enrichissent grâce aux largesses de l’Etat en matière d’investissement, mais en plus, leurs impôts baissent.

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Vive l’Oligarchie !
Qui veut gagner des milliards ?
Adieu la République…
Par Nadia Djabali (28 octobre 2009)
(Episode 2)

http://www.bastamag.net/article721.html

La nouvelle loterie développée par l’Elyséenne des jeux remporte un vif succès : 14.000 joueurs, 14.000 gagnants ! Ce jeu pour les personnes déjà millionnaires se nomme « bouclier fiscal » et ne doit rien au hasard. A tous les coups on gagne. Si l’épargne amassée par les grandes fortunes se retrouve menacée par la crise financière : pas de panique ! L’Etat vole au secours des banques, de leurs actionnaires et gros clients distribuant des enveloppes de plusieurs milliards d’euros. Mais quand il s’agit de la Sécurité sociale…

Non content de devenir un pourvoyeur d’investissements publics au profit des grandes entreprises privées, la nouvelle oligarchie élyséenne offre aux dirigeants et gros actionnaires d’impressionnantes ristournes fiscales. La fiscalité n’est jamais neutre. Souvent décrite comme résultant de choix techniques, elle est en réalité adossée à des choix politiques qui définissent la redistribution des richesses au sein d’une société. Aux Etats-Unis, chaque dispositif de réduction d’impôts « prévoyait de petites sommes pour les catégories les plus basses, ce qui permettait à ses auteurs d’affirmer sans mensonge que la plupart des contribuables verraient leur prélèvement fiscal diminuer. Mais les réductions les plus importantes étaient toujours pour les plus gros. La répartition des revenus étant ce qu’elle est, les bénéficiaires des grosses réductions ont toujours été beaucoup moins nombreux que ceux des miettes offertes à la population », explique l’économiste James Kenneth Galbraith, dans son livre L’État prédateur (Seuil).

Cette remarque s’applique à merveille au bouclier fiscal mis en place par Dominique de Villepin en 2006 puis renforcé par Nicolas Sarkozy en 2007. Il pose comme principe qu’un contribuable ne peut payer en impôt direct plus de 60 % de ses revenus, sous Dominique de Villepin. Le taux est passé à 50 % (en incluant la CSG et la CRDS) en août 2007 grâce à Nicolas Sarkozy. Pour justifier cette mesure, les médias ont réalisé de nombreux reportages sur l’infortuné retraité, possesseur d’un champ de pomme de terre sur l’île de Ré, contraint de payer l’impôt sur la fortune. Un rapport parlementaire publié en juillet 2009 remet les pendules à l’heure. Le député UMP Gilles Carrez indique que les cent foyers ayant reçu le plus d’argent de la part du fisc en 2008 ont capté plus du tiers des remboursements avec un chèque de 1,15 million d’euros en moyenne. Les 1.000 bénéficiaires les plus importants ont reçu à eux seuls 337,2 millions d’euros. Soit 337.200 euros de cadeaux fiscaux par famille et par an !

Mieux que l’euromillion, le bouclier fiscal : 14.000 joueurs, 14.000 gagnants

5 % de l’ensemble des foyers fiscaux qui font jouer le bouclier reçoivent à eux seuls les trois quarts des sommes reversées par le Trésor public. En 2008, le bouclier fiscal a permis à 14.000 familles de soustraire de l’impôt 458 millions d’euros. 14.000 joueurs, 14.000 gagnants ! Le hasard des loteries, c’est bon pour les ouvriers, les chômeurs et les familles monoparentales banlieusardes. « La moyenne de remboursement croît au fur et à mesure que la valeur du patrimoine augmente, ce qui montre le lien structurel existant entre le bouclier et l’impôt sur la fortune », remarque-t-on au Syndicat national unifié des impôts (Snui/Sud-Trésor). Depuis 2009, les contribuables peuvent déduire directement de leurs impôts les sommes dépassant la barre des 50 % sans attendre le remboursement de l’administration.

Si le gouvernement reste droit dans ses bottes, en ces temps de crise, de plus en plus de députés UMP ne sont plus aussi convaincus de la « justesse » du dispositif. Pour preuve les séances houleuses de l’Assemblée nationale qui examine depuis le 20 octobre le projet de budget 2010. La commission des Finances de l’Assemblée a rejeté un amendement UMP proposant de retirer la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) du calcul du bouclier fiscal. Le maintien de ce dispositif, considéré par Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, comme « marqueur idéologique », fait de plus en plus grincer des dents. Si des hausses d’impôts devaient avoir lieu, les contribuables les plus aisés ne seraient pas touchés. C’est dans ce contexte que Didier Migaud, président socialiste de la commission des Finances, a proposé un amendement qui augmenterait de 10 % l’Impôt sur les sociétés (IS) payé par les banques en 2010. Christine Lagarde, ministre de l’Economie, n’en veut pas. La Belgique a pourtant adopté une mesure similaire. Les Anglais s’apprêteraient à le faire.

Sauver les banques, même si elles réalisent de confortables bénéfices…

Lorsqu’on examine l’action de Nicolas Sarkozy pour sauver les banques de la tourmente financière, l’expression spoils system (partage du butin) utilisée par James Kenneth Galbraith prend tout son sens. Objectif officiel du gouvernement : sauver les économies des Français et aider les entreprises, notamment les PME, à passer ce mauvais moment. 320 milliards d’euros ont été budgétés pour garantir les emprunts des banques et 40 milliards d’euros ont été réunis pour les injecter, si besoin, dans leur capital. Le plan français se différencie de ceux de ses voisins européens - et du plan de Barack Obama aux Etats-Unis - qui n’ont pas hésité à nationaliser un certain nombre d’établissements au bord de la faillite. En France, on est davantage « civilisé » : l’État peut devenir actionnaire des banques mais seulement à la demande de celles-ci.

Une exception culturelle qui en a choqué plus d’un, y compris les gardiens de l’orthodoxie libérale de la Commission européenne. Celle-ci n’a pas digéré que le gouvernement n’ait pas exigé plus de pouvoir dans les établissements aidés. L’Etat n’est pas entré dans les conseils d’administration (hormis chez Dexia), et n’a pas suspendu le versement des dividendes aux actionnaires. Concurrence déloyale, juge Bruxelles, considérant que ces aides permettent aux banquiers français de pratiquer des taux d’intérêts plus intéressants.

Au total, 3 milliards d’euros ont été injectés dans les fonds propres du Crédit Agricole ; 5,1 milliards pour BNP-Paribas (qui a pu ainsi mettre la main sur les activités du leader belge et luxembourgeois Fortis) ; 3,4 milliards pour la Société Générale ; 1,2 milliards pour le Crédit mutuel et 7 milliards pour les Caisses d’Épargne et Banques populaires. En dehors des Caisses d’Épargne (2 milliards de pertes) et des Banques Populaires (468 millions de pertes), en 2008, chaque établissement affiche un bénéfice en baisse, mais le secteur demeure encore très rentable. BNP-Paribas gagne 3 milliards, la Société Générale 2 milliards et le Crédit Agricole 1 milliard.

La perplexité nous gagne. Le sauvetage des banques par les fonds publics se justifiait-il vraiment ? Ce plan était soumis à conditions : que les banques augmentent de 3 à 4 % le volume de leurs prêts afin de soutenir la relance. Il semble que les établissements financiers aient empoché les aides sans tenir leurs engagements. Malgré sept convocations des grands banquiers à l’Élysée, sous les caméras de télévision, le gouvernement n’a jamais eu l’intention de les contraindre à honorer leurs engagements. Ce cadeau est loin d’être le seul, ni le plus luxueux.

…Et leurs fortunés actionnaires, même s’ils sont déjà méga riches

Pour relancer la machine à prêts entre banques et la circulation de l’argent, l’Etat a créé à l’automne 2008 la Société de financement de l’économie française (SFEF). Celle-ci gère les 320 milliards d’emprunt que le gouvernement s’est engagé à garantir au secteur financier, jusqu’au 7 octobre 2009. Ces mêmes sept grandes banques françaises, à qui l’on assure l’emprunt, se sont vues octroyer 66% du capital de la SFEF. En clair : l’Etat, donc les contribuables, garantit vos prêts, en assume les risques et vous permet d’en empocher les bénéfices sans crainte de perdre de l’argent. La SFEF a rapporté 1,2 milliard d’euros à l’Etat qui possède 34% du capital de la SFEF. Cela induit que les banques (66% du capital) se seraient donc partagées 2,4 milliards d’euros.

Encore mieux : en contrepartie des 19,8 milliards injectés dans les banques, l’Etat recevra 713 millions d’euros d’intérêts. Or, les titres achetés, sans droit de vote dans les conseil d’administration, seront remboursés au prix d’émission : au prix affiché en Bourse au moment où leur cours était au plus bas. L’Etat va ainsi revendre à BNP-Paribas des titres acquis le 31 mars 2009 à 27,24 € alors qu’ils sont cotés aujourd’hui à 58,20 €. Un cadeau de 5,8 milliards d’euros. La Société Générale, elle, économise 6 milliards d’euros. L’addition augmentera lorsque le Crédit Agricole et les Banques Populaires - Caisses d’Epargne passeront au guichet. Cet argent aurait pu servir à combler au moins de moitié le déficit de la Sécurité sociale. La santé de tous ou les gigantesques intérêts financiers de quelques-uns ? L’oligarchie a ses priorités : les banques, leurs actionnaires et leurs gros clients via les fonds d’investissements spéculatifs, où l’on retrouve forcément les fortunes placées par les 14.000 familles.

Autre question : comment les banques arrivent-elles à faire des bénéfices aussi importants alors que l’ensemble de l’économie est en récession ? « Selon certains signes, des éléments du secteur financier ont repris des pratiques de prises de risque qui rappellent celles ayant mené à la crise », s’inquiète Christian Noyer, gouverneur de la banque de France. Une crise financière latente ? Pas grave, les contribuables seront là pour prêter de l’argent aux banquiers. Mais certainement pas au taux du crédit revolving. Cela aussi, comme les jeux de hasard, c’est réservé au bas peuple.

Nadia Djabali

A suivre : Episode 3. Ces « oligarques » aux commandes des grandes entreprises privées, des entreprises et organismes publics. Quand la loi profite aux amis du chef de l’Etat.

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Oligarques à gogo !
Adieu la République...
Par Nadia Djabali (3 novembre 2009)
(Episode 3)

www.bastamag.net/article728.html

Pendant que le « débat » sur l’identité nationale accapare la sphère médiatique, la prédation d’entreprises publiques, de multinationales dont l’Etat est actionnaire et de groupes bancaires par un petit clan s’intensifie. Depuis début 2008, l’Elysée a procédé à la nomination d’une douzaine de grands patrons, de François Pérol à Henri Proglio. La nouvelle loi sur les jeux d’argent en ligne sert aussi le même petit clan, présent au célèbre dîner du Fouquet’s, avec à la clé un marché juteux de 3 milliards d’euros. Voici le troisième volet de notre série « Adieu la République... Vive l’Oligarchie ! ».

En un an et demi, Nicolas Sarkozy et son exécutif ont nommé une douzaine de patrons. Parmi eux, Alain de Pouzilhac : cet ancien PDG de l’agence de communication Euro RSCG est choisi en février 2008 pour diriger la holding Audiovisuel extérieur de la France qui regroupe la chaîne d’information France 24, la radio RFI et la chaîne de télévision généraliste TV5 Monde. En octobre 2008, Pierre Mariani, ex directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy entre 1993 et 1995, quitte BNP-Paribas pour prendre à 52 ans la direction exécutive de la banque franco-belge Dexia. En février 2009, François Pérol, secrétaire général adjoint de l’Élysée est placé à la tête du nouveau géant bancaire Banques Populaires - Caisses d’épargne de BPCE malgré la loi du 29 janvier 1993, qui interdit à tout fonctionnaire de rejoindre une entreprise privée sur laquelle il a exercé un contrôle.

En mai 2009, Luc Vigneron, PDG depuis 2001 du groupe d’armement terrestre public Giat Industries, devenu en 2006 Nexter, prend la direction de Thales (technologies électroniques et spatiales) détenu à 27% par l’Etat français. Il a été directeur de la stratégie puis directeur général d’Alcatel Alstom. En juin, Bernard Delpit, ancien directeur adjoint de l’entreprise franco-chinoise Dongfeng Peugeot-Citroën Automobile, puis conseiller économique à l’Élysée depuis 2007, est nommé directeur général délégué en charge des finances de La Poste.

L’argent des contribuables

Le 1er septembre, Stéphane Richard, directeur de cabinet de Christine Lagarde, est nommé directeur général délégué de France-Telecom - Orange, dont l’Etat détient 26% des actions. Si tout se passe comme prévu il devrait prendre la succession de Didier Lombard dont le mandat de PDG arrivera à échéance en 2011. Ancien patron de la filiale immobilière de la Générale des Eaux qu’il a racheté, il est devenu multimillionnaire lors de sa revente. Ce proche de Nicolas Sarkozy a ensuite occupé des fonctions de dirigeant chez Veolia Environnement et Veolia Transport, filiale du groupe Veolia dirigé par Henri Proglio. La nomination de ce dernier à la tête d’EDF a aussi de quoi inquiéter. Il devrait s’installer à la tête d’EDF le 22 novembre prochain tout en gardant la présidence du conseil de surveillance de Veolia. Après la fusion GDF-Suez, voilà qui augure le rapprochement EDF-Veolia. « Proglio doit présider un géant mondial de l’électricité et engager une nouvelle configuration qui fera à terme d’EDF le premier actionnaire de Veolia, explique le sociologue Marc Laimé. Cette opération verra EDF abandonner les parts qu’elle détient dans Dalkia, la filiale spécialisée dans le chauffage, sans que Veolia ne débourse un centime ». Le sociologue rappelle qu’avec ses 58 centrales et plus de 400 barrages, EDF est le premier gestionnaire des masses d’eau de surface en France. Un précieux patrimoine aquifère pour Veolia qui a bâti son empire grâce au marché de la gestion de l’eau et à la rente qu’il procure.

Outre les directions des entreprises, on peut aussi citer le cas du fonds stratégique d’investissement. Ce fonds souverain « à la française » doté de 20 milliards d’euros est créé en 2008 pour favoriser le développement des PME. Il est présidé par Jean-François Dehecq, qui dirige aussi le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis. À la tête de son comité d’investissement, qui choisit où placer l’argent des contribuables, on trouve Patricia Barbizet. Elle est actuellement présidente du conseil de surveillance du Groupe PPR (Pinault – Printemps – Redoute), où elle occupe aussi le poste de directrice générale d’Artemis, la holding qui gère les participations de François Pinault (propriétaire de PPR et 6ème fortune de France). Artemis est également impliquée dans l’affaire Executive Life, ce rachat hasardeux d’une société états-unienne en faillite par le Crédit Lyonnais, qui coûta 15 milliards d’euros aux contribuables français. La filiale du groupe PPR a été initialement condamnée par la justice américaine à payer une amende de 241 millions de dollars, pour dissimulation volontaire d’informations, déclarations frauduleuses et participation à une conspiration. L’amende a pour l’instant été annulée. De quoi s’interroger cependant sur les compétences de celles et ceux qui gèrent ce tout nouveau fonds souverain et sur la justesse de leurs investissements…

De la pub et des jeux

Les exemples illustrant comment l’État rend service aux grandes entreprises sont légions, en plus des « partenariats public – privé ». L’annonce de la fin de la pub sur la télé publique et la redistribution éventuelle d’un gâteau publicitaire de 850 millions d’euros a été suivie par une hausse de 10% de l’action TF1 à la Bourse de Paris et de 4,5% de celle de M6. La régie publicitaire de France Télévisions cédera 70% de son capital début 2010. Six repreneurs sont encore en lice : Stéphane Courbit, propriétaire de la boîte de production Endemol, actionnaire de Direct Energie, proche de Nicolas Sarkozy et de Vincent Bolloré ; le couple Charles Beigbeder (dirigeant de Poweo, proche de l’UMP) et Gaspard de Chavagnac (Televista) ; Fabrice Larue, ancien dirigeant du groupe LVMH, propriétaire de la société d’investissement dans la production médias et cinéma FL Capital Partners, allié à la Caisse d’épargne ; NextradioTV, détenu par Alain Weill (BFM, RMC, La Tribune) ; Walter Butler (Butler Capital Partners), proche de Dominique de Villepin. Une rumeur fait aussi état de l’intérêt de… France Télécom – Orange. Au final, deux repreneurs seront désignés. Ils auront comme première mission de mettre en œuvre un plan social qui menace les 288 salariés de la régie.

L’Assemblée nationale adopte le 13 octobre dernier la loi légalisant le poker et les paris sportifs et hippiques sur Internet. Le texte entrera en vigueur en 2010 à la plus grande satisfaction de Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH et 1ère fortune française, Stéphane Courbit, Martin Bouygues (groupe Bouygues), François Pinault (PPR), Patrick Le Lay, ancien dirigeant de TF1, à la tête d’un fonds d’investissement dont Bouygues et Artemis (filiale de PPR) sont actionnaires, et enfin Dominique Desseigne, dirigeant du Groupe Lucien Barrière, spécialisé dans les casinos. Quel est leur point commun ? Ces personnalités sont toutes investies dans des projets de sociétés de paris sportifs ou hippiques sur Internet. Elles ont aussi la particularité d’avoir dîné ensemble le soir du 6 mai 2007 au Fouquet’s en présence de Nicolas Sarkozy, tout fraîchement élu. Le marché des jeux en ligne concerne 5% de la population et est actuellement évalué à 3 milliards d’euros.

Oligarque : « Ce mot, qui n’est pas flatteur, exprime une idée sur laquelle il y a un large consensus : on ne peut pas attendre de particuliers dotés d’une telle richesse qu’ils servent un autre intérêt que le leur », prévient l’économiste états-unien James Kenneth Galbraith (L’Etat Prédateur, éditions du Seuil). « Non seulement l’État n’a pas disparu, non seulement il s’est mis plus que jamais au service des entreprises, mais il s’est même mué en un gouvernement de type entrepreneurial, dénoncent le sociologue Christian Laval et philosophe Pierre Dardot dans La Nouvelle Raison du Monde (Editions La Découverte). Cette mutation ne vise pas seulement à accroître l’efficacité et à réduire les coûts de l’action publique, elle subvertit radicalement les fondements modernes de la démocratie. ». Ce n’est pas l’Etat qui a disparu, mais l’intérêt général.

Nadia Djabali