Origine : http://www.jornada.unam.mx/2007/01/15/index.php?section=opinion&article=027a2pol
Traduit par Denis. http://liege.indymedia.org/news/2007/01/14340.php
Le gouvernement fédéral persiste à traiter
comme une organisation l'Assemblée populaire des peuples
d'Oaxaca (APPO). Il semble croire qu'elle est formée de masses
dociles conduites par un petit groupe de dirigeants.
Et, cependant, cela bouge !
Le gouvernement fédéral persiste à traiter
comme une organisation l'Assemblée populaire des peuples
d'Oaxaca (APPO). Il semble croire qu'elle est formée de masses
dociles conduites par un petit groupe de dirigeants. Avec ceux-ci,
il veut se concerter ou imposer des accords. Il semble aussi supposer
qu'emprisonner certains d'entre eux et poursuivre les autres suffira
à la liquider : le chien mort, la rage disparaîtrait.
Dans une organisation, un syndicat ou un parti, les dirigeants
conduisent ou contrôlent leurs membres et ils les mobilisent
ou les contiennent. Ce sont des fonctions qui leur correspondent.
Comme ils ont la faculté de représenter l'ensemble
et négocier en leur nom, ils peuvent aussi les trahir ou
s'écarter de leur volonté.
Dans des mouvements sociaux comme l'APPO apparaissent parfois des
chefs charismatiques ou symboliques qui accomplissent d'importantes
fonctions, mais ce ne sont pas des dirigeants. Certains, comme Martin
Luther King ou Che Guevara, gagnent des batailles après leur
mort, à la manière du Cid.
Mais ils ne sont jamais des représentants. Ils ne peuvent
pas négocier au nom du mouvement ou remplacer sa volonté.
L'APPO n'a jamais eu de dirigeants ou de chefs. N'étaient
pas chefs les membres de la coordination provisoire. Non plus les
membres du Conseil, lequel ne s'est jamais réuni si
ce n'est le jour de sa constitution. Ni ensemble ni séparés,
ils ne représentent l'APPO. Les fonctions d'orientation et
de coordination qu'ils peuvent accomplir dans certaines circonstances
n'équivalent pas à direction ou conduite. Ils ne sont
pas non plus responsables de la somme de ce que font tous ceux qui
agissent en son sein. Un jugement juste trouvera impossible d'attribuer
aux "dirigeants" emprisonnés les délits
qu'on attribue à l'APPO. C'est pourquoi ils sont des prisonniers
politiques.
Les mouvements sociaux et politiques ne sont pas maniables ou contrôlables.
Les autorités, les événements ou certains "chefs"
(s'ils existent) peuvent les influencer, mais ils ne peuvent pas
les manipuler.
En fait, ils s'éteignent seulement quand on a modifié
les conditions qui leur ont donné naissance. (Les écraser,
c'est comme les élaguer. Certains mouvements, comme celui
de 1968, gagnent des batailles après avoir été
détruits.)
Les mouvements n'ont guère de propositions, d'objectifs
ou de modèles ; ils ont des motifs ou des raisons, des forces
qui les propulsent dans une certaine direction ; ils sont définis
par des convergences critiques de l'état des choses depuis
une grande hétérogénéité. Ils
évitent l'uniformité et les formes de type parti,
pour prendre la forme d'un NON, avec beaucoup de OUI : un rejet
commun et une variété d'affirmations, de projets,
d'idéaux.
Des mouvements très connus, comme l'écologie ou le
féminisme, illustrent bien ces caractéristiques. Ils
maintiennent leur vitalité et augmentent leur force, parce
que, malgré leurs réalisations, persistent les motifs
: la destruction écologique ou l'oppression et la discrimination
vis à vis des femmes. Ils se développent parfois dans
des explosions ponctuelles : face à des dommages écologiques
bien précis, face à des actes concrets contre les
femmes ; mais ils agissent surtout de manière continue, de
mille manières différentes, sans dirigeants, ni structures
formelles ou définitions uniques.
L'APPO est un mouvement social et politique d'une grande profondeur
sociale et d'une énorme portée historique. Y prennent
part des personnes très diverses, des groupes et des organisations.
Parmi celles-ci, il y a des engagements partisans appartenant à
des organisations nationales. Ces personnes essaient d'apporter
leur puissance à l'APPO, au moulin de sa cause et de son
idéologie. Elles ont eu dans les mécanismes de coordination
de l'APPO un poids bien plus grand que leur importance réelle.
Car, personne n'est à charge, personne ne représente
l'APPO, personne ne dirige ou règle les initiatives de ceux
et celles qui font partie d'elle.
Ulises Ruiz est une expression maladive et exacerbée du
régime corrompu et autoritaire que les habitants/es de Oaxaca
ne sont pas disposés à tolérer plus longtemps.
Le rejet de sa présence, qui a déclenché le
mouvement et qui continue à le rassembler, n'est ni son moteur
ni son destin. L'APPO continuera à combattre pour se défaire
de lui parce qu'il est un obstacle insupportable sur son chemin.
Mais, elle avance déjà sur son cadavre politique pour
réaliser les transformations, qui sont sa véritable
raison d'être.
L'APPO s'occupe de la réforme de l'État, si, comme
telle, on comprend : une transformation complète des lois,
institutions et comportements sociaux, afin établir un régime
adéquat aux réalités d'Oaxaca après
s'être délivré de la structure mafieuse liée
aux caciques *, qui a prévalu jusqu'aujourd'hui. Elle promeut
ces modifications de manière pacifique et démocratique,
et face à la société, non dans les coulisses
du pouvoir.
Elle ne les négocie pas dans un bureau du gouvernement, ni
ne les traite avec les sbires d'Ulises, dans ses bureaux ou dans
l'actuel Congrès local. Cette voie, au lieu de changements,
produirait une métamorphose grotesque.
Le mouvement continue. La répression brutale a inhibé
certaines de ses manifestations, quand il cherchait sa voie naturelle,
mais ne l'a pas arrêté. La rivière descend,
continue à accumuler des forces irrépressibles qui
cherchent à nouveau leur voie. Le défi est qu'ils
la trouvent à temps et qu'on évite ainsi un débordement
ravageur qui pourrait être très destructeur.
Gustavo Esteva
"La Jornada", Mexico, 15 janvier 2007.
* Cacique ? Mot indien qui désigne le chef d'une
communauté en Amérique latine.
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