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Origine : http://www.liberation.fr/societe/0101578134-la-non-solidarite-ouvriere-et-syndicale
Bourse du travail, mars 1938. *«J’ai honte de ceux
dont je me suis toujours sentie le plus proche. J’ai honte
des démocrates français, des socialistes français,
de la classe ouvrière française.»* Poursuivant,
l’auteure des lignes ajoute à propos des ouvriers :
*«Depuis des années ils voient leurs compagnons de
travail nord-africains souffrir à leurs côtés
plus de souffrances qu’eux-mêmes, subir plus de privations,
plus de fatigues, un esclavage plus brutal.» «Y a-t-il
beaucoup d’hommes, parmi les militants ou les simples membres
de la SFIO et de la CGT, qui ne s’intéressent pas beaucoup
plus au traitement d’un instituteur français, au salaire
d’un ajusteur français, qu’à la misère
atroce qui fait périr de mort lente les populations d’Afrique
du Nord ?»*
Ainsi s’exprimait la philosophe Simone Weil, qui dénonçait
les positions des partis politiques et des syndicats du mouvement
ouvrier relativement aux colonies de la République impériale
et aux travailleurs «indigènes» présents
en métropole. Victimes de dispositions discriminatoires et
racistes dans les territoires d’outre-mer dominés par
la France, ceux qu’il faut appeler «les colonisés-immigrés»
subissent alors dans l’Hexagone une exploitation et une oppression
spécifiques trop souvent inaperçues ou tenues pour
secondaire par ceux-là mêmes qui prétendent
défendre les *«intérêts matériels
et moraux»*de tous les prolétaires. Quant à
la *«solidarité ouvrière»*, elle n’est
qu’un mythe, affirme Simone Weil.
24 juin 2009. La commission administrative de la Bourse du travail
à Paris, composée de représentants de la CFDT,
de la CGT, de FO, de l’Unsa et de Solidaires, publie un communiqué
pour saluer la *«libération»* de ce lieu –
c’est le terme employé, dévoyé serait
plus juste - par des militants de la CGT. Libéré de
qui ? Des centaines de sans-papiers qui y vivaient dans des conditions
précaires depuis le 2 mai 2008 et empêchaient les réunions
des * «salariés»,* comme on peut le lire dans
le même texte qui dénonce aussi *«une sorte de
prise en otage».* Remarquable rhétorique qui n’a
rien à envier, du point de vue des arguments et du vocabulaire
utilisés, à celle du Medef ou du gouvernement lorsqu’ils
sont confrontés à des situations voisines. Pour rétablir
l’ordre dans les entreprises, par exemple, eux aussi affirment
agir au nom de la liberté bafouée par des activistes
irresponsables. Libéré de quelle manière ?
Par la violence, de nombreux témoignages concordants le prouvent,
et l’appel aux fonctionnaires du ministère de l’Intérieur,
comme le reconnaît le secrétaire général
de la commission précitée, Edgar Fisson, membre de
la CGT. En effet, alors que *«l’évacuation»*
était en cours – admirons une fois encore la délicate
euphémisation du langage employé pour désigner
ce qui doit être considéré comme une expulsion
conduite manu militari - il s’est adressé au maire
de Paris pour obtenir l’intervention de la *«police»*.
Adéquation des discours et des pratiques qui transforment
les victimes de la politique xénophobe aujourd’hui
mise en œuvre par l’Etat en adversaires stigmatisés
qu’il faut combattre et jeter à la rue en couvrant
cette ignominie d’une phraséologie empruntée
à la défense des salariés et de leurs organisations
syndicales. La CGT n’est pas seule en cause. Toutes les confédérations
syndicales, qui observent aujourd’hui un silence bruyant,
de même les partis de la gauche parlementaire, qui n’ont
pas jugé nécessaire de dénoncer cette action
perpétrée à la Bourse du travail, sont concernés.
Bavure, comme certains l’affirment ? C’est oublier
un long passé, celui rappelé par Simone Weil, et un
long passif qui a vu, au début des années 80, certains
applaudir la destruction par des bulldozers de l’entrée
d’un foyer de travailleurs maliens à Vitry-sur-Seine,
et la dénonciation publique de jeunes Marocains présentés
comme des dealers par Robert Hue, alors maire de Montigny-lès-Cormeilles.
Plus récemment, quand Manuel Valls, confronté à
des *«populations de couleur»,* déclare qu’il
faut plus de *«Blancs»* dans la ville qu’il dirige
- Evry -, peu s’en sont émus au Parti socialiste, et
nul dirigeant national, à notre connaissance, ne s’est
précipité pour dénoncer ce discours. Au mieux
l’indifférence, un mol soutien aux luttes des sans-papiers
ou l’abandon à «l’air du temps» sécuritaire
et xénophobe en espérant des jours meilleurs alors
qu’une telle attitude conforte les préjugés
et la stigmatisation dont sont victimes les étrangers en
situation irrégulière, notamment. Au pire l’exploitation
partisane et syndicale des inquiétudes des «Français»
comme disent les uns, des «salariés» comme disent
les autres, sur le dos de ces nouveaux parias que sont les «clandestins».
Dangereuses dérives. Sinistre époque.
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