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La politique migratoire du ministre de l’Intérieur viole les principes de la République,
par Olivier Le Cour Grandmaison.
Expulsions : France coupable

Origine : http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=4758

Expulsions : France coupable

Libération, jeudi 15 février 2007.

« Gestion des flux migratoires » : partout employée, cette expression témoigne du triomphe d’une novlangue technicienne qui déshumanise celles et ceux que l’on désigne, en substituant aux enfants, femmes et hommes visés par ces termes et par des législations toujours plus restrictives l’image impersonnelle de populations prétendument menaçantes qu’il faut endiguer. Des raisons pour lesquelles ces étrangers ont été poussés à quitter leurs pays d’origine, des conditions dans lesquelles ils ont effectué un périple que beaucoup décrivent comme une épreuve longue et périlleuse, mortelle parfois, de ces histoires faites de persécutions ethniques, religieuses ou politiques, de misère et d’exploitation, il ne reste rien.

Plus exactement, à la place de ce « rien » se découvrent les figures réputées inquiétantes des « clandestins », puisque tel est le terme utilisé pour les désigner. Sous couvert de nomination et de qualification objectives prospère la disqualification des personnes en même temps que s’imposent les représentations contenues dans le mot même de « clandestin ».

Etre un « clandestin », ici, c’est se trouver ravalé à la seule condition d’individu qui a franchi de façon illégale des frontières, cependant que les causes de cet acte, souvent indispensable à la préservation de l’intégrité physique et psychologique de son auteur, sont placées hors champ.

Etre un « clandestin », ici, c’est être sans histoire personnelle, sans passé, sans antécédent, sans autre antécédent du moins que la violation des dispositions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers.

Au terme de ce mouvement, il n’y a donc plus ni hommes ni femmes fuyant des conditions d’existence jugées insupportables par eux, mais seulement des « Africains » et des « Maghrébins », qui, par l’argent, la ruse et le recours à des passeurs, ont réussi à déjouer les mesures destinées à contrôler l’accès au territoire national. La surexposition langagière, politique et médiatique du « clandestin » est au coeur de deux phénomènes politiques distincts mais étroitement articulés : la criminalisation de ce type d’immigration, présentée comme un danger majeur ; et la légitimation de l’ensemble de la chaîne répressive, des arrestations aux expulsions en passant par l’incarcération et le placement en zone de rétention.

Souvent euphémisée en « retour dans le pays d’origine », l’expulsion par voie aérienne constitue la dernière et la plus spectaculaire de ces étapes. Parfois médiatisée, celle-là a permis à plusieurs ministres de l’Intérieur, d’hier à Nicolas Sarkozy aujourd’hui, de faire la démonstration de leur « fermeté », supposée être « au service des Français » et de la « défense des lois de la République ». Continuité et pauvreté remarquables du discours répressif dégradé en une écholalie sommaire que soutiennent des arguments éculés.

Au sommet de l’Etat et à la tribune des meetings, c’est ainsi que les choses sont présentées. Dans les commissariats, cela s’appelle « faire du chiffre ». C’est donc pour « faire du chiffre », conformément aux injonctions ministérielles, que des policiers procèdent à des arrestations massives, réalisées en des lieux choisis ­ les Restos du coeur dernièrement ­ sur des critères souvent raciaux, quand ce n’est pas à l’occasion de démarches administratives effectuées par les étrangers pour tenter d’obtenir la régularisation de leur situation, ou après une hospitalisation d’urgence comme cela s’est passé à Nantes pour une femme qui fut par la suite expulsée avec son enfant. ( N.d.l.r. La Cour de cassation juge illégale l’arrestation de sans-papiers convoqués en préfecture, AP, 20/02/2007.)

De là le recours aux charters, qui permettent de procéder à des reconduites massives et spectaculaires d’étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine. De telles pratiques, rappelle Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux Droits de l’homme, ont « pourtant été fortement critiquées par la Commission nationale de déontologie et de sécurité et jugées contraires au droit français par le Conseil d’Etat ». En vain, puisque le ministre de l’Intérieur-candidat persévère sans susciter ni scandale politique, ni tollé juridique, ni réprobation médiatique. Remarquable et stupéfiante démission de tous les contre-pouvoirs, souvent présentés comme autant de freins à l’exercice arbitraire du pouvoir exécutif dont l’un des titulaires majeurs peut agir en toute impunité sans que rien ni personne ne soit en mesure de mettre un terme à ses pratiques.

Au nom de l’urgence et de la gravité supposées de la situation provoquée par les « clandestins », on assiste donc au triomphe de la raison d’Etat sur des principes pourtant jugés essentiels au bon fonctionnement de l’Etat de droit. Etat de droit dont les mécanismes, supposés garantir le respect des règles qui l’organisent, s’avèrent être inefficaces face aux agissements d’un ministre de l’Intérieur qui a recours aux méthodes que l’on sait avec le soutien de son gouvernement.

Enfin, contrairement à la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et à la loi française qui « précise que l’étranger mineur ne peut pas faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière » (article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour et du droit d’asile), des enfants sont placés en centre de rétention en vue de leur expulsion. La police, couverte parce que encouragée par son autorité de tutelle et par le pouvoir politique dans son ensemble, méconnaissent ainsi, de façon grave et répétée, un traité international pourtant ratifié par la France et des dispositions juridiques nationales votées par le Parlement. Excusez du peu. Avérés, constatés et consignés par de nombreuses institutions et associations, nationales ou européennes, ces faits révèlent ceci : les principes républicains et le respect des lois, invoqués de façon solennelle par les uns et les autres, couvrent leur violation courante légitimée par les « impératifs de la sécurité » et par la mise en scène démagogique et électoraliste des chiffres. Ceux-là mêmes qui permettent au ministre de l’Intérieur de faire croire qu’il dit ce qu’il fait et qu’il fait ce qu’il dit, alors qu’il est à l’origine du développement de pratiques illégales, dont certaines ont été jugées telles par le Conseil d’Etat et par le commissaire européen aux Droits de l’homme !

Oui, avec Nicolas Sarkozy, tout est possible, même le plus arbitraire, même le plus indigne. Que propose Ségolène Royal pour mettre un terme à cette situation ? Nous n’en savons rien.


Olivier Le Cour Grandmaison maître de conférence en sciences politiques à l’université d’Evry-Val-d’Essonne.

Dernier ouvrage paru, avec Gilles Lhuillier et Jérôme Valluy, le Retour des « camps » ? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo..., éd. Autrement, 2007, 210 pp., 20 euros.

- Source : Libération www.liberation.fr

16 février 2007