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Origine : http://www.pressafrique.com/m191.html
Introduction
«La conquête de la terre, qui signifie principalement
la prendre à des hommes d'une autre couleur que nous, ou
dont le nez est un peu plus plat, n'est pas une jolie chose quand
on la regarde de près. » J. CONRAD (1902).
« Ce contre quoi je réagis est cette rupture qui
existe entre l'histoire sociale et l'histoire des idées.
Les historiens des sociétés sont censés décrire
la manière dont les gens agissent sans penser, et les historiens
des idées, la manière dont des gens pensent sans agir.
»M. FOUCAULT (1988).
L'Algérie : « une question de salut public et d'honneur
national »
Lundi 24 mai 1847, Assemblée nationale. «La domination
paisible et la colonisation rapide de l'Algérie sont assurément
les deux plus grands intérêts que la France ait aujourd'hui
dans le monde ; ils sont grands en eux-mêmes, et par le rapport
direct et nécessaire qu'ils ont avec tous les autres. Notre
prépondérance en Europe, l'ordre de nos finances,
la vie d'une partie de nos concitoyens, notre honneur national,
sont ici engagés de la manière la plus formidable
», affirme un député déjà célèbre
et qui le demeure aujourd'hui. Dès 1828, il s'est prononcé
en faveur d'une expédition militaire contre la Régence
d'Alger et, quelques années plus tard, pour « la colonisation
partielle et la domination totale » de cette pour ses écrits
sur la réforme du système pénitentiaire, tenu
enfin pour un spécialiste avisé des affaires étrangères
et de la question algérienne, Tocqueville est un homme politique
influent. D'autant plus qu'en 1847 il n'intervient pas à
titre personnel, mais au nom d'une commission ad hoc dont les conclusions
ont été entendues par le gouvernement1. Au moment
où le député de Valognes rédige ces
lignes qui disent, de façon exemplaire et insistante, l'importance
de l'Algérie pour la métropole, peu de ses collègues
contestent la nécessité de coloniser ce territoire.
En s'exprimant de la sorte, il sait avoir le soutien de la plupart
des membres de l'Assemblée nationale, et c'est en porte-parole
de cette majorité jugée par lui trop silencieuse qu'il
se présente pour mieux défendre les orientations de
ses pairs. « De l'avis de tout le monde, pris isolément,
un à un, sur ces bancs », il s'agit, comme il l'a déclaré
quelques mois plus tôt, de « la plus grande affaire
du pays, qui l'atteint dans son présent, qui le menace dans
son avenir, qui, en un mot, est [...] à la tête de
tous les intérêts que la France a dans le monde2 ».
Déjà, la question algérienne transcende maints
clivages partisans et autorise parfois des accords improbables au
regard des confrontations qui divisent habituellement les élus
et les responsables de ces temps. Ainsi verra-t-on le maréchal
Bugeaud et l'ancien ministre socialiste Louis Blanc, par exemple,
farouches adversaires que tout oppose sur le terrain de la politique
intérieure, défendre des projets de colonisation voisins
en 1848, et le premier approuver le second. Magie des «intérêts
supérieurs » du pays.
Les analyses de Tocqueville sont courantes ; de même les
propositions concrètes qu'il a faites pour réduire
les résistances des populations « indigènes
» et anéantir la puissance d'Abd el-Kader, leur chef
principal. La lecture des textes et des discours de cette époque
révèle, quelle que soit leur nature, une véritable
passion collective pour l'ancienne Régence partagée
par des élus, des militaires, des écrivains et des
réformateurs venus de tous les horizons politiques. Ils ne
sont pas les seuls ; l'« opinion publique » elle-même,
après avoir été « exaltée »
par la révolution de 1830, s'est enthousiasmée pour
la « conquête d'Alger », soutient Buret. «
Coloniste » ardent, lui aussi est convaincu que l'«
Afrique » est « une question de salut public et d'honneur
national»...
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