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Origine : http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=1951
Le 11 novembre 1996. Dans une déclaration solennelle qui
engageait déjà le pays tout entier, en raison des
fonctions de son auteur alors chef de l’Etat, Jacques Chirac
affirmait : « Plus de trente ans après le retour en
métropole de ces Français [d’Algérie],
il convient de rappeler l’importance et la richesse de l’oeuvre
que la France a accomplie là-bas et dont elle est fière.
»
23 février 2005. Vote de la loi relative à la «
reconnaissance de la nation » et à la « contribution
nationale en faveur des Français rapatriés ».
L’article 4 de ce texte est ainsi rédigé : «
Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle
positif de la présence française outre-mer, notamment
en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux
sacrifices des combattants de l’armée française
issus de ces territoires la place éminente à laquelle
ils ont droit. » Des dispositions voisines existent également
pour « les programmes de recherche universitaire ».
Entre ces deux dates, il y avait eu la proposition de loi du 5
mars 2003 déposée par de nombreux députés.
Parmi eux se trouvait Philippe Douste-Blazy, aujourd’hui ministre
de la Santé. Les attendus de cette loi étaient ainsi
rédigés : « L’histoire de la présence
française en Algérie se déroule entre deux
conflits : la conquête coloniale de 1840 à 1847, et
la guerre d’indépendance qui s’est terminée
par les accords d’Evian en 1962. Pendant cette période,
la République a cependant apporté sur la terre d’Algérie
son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture
et sa langue, et beaucoup d’hommes et de femmes, [...] venus
de toute l’Europe et de toutes confessions, ont fondé
des familles sur ce qui était alors un département
français. [...] C’est pourquoi [...] il nous paraît
souhaitable et juste que la représentation nationale reconnaisse
l’oeuvre de la plupart de ces hommes et de ces femmes... »
Suivait l’article unique de cette proposition de loi : «
L’oeuvre positive de l’ensemble de nos concitoyens qui
ont vécu en Algérie pendant la période de la
présence française est publiquement reconnue. »
Pour des raisons d’opportunité politique, sans doute,
et parce que son seul et trop visible objet était de réhabiliter
le passé colonial de la France, ce texte ne fut pas voté.
Il n’est cependant pas resté sans effet et ceux qui
furent à son initiative ont été entendus puisque
l’esprit de ce dernier, et sa lettre parfois, est désormais
au coeur des dispositions adoptées par l’Assemblée
nationale le 23 février 2005 sans que les députés
de l’actuelle opposition ne s’en émeuvent particulièrement.
S’ils se sont prononcés contre le projet, la lecture
des débats révèle ceci de stupéfiant
: leurs désaccords n’ont pas tellement porté
sur les passages les plus scandaleux de cette loi que sur les modalités
concrètes des réparations et des indemnisations décidées
en faveur des harkis et des rapatriés. Surenchérissant
sur le volet financier, les parlementaires de gauche qui ont pris
la parole n’ont cessé de critiquer des mesures insuffisantes
à leurs yeux, ce pourquoi ils ont décidé d’«
émettre un vote défavorable ».
Relativement à « l’oeuvre » réputée
« positive » de la France en Afrique du Nord et dans
les autres territoires de l’empire, à la nécessité
d’inscrire cette version officielle de l’histoire dans
les manuels scolaires et les programmes universitaires, on s’attendait
à de vives critiques destinées à combattre
cette prétention inacceptable à imposer, à
tous les niveaux de l’Education nationale, une interprétation
ouvertement partisane de ce passé contraire aux libertés
les plus élémentaires : celles de l’enseignement
et de la recherche ; on découvre peu ou pas de contestation
véritable sur le fond. Etonnante compromission que motivent
sans doute d’inavouables préoccupations électoralistes
et la volonté de ne rien faire et de ne rien dire qui puisse
froisser les harkis et les rapatriés d’Algérie
dont tous les élus, de droite comme gauche, se disputent
les suffrages.
Plus singulier encore, le député François
Liberti, pour le groupe communiste et républicain, a déposé
un amendement afin que les manifestants réunis à l’appel
du commandement de l’OAS le 26 mars 1962 pour protester contre
la très récente conclusion des accords d’Evian,
puis tombés sous les balles de la police française
rue d’Isly à Alger, soient reconnus comme « morts
pour la France ». Des héros donc auxquels la nation
tout entière devrait rendre hommage en réhabilitant
leur engagement en faveur de l’Algérie française.
Cet amendement, également défendu par le socialiste
Kléber Mesquida, fut aussi soutenu par le parlementaire Rudy
Salles, très actif porte-parole de l’UDF en cette occasion,
qui les remercia publiquement pour cette initiative. Ce certificat
de bonne conduite délivré à l’actuelle
opposition en dit long sur la teneur de ses interventions. «
Dis-moi qui te félicite, je te dirai quelle politique tu
mènes... »
De la déclaration présidentielle de 1996 elle prouve
que l’exemple vient de loin et de haut au vote de la loi sur
les harkis et les rapatriés d’Algérie le mois
dernier, un même projet politique, cohérent et obstinément
défendu par l’actuelle majorité, s’affirme
: réhabiliter le passé colonial de la France et imposer,
dans le même mouvement, une version officielle et mythologique
de l’histoire de la conquête impériale et de
la colonisation. Telle est aussi la fonction du « mémorial
d’outre-mer », en partie financé par l’Etat,
qui doit être édifié à Marseille en 2006
afin de présenter « la réalité de la
présence et de l’action des Français hors de
métropole », comme l’a déclaré
Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux Anciens
combattants, à la tribune de l’Assemblée nationale.
Pire encore, au regard des principes qui doivent, théoriquement,
régir une société démocratique où
l’Etat ne saurait être le garant d’une interprétation
particulière du passé : il s’agit de soumettre
l’enseignement, à tous les niveaux et les enseignants
par conséquent à cette lecture officielle et partisane.
A la différence de l’opposition, dont la pusillanimité
et les compromissions sont, sur ces questions, confondantes, les
promoteurs de cette offensive révisionniste et autoritaire
elle nous ramène aux pratiques de la IIIe République,
lorsque celle-ci exigeait des instituteurs qu’ils vantent
inlassablement les mérites de la colonisation savent qu’ils
viennent de remporter une bataille politique importante. «
Jamais, affirme le député de droite Michel Diefenbacher,
le législateur n’avait pris position aussi clairement
sur le sens à donner à l’histoire de la colonisation
française, sur le rôle positif joué par la France
outre-mer. »
Ces dispositions scélérates doivent être abrogées
et l’actuelle opposition doit d’ores et déjà
prendre l’engagement public qu’elle agira en ce sens
en cas de victoire aux prochaines élections nationales.
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