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Origine : http://www.politis.fr/article1256.html
Dans « Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État
colonial », un essai vigoureux, à la croisée
de plusieurs disciplines intellectuelles, Olivier Le Cour Grandmaison
montre à quel point, dès le début, la guerre
coloniale en Algérie a été exceptionnelle,
préfigurant certaines méthodes utilisées au
siècle suivant.
Lorsqu’on referme le livre d’Olivier Le Cour Grandmaison,
on est envahi par une sensation de dégoût et de honte.
On plonge en effet, au fil de ses 370 pages, dans l’horreur
et la cruauté d’une violence quasi-permanente qui accompagne
la colonisation de l’Algérie française. La fameuse
« pacification » vocable constamment employé
pendant les 132 ans du « joug français »
ne sera jamais qu’un vain mot : face à la « brutalisation
» en cours de la nouvelle « armée d’Afrique
» (pouvant tuer, piller, violer, confisquer biens et maisons
à sa guise), les révoltes ne cessent quasiment jamais,
mais sont constamment matées. La population algérienne
a donc le triste privilège de subir l’inauguration
de terribles méthodes, nouvelles à l’époque,
qui annoncent celles des guerres et même des génocides
du siècle suivant. Mais Olivier Le Cour Grandmaison ne se
limite pas au récit de faits sanglants. Son objectif, bien
plus large, est de mêler différentes approches afin
de présenter ce qui constitue une sorte de laboratoire, aussi
bien des théories racistes que de techniques répressives
employées lors de cette « guerre exceptionnelle »,
comme les militaires la qualifient alors eux-mêmes, conscients
du fait qu’elle n’est plus régie par le droit
de la guerre en vigueur jusque-là puisqu’ils combattent
une population entière et principalement des civils.
Original, le livre l’est d’abord du point de vue de
sa méthode. En effet, l’auteur ignore les découpages
chronologiques habituels des historiens : il étudie toute
la période allant de 1830 à 1962, sans hésiter
à faire de nombreux allers-retours entre la période
de la conquête et l’époque contemporaine, ni
à pointer les inquiétantes constances (parfois jusqu’à
nos jours) de certains dispositifs répressifs. Mais l’auteur,
qui enseigne la philosophie et les sciences politiques (et non l’histoire
donc), refuse également les frontières disciplinaires
: il choisit, du fait des multiples objets étudiés,
à l’instar de Michel Foucault, une « voie dédisciplinarisée,
rebelle à l’ordre des savoirs récemment institués
». Le Cour Grandmaison étudie donc des textes d’origines
et de statuts divers, empruntés à l’histoire,
au droit, à la politique, à la philosophie ou même
à la littérature.
Si l’on est choqué aujourd’hui par toutes les
descriptions des violences commises par l’armée coloniale
et les discours des contemporains, l’auteur ne produit pas
une dénonciation idéologique a posteriori des horreurs
du colonialisme. Reprenant les débats et études de
l’époque, il montre que « l’extermination
» (qui, au sens de l’époque, signifie tout un
ensemble de façons de tuer, pas seulement un massacre de
masse) était alors un fait accepté et reconnu par
tous, aussi bien par les partisans de la colonisation que ses adversaires,
« inévitable » avec le but de fonder une «
colonie de peuplement ». Mais il apporte un démenti
cinglant aux tentatives de dégager d’hypothétiques
bénéfices à « l’oeuvre civilisatrice
de la colonisation », qui a pourtant encore aujourd’hui
des partisans, tel Alain-Gérard Slama, qui gomme par exemple
dans son ouvrage sur l’Algérie française les
quelque 875 000 Algériens tués pendant les 40 premières
années de présence française. Ce chiffre, déjà
admis à l’époque, résulte des méthodes
utilisées par l’armée : en plus de fréquents
massacres, elle pratique des « razzias » qui consistent
à piller ce qu’on peut prendre et à détruire
tout le reste par le feu (maisons, récoltes, bétail,
cultures, etc.). Famines et déplacements forcés en
sont les conséquences et permettent ensuite de s’emparer
aussi des terres. À la différence des pillages qui
existaient en marge des guerres, ces razzias sont planifiées,
soigneusement préparées. Si ce type d’actes
ont été plus fréquents entre 1830 et 1872,
on les retrouve néanmoins lors des révoltes qui naissent
par la suite. Surtout, ces méthodes seront appliquées
lors des autres conquêtes (Indochine, Nouvelle-Calédonie,
Afrique Noire) puis pendant la politique des « pouvoirs spéciaux
» mise en place par Guy Mollet en 1956, et jusqu’en
1962...
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Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial,
Olivier Le Cour Grandmaison, Fayard, 376 p., 22 euros.
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