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Origine :
http://ensam.jot.com/WikiHome/Divers/Le+Nouvel+esprit+du+Capitalisme.doc
Les Auteurs (sources wikipedia, CNAM, HEC)
Luc Boltanski
Les premières recherches de Luc Boltanski sont mènée
dans le cadre du Centre de Sociologie européenne, dirigé
par Raymond Aron puis Pierre Bourdieu. Ses premiers travaux sont
orientés par l'influence du cadre théorique bourdieusien.
Boltanski est donc dans sa jeunesse inséré dans le
"groupe de jeunes que Bourdieu avait réunis autour de
lui".
Au début des années 1970, Boltanski devient maître-assistant
à l'EHESS. Il participe à la fondation de la revue
Actes de la recherche en sciences sociales. Au milieu des années
70, Boltanski se désengage des Actes et se désinvestit
de l'équipe encadrée par Bourdieu. Cette désunion
intellectuelle avec la sociologie Bourdieusienne, peut se résumer
par deux conceptions opposées de la critique sociologie.
Boltanski est également un auteur de référence
concernant la sociologie des cadres.
Directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en
Sciences sociales, il est un des membres fondateurs de "l'Ecole
des conventions".
Il a écrit plusieurs livres :
- Les cadres. La formation d'un groupe social (1982)
- L'amour et la justice comme compétence (1990)
En collaboration avec L. Thévenot :
- Justesse et justice dans le travail (1989)
- De la justification. Les économies de la grandeur (1991)
…
Eve Chiapello
Chargé de Conférences, EHESS, "Sociologie des
formes comptables".
Cours " Sociologie économique et outils de gestion
", DEA IAE Paris 1 " Organisation appliquée "
Responsable de la spécialisation "Information, Contrôle,
Comptabilité et Organisation" du Doctorat HEC.
Contrôle de gestion.
Théorie des organisations.
Méthodologie de la recherche.
Comptabilité de gestion.
Elle a écrit :
- Artistes managers.
Le management culturel face à la critique artistique (1998)
Résumé, fiche de lecture
L’ouvrage dense (très dense, et très épais)
de Luc Boltanski et Eve Chiapello répond à la question
suivante : quels sont les changements idéologiques qui ont
accompagné les transformations récentes du capitalisme
? Par esprit du capitalisme, les auteurs entendent une idéologie
propre à chaque époque qui justifie l’engagement
dans le capitalisme en fournissant, des ressources pour apaiser
l’inquiétude suscitée par les trois questions
suivantes :
En quoi l’engagement dans les processus d’accumulation
capitaliste est-il source d’enthousiasme, y compris pour ceux
qui ne seront pas nécessairement les premiers bénéficiaires
des profits réalisés ?
Dans quelle mesure ceux qui s’impliquent dans le cosmos
capitaliste peuvent-ils être assurés d’une sécurité
minimale pour eux et pour leurs enfants ?
Comment justifier, en termes de bien commun, la participation
à l’entreprise capitaliste et défendre, face
aux accusations d’injustice, la façon dont elle est
animée et gérée ?
. La justification du capitalisme suppose donc la référence
à autre chose, d’où des exigences tout à
fait différentes de celles imposées par la recherche
du profit. Partant de ce constat, Luc Boltanski et Eve Chiapello
s’appuient sur le concept de cité, point d’appui
pour construire des justifications afin de répondre aux critiques
auquel doit répondre le capitalisme. Analysant les caractéristiques
principales sur lesquelles se sont bâties depuis le début
du XIXe siècle les principales formes d’anticapitalisme,
les auteurs soulignent que toutes partent d’une indignation,
mais que celle-ci nécessite un appui théorique et
un argumentaire pour donner de la voix et traduire la souffrance
individuelle en des termes faisant référence au bien
commun. Quatre sources principales d’indignation sont pointées
:
Le capitalisme source de désenchantement et d’inauthenticité
Le capitalisme source d’oppression, il s’oppose à
la liberté, à l’autonomie et à la créativité
des êtres humains.
Le capitalisme source de misère et d’inégalités
Le capitalisme source d’opportunisme et d’égoïsme,
destructeurs de liens sociaux.
Les auteurs distinguent la critique artiste et la critique sociale,
pas toujours concordantes, quelquefois en tension. En s’opposant
au processus capitaliste, la critique contraint ceux qui en sont
les porte-parole à le justifier en terme de bien commun.
Le capitalisme incorpore donc une partie des valeurs au nom desquelles
il était critiqué. Mais en réponse à
la critique, le capitalisme peut également se transformer,
déplacer ses épreuves : la critique est alors désarmée.
Cette analyse introductive permet aux auteurs de présenter
un modèle de changement, comme jeu à trois termes
:
La critique, paramétrée en fonction de ce qu’elle
dénonce et de sa virulence.
Le capitalisme caractérisé par les dispositifs d’organisation
du travail et les façons de faire du profit.
Le capitalisme en tant qu’il intègre des dispositifs
visant à maintenir un écart tolérable entre
les moyens mis en œuvre pour générer du profit
et des exigences de justice prenant appui sur des conventions reconnues
comme légitimes.
Dans une première partie, les auteurs montrent l’émergence
d’une nouvelle idéologie en comparant deux corpus de
textes de management, le premier des années 1960 et le second
des années 1990. Au terme de cette analyse, ils présentent
la cité par projets, logique de justification d’un
monde connexionniste, autour des notions de projet, d’activité,
de lien et de réseau social : l’activité vise
à générer des projets ou à s’intégrer
dans des projets initiés par d’autres. Mais le projet
n’ayant pas d’existence hors de la rencontre, l’activité
par excellence consister à s’insérer dans des
réseaux. Le projet est une ajusté à un monde
en réseau. La succession des projets en multipliant les connexions
et en faisant proliférer les liens a pour effet d’étendre
les réseaux. Celui qui n’explore plus les réseaux
est menacé d’exclusion. Dans une cité par projets,
les êtres ont donc pour préoccupation naturelle de
se connecter aux autres, d’entrer en relation, de faire des
liens. Ils doivent pour cela faire et donner confiance, savoir communiquer,
discuter librement, et être capable de s’ajuster aux
autres et aux situations. Il faut s’avoir s’engager,
être capable d’enthousiasme. (adaptable, flexible, polyvalent,
employable, autonome, prenant des risques...)
Dans la seconde partie, les auteurs décrivent les transformations
du capitalisme et le désarmement de la critique en répondant
à deux questions : Comment les contestations auxquelles le
capitalisme a dû faire face à la fin des années
60 et dans les années 70 ont entraîné une transformation
de son fonctionnement et de ses dispositifs ? Comment la mobilisation
sociale de grande envergure qui porte la critique durant la même
période a pu disparaître en quelques années
au début des années 80? Luc Boltanski et Eve Chiapello
évoquent le rôle de la critique dans le renouvellement
de du capitalisme, qui a procédé par déplacements,
lesquels lui ont permis d’échapper aux contraintes
qui avaient été érigées peu à
peu en réponse à la critique sociale et ont été
possible sans rencontrer de résistances de grande ampleur
parce qu’ils semblaient donner satisfaction à des revendications
issues d’un autre courant critique. Ces déplacements
du capitalisme ont tout de même eu pour effets de changer
la donne au niveau du partage salaires/profit de la valeur ajoutée
en faveur des détenteurs de capitaux et de ramener l’ordre
dans la production. C’est ainsi en s’opposant au capitalisme
social planifié et encadré par L’Etat et en
s’adossant à la critique artiste que le nouvel esprit
du capitalisme prend progressivement forme à l’issue
de la crise des années 60-70. Pour étayer leur thèse,
les auteurs présentent les transformations du monde du travail
(flexibilité, externalisation, précarité, intensification
du travail, dualisation du salariat, report sur L’Etat des
coûts de la mise au travail) au cours des 25 dernières
années et les causes de l’affaiblissement de ses défenses
(particulièrement la désyndicalisation).
En troisième partie, les auteurs traitent du renouveau de
la critique sociale, qui s’appuie sur de nouveaux schèmes
d’interprétation (notamment le réseau) et les
possibilités d’une relance de la critique artiste.
Rapport d’étonnement
Un chapitre m’a particulièrement intéressé
au sein du pavé que constitue le Nouvel Esprit du Capitalisme
: il s’agit de la description du manager dans la cité
par projet. La formation de la cité en question est, outre
caricaturale, d’un cynisme qui en dit long sur notre société,
qui va jusqu’à considérer les rapports sexuels
comme un mode de "connexion" comme un autre. Le passage
sur la légèreté dont doit faire preuve le manager
dans la cité par projet pourrait donner quelques idées
assez amorales. Je conseille la lecture de ce chapitre (la formation
de la cité par projets) à tous les élèves,
tout du moins tous ceux qui sauront prendre du recul vis-à-vis
des thèses développées. A dire vrai, elle peut
donner un éclairage intéressant à notre formation
ENSAM, dans laquelle ont retrouve notamment le knowledge management,
des cours sur les réseaux sociaux, etc…
Mais plus intéressant, j’ai voulu voir si, au sens
de Boltanski et dans la cité par projet, l’ingénieur
ENSAM a les atouts du « grand »
Ainsi le grand chez notre couple d’auteurs est un homme
de connexions. Il les pressent, les établit. Il est ainsi
une personne avenante, intéressante, le moins timide possible
sans être familier à l’excès. Il possède
des qualités d’écoute qui lui permettent de
faire écho aux autres. La convivialité, au sein de
l’ENSAM, n’est plus à démontrer. Une expérience
qu’a fait tout élève de cette noble maison consiste
à, peu après son intégration, être convié
à un buffet de son Groupe Régional, pour s’apercevoir
que les anciens élèves, loin d’adopter une attitude
fort réservée qui semblerait aller de soi, au vu des
endroits où se déroulent ce genre de manifestations,
axent ce genre d’évènements avant tout sur une
démarche collective d’amusement festif, comme des «
bons vivants ». De même, si l’homme connexionniste
« considère que toute personne est contactable et que
tout contact est possible », nous sommes de façon récurrente
engagés à contacter ceux de nos « anciens »
qui exercent dans des domaines revêtant un intérêt
particulier pour nous. Fussent-ils directeur de la sécurité
chez Thalès, dirigeants d’une grande banque ou maire
de Grenoble…Ainsi les anciens élèves comptent-ils
développer par ce biais, outre l’esprit de corps inhérent
à l’histoire de l’ENSAM, une certaine aptitude
à communiquer, à « être à l’aise
» avec des personnages qui, dans un système traditionnel,
ne devraient nous imposer que le respect, voire la crainte à
leur encontre.
De même, le grand de la cité par projets se montre
capable de partage (par opposition au « tueur de réseau
», qui garde pour lui ses informations. Or le partage est
une des composantes de la « fraternité » que
préconise l’association des élèves entre
ses membres. Ce qui peut tout de même présenter quelques
dangers. Si un beaucoup d’associations possèdent un
certain nombre de garde-fous (mise en commun de projets entre plusieurs
écoles, manifestations de solidarité internationale…),
la tentation peut-être grande de privilégier les branches
de notre réseau social qui appartiennent à ce corps.
Ce qui revient à exclure ceux qui n’en sont pas membres.
Il se pose donc en ces termes le problème du « copinage
», de la « mafia ». On objectera facilement que,
s’il existe une injonction à se montrer « fraternel
» avec les autres membres du corps, rien ne nous empêche
de le faire pour des étrangers au corps en question.
De même, le grand est un leader, capable d’engager
les autres. L’ENSAM, depuis fort longtemps (on retrouve des
traces de galas dans les années 20) a développé
un tissu associatif dense, ou chacun - s’il en exprime le
désir - peut prendre des responsabilités. Ainsi, si
les écoles de commerces en majorité proposent des
cours (théoriques) sur le leadership, nous sommes formés
à celui-ci au travers de l’engagement associatif. Car
celui-ci nous oblige à diriger des personnes extrêmement
proches de nous (même âge, même formation), et
nous oblige donc à faire preuve de leadership afin de nous
légitimer à notre poste. Nous devons nous révéler
capables d’engager les autres, faute de quoi notre projet
s’avèrera être un échec.
Une autre caractéristique du « grand » est
l’écoute, et capacité à mettre en avant
les « petits », au contraire du « petit chef »
qui cherchera à s’accaparer les mérites liés
à la réussite d’un projet, voire à accuser
certains « petits » en cas d’échec. Or
l’une des conditions sine qua non de l’engagement associatif
à l’ENSAM est - du moins en théorie –
le désintéressement. Celui-ci est en théorie
obtenu en mettant en garde les élèves, lors des élections,
contre ceux qui chercheraient, plus qu’à rendre service
à la communauté, à « prendre le pouvoir
», ou tout simplement à rajouter une ligne sur leur
CV.
On trouve chez Luc Boltanski et Eve Chiapello une autre figure
de grand dans la cité par projets : l’expert. L’expertise
est une composante fondamentale de l’enseignement académique
de l’ENSAM, l’école proposant notamment une somme
d’Unités de Valeur d’expertises, allant de la
thermomécanique des polymères à l’algorithmique
génétique, parfois enseignées au même
élève. Même si l’assiduité des
élèves à ces cours est tout relative, nombre
d’entre eux leur préférant l’engagement
associatif, elle constitue, d’après l’administration,
un des atouts majeurs de notre formation ; il est d’ailleurs
intéressant de connaître les retours d’expérience
de ceux d’entre nous qui ont eu l’opportunité
de travailler dans un de ces domaines, la plupart considérant
que, la technique se développant de façon exponentielle,
il est tout à fait illusoire de vouloir mettre en œuvre
un savoir théorisé quelques année plus tôt,
qu’en fin de compte seul le « terrain » donne
une expérience nous rendant opérationnels.
En conclusion, j’aimerais souligner le fait que l’état
de grandeur ne saurait, dans aucune cité, ne s’acquérir
de façon systématique, notamment par son appartenance
à un corps, si étendu que soit le réseau procuré
alors à ses membres (si l’on parle de la cité
par projets). Néanmoins, et ce peut être le cas pour
une école ayant pour vocation historique de former des cadres
dirigeants (on dira aujourd’hui des managers, le terme étant
connoté de façon infiniment moins péjorative),
il convient de donner les outils afin que puissent faire éclore
une éventuelle grandeur à ceux dont les responsabilités
futures, et la vie professionnelle découlera de cette propension
à se montrer « grand ». Aussi à la question
« la formation ENSAM est-elle adaptée à la cité
par projets ?», je suis tenté de répondre par
l’affirmative. Elle forme alternativement experts et managers.
Néanmoins, il serait peut-être intéressant d’opérer
un rééquilibrage des critères de l’école
quand à sa perception de la réussite, l’engagement
associatif n’étant absolument pas valorisé au
sein des directions centrales. Il est évident que nous sommes
une Grande Ecole scientifique, et que notre savoir devrait être
mis au service de la recherche et de la science, néanmoins
une bonne partie d’entre nous – c’est aussi le
cas à Polytechnique – vont être amenés
à devenir chefs de projets, managers ou cadres, il conviendrait
peut-être de valoriser la formation qui est adaptée
à ce genre de profil.
Pour terminer, je ne résiste pas au plaisir de m’interroger
sur une dernière caractéristique du grand de la cité
par projets « le grand renonce à n’avoir qu’un
projet qui dure toute la vie (mariage […] », et se doit
de privilégier au maximum les nouvelles relations afin d’établir
le plus de connexions possible. Et de m’interroger sur les
aspects de la formation ENSAM qui nous préparent à
cette forme de « grandeur ».
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