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Origine : http://www.cerc.gouv.fr/meetings/seminairejuin2001/paugam.doc
http://www.cerc.gouv.fr/meetings/seminairejuin2001/paugamdebat.doc
Pour préciser ce qu'il faut entendre par précarité
quand on parle des mutations du travail, diverses enquêtes
peuvent être mobilisées, en particulier une enquête
récente réalisée dans le cadre de l'Observatoire
sociologique du changement sur les salariés, enquête
qui a abouti à l’ouvrage "Le salarié de
la précarité : les nouvelles formes de l’intégration
professionnelle" (Presses universitaires de France). Il faut
aussi examiner les effets de ces nouvelles formes de précarité
en-dehors du champ professionnel, sur la vie familiale, sur la santé,
sur les formes d'engagement, y compris les formes d'engagement politique.
Le CERC, il y a déjà presque une dizaine d'années,
avait établi un rapport "Précarité et
risques d'exclusion en France". En repartant de la problématique
qui y était évoquée, on peut voir ce qui est
en train de changer : la façon d'y aborder la précarité
n'était finalement qu'une partie du problème à
prendre en compte quand on raisonne sur les mutations du marché
du travail ou du marché de l'emploi.
Nous avions, à l'époque, essayé de réfléchir
sur le rapport à l'emploi. Pour définir la précarité,
nous partions spontanément de l'emploi, avec la question
du chômage, mais aussi avec tous les statuts précaires
de l'emploi, bien sûr les CDD, l'intérim, tout ce que
l'on appelle aussi les emplois aidés aujourd'hui. Une variable
s'est révélée très discriminante, le
risque pour un salarié de perdre son emploi dans les deux
ans et, pour les indépendants, le risque d'aboutir à
un dépôt de bilan dans les deux ans. La typologie à
laquelle l’étude arrivait, identifiait cinq situations
: l'emploi stable non menacé, l'emploi stable menacé,
l'emploi instable, le chômage de moins de deux ans et le chômage
de plus de deux ans.
L'emploi stable non menacé concernait les personnes ayant
un emploi et qui considéraient ne pas avoir de risque de
le perdre dans les deux prochaines années. Cette situation
concernait environ 52 % de la population, soit à peu près
13 millions de personnes.
En emploi stable menacé, figuraient les personnes ayant
un emploi stable mais qui disaient risquer de le perdre dans les
deux ans à venir, soit environ 28 % de la population.
L'emploi instable représentait les CDD, l'intérim,
les emplois saisonniers, 8 % environ de la population.
Ce travail avait déjà conduit à analyser les
corrélations entre précarité de l’emploi
et la pauvreté économique ainsi que la vulnérabilité
sociale. Il y a une très forte relation entre le taux de
pauvreté ou de grande pauvreté et la classification
: le taux de grande pauvreté passait de 1,6 à 15,4
%, celui de pauvreté de 5,6 à 42 %. Plus on était
menacé du point de vue de l'emploi, plus on risquait de se
trouver, à cette époque, dans une situation de pauvreté.
De même, pour les indicateurs de vulnérabilité
sociale (la sociabilité familiale, les supports relationnels,
la participation à la vie associative) une très forte
corrélation apparaissait avec les situations d’emploi.
Dans l'emploi stable non menacé, 25-26 % de personnes étaient
en situation de vulnérabilité ou de grande vulnérabilité
du point de vue de la sociabilité familiale ; la proportion
était double pour les chômeurs de plus de deux ans.
Ce type d'enquêtes, reproduites dans d'autres pays européens,
conduisait à généraliser cette conclusion que
l'emploi était un facteur explicatif important du risque
d'exclusion. Mais il est ressorti de discussions avec des sociologues
anglais que la précarité de l'emploi ne s'imposait
pas comme une catégorie allant de soi. En particulier quand
les Anglais parlaient des bad jobs, la question ne se posait pas,
selon eux, selon les termes du rapport à l'emploi. Il ne
faut pas réfléchir uniquement en termes de précarité
de l'emploi, mais aussi en termes de précarité du
travail.
Qu'est-ce que la précarité du travail ? L'enquête
réalisée à l'Observatoire sociologique du changement
pour le compte de la CFDT a essayé d'aborder à la
fois l'emploi et le travail. Cette enquête a été
menée par entretiens auprès de salariés de
15 entreprises de plus de 50 salariés.
Pour définir la précarité du travail, il faut
s’intéresser tout d'abord à la question du travail
en lui-même. Qu'apporte-il à l'individu ? Cela renvoie
à ce que les sociologues du travail appellent l'homo faber,
« se faire en faisant » : comment les individus se reconnaissent-ils
dans leur œuvre ? Les mutations du travail ont conduit à
une mutation de l'homo faber. En suivant la série des enquêtes
« Conditions de travail » et « Organisation du
travail » réalisées par la DARES au cours de
ces dernières années la conception même du travail
paraît se modifier. Par exemple dans la relation au supérieur
hiérarchique : entre 1987 et 1998, pour les hommes ou les
femmes, la proportion de salariés qui déclarent que
leurs supérieurs hiérarchiques leur indiquent seulement
l'objectif à atteindre, augmente, la proportion de ceux déclarant
que les supérieurs qui disent comment faire le travail, diminue.
Il y a donc une plus grande autonomie dans le travail. Ceci reste
vrai quand on prend la catégorie socioprofessionnelle en
compte. D'autres indicateurs dans ces enquêtes vont dans le
même sens d'une autonomie accrue dans le travail.
Un autre critère est celui des contraintes de rythme de
travail. Une question concerne la façon dont les salariés
expliquent le rythme de travail, en distinguant en particulier les
normes et les délais à respecter, le rôle de
la demande extérieure et la permanence du contrôle
hiérarchique.
Entre 1984 et 1998, la proportion de salariés déclarant
que leur rythme de travail est imposé par des normes et des
délais à respecter est passée pour les hommes
de 21 % à près de 50 %. Pour les femmes, l’évolution
est également très forte puisque l'on passe de 15
% à 35 %. De même, le poids des contraintes de la demande
extérieure passe, pour l'ensemble, de 39 % à 65 %.
Les salariés travaillent donc de plus en plus en fonction
des flux du marché, de la production en flux tendu. Pour
certains d’entre eux, cette intensification induit des situations
de stress et aussi une de ne pas pouvoir atteindre les objectifs
fixés, ce que rapportent aussi plusieurs enquêtes européennes.
Que les salariés soient plus autonomes dans la façon
d’effectuer leur travail, ne veut pas dire qu'il n'y a plus
de contrôle hiérarchique. Les salariés déclarent
de plus en plus que leur rythme de travail est imposé par
un contrôle hiérarchique qui s’effectue une fois
le travail réalisé.
Autre indicateur intéressant, la proportion de salariés
qui déclarent ne pas pouvoir effectuer correctement leur
travail à cause d'un manque de temps . Cette proportion augmente,
un quart des salariés dit aujourd'hui ne pas pouvoir effectuer
correctement leur travail par manque de temps.
Ainsi, du point de vue de la satisfaction personnelle, du rapport
au travail, un quart des salariés sont plus ou moins frustrés
de ne pas atteindre les objectifs que l'on attend d'eux. Cette tendance
lourde se vérifie quel que soit le sexe ou la catégorie
professionnelle. Ce ne sont pas tellement les cadres supérieurs
qui disent ne pas avoir pas de temps, l’augmentation est aussi
sensible pour les ouvriers non qualifiés.
Plus grande autonomie, plus grande pression dans le travail, plus
grande intensification du travail, un contrôle hiérarchique
a priori, un manque de temps et la peur, finalement, d'être
sanctionné en cas d'erreur. Selon les enquêtes de la
DARES, 60 % des salariés déclarent qu'une erreur de
leur part peut entraîner des sanctions à leur égard,
des risques pour leur emploi, une diminution de leur rémunération,
contre 46 % en 1991 (cette proportion était de 64 % pour
les seuls hommes salariés contre 50 % en 1991). L’individualisation
est plus forte, non pas simplement dans la pratique salariale, mais
aussi dans la façon d'organiser le travail et d'atteindre
les objectifs et l’attente des employeurs est plus grande
à l'égard des salariés.
Dans l'enquête réalisée pour la CFDT, on comprend
très bien, à partir de monographies d'entreprises,
les effets sévères de cette intensification du travail
sur la vie des salariés qui, travaillant toujours sous pression,
qu'ils considèrent souvent trop forte, rencontrent bien des
difficultés à tirer quelques satisfactions de leur
travail et à être reconnus par les autres salariés.
L'intégration professionnelle peut être analysée
à partir de cette typologie. Le type idéal serait
constitué par une satisfaction dans le travail et une certaine
stabilité de l'emploi. En prenant en compte les déviations
par rapport à ces deux critères, on peut définir
une précarité de l'intégration professionnelle
qui ne serait pas uniquement la précarité du travail
ou de l'emploi. L'intégration incertaine mêlerait,
selon cette approche, la satisfaction dans le travail et l'instabilité
de l'emploi ; l'intégration laborieuse serait composée
d'insatisfaction dans le travail et de stabilité de l'emploi
; l'intégration disqualifiante lorsque l'insatisfaction est
corrélée avec l'instabilité de l'emploi.
Une analyse factorielle en correspondances multiples, prenant en
compte l'ensemble des variables renvoyant à l'emploi et au
travail, fait ressortir deux axes : l'axe de la satisfaction dans
le travail et l'axe de la stabilité de l'emploi. S’en
dégagent ainsi quatre pôles : le pôle de l'intégration
assurée (à la fois stabilité de l'emploi et
satisfaction dans le travail) ; le pôle de l'intégration
incertaine (satisfaction dans le travail et instabilité de
l'emploi) ; celui de l'intégration laborieuse (insatisfaction
dans le travail mais stabilité de l'emploi) ; et le pôle
de l'intégration disqualifiante.
Les ouvriers non qualifiés se trouvent plus du côté
de l'intégration disqualifiante, les ouvriers qualifiés
vont être plus proches du pôle de l'intégration
laborieuse, les employés sont aussi très proches de
l'intégration disqualifiante. Les professions intermédiaires
et les cadres sont plutôt proches de l'intégration
assurée. Les situations diffèrent entre les hommes
et les femmes. Les hommes se trouvent beaucoup plus dans le pôle
de l'intégration assurée et les femmes plutôt
dans l'intégration disqualifiante.
La diversification du monde salarial, aujourd'hui, est importante.
Les salariés ne forment plus un monde homogène, si
tant est qu'il a pu l’être à un moment de son
histoire. Aujourd'hui, en tout cas, l’éclatement de
ce monde est important en raison des évolutions du rapport
au travail et de celles du rapport à l'emploi.
L’analyse de la précarité professionnelle à
partir de ces déviations par rapport au modèle de
l'intégration assurée, met en évidence des
effets non négligeables sur la définition de soi,
le sentiment d'être utile ou inutile. Si l’on essaie
de rendre compte du sentiment d’être inutile, dans des
régressions prenant en compte l’âge, le sexe,
le type d’entreprise, la CSP, le type d’intégration,
les effets de la CS sur le sentiment d'être inutile sont non
significatifs alors que les effets concernant le type d'intégration
sont forts.
Des souffrances nouvelles se développent en lien à
cette évolution de l'intégration professionnelle,
par exemple l'insomnie. En termes de catégories sociales,
les cadres dorment le moins bien et les ouvriers non qualifiés
dorment le mieux, puisque le coefficient est négatif et très
significatif pour les ouvriers non qualifiés. Quant au critère
de l'intégration professionnelle, la fréquence de
l'insomnie est très significative dans l'intégration
laborieuse et disqualifiante. Entre 25 et 30 % des salariés
dans ces situations d'intégration professionnelle problématique
souffrent d'insomnie. On note aussi des effets sur d'autres dimensions
comme l'anxiété ou la perte de confiance en soi qui
vont exactement dans ce sens.
Dans le rapport du CERC de 1993, une corrélation forte était
mise en évidence entre la précarité de l'emploi
et l'instabilité conjugale. Cette problématique a
été reprise dans l'enquête en demandant aux
salariés de parler de leurs relations de couple et parentales,
et avec leurs enfants quand ils en avaient. L'intégration
professionnelle a un effet très fort sur la qualité
des relations de couple. L'intégration disqualifiante a l’effet
le plus net sur la dégradation des relations de couple. De
même, du point de vue des relations avec des enfants, les
femmes semblent beaucoup plus affectées que les hommes par
la dégradation de leurs relations avec leurs enfants.
L'enquête comportait des entretiens semi-directifs mais aussi
des entretiens plus qualitatifs. Des femmes en situation de précarité
professionnelle parlaient spontanément de leurs difficultés
à conjuguer vie professionnelle et vie familiale. Tous les
indicateurs vont dans le sens d'un lien très fort, contrôlé
à partir de modèles de régression économétrique,
entre précarité professionnelle et précarité
familiale.
Les relations de mobilisation dans l'entreprise sont plus difficiles
à examiner mais il apparaît assez clairement que ce
sont les salariés proches de l'intégration incertaine
et disqualifiante qui se tiennent le plus en retrait de la vie collective
de l'entreprise, en particulier dans la fréquentation du
comité d'entreprise.
Le rapport à la vie syndicale est très différent
selon la position dans cette typologie. Pour les salariés
classés du côté de l’intégration
laborieuse, la priorité syndicale est l’augmentation
des salaires. Pour ceux classés du côté de l’intégration
assurée deux revendications arrivent en tête : la réduction
du temps de travail et la création d’emplois ; on aborde
le plus facilement la réduction du temps de travail avec
les salariés les plus protégés et qui ont des
carrières leur procurant des satisfactions et de la promotion.
La priorité syndicale du côté de l’intégration
incertaine est l’amélioration des possibilités
de formation : ces salariés souhaitent améliorer leur
position par rapport à leur emploi. Enfin du côté
de l’intégration disqualifiante la priorité
syndicale est le maintien des emplois.
Cet espace socioprofessionnel structure donc des comportements
et aboutit à des différenciations importantes au sein
des salariés.
Dernier aspect le rapport aux politiques, les plus précaires
du point de vue de l’intégration professionnelle se
situent davantage à gauche qu’à droite, ils
ont aussi des valeurs qui relèvent beaucoup plus des valeurs
de gauche que des valeurs de droite en général mais
ils ne se sentent proches d’aucun parti. Aucun parti, y compris
les partis qui défendent les valeurs auxquelles ils croient,
ne les attire, que ce soit le PC, le PS ou les verts. Aucun parti
n’est significatif du point de vue de la proximité
partisane de ces salariés. Ces salariés sont dans
une approche très marquée par la désillusion
à l’égard de la politique en général
: ils votent moins que les salariés de l’intégration
assurée. De tous les salariés ceux qui vont le moins
voter sont proches de l’intégration disqualifiante.
Tous ces résultats vont dans le sens, très important
d’un point de vue sociologique, qu’il n’y a pas
distinction des sphères d’intégration que sont
la famille, l’emploi, la vie politique. Il y a interdépendance
de ces sphères, et lorsqu’on est mal intégré
dans l’une de ces sphères, les risques d’être
mal intégré dans les autres sont plus forts. Ce résultat
conduit à s’interroger non plus seulement en terme
d’accès à un emploi comme solution à
la question de l’exclusion. Il faut aussi réfléchir
à la question de l’exclusion à partir de ce
qui se passe sur le marché du travail et penser en terme
de qualité des emplois et de qualités de l’intégration
professionnelle en général.
NOUVELLES ¨PRECARITES
Serge PAUGAM (EHESS)
DISCUSSION
Pour M. Ughetto (IRES), on est souvent conduit, en tant qu’observateur
extérieur à l’entreprise à voir des contradictions
là où les entreprises elles-mêmes ne les ressentent
pas, par exemple entre la montée de l’autonomie et
de la contrainte. Les entreprises sont dans des démarches
pragmatiques qui peuvent mêler des éléments
contradictoires et, jusqu’à présent, elles ne
sont pas forcément soumises à tension. Il peut se
faire qu’un jour des évolutions au niveau des formes
de la concurrence, de la formation des prix, également de
l’évolution du marché du travail les amènent
à considérer qu’il y a effectivement des contradictions
là où elles ne les voyaient pas. On peut revenir,
à ce sujet sur l’exemple de la grande distribution.
Certes, la prédominance de la compétitivité
prix y structure beaucoup de choses, mais aussi une tension avec
la quête des entreprises d’une stratégie leur
permettant d’enrichir la qualité de service offerte
aux clients. Ces deux stratégies semblaient s’opposer
dans la grande distribution à la fin des années 80
; les grandes entreprises du secteur de la grande distribution mêlent
maintenant souvent les deux et sont donc prises dans des contradictions
entre le fait qu’on doit à la fois baisser les prix,
et en même temps enrichir la prestation en service.
M. Paugam indique, concernant le caractère statique des
typologies que, dans l’enquête, on a essayé d’examiner
les trajectoires des salariés. Les aspects individuels ne
sont pas les seuls à jouer dans ces processus. Si un salarié
a été à un moment donné dans l’intégration
assurée, et est passé dans l’intégration
incertaine ou disqualifiante, ce n’est pas en raison de ses
seules caractéristiques personnelles, c’est aussi en
raison de l’évolution de son entreprise selon qu’elle
a continué à faire des bénéfices ou,
au contraire, a connu des difficultés d’adaptation
au marché. L’adaptation de l’entreprise au marché,
la transformation de l’organisation du travail ont des effets
très nets sur la trajectoire des salariés. Il faudrait
davantage étudier les parts respectives qui reviennent à
l’entreprise et aux caractéristiques de l’individu
dans l’analyse des trajectoires.
M. Delors rappelle les conclusions de l’expérience
de la conversion des mineurs de fer qui rejoignent partiellement
le propos de Serge Paugam. Les salariés qui ont du mal à
se convertir évoluaient tout d’abord dans un espace
professionnel restreint, souffraient en second lieu d’une
limitation du vocabulaire et, en troisième lieu, d’un
manque évident de confiance en soi et même de connaissance
de leurs qualités. Ces trois éléments doivent
être pris en compte dans une redéfinition de la politique
de formation permanente surtout pour ceux qui sont parmi les plus
menacés.
M. Dollé s’interroge sur les liens de causalité
mis en avant par Serge Paugam entre intégration professionnelle
et intégration familiale ou sociale ; les relations peuvent
aller dans les deux sens. Sauf à dire que la position dans
le monde du travail va déterminer tous les autres facteurs
d’exclusion, cela renvoie-t-il, une fois encore, à
la manière dont les politiques sociales interfèrent
avec les politiques du marché du travail ?
Pour M. Paugam, il existe des relations de causalité allant
de l’intégration sociale ou familiale vers l’intégration
professionnelle, mais le sens de causalité principale est
probablement aussi inverse.
Les difficultés des chômeurs à retrouver un
emploi ne s’expliquent pas simplement en termes de qualification
professionnelle mais aussi, bien sûr, en termes de confiance
en soi et de relations aux autres. Cependant, des travaux récents,
à partir du panel européen des ménages, sur
l’accès à l’emploi d’une population
de chômeurs, ont tenté de modéliser ce qui relève
de facteurs renvoyant à la pauvreté économique
et de facteurs renvoyant aux liens sociaux et à l’isolement
social. La pauvreté économique ressort comme le facteur
essentiel du retour à l’emploi pour les chômeurs.
Une fois que l’on contrôle tout, l’aspect des
liens sociaux vient renforcer la chance d’accéder ou
de ne pas accéder à l’emploi mais le critère
le plus fort est la pauvreté économique. Ceci renvoie
à la question de l’indemnisation du chômage.
C’est dans les pays où l’indemnisation du chômage
est le mieux assurée que les chômeurs s’insèrent
le mieux sur le marché de l’emploi. On retrouve plus
facilement un emploi au Danemark, toutes choses égales par
ailleurs, où l’indemnisation du chômage est la
mieux assurée en Europe. Les chômeurs danois qui sont
mieux indemnisés sont plus actifs dans la recherche d'un
emploi, font davantage de démarches. Le critère pauvreté
est très important, on ne peut pas dire que c’est uniquement
parce qu’ils sont incités par le système de
politique actif d’emploi, il y a aussi le fait qu’ils
ont un revenu qu’il leur permet de mieux se vêtir, mieux
se préparer, mieux se déplacer. Il n’y a pas
que l’indemnisation du chômage.
M. Seibel estime qu’une enquête, aussi bonne soit-elle,
ne peut traduire les micro-décisions et notamment le fait
que dans le cas du Danemark et d’autres pays scandinaves (cela
s’étend peu à peu dans les pays anglo-saxons),
une contrainte pèse sur la personne, notamment l’acceptation
d’un poste, faute de quoi, au bout d’un essai ou de
deux essais, les indemnités de chômage sont réduites
ou supprimées. On ne peut pas ne pas prendre en compte ces
facteurs dans le retour à l’emploi. Ce n’est
pas simplement le niveau d’indemnisation du chômage
qui est relativement égal et n’a pas de dégressivité
etc. De facto, c’est un peu ce modèle là qui
est sous-jacent au PARE.
M. Delors : le Danemark avait un système qui était
une tradition blue worker, que le système de sécurité
sociale prévoyait dès l’après-guerre
l’indemnisation du chômage pour préserver l’homme
clé de la social-démocratie suédoise, l’ouvrier.
Tout le monde touchait 80 à 90 % d’un salaire de référence.
Ce système avait été étendu aux jeunes
de plus de 18 ans. Résultat, sur 5 millions d’habitants,
700 000 personnes indemnisées n’avaient jamais travaillé
de leur vie. Le système d’indemnisation du chômage
a été changé ; il en reste une indemnisation
élevée, un service de l’emploi de qualité,
auxquels ont été ajoutés un recours possible
à des sanctions et un renforcement des incitations. Certes,
le niveau d’indemnisation reste au Danemark l’un des
meilleurs d’Europe, mais on ne peut tout ramener à
ce seul facteur explicatif.
Mme Montchatre (CEREQ) revient sur une autre manière de
formuler des enseignements que l’on peut tirer des résultats
de l’enquête de Serge Paugam, en les reliant à
l’ampleur des changements organisationnels et des nouvelles
exigences. Il ressort de ces nouvelles exigences au point de vue
du travail lui-même, l’injonction finalement adressée
au salarié de mobiliser des ressources dans le travail qui
dépassent largement les ressources de sa formation initiale
et celles de sa formation professionnelle. On lui demande aussi
de mobiliser des ressources de socialisation qui lui permettent
d’entrer en relation avec le client, de communiquer avec ses
collaborateurs etc. Les conditions de socialisation antérieures
du salarié deviennent aussi des ressources professionnelles
pour faire face aux situations dans lesquelles il est placé.
L’entreprise demande aux travailleurs des qualités
qui se construirent largement en dehors de la sphère du travail,
ce qui pose aussi la question de la construction sociale des compétences.
Pour M. Paugam la reconnaissance dans le travail devient, de ce
fait, une exigence très importante. La proportion de salariés
qui considèrent que les contraintes de travail sont liées
à des contrôles hiérarchiques augmente. La reconnaissance
passe beaucoup plus par les performances individuelles, Dans l’enquête
des salariés, même des ouvriers non qualifiés,
disaient se trouver seuls à prendre des décisions.
Ceci peut être générateur d’angoisse,
crainte d’être mal évalué, d’être
mal jugé, d’être mal apprécié,
de ne pas être finalement suffisamment aimé dans son
travail par les autres.
M. Seibel revient sur la coexistence, dans les réponses
aux enquêtes sur les conditions de travail, et pour les mêmes
salariés, d’une autonomie accrue et de tensions accrues.
Le lien entre ces deux tendances et le concept de satisfaction n’est
pas facile à cerner. La satisfaction est une expression très
subjective. Peut-on se servir d’un indicateur de satisfaction
comme indicateur de précarité dans le travail ? De
plus, quant on rajoute des mots relativement chargés, comme
intégration disqualifiante, ne va-t-on pas trop loin ? Le
jeu de ces concepts extrêmement subjectifs pose question.
Claude Seibel se demande en définitive si la précarité
de l’emploi, la précarité des salaires, ne sont
pas des variables qui restent tout à fait prégnantes.
Il n’est pas certain que la précarité dans le
travail soit un concept aussi intéressant, aussi fourni que
l’aspect précarité de l’emploi.
M. Paugam rappelle que s’il a présenté des
variables figurant aussi dans les enquêtes sur les conditions
de travail, l’indicateur de satisfaction dans le travail utilisé
mobilise de nombreux éléments figurant dans l’enquête
spécifique, 26 items au total. Ce ne sont pas uniquement
des items se rapportant à l’autonomie, à l’intensification,
interviennent aussi le salaire, la promotion, les gènes dans
le travail, donc des facteurs objectifs ou subjectifs. Or, ces 26
items qui renvoient à des dimensions très différentes
du rapport au travail sont en très forte corrélation.
Ce qui justifie donc de prendre en compte une batterie d’indicateurs
pour construire une réflexion autour de la précarité
du travail. Dénommer cet indicateur « satisfaction
» ou « implication » importe peu, il reste très
discriminant parmi les salariés.
M. Delors, en conclusion, retient que aux concepts habituels de
précarité de l’emploi, de bas salaires, reliés
généralement à la pauvreté, Serge Paugam
propose d’ajouter le concept d’intégration professionnelle.
La société doit se préoccuper de savoir si
la vulnérabilité des individus est liée à
cet aspect d’intégration professionnelle, en améliorant
l’analyse et la mesure de ce phénomène et s’il
s’agit d’une notion à intégrer dans les
politiques publiques.
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