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Résumé
La théorie de Foucault en matière de critique du
contrôle social a fortement marqué l’analyse
des politiques publiques de divers secteurs (justice, social, psychiatrie)
au cours des années 1970. Mais elle a paradoxalement perdu
de son efficacité scientifique en se diffusant dans le corps
social. Or, depuis au moins une décennie, une tendance «
répressive » des politiques de l’État
se développe, qui est analysée comme une « pénalisation
du social » liée aux choix d’une politique libérale
dans les pays occidentaux. Mais s’agit-il là d’un
simple retour des modalités de contrôle social que
Foucault et ses élèves avaient identifiées
ou doit-on y voir l’émergence d’un paradigme
inédit du contrôle social dont les caractéristiques
restent à décrypter ?
« Les anneaux d’un serpent sont encore
plus
compliqués que les trous d’une taupinière ».
Gilles Deleuze.
1 La critique de la société disciplinaire qu’avait
formulée Michel Foucault au cours des années 1970
avait entraîné derrière elle, outre le mouvement
militant contre les prisons autour du GIP, un courant de recherches
sur les thématiques du contrôle social. Ce type d’approche
s’est considérablement émoussé au cours
des décennies suivantes, avec le déclin du grand paradigme
structuraliste et l’émergence des approches de type
constructiviste. Pour ce qui concerne la prison et les politiques
pénales, l’avènement d’un gouvernement
de gauche en 1981 a contribué à « humaniser
» le milieu carcéral et à trouver des alternatives
à l’incarcération, éclipsant de la sorte
les objets de la critique.
2 Toutefois, cette période n’a été que
de courte durée : la décennie 1990 a vu se renforcer
la répression et la population carcérale ne cesse
d’augmenter, au point que, en 2002, un rapport parlementaire
– réunissant dans ses conclusions les députés
et sénateurs de divers bords politiques – tire la sonnette
d’alarme sur les conditions déplorables de détention
et appelle à une évolution radicale de cette institution.
Aussi, compte tenu de cette conjoncture, nous proposons de nous
interroger sur la pertinence de la lecture analytique que faisait
M. Foucault, notamment avec Surveiller et punir 1, dans le contexte
qui est le nôtre vingt ans après sa disparition.
3 Une telle interrogation comporte plusieurs déclinaisons.
Il s’agit tout d’abord de se demander si la grille de
lecture qu’il proposait est toujours adaptée, compte
tenu de l’évolution des connaissances et de celle des
phénomènes envisagés. Dans la mesure où
l’on considère que ces évolutions en matière
de formes d’exercice du pouvoir pénal, en tant que
parangon du pouvoir social, ne constituent pas un retour au statu
quo ante, il est indispensable de considérer quelle place
leur attribuer dans une lecture « foucaldienne » de
la pénalité moderne. Enfin, ces interrogations passent
par un examen de la réception des référents
théoriques de M. Foucault chez les différents observateurs
contemporains des phénomènes en question.
1. La critique du contrôle social : nature et effets
4 Sans entrer dans une discussion, encore moins une exégèse,
des schèmes théoriques, on se contentera ici d’en
rappeler les principaux éléments qui ont été
retenus par les chercheurs. M. Foucault examine les « figures
de technologie politique » propre à une époque,
celle qui s’amorce avec les Lumières et la pensée
politique moderne d’auteurs comme Bentham ou Beccaria. Cette
période correspond à une épistémè
2 qui se concrétise dans la structure politique (pouvoir).
Celle-ci s’appuie sur la connaissance (savoir) qui se développe
dans les sciences humaines. Deux concepts majeurs sont principalement
retenus pour caractériser ces figures de technologie du pouvoir
: celui de « quadrillage disciplinaire » et celui «
d’économie des illégalismes ». La prison
est prise par Foucault comme la forme paradigmatique de la peine,
en tant qu’elle constitue un « dispositif disciplinaire
» et qu’elle permet de normaliser les comportements,
de les trier en termes de légalité.
5 Cette critique structurale des technologies de formation de l’ordre
social et de l’ordre moral a servi de cadre théorique
à de nombreuses recherches en sciences sociales dans les
années qui ont suivi la publication de Surveiller et punir
(1975). Il s’est ainsi vu appliquer à plusieurs objets
de l’action publique tels que la protection des mineurs (Donzelot,
Meyer), la prévention de la délinquance (Lascoumes),
la protection sociale (Ewald) ou les institutions et professions
« psy » (Castel, Deleuze et Guattari), et la liste n’est
pas exhaustive 3.
6 Ainsi, au-delà de l’économie pénale,
l’ensemble des politiques sociales et sanitaires sont considérées
comme participant d’un processus d’instauration et de
reproduction de l’ordre social et moral, y compris et peut-être
surtout dans son intention bienfaitrice et philanthropique. L’idéologie
bienveillante de l’action sociale masquerait de la sorte la
réalité enfouie d’un dispositif structural et
politique de normalisation de la société. La parution
d’un numéro de la revue Esprit dès 1972 consacré
au travail social fut sans doute la première publication
à diffuser largement cette approche critique.
7 Une telle critique du contrôle social initiée par
l’œuvre et les concepts de M. Foucault a connu progressivement
un impact important parmi les acteurs du travail social 4 mais aussi
dans la pensée politique. Ainsi, les « dispositifs
» élaborés à partir de 1981 en matière
de politique publique, que ce soit en matière pénale,
sanitaire ou sociale, sous l’impulsion notamment des gouvernements
de gauche en France, ont entrepris de tenter de dépasser
les effets d’un contrôle social visant à normaliser
la société dans une dynamique disciplinaire.
8 Cette nouvelle conception de l’exercice du pouvoir participe
d’un idéal démocratique où les citoyens
– usagers, professionnels, élus locaux, bénévoles,
experts, etc. – doivent contribuer à définir
les modalités des dispositifs de politique publique dans
le cadre d’instances transversales et partenariales : CCPD,
DSQ, réseaux ville-hôpital, etc. 5 Certes, la prison
n’entre pas dans cette logique d’aggiornamento (que
connaît la psychiatrie, par exemple 6), mais l’idéal
d’en « finir avec les prisons » se traduit par
l’apparition de certains dispositifs alternatifs, tels que
le « travail d’intérêt général
», et par un effort « d’humanisation » des
prisons.
9 Aussi la critique foucaldienne des technologies disciplinaires
a-t-elle contribué à infléchir les politiques
publiques dans les domaines de la sécurité et de l’action
pénale, de la protection sociale, de l’intervention
psychologique et psychiatrique, et même dans les politiques
de l’aménagement urbain considérées également
comme des vecteurs d’imposition d’un certain ordre social.
Et il faudrait sans doute s’interroger sur les considérations
qui ont conduit à transformer les procédures de production
industrielle pour les faire sortir du taylorisme et contribué
à légitimer les formes du travail « déstandardisé
» 7.
10 On ne saurait attribuer ces transformations à la seule
réception de la théorie de M. Foucault, mais elle
constitue sans doute, notamment dans certains secteurs comme celui
du pénal et du social, l’une des références
majeures de la critique institutionnelle sur lesquelles elles se
sont appuyées. Mais si cette critique a contribué
à initier certaines réformes politiques dans les années
1980, qu’en est-il au cours des décennies suivantes
? Pour ce qui concerne les politiques sociales et pénales
qui nous occupent ici, il semble que, depuis 1995, en France, une
inflexion inverse se soit dessinée.
11 Cette période semble en effet marquée, selon les
observateurs de ces secteurs de l’action publique, par un
renforcement d’une orientation répressive des politiques
pénales et un reflux des politiques de protection sociale.
Ces deux tendances seraient en outre liées dans la mesure
où la diminution des filets de protection sociale accroît
les situations générant des illégalismes parmi
les populations « marginalisées », « précarisées
» ou en situation « d’exclusion ». Ainsi,
l’action répressive constituerait de ce point de vue
une réponse palliative aux effets des déficiences
de la politique sociale.
12 Un tel processus de « pénalisation du social »
serait inhérent, selon ses analystes, à une politique
du libéralisme économique, visant à diminuer
les coûts sociaux et à renvoyer uniquement à
la responsabilité individuelle comme principe de citoyenneté.
Les tenants d’une telle critique des transformations récentes
des politiques publiques en la matière sont à chercher
parmi les héritiers de l’approche structuraliste classique,
prompte à identifier derrière les rhétoriques
idéologiques des politiques et des États des logiques
de domination et de pouvoir. Ainsi, des auteurs français
tels que L. Wacquant ou L. Bonelli 8 inscrivent cette analyse dans
le courant théorique initié par P. Bourdieu. Les criminologues
belges développent de leur côté une critique
semblable sans toutefois se référer explicitement
aux constructions théoriques ou aux concepts élaborés
par M. Foucault sur ces questions 9.
13 Comment expliquer un tel désintérêt alors
même que ces travaux se situent dans une perspective critique
des logiques de pouvoir et de domination inhérentes aux processus
observés ? Sans doute parce que le modèle foucaldien
a contribué à mettre en cause les politiques sociales
comme élément de maintien de l’ordre social
alors qu’elle apparaissent aujourd’hui comme devant
être sauvées face aux excès prêtés
à la politique libérale. Il a en quelque sorte rendu
la critique des politiques pénales et sociales consubstantielle.
14 C’est par conséquent dans la littérature
anglophone qu’il faut trouver la référence à
Foucault dont l’œuvre a été découverte
et a connu un succès plus tardivement dans les sciences humaines
aux USA et au Royaume-Uni, où par conséquent on ne
conserve pas de mémoire de la critique du travail social.
Le travail de David Garland 10, l’un des principaux théoriciens
de la nouvelle critique du pénalisme contemporain, paraît
exemplaire dans le reprise de la méthode de M. Foucault.
Dans son ouvrage, intitulé de manière significative
« The Culture of Control, Crime and Social Order in Contemporary
Society », il entreprend de mettre au jour les logiques participant
de ce qu’il nomme la « modernité tardive »
(late modernity) en la matière.
15 Il dégage, dans le retour de la logique répressive,
des fondements structurels qui ne sauraient se résumer à
un simple retour à une pénalité strictement
rétributive et à une conception classique et morale
de l’ordre social. Cette culture néo-moderne du contrôle
social correspond à une économie des illégalismes,
à une épistémè criminologique ainsi
qu’à une certaine technologie du pouvoir, toutes relativement
inédites et propres à la contemporanéité
qui s’est installée au cours des deux dernières
décennies.
Une économie des illégalismes
16 Dans l’idéologie qui sous-tend et oriente les politiques
publiques contemporaines de sécurité, ce n’est
plus le principe de respect de la hiérarchie sociale et politique
qui articule cette économie, mais celui des risques sociaux
encourus par les victimes en fonction de la nature de leur vulnérabilité
11. Il ne s’agit plus tant de maintenir un ordre hiérarchique
de l’édifice social, mais de préserver les principes
organisationnels d’une société complexe reposant
sur des rapports socio-économiques rendus fragiles et instables
par cette complexité.
17 Ainsi les illégalismes sont-ils évalués
en fonction du tort occasionné aux victimes, selon qu’il
s’agit d’acteurs économiques soumis aux risques
de vol, d’enfants ou de femmes subissant des sévices
sexuels ou d’agents publics exposés aux violences.
Ils ne ressortissent plus à une logique de l’ordre
public qui anime en principe le droit pénal français,
mais résultent davantage de la convergence d’une série
d’« ordres » privés, chacun doté
de sa conception de la sécurité en fonction d’une
gestion des risques. C’est cette logique de « victimation
» qui oriente la distribution des crimes, des peines et par
conséquent des délinquants pris dans la nasse du système
pénal 12.
18 Le contrôle social ne répondrait plus simplement
aux nécessités d’une structuration verticale
et hiérarchique de l’ordre social, mais à celles
d’une organisation horizontale des intérêts privés,
souvent économiques mais également sociaux (espace
urbain, espace institutionnel, espace familial, etc.).
Une « criminologie de la vie quotidienne »
19 Cette économie des illégalismes correspond à
une conception du crime qui s’inscrit en rupture assez radicale
par rapport à celle dont Foucault a identifié la naissance
avec l’apparition de la criminologie moderne des « réformateurs
» initiée par Beccaria et quelques autres. Cette dernière
s’appuyait essentiellement sur le principe d’une délinquance
inhérente à la personne, amendable par l’évolution
de sa personnalité. Les sciences humaines ont décliné
au cours des siècles différentes conceptions de cette
« personnalité » qu’il convenait de «
moraliser » en vue de restaurer l’ordre social, ce que
pointe la critique de l’orthopédie morale développée
par Foucault.
20 Selon D. Garland, la conception contemporaine se serait débarrassée
de ces principes pour se concentrer sur la rationalité utilitaire
de l’acteur social. Les actes délictueux résultent,
de ce point de vue, d’un calcul d’intérêt
et de risques et ce sont par conséquent les situations qui
doivent faire l’objet d’un traitement socio-politique
et non les personnes. Les illégalismes ne peuvent être
attribués à une catégorie de la population
représentant un danger collectif et méritant un traitement
de resocialisation quelconque (par le biais de politiques sociales,
par exemple), mais peut provenir de tout citoyen placé dans
une position où son intérêt à commettre
une infraction peut prendre le pas sur celui du respect la loi.
De ce point de vue, la peine doit représenter un risque pour
le contrevenant potentiel. D’où une conception davantage
quantitative de la sanction.
21 Reste un certain nombre de crimes « odieux », moralement
répréhensibles et surtout irrationnels d’un
point de vue utilitaire. Ceux-là sont renvoyés, selon
Garland, à une « criminologie de l’autre »
qui considère l’acte comme relevant d’une forme
de barbarie à la lisière de l’humanité
et participant principalement d’explications biologiques.
La logique du risque laisse alors la place à celle du danger
: il convient de protéger la société d’individus
dont les actes ne sont pas contrôlables et ne sauraient être
amendés car surdéterminés par des forces naturelles.
La peine vise donc à mettre à l’écart
de la société le plus longtemps possible (voire condamner
à mort aux USA) les auteurs de tels crimes, par surcroît
s’ils sont récidivistes.
3. Les nouvelles technologies du pouvoir
22 Quelles techniques de « surveillance et de punition »
résultent de ce schéma ? Quels sont les principes
qui animent les politiques publiques de sécurité et
de pénalisation dans un tel contexte ?
23 D’une part, la prison perd le caractère que M.
Foucault y avait vu : celle d’une instance idéal-typique
de moralisation et de surveillance disciplinaires. « La prison
contemporaine n’est plus qu’une solution pénale
clés-en-main au nouveau problème d’exclusion
sociale et économique » écrit Garland 13. Derrière
le recours massif auquel on assiste, la prison tend à devenir
un vestige du point de vue des principes qui l’animaient et
devient un espace de confinement et un pur mode de coercition pénale.
La lourdeur des peines s’explique davantage par une nécessaire
manifestation de la puissance de la force publique de l’État
– équivalente à la « politique de l’effroi
» que M. Foucault voyait dans la publicité du supplice
– que par une croyance dans son efficacité rétributive.
24 C’est dans les politiques de sécurité publique
qu’il faut chercher les indices des structures contemporaines
du contrôle social. Elles reposent essentiellement sur deux
principes que sont la responsabilisation et le réseau local.
La responsabilisation des acteurs sociaux face aux risques du crime
doit leur permettre de développer des outils de protection
dont ils sont les maîtres, voire les initiateurs. Il en est
ainsi des dispositifs de « surveillance communautaire »
développés dans les quartiers au Royaume-Uni. Sont
également responsabilisées de la sorte toutes les
agences privées exposées à ces risques, y compris
le simple citoyen amené à se prémunir contre
les situations susceptibles de provoquer des infractions : c’est
le principe de la « prévention situationnelle ».
Les services de police doivent être suffisamment responsables
(« accountable ») pour développer des dispositifs
spécifiques adaptés aux problèmes localisés
de sécurité publique : c’est la technique dite
de « résolution de problèmes ». Les citoyens
sont invités à participer au système de justice
pénale « communautaire » en prêtant leur
concours dans divers comités (« panels »), comme
par exemple pour régler les situations de certains mineurs
délinquants 14. Enfin, la responsabilité des victimes
et même des auteurs d’infraction est invoquée
comme facteur de résolution des situations de délinquance
dans le cadre de la « justice restaurative », matérialisées
par des dispositifs de médiation et de réparation.
Plus largement, l’adhésion et le consentement des condamnés
sont régulièrement sollicités comme moteur
de leur reclassement : c’est le cas pour les peines de TIG,
mais aussi pour les aménagements de peine (CPA, PEP) 15.
25 La seconde rationalité dominante tient dans la mise en
réseau des acteurs ainsi responsabilisés au niveau
local. La rhétorique du « partenariat » a ainsi
pénétré les politiques de sécurité
et de justice pénale et se traduit par la multiplication
de dispositifs de mise en réseau. Ainsi en France, aux CCPD
ont succédé les « GLTD » puis les «
CLS » 16 réunissant les acteurs de la sécurité
autour des élus locaux afin de déterminer des réponses
spécifiques aux problèmes locaux. Parmi ces réponses
se trouvent par exemple des « Maisons de justice et du droit
» (MJD) hébergeant acteurs judiciaires et associatifs.
Mais il n’est pas rare que ces dispositifs se résument
à un réseau de caméras de surveillance des
espaces considérés « à risques ».
26 Plus récemment, plusieurs textes de loi ont placé
les maires au centre d’un réseau d’informations
dont ils seront destinataires sur les situations criminelles –
réelles ou potentielles – dans leur commune. L’extension
des systèmes de fichiers ADN et autres STIC 17 participent
plus largement de cette mise en réseau de l’information
criminelle, d’un quadrillage réticulaire non plus des
populations dangereuses, mais des situations de risque.
27 Il apparaît donc que les analyseurs du contrôle
social proposés par M. Foucault restent opératoires
pour décrypter les rationalités qui structurent les
politiques pénales contemporaines qui s’installent
dans la plupart des pays occidentaux. Il faut toutefois concevoir
un changement d’épistémè lisible dans
les dispositifs de pouvoir. Il serait erroné de voir dans
le renforcement de l’action répressive des États
un simple retour à une forme de contrôle par la discipline,
la normalisation et l’imposition sur les corps de la puissance
du souverain.
28 Le quadrillage disciplinaire semble laisser la place à
une forme plus subtile de surveillance et de punition. Elle repose
principalement sur la souveraineté du sujet et sur un quadrillage
réticulaire, où l’imposition laisse la place
au consentement et à la persuasion, où le caractère
hiérarchique et vertical de la discipline s’efface
au profit de l’enchâssement horizontal du réseau.
29 Ces propositions théoriques peuvent en outre servir de
socle à une analyse des politiques sociales contemporaines,
qui loin de disparaître au profit du pénal, se déplacent
et se recomposent autour de logiques équivalentes, fondées
sur le contrat (RMI, PARE, etc.) et les « magistratures »
locales du social (commissions d’attribution).
Vers une société de contrôle
?
30 G. Deleuze avait dès 1990 pressenti une telle évolution
dans un texte éblouissant de prescience où il suggère
que les sociétés disciplinaires laissent la place
à des « sociétés de contrôle »,
conditionnées par le contrôle et la diffusion de l’information.
« Les enfermements sont des moules, des moulages distincts,
mais les contrôles sont une modulation, comme un moulage auto-déformant
qui changerait, d’un instant à l’autre, ou comme
un tamis dont les mailles changeraient d’un point à
un autre 18 ». Ce nouveau régime de l’ordre social
se décline, à l’instar des sociétés
disciplinaires, dans différents régimes : celui de
l’école, de l’hôpital, de l’entreprise
19. Voilà un programme de recherche qui attend ses développements.
31 Aussi l’évocation récurrente de l’avènement
de Big Brother comme forme contemporaine de surveillance de la société
tel que décrit par G. Orwell dans 1984 renvoie en réalité
au modèle disciplinaire, centralisé et hiérarchisé,
personnalisé et normalisant. L’examen détaillé
des formes nouvelles du panoptisme évoque davantage les «
Précogs » que Philip K. Dick décrit dans sa
nouvelle intitulée Minority Report : ce sont des mutants
dotés de « précognition », qui anticipent
les crimes et font condamner ceux qui s’apprêtent à
les commettre.
Annexes
Compte rendu des discussions
Judith Revel rappelle qu’il y a en permanence chez Foucault
(en particulier dans les archives du GIP) le refus d’une politique
de réforme. Il ne sert à rien de chercher l’amélioration
du bien-être matériel sans toucher à la structure
même de la prison. Philip Milburn signale que si Foucault
ne voulait pas que sa pensée soit appropriée pour
changer la société, il reste qu’elle s’est
largement diffusée dans l’ordre social. Philip Milburn
insiste plus particulièrement sur le fait que Foucault a
éclairé la réalité et ses structures
sous-jacentes. Joëlle Strauser propose de distinguer le refus
du réformisme et le refus de l’action. La question
à poser à Foucault serait alors de savoir quelle action
il est possible de mener à partir de Foucault.
******************
Notes
1. Pour la commodité de lecture, nous noterons cet ouvrage
SP dans le suite du texte. M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance
de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
2. Voir M. Foucault, Les Mots et les Choses. Une archéologie
des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966 et SP, p. 312.
3. J. Donzelot, La Police des familles, Paris, Minuit, 1977 ; Ph.
Meyer, L’Enfant ou la Raison d’État, Paris, Seuil,
1977 ; P. Lascoumes, Prévention et contrôle social,
Paris, Masson, 1978 ; R. Castel, L’Ordre psychiatrique, L’âge
d’or de l’aliénisme, Paris, Minuit, 1976 ; G.
Deleuze et F. Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit,
1972.
4. P. Boiral et P. Valarié, « Le contrôle social
: pratiques symboliques et pratiques sociales » in F. Bailleau,
N. Lefaucheur, V. Peyre [dir.], Lectures sociologiques du travail
social, Paris, Éditions ouvrières, 1985, p. 45-59.
5. CCPD : « Conseils communaux de prévention de la
délinquance », DSQ : « Développement social
des quartiers ».
6. Sur ce point, voir R. Castel, La Gestion des risques. De l’anti-psychiatrie
à l’après-psychanalyse. Paris, Minuit, 1982.
7. Sur ce point, voir U. Beck, La Société du risque,
Paris, La découverte, 2002.
8. Voir par exemple, L. Wacquant, Les Prisons de la misère,
Paris, Liber, 2000.
9. Voir notamment : Ph. Mary [dir.], Délinquance et insécurité
en Europe. Vers une pénalisation du social ?, Bruxelles,
Bruylant, 2001.
10. D. Garland, The Culture of Control. Crime and Social Order
in Contemporary Society, Oxford, Oxford University Press, 2001.
11. Voir U. Beck, op. cit.
12. D. Garland, op. cit., p. 143.
13. Ibid., p. 199.
14. A. Crawford, The Local Governance of Crime. Appeals to Community
and Partnerships, Oxford, Oxford University Press, 1999.
15. TIG : Travail d’intérêt général
; PEP : Projet d’exécution de peine ; CPA : Centre
pour peines aménagées.
16. GLDT : Groupes locaux de traitement de la délinquance
; CLS : Contrats locaux de sécurité.
17. Les fichiers d’ADN rassemblent les identifiants génétiques
des criminels sexuels, le STIC est un fichier de police cumulant
des informations sur tous les citoyens impliqués dans une
affaire délictuelle ou criminelle, y compris les victimes
et les prévenus relaxés. Dans certains états
des USA, les casiers judiciaires sont rendus publics sur internet.
18. G. Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés
de contrôle », Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p.
242.
19. Ibid., p. 246.
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Pour citer cet article
Référence électronique
Philip Milburn, « Le panoptisme nouveau est-il arrivé
? », Le Portique, Numéro 13-14, Foucault : usages et
actualités, 2004, [En ligne], mis en ligne le 15 juin 2007.
URL : http://leportique.revues.org/document621.html
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