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Origine : Le 29 mars 2007 liste de diffusion [zapajol]
http://www.mouvements.asso.fr/spip.php?article44
Les discours de Nicolas Sarkozy sur l’immigration et l’identité
nationale peuvent être qualifiés de « nationalistes
». Mais il s’agit d’un nationalisme « soft
» adapté aux lois de la démocratie télévisée
auxquelles nous sommes soumis aujourd’hui.
Les discours de Nicolas Sarkozy sur l’immigration et l’identité
nationale peuvent être qualifiés de « nationalistes
» au sens que le dictionnaire donne à ce terme : «
exaltation du sentiment national pouvant aller jusqu’à
la xénophobie. » Mais il s’agit d’un nationalisme
« soft » adapté aux lois de la démocratie
télévisée auxquelles nous sommes soumis aujourd’hui.
Les 5 grands thèmes nationalistes du discours sarkozyste
1. Le discours sarkozyste prolonge la tradition nationaliste d’abord
par son vocabulaire. Sans revenir sur le terme « racaille
» que la droite « dure » avait imposé au
cours des années 1930, il faut rappeler que, depuis l’affaire
Dreyfus, l’immigration a fait l’objet de deux grands
types de discours politiques. Le premier, ancré à
gauche, privilégie « l’intégration »
alors que le second, ancré à droite et à l’extrême
droite, mobilise le lexique de « l’identité nationale
». Le vocabulaire identitaire a constamment été
utilisé par les partis conservateurs pour marquer leur défiance
et leur rejet des étrangers, perçus comme une «
menace ». Quel que soit le domaine considéré,
l’identité d’un groupe s’affirme toujours,
en effet, par opposition aux autres (selon la logique du «
eux » et « nous »). Par conséquent, l’association
entre immigration et identité nationale que le candidat de
l’UMP propose désormais d’institutionnaliser
au point d’en faire un ministère n’est nullement
fortuite. En France, depuis plus d’un siècle, ce sont
toujours les immigrés qui ont fait les frais de l’exaltation
de l’identité nationale.
2. Le battage autour de l’immigration « choisie »
illustre un autre thème classique du nationalisme français.
En affirmant que « la politique de l’immigration, c’est
l’identité de la France dans trente ans » (Le
Journal du dimanche du 11/03/2007), Nicolas Sarkozy réactive
un argument qui illustre sa conception de l’immigration «
choisie ». Cela signifie qu’en raison de leur origine
ou de leur culture, certains individus ne doivent pas être
accueillis en France, parce que les experts du ministère
de l’Intérieur ont décrété qu’ils
ne pourraient pas se fondre dans le « creuset français
». Dans l’entre-deux-guerres, le même thème
avait été largement exploité dans les discours
opposants les immigrés « désirables »
aux « indésirables ». Ce dernier terme désignait
les individus appartenant à des catégories présentées
comme une menace pour la nation, en raison de leur « race
», parce qu’ils étaient suspectés de véhiculer
des épidémies ou de semer le désordre. Dans
le discours de Poitiers (le 26 janvier 2007), Sarkozy montre clairement
du doigt les nouveaux pestiférés d’aujourd’hui.
L’immigration n’est abordée que pour dénoncer
les clandestins, et « ceux qui veulent soumettre leur femme,
ceux qui veulent pratiquer la polygamie, l’excision ou le
mariage forcé, ceux qui veulent imposer à leurs sœurs
la loi des grands frères, ceux qui ne veulent pas que leur
femme s’habille comme elle le souhaite ».
3. On touche ici à la troisième caractéristique
du nationalisme. Il consiste à sélectionner les éléments
qui font l’objet d’un traitement journalistique (médiatique)
négatif, pour dresser le portrait d’un groupe-repoussoir,
menaçant l’identité nationale. L’opposition
immigrants désirables / indésirables recoupe largement
aujourd’hui l’opposition musulmans / non musulmans,
constamment alimentée par l’actualité du terrorisme
islamiste.
4. Le prolongement habituel de ce discours national-sécuritaire,
c’est le populisme et la stigmatisation des intellectuels.
Cette rhétorique repose toujours sur la même logique.
« Le peuple me soutient donc ceux qui me critiquent sont des
ennemis du peuple. » Le principal argument avancé par
le candidat de l’UMP pour persister dans son projet de «
ministère de l’identité nationale » est
que les deux tiers des Français l’approuvent.
Le dernier sondage de la Commission consultative des droits de
l’homme montre que c’est à peu près la
même proportion qui trouve qu’il y a trop d’étrangers
en France (Le Monde du 21/03/2007). Contre cette démagogie
populiste, il faut rappeler que, dans une démocratie, ce
n’est pas parce qu’une majorité de citoyens plébiscite
tel ou tel discours politicien qu’il est légitime.
Sans quoi, il nous faudrait réviser l’histoire et affirmer
que, finalement, les idées d’Hitler n’étaient
pas si mauvaises, puisque le parti nazi a recueilli le plus grand
nombre de voix aux élections législatives de juillet
1932. Ceux qui rappellent cette norme démocratique de base
sont aujourd’hui dénoncés comme faisant partie
des groupes qui menacent l’identité nationale. Au moment
de l’affaire Dreyfus, les nationalistes s’en prenaient
aux « intellectuels » suspectés de porter atteinte
à l’honneur de l’armée française.
Aujourd’hui, le mot « intellectuel » sert à
désigner les penseurs médiatiques qui se sont ralliés
au camp national-sécuritaire. C’est pourquoi Nicolas
Sarkozy s’en prend à « l’intelligentsia
». En affirmant que « la France est le seul pays où
une petite intelligentsia considère qu’on n’a
pas le droit de parler d’identité nationale »
(Vesoul, le 13 mars 2007), il mobilise ce que j’appelle «
la rhétorique du retournement ». Bien qu’en réalité,
ceux qui dénoncent ce nationalisme identitaire soient aujourd’hui
marginalisés de l’espace médiatique, ils sont
présentés ici comme des dominants, qui menaceraient
la liberté d’expression du candidat courageux qui ose
affronter les tabous !
5. Le dernier élément que l’on retrouve constamment
dans l’histoire du nationalisme français réside
dans la caution apportée par des personnalités appartenant
à des institutions profondément liées au pouvoir
d’État, comme l’Académie française.
Dans la grande page que lui a consacrée récemment
le journal Le Monde, Pierre Nora affirme lui aussi que l’identité
nationale est « en crise », notamment en raison de «
l’arrivée d’une nouvelle immigration, la plus
difficile à soumettre aux normes des lois et des coutumes
françaises. » Le directeur de la prestigieuse «
Bibliothèque des histoires » de Gallimard montre, par
cette phrase, le peu d’intérêt qu’il porte
aux recherches qu’ont menées depuis vingt ans les historiens
de l’immigration. Aucun d’entre eux n’oserait
affirmer en effet qu’il est plus difficile de « soumettre
» les immigrants d’aujourd’hui aux lois de la
République que ceux d’hier. Il s’agit là
d’un préjugé qui alimente les stéréotypes
ambiants. Après avoir soutenu massivement le camp antidreyfusard
à la fin du XIXe siècle, après avoir accueilli
dans ses rangs, en 1938, le chef de file du nationalisme antisémite,
Charles Maurras, l’Académie française semble
vouloir continuer aujourd’hui à cautionner les discours
les plus rétrogrades sur l’immigration.
Un nationalisme soft adapté aux contraintes de la
démocratie télévisée
L’éternel retour du discours identitaire dans le débat
politique français s’explique par le fait qu’il
a toujours été très rentable sur le plan électoral.
Il a permis dans le passé de galvaniser les foules en activant
les pulsions chauvines que l’on trouve toujours, à
l’état latent, dans une partie de l’opinion.
Dans les années 1930, cette démagogie identitaire
a plongé l’Europe et le monde dans la pire des barbaries
que l’humanité ait connue depuis ses origines. C’est
pourquoi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un consensus
moral avait rassemblé tous les démocrates pour tenir
à distance ce type de langage, en dépit des profits
électoraux qu’il était possible d’en tirer.
Cette règle morale a commencé à être
bafouée au début des années 1980 par le Front
national. C’est à ce moment-là que le thème
de « l’identité nationale » a ressurgi
dans le débat politique français. Un nouveau pallier
est aujourd’hui franchi puisque le candidat de la droite républicaine
lui-même reprend à son compte ce langage nationaliste.
Ceci dit, il faut se garder des anachronismes. La situation politique
actuelle n’a pratiquement plus rien à voir avec celle
des années 1930, et nous ne sommes nullement menacés
par un retour du régime de Vichy. Plutôt que de réactiver
sans cesse « ce passé qui ne passe pas », nous
devons essayer de comprendre les formes actuelles de cette tradition
nationaliste. Il s’agit d’un langage adapté aux
contraintes d’un espace public dominé par la loi des
« médias ». Ce n’est pas un hasard si Nicolas
Sarkozy a annoncé la création de son « ministère
de l’identité nationale » lors d’une intervention
télévisée. Le nationalisme n’est plus
véhiculé aujourd’hui par des militants en uniforme,
faisant le coup de poing dans la rue contre les « métèques
», mais grâce à des petites phrases diffusées
dans toutes les chaumières par les grands groupes audiovisuels.
Avant d’être lancées dans le public, ces petites
phrases sont mûrement réfléchies par les nouveaux
techniciens de la propagande politique que sont les conseillers
en communication. Ce nationalisme ne s’exprime plus à
l’aide d’un discours explicite, comme c’était
le cas auparavant, mais avec des formules qui, comme les slogans
publicitaires, ont pour but de déclencher des réflexes
chez les citoyens-consommateurs. Les réactions qu’ont
recueillies les journalistes après l’annonce de ce
« ministère de l’identité » montrent
que le peuple a reçu le message 5 sur 5. Il suffit en effet
de prononcer les mots « identité nationale »
pour susciter des commentaires du type : « Ce n’est
quand même pas aux étrangers de venir faire la loi
chez nous ! » ; « S’ils ne sont pas contents,
qu’ils retournent chez eux. », etc. L’histoire
montre que ce type de réactions a toujours existé
dans une partie de la population française et que le rejet
des nouveaux venus a constamment été alimenté
par l’actualité du jour (avant-hier l’anarchiste
italien, hier le communiste juif, aujourd’hui le terroriste
islamiste). Mais comme les progrès des technologies de propagande
permettent désormais aux entrepreneurs d’identité
d’activer ces réflexes sans avoir besoin de tenir un
discours nationaliste explicite, ils peuvent accuser leurs adversaires
de « mauvaise foi » et dénoncer les « procès
d’intention », comme l’a fait récemment
Nicolas Sarkozy. Le problème qui est posé à
tous ceux qui sont aujourd’hui inquiets de ces dérives
est de savoir quelle est la façon la plus efficace de réagir.
Les conseillers en communication lancent délibérément
des formules choc car leur but est de « faire du bruit »
; c’est-à-dire de provoquer une polémique. Ces
formules sont testées avant d’être annoncées
publiquement et elles ne sont mises en circulation que si des sondages
ad hoc montrent qu’elles sont « bien perçues
par l’opinion ».
Les réactions négatives (largement prévisibles)
sont dès lors intégrées dans le plan de communication,
car elles confortent le positionnement du candidat. C’est
pourquoi je pense que ce n’est pas en lançant chaque
jour de nouvelles pétitions, qui réunissent toujours
les mêmes noms, que l’on pourra contrer efficacement
ce genre de propagande. La principale responsabilité des
(vrais) intellectuels est aujourd’hui de procéder à
« l’analyse concrète de la situation concrète
» pour inventer de nouvelles formes de résistance,
adaptées au monde dans lequel nous vivons.
Gérard Noiriel
Historien. A récemment publié Immigration, antisémitisme
et racisme (XIXe-XXe s). Discours publics, humiliations privées
(Fayard, 2007).
A lire aussi...
* La France et ses étrangers « Subie », «
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Entretien vidéo.
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* Sans-papiers : l’autre « chiffre » de la politique
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depuis 2003.
http://www.mouvements.asso.fr/spip.php?article26
* La "dame de fer" néerlandaise, un modèle
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Source d’inspiration du ministère de l’immigration
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des "autochtones" des efforts envers les étrangers.
http://www.mouvements.asso.fr/spip.php?article48
* Des Français pas tout à fait comme les autres
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nouveaux venus dans la citoyenneté française, les
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la déficience symbolique de ce statut.
http://www.mouvements.asso.fr/spip.php?article50
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