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Lire l’avenir dans les subprimes ?
Par Marianne Debouzy, historienne.
Etats-Unis
Un confirmation des analyse de Naomi Klein

Origine 2008-02-02_International_Lire-l-avenir-dans-les-subprimes.htm

Les pauvres n’ont jamais eu bonne presse aux Etats-Unis. Selon les époques, ils ont été considérés, tour à tour, comme des pécheurs, des faibles vaincus dans la lutte pour la vie, des individus dénués de volonté, des assistés profiteurs, jugés tous responsables de leurs échecs. A toutes les époques ils ont été stigmatisés pour leur incapacité à réaliser les promesses du rêve américain.

Les attaques se sont renforcées dans les années 1980-1990, lorsque le conservatisme a eu de plus en plus d’emprise sur la société américaine et le discours dominant s’est fait de plus en plus virulent contre les « assistés » du welfare, en particulier les mères seules qui se sont vues affublées du nom infâmant de « reines du welfare ». Tout cela a abouti en 1996 au démantèlement, voulu par les Démocrates et les Républicains du Congrès, soutenus par une grande partie de l’opinion publique, du programme clef du welfare : l’Aide aux familles avec des Enfants Dépendants (AFDC°) programme qui reprèsentait entre 1 et 2% du budget des Etats-Unis .A l’époque il s’agissait de réduire les coûts de l’aide sociale, de rogner les droits acquis et de mettre les « assistés » au travail en instituant le workfare, c’est-à-dire l’obtention d’allocations en contrepartie d’un travail. La société américaine a toujours été réticente à donner une aide financière à des personnes qui ne travaillent pas.

Avec la crise des subprimes, prêts hypothécaires à haut risque, nous assistons à un nouvel épisode de la guerre contre les pauvres, sous prétexte de leur donner la possibilité de devenir propriétaires. Au passage, n’oublions pas que ce rêve américain est devenu celui de Sarkozy qui veut une France de propriétaires. Evidemment le moyen de le réaliser (si c’est un but souhaitable) serait d’avoir de bons salaires. Mais justement une fraction significative des travailleurs américains sont des « travailleurs pauvres ». Selon une étude très sérieuse, Low-Wage America (L’Amérique des bas salaires) de 2003, en 2001, près de 24% de la population active, soit 27,5 millions de personnes, travaillant à plein temps toute l’année, gagnaient des sommes qui se situaient juste au niveau du seuil de pauvreté. Sans parler de ceux qui travaillaient à temps partiel, en intérim etc. Si ils veulent être propriétaires les travailleurs pauvres recourent donc au crédit , et pour nombre d’entre eux, au crédit hypothécaire à haut risque.

Des établissements bancaires relayés par une multitude d’organismes financiers, plus ou moins opaques dans leur gestion et leurs procédés de vente, offrent ces crédits à des gens dont ils savent que beaucoup d’entre eux ne pourront pas les rembourser. Ils les attirent par des « taux d’appel » de remboursement extrêmement bas dans les deux premières années, puis dans les années qui suivent ces prêts à taux variables augmentent considérablement. Et là, les emprunteurs se voient,dans près de la moitié des cas, dans l’impossibilité de les rembourser. Leur bien immobilier hypothèqué est saisi et leur « propriétaire » expulsé ( voir L’Humanité du 18 janvier 2008). Les victimes favorites de ces requins du prêt sont les Afro-Américains et les Latinos.

Quelle signification donner à ces faits qui viennent de précipiter une crise ? L’analyste Naomi Klein nous fournit une piste intéressante. Connue pour son livre No Logo sur l’influence des grandes marques aux Etats-Unis et les moyens par lesquels les multinationales façonnent le comportement des citoyens-consommateurs, Naomi Klein a publié, en 2007, un nouvel ouvrage, The Shock Doctrine, The Rise of Disaster Capitalism La doctrine du choc. La montée du capitalisme du désastre). Elle y décrit une nouvelle étape du capitalisme américain et son impact sur la société . Elle inscrit la crise des subprimes dans cette évolution. Naomi Klein avance l’idée que les désastres sont devenus porteurs de marchés juteux. Dans les années récentes, le monde a connu une série d catastrophes : crises du marché boursier, attentats du 11 septembre 2001, guerres d’Afghanistan et d’Irak, tsunami , flambée du prix du pétrole, crise des subprimes,entre autres. Dans le passé, selon la sagesse des nations, la croissance économique et la prospérité qui l’accompagnait, ne faisaient pas bon ménage avec la violence et l’instabilité. Mais,selon Naomi Klein, ce n’est plus vrai. Les attaques terroristes, les désastres militaires, écologiques, financiers sont devenus des sources de profits énormes. « L’appétit pour des profits faciles, à court terme ; offerts par des investissements spéculatifs ont transformé les marchés boursier, monétaire et immobilier en machines à créer des crises, comme le démontrent la crise financière asiatique, la . crise du peso mexicain, l’explosion de la bulle internet et la crise de prêts hypothécaires à haut risque. » (Naomi Klein, « Disaster Capitalism. The New Economy of Catastrophe », Harper’s Magazine, octobre 2007,p.58).Et ces crises sont extrêmement profitables à de grandes entreprises de divers secteurs. Elle va jusqu’à parler, concernant les Etats-Unis d’un « complexe du capitalisme du désastre » tout comme le président Eisenhower avait parlé du « complexe militaro-industriel ». Elle explique que lors des crises, des conflits, des catastrophes, de plus en plus de grandes entreprises privées assument les fonctions de l’état. Dans la guerre d’Irak, des agents de sécurité, des soldats payés par des firmes privées (Blackwater et d’autres) sont présents par dizaines de milliers. D’autres firmes assurent l’intendance . Aux Etats-Unis même, après des catastrophes naturelles ou pas, la rénovation et la reconstruction de villes (New Orleans), de ponts (Minneapolis) etc, sont prises en charge par des firmes privées. De plus en plus, les politiciens sous-traitent leurs responsabilités.

Naomi Klein voit ce qui se passe en Irak comme une préfiguration du monde à venir, régi par le capitalisme du désastre. D’un côté, les Occidentaux (surtout américains) super-protégés par des armes, des voitures blindées, des gardes cu corps, des soldats et des vigiles privés, retranchés dans l’enclave de la Zone Verte, entourée d’un mur infranchissable, bref une enclave pour les riches. A l’extérieur, un nombre limité d’Irakiens privilégiés bénéficient de quelques protections locales. Mais tous les autres, la majorité , ne bénéficient d’aucune protection et vivent la violence et l’insécurité au quotidien. Au cœur de l’analyse de Naomi Klein : le rôle de la privatisation tous azimuths. Elle ose une comparaison qui paraîtra outrée à beaucoup d’observateurs : En Irak les équipements publics ont été détruits par les armes, par l’embargo. Aux Etats-Unis et dans d’autres pays occidentaux, les services publics et les protections sociales sont en train d’être démolis par la guerre contre l’engagement de l’état, les réductions d’impôts et le fétichisme de la privatisation. Il n’est que de voir ce qui s’est passé à la Nouvelle-Orléans : reconstruction des quartiers riches, élimination des Noirs, suppression d’écoles publiques, création d’écoles privées… La reconstruction privatisée de l’Irak serait-elle un modèle pour réorganiser la société ?

Dans l’article déjà cité, Naomi Klein écrit que « l’instabilité mondiale ne profite plus seulement aux marchands d’armes, mais génère d’énormes profits pour le secteur des hautes technologies de la sécurité intérieure, de la construction lourde, des systèmes privés de santé, du gaz, du pétrole, et naturellement pour les entrepreneurs du secteur de la défense » (p.56). Elle cite un regroupement d’hommes d’affaires dans un « partenariat pour une riposte aux désastres ». Le passage du complexe militaro-industriel au complexe du capitalisme du désastre s’accompagne d’une privatisation dans de multiples domaines. Un exemple parmi d’autres : les quartiers chics de villes comme Atlanta et d’autres, font sécession du comté dans lesquels ils se trouvent. Ils constituent des villes fondées sur des contrats privés avec des entreprises qui leur fournissent les services jugés souhaitables, car les habitants riches de cesvilles ne veulent plus participer au financement des systèmes de transport et de santé qui sont utilisés par tous les quartiers de a ville, y compris les quartiers défavorisés.

Naomi Klein voit l’avenir sous un jour sombre, « l’avenir collectif d’un apartheid du désastre », avec, d’un côté, les protégés qui peuvent payer, et de l’autre, les pauvres qui ne le peuvent pas. On s’achemine vers un retrait de toute forme de solidarité collective, car ce qui semble programmé c’est une privatisation de toutes les fonctions centrales de l’état.

Peut-être ne faut il pas prendre au pied de la lettre tout ce que dit Naomi Klein, bien que certaines de ses inquiétudes ne nous soient pas étrangères. Mais ce que nous fait voir clairement la crise des subprimes c’est qu’aux Etats-Unis les pauvres ne sont plus seulement des laissés pour compte. Leur exploitation a pris un tour nouveau, grâce à l’ingéniosité de financiers capables de jongler avec l’argent de ceux qui n’en ont pas ou si peu, et de mettre sur le marché des produits dont on nous vante le fait qu’ils sont de plus en plus « sophistiqués ».

Au dix-neuvième siècle, Andrew Carnegie, roi de l’acier, grand exploiteur et grand philanthrope prêchait aux masses « l’évangile de la richesse ». Au vingt-et-unième siècle, il faut lui ajouter un verset : la pauvreté doit être rentable.