Origine http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=4064
La Croix Rouge vient d’annoncer un nouveau partenariat en
réponse aux catastrophes avec la société Wal-Mart.
Lorsque le prochain cyclone s’abattra, ce sera une coproduction
entre Grande Aide et Grande Distribution. C’est la leçon
que le gouvernement étatsunien aurait apparemment apprise
après le cyclone Katrina : les situations de catastrophe
sont mieux gérées par le business.
"Tout sera entre les mains du privé, tôt ou tard,"
a dit au mois d’avril Billy Wagner, chef de la gestion des
catastrophes naturelles du sud de la Floride, tandis qu’il
suivait la progression de la tempête tropicale Ernesto. "Ils
ont le savoir-faire. Ils ont les moyens." Mais avant qu’un
tel consensus ne se développe, il serait peut-être
temps d’examiner comment la privatisation des catastrophes
a commencé, et où elle ménera inévitablement.
La première étape fut la démission du gouvernement
devant sa responsabilité de protéger la population
des catastrophes. Sous l’administration Bush, des secteurs
entiers du gouvernement, notemment le Département de la Sécurité
Intérieure (Department of Homeland Security) ont été
transformés en glorieuses agences de travail temporaire où
les fonctions essentielles sont sous-traitées à des
entreprises privées. La théorie dit que les chefs
d’entreprises, allechés par le profit, sont toujours
plus efficaces (prière de ne pas exploser de rire).
On a vu le résultat à la Nouvelle Orléans,
il y a un an : Washington était déséspéremment
faible et inepte, en partie parce que ses experts en gestion des
catastrophes sont partis travailler dans le privé et sa technologie
et infrastructure étaient définitivement dépassées.
En comparaison, le secteur privé avait l’air plus moderne
et compétent.
Mais la lune de miel ne dura pas longtemps. "Où est
parti tout l’argent ?" demandent les gens déséspérés
de Bagdad à la Nouvelle Orléans, de Kaboul au Sri-Lanka.
Une bonne partie de cet argent est parti dans le capital des sociétés
sous-traitants privées. Généralement au vu
et au su de tous, des milliards de dollars de nos impôts ont
été investis dans la création d’infrastructures
privées : le nouveau siége social ultra-moderne du
Groupe Shaw à Baton Rouge, les bataillons entiers d’engins
de terrassement de Bechtel, le campus de 2400 hectares de Blackwater
USA dans la Caroline du Nord (avec son camp d’entrainement
paramilitaire et une piste d’atterrissage de 1800 mètres).
J’appelle ça le Complexe du Capitalisme de Catastrophe.
Quoique vous puissiez avoir besoin dans un moment d’urgence,
ces sous-traitants pourront vous le fournir : générateurs,
citernes, lits de camps, maisons préfabriquées, systèmes
de communications, hélicoptères, médicaments,
et des hommes armés.
Cet état-dans-l’état a été construit
presque exclusivement avec l’argent des contrats publics,
dont la formation du personnel (en très grande majorité
ce sont d’anciens fonctionnaires, élus et militaires).
Et pourtant, ce secteur est totalement privatisé. Les contribuables
n’ont aucun droit de regard. Jusqu’à présent,
cette réalité n’est pas encore entrée
dans les esprits parce que les factures de ces sociétés
sont payées par le gouvernement. Le Complexe du Capitalisme
de Catastrophe offre ses services gratuitement au public.
Mais voici le problème : le gouvernement des Etats-Unis
va être fauché, en partie à cause de ce genre
de dépenses débiles. Le dette du pays s’élève
à 8 000 milliards de dollars ; le déficit du budget
fédéral s’élève au moins à
260 milliards de dollars. Ce qui signifie que tot ou tard le gouvernement
ne paiera plus ses sous-traitants. Chez les initiés, on appelle
ça la "Bulle de la Sécurité Intérieure"
Lorsque cette bulle éclatera, les entreprises telles que
Bechtel, Fluor et Blackwater perdront leur principale source de
revenus. Elles auront toujours tout leur matériel high-tech
pour répondre aux catastrophes, tandis que le gouvernement
aura perdu peu à peu sa propre expertise. Il faudra alors
louer leur matériel et leurs structures, et leur prix sera
le notre.
Voici un exemple de ce qui pourrait nous attendre dans un avenir
pas si lointain : l’hélicoptère décollera
d’un toit dans une ville inondée pour 5.000 dollars
par tête (7.000 dollars pour une famille entière, animaux
domestiques inclus), de l’eau en bouteille et des "repas
précuisinés" pour 50 dollars par personne (c’est
cher, mais c’est la loi de l’offre et de la demande),
et un lit de camp dans un abri avec une douche portable (présentez
votre identification biométrique, qui aura elle-même
été développée dans le cadre d’une
sous-traitance de la Sécurité Intérieure, et
nous vous enverrons la facture).
Ce modèle, bien sûr, est celui du système de
santé des Etats-Unis, où les riches ont accès
aux meilleurs traitements dans le meilleur confort alors que 46
millions des Américains n’ont pas d’assurance
maladie. En tant que réponse à une catastrophe, le
modèle est déjà en application pour la pandémie
du Sida : le secteur privé a réussi à fabriquer
des médicaments (grâce aux grosses subventions de l’état),
qui sont facturés si chers que la vaste majorité des
malades touchés par le virus ne peuvent se payer le traitement.
Si c’est ça la réactivité du privé
devant une catastrophe annoncée, que pouvons nous espérer
dans le cas de catastrophes soudaines, telles que des cyclones ou
des attaques terroristes ? Il faut rappeler que pendant le bombardement
récent du Liban par Israel, le gouvernement US avait d’abord
tenté de facturer aux citoyens US leur propre évacuation.
Et, évidemment, tous ceux au Liban qui n’avaient pas
un passport occidental n’avaient aucun espoir d’être
évacués.
Il y a un an, les travailleurs et les pauvres de la Nouvelle Orléans
se réfugièrent sur les toits pour attendre des secours
qui ne sont jamais venus, alors que ceux qui avaient les moyens
de payer ont réussi à s’enfuir. Les dirigeants
du pays affirment que ce fut le résultat d’une erreur
lamentable, une faille dans la communication qui est en train d’être
corrigée. Et leur seule réponse est d’accentuer
encore plus la "privatisation des solutions".
A moins d’un changement radical de politique, la Nouvelle
Orleans aura été un avant-gout d’un futur sombre,
un futur de l’apartheid dans la catastrophe où les
riches seront sauvés et tous les autres seront abandonnés
à leur sort.
Naomi Klein
Le livre de Naomi Klein sur le capitalisme de catastrophe sera publié
au printemps de 2007. www.nologo.org
- Source : The Guardian www.guardian.co.uk
Traduction "Et combien pour CSP ? ... c’est tout ?"
par CSP http://vdedaj.club.fr.
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