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Origine : http://www.france.attac.org/spip.php?article9182
Dans les derniers jours avant l’élection, bien des
républicains semblent avoir abandonné la lutte pour
le pouvoir. Mais ne vous y trompez pas, cela ne veut pas dire qu’ils
reculent sur tous les fronts. Si vous voulez voir de l’authentique
huile de coude républicaine, regardez donc l’énergie
qu’ils consacrent à jeter par la fenêtre une
part considérable des 700 milliards de dollars du plan de
sauvetage. Lors d’une récente audition de la Commission
sénatoriale sur le secteur bancaire, le sénateur républicain
Bob Corker était attelé à cette tâche
et a gardé à l’esprit une échéance
claire : l’investiture du prochain président des États-Unis.
« A quelle hauteur pensez vous que les fonds auront été
dépensés d’ici le 20 janvier ? » a demandé
Corker à Neel Kashkari, l’ancien banquier de 35 ans
en charge du plan de sauvetage. Quand les colonisateurs européens
ont réalisé qu’ils n’avaient pas d’autre
choix que de laisser le pouvoir aux habitants autochtones, ils s’efforçaient
de vider la trésorerie locale de son or et de s’accaparer
tout le cheptel de valeur. S’ils étaient vraiment vicieux,
comme ce fut le cas des Portugais au Mozambique au milieu des années
70, ils coulaient du béton dans les puits d’ascenseurs.
Rien d’aussi barbare dans le cas du gang Bush. Plutôt
qu’une franche et rudimentaire mise à sac, il privilégie
les instruments bureaucratiques, tels que les « enchères
d’actifs en détresse » et le « programme
de rachat de titres ». Mais ne vous y trompez pas : le but
est exactement le même que celui des Portugais défaits
– un ultime et frénétique pillage de la richesse
publique avant de rendre les clés du coffre.
Comment expliquer autrement les décisions pour le moins
étranges qui ont gouverné l’allocation des fonds
du plan de sauvetage ? Quand l’administration Bush a annoncé
qu’elle allait injecter 250 milliards de dollars dans les
banques américaines en échange de titres, on a parlé
de « nationalisation partielle » – une mesure
radicale nécessaire afin que les banques recommencent à
accorder des prêts à l’ensemble des agents économiques.
Le secrétaire du Trésor Henry Paulson avait vu la
lumière, nous a-t-on dit, et suivait désormais la
voie ouverte par le Premier ministre britannique Gordon Brown.
Il s’avère, en fait, qu’aucune nationalisation,
partielle ou autre, n’a eu lieu. Les contribuables américains
n’ont gagné aucun contrôle significatif sur les
banques, ce qui explique pourquoi celles-ci sont libres de dépenser
tout cet argent comme bon leur semble. Chez Morgan Stanley, il semble
que ces gains inattendus vont servir à payer les primes de
bonus. Citigroup a laissé entendre que les 25 milliards de
dollars reçus allaient servir à racheter d’autres
banques, alors que John Thain, l’administrateur général
de Merrill Lynch, a déclaré à des analystes
« qu’au moins jusqu’au prochain trimestre, ça
ne va être qu’un coussin d’amortissement. »
Le gouvernement américain, pendant ce temps, en est réduit
à supplier les banques qu’elles consacrent ne serait-ce
qu’une portion de l’argent des contribuables à
l’octroi de prêts – officiellement, la raison
derrière l’ensemble de ce programme.
Quel est donc le réel but de ce plan de sauvetage ? Ma crainte
est que cette série de renflouements soit plus bien plus
ambitieuse qu’un simple cadeau de départ aux grandes
banques ; ma crainte est que la version Bush de la « nationalisation
partielle » ne soit destinée qu’à transformer
le Trésor américain en un guichet automatique illimité
au profit des banques pour les années à venir. Souvenez-vous,
le principal souci parmi les gros joueurs du marché, les
banques en particulier, n’est pas le manque de crédit
mais la chute du prix de leurs actions. Les investisseurs ont perdu
confiance dans l’honnêteté des grands acteurs
financiers, et ce à juste titre.
C’est là que l’intervention du Trésor
s’avère particulièrement payante. En achetant
des parts dans ces institutions financières, le Trésor
signifie au marché que ces institutions financières
sont un pari sûr. Pourquoi sûr ? Non pas parce que leur
niveau de risque a enfin été précisément
évalué, non pas parce qu’elles ont renoncé
au genre de produits financiers exotiques et au niveau d’endettement
effarant qui ont mené a la crise, mais plutôt parce
que le marché va désormais compter sur le gouvernement
américain pour ne pas laisser ces compagnies faire faillite.
Si elles se retrouvent à nouveau en difficulté, les
investisseurs vont désormais supposer que l’État
va une nouvelle fois trouver des fonds pour les renflouer, puisque
les laisser sombrer lui ferait perdre les milliards d’investissements
en titres consentis initialement. (Regardez par exemple le géant
de l’assurance AIG, déjà revenu auprès
des contribuables pour un deuxième renflouement et qui semble
prêt à en demander un troisième).
L’enchaînement de l’intérêt public
à celui des entreprises privées est le vrai but du
plan de sauvetage : Paulson donne à toutes les compagnies
admises dans le programme – potentiellement des milliers –
une garantie implicite du Département du Trésor. Pour
les fébriles investisseurs recherchant des placements sûrs,
ces rachats de titres par le trésor sont encore plus rassurants
qu’un AAA par l’agence de notation Moody’s.
Une assurance comme celle-ci n’a pas de prix. Pour les banques
le meilleur est que le gouvernement les paye en plus de donner sa
garantie. Pour les contribuables en revanche, l’ensemble du
plan est extrêmement risqué et pourrait bien coûter
significativement plus que ne le suggère l’idée
originale de Paulson d’acheter 700 milliards de dettes toxiques.
Maintenant les contribuables ne sont plus sur la sellette au regard
des dettes seulement mais, potentiellement, du destin de toutes
les grandes entreprises qui leur vendent des titres. Il est intéressant
de remarquer que Fannie Mae et Freddie Mac bénéficiaient
tous les deux de ce genre de garantie tacite avant même que
ces deux géants des prêts hypothécaires ne soient
nationalisés au début de la crise. Pendant des décennies,
le marché avait compris que, puisque ces acteurs privés
étaient liés au gouvernement, on pouvait toujours
compter sur l’Oncle Sam pour sauver la mise. C’était,
comme beaucoup l’ont souligné, le pire des mondes.
Non seulement les profits étaient privatisés et les
risques socialisés mais le soutien implicite du gouvernement
générait de puissantes incitations en faveur de modes
de gestion et de comportements irresponsables.
Maintenant avec le nouveau programme de rachat de titres, Paulson
a pris le modèle discrédité de Fannie et Freddie
et l’a appliqué à une vaste part de l’industrie
bancaire. Et une fois de plus, il n’y a pas de raison de se
détourner des paris les plus risqués – et ce
d’autant moins que le Trésor n’a pas demandé
aux banques de réduire leurs prises de risques. (Le Trésor
apparemment se refuse à « micro manager ».) Pour
renforcer encore la confiance du marché, le gouvernement
fédéral a aussi annoncé publiquement des garanties
illimitées pour nombre de dépôts bancaires.
Et comme si cela ne suffisait pas, le Trésor a aussi encouragé
les banques à fusionner frénétiquement les
unes avec les autres, s’assurant que seules subsistent des
institutions « trop grosses pour faire faillite », qui
bénéficieront ainsi automatiquement d’un plan
de sauvetage en cas de besoin. De trois façons différentes,
le gouvernement dit franchement au marché que Washington
ne va pas laisser les institutions financières du pays supporter
seules les conséquences de leur propre comportement, aussi
irresponsable qu’il ait pu être. Cela pourrait bien
être l’invention la plus créative de Bush : le
capitalisme sans risque.
Il y a cependant une lueur d’espoir. La réponse du
Trésor à la question du sénateur Corker suggère
en effet que le Trésor connaît des difficultés
à disperser les fonds du plan de sauvetage. Jusqu’à
présent il a demandé environ 350 des 700 milliards
de dollars du plan, mais la plupart de l’argent n’a
pas encore été dépensé. Pendant ce temps,
il est chaque jour de plus en plus évident que le plan a
été vendu au public sous de faux prétextes.
Il est clair qu’il ne visait pas à permettre aux activités
de prêt de redécoller. Le plan visait à faire
ce qu’il fait aujourd’hui : transformer l’État
en une compagnie d’assurance géante pour Wall-Street
– un filet de sécurité pour ceux qui en ont
le moins besoin, subventionné par les gens qui auront le
plus besoin de la protection de l’État pour traverser
la tempête économique qui s’annonce.
Cette duplicité présente néanmoins une occasion
politique. Quelque soit le vainqueur des élections le 4 novembre,
il aura une immense autorité morale. Il devra s’en
servir pour obtenir un gel de la dispersion des fonds de renflouement
– non pas après la passation officielle du pouvoir
(en janvier) mais tout de suite après l’élection.
Tous les accords devraient être renégociés,
cette fois en s’assurant que le public obtienne des garanties.
Il est risqué bien sûr d’interrompre le processus
de sauvetage. Le marché ne va pas aimer ça. Rien ne
serait plus risqué cependant que de laisser le gang de Bush
donner un gros cadeau de départ au grand patronat –
ce cadeau qui se répéterait à l’infini.
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