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Le plan de sauvetage : l'ultime pillage de Bush
article publié le 7/11/2008
Par Naomi klein

Origine : http://www.france.attac.org/spip.php?article9182

Dans les derniers jours avant l’élection, bien des républicains semblent avoir abandonné la lutte pour le pouvoir. Mais ne vous y trompez pas, cela ne veut pas dire qu’ils reculent sur tous les fronts. Si vous voulez voir de l’authentique huile de coude républicaine, regardez donc l’énergie qu’ils consacrent à jeter par la fenêtre une part considérable des 700 milliards de dollars du plan de sauvetage. Lors d’une récente audition de la Commission sénatoriale sur le secteur bancaire, le sénateur républicain Bob Corker était attelé à cette tâche et a gardé à l’esprit une échéance claire : l’investiture du prochain président des États-Unis. « A quelle hauteur pensez vous que les fonds auront été dépensés d’ici le 20 janvier ? » a demandé Corker à Neel Kashkari, l’ancien banquier de 35 ans en charge du plan de sauvetage. Quand les colonisateurs européens ont réalisé qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de laisser le pouvoir aux habitants autochtones, ils s’efforçaient de vider la trésorerie locale de son or et de s’accaparer tout le cheptel de valeur. S’ils étaient vraiment vicieux, comme ce fut le cas des Portugais au Mozambique au milieu des années 70, ils coulaient du béton dans les puits d’ascenseurs.

Rien d’aussi barbare dans le cas du gang Bush. Plutôt qu’une franche et rudimentaire mise à sac, il privilégie les instruments bureaucratiques, tels que les « enchères d’actifs en détresse » et le « programme de rachat de titres ». Mais ne vous y trompez pas : le but est exactement le même que celui des Portugais défaits – un ultime et frénétique pillage de la richesse publique avant de rendre les clés du coffre.

Comment expliquer autrement les décisions pour le moins étranges qui ont gouverné l’allocation des fonds du plan de sauvetage ? Quand l’administration Bush a annoncé qu’elle allait injecter 250 milliards de dollars dans les banques américaines en échange de titres, on a parlé de « nationalisation partielle » – une mesure radicale nécessaire afin que les banques recommencent à accorder des prêts à l’ensemble des agents économiques. Le secrétaire du Trésor Henry Paulson avait vu la lumière, nous a-t-on dit, et suivait désormais la voie ouverte par le Premier ministre britannique Gordon Brown.

Il s’avère, en fait, qu’aucune nationalisation, partielle ou autre, n’a eu lieu. Les contribuables américains n’ont gagné aucun contrôle significatif sur les banques, ce qui explique pourquoi celles-ci sont libres de dépenser tout cet argent comme bon leur semble. Chez Morgan Stanley, il semble que ces gains inattendus vont servir à payer les primes de bonus. Citigroup a laissé entendre que les 25 milliards de dollars reçus allaient servir à racheter d’autres banques, alors que John Thain, l’administrateur général de Merrill Lynch, a déclaré à des analystes « qu’au moins jusqu’au prochain trimestre, ça ne va être qu’un coussin d’amortissement. » Le gouvernement américain, pendant ce temps, en est réduit à supplier les banques qu’elles consacrent ne serait-ce qu’une portion de l’argent des contribuables à l’octroi de prêts – officiellement, la raison derrière l’ensemble de ce programme.

Quel est donc le réel but de ce plan de sauvetage ? Ma crainte est que cette série de renflouements soit plus bien plus ambitieuse qu’un simple cadeau de départ aux grandes banques ; ma crainte est que la version Bush de la « nationalisation partielle » ne soit destinée qu’à transformer le Trésor américain en un guichet automatique illimité au profit des banques pour les années à venir. Souvenez-vous, le principal souci parmi les gros joueurs du marché, les banques en particulier, n’est pas le manque de crédit mais la chute du prix de leurs actions. Les investisseurs ont perdu confiance dans l’honnêteté des grands acteurs financiers, et ce à juste titre.

C’est là que l’intervention du Trésor s’avère particulièrement payante. En achetant des parts dans ces institutions financières, le Trésor signifie au marché que ces institutions financières sont un pari sûr. Pourquoi sûr ? Non pas parce que leur niveau de risque a enfin été précisément évalué, non pas parce qu’elles ont renoncé au genre de produits financiers exotiques et au niveau d’endettement effarant qui ont mené a la crise, mais plutôt parce que le marché va désormais compter sur le gouvernement américain pour ne pas laisser ces compagnies faire faillite. Si elles se retrouvent à nouveau en difficulté, les investisseurs vont désormais supposer que l’État va une nouvelle fois trouver des fonds pour les renflouer, puisque les laisser sombrer lui ferait perdre les milliards d’investissements en titres consentis initialement. (Regardez par exemple le géant de l’assurance AIG, déjà revenu auprès des contribuables pour un deuxième renflouement et qui semble prêt à en demander un troisième).

L’enchaînement de l’intérêt public à celui des entreprises privées est le vrai but du plan de sauvetage : Paulson donne à toutes les compagnies admises dans le programme – potentiellement des milliers – une garantie implicite du Département du Trésor. Pour les fébriles investisseurs recherchant des placements sûrs, ces rachats de titres par le trésor sont encore plus rassurants qu’un AAA par l’agence de notation Moody’s.

Une assurance comme celle-ci n’a pas de prix. Pour les banques le meilleur est que le gouvernement les paye en plus de donner sa garantie. Pour les contribuables en revanche, l’ensemble du plan est extrêmement risqué et pourrait bien coûter significativement plus que ne le suggère l’idée originale de Paulson d’acheter 700 milliards de dettes toxiques. Maintenant les contribuables ne sont plus sur la sellette au regard des dettes seulement mais, potentiellement, du destin de toutes les grandes entreprises qui leur vendent des titres. Il est intéressant de remarquer que Fannie Mae et Freddie Mac bénéficiaient tous les deux de ce genre de garantie tacite avant même que ces deux géants des prêts hypothécaires ne soient nationalisés au début de la crise. Pendant des décennies, le marché avait compris que, puisque ces acteurs privés étaient liés au gouvernement, on pouvait toujours compter sur l’Oncle Sam pour sauver la mise. C’était, comme beaucoup l’ont souligné, le pire des mondes. Non seulement les profits étaient privatisés et les risques socialisés mais le soutien implicite du gouvernement générait de puissantes incitations en faveur de modes de gestion et de comportements irresponsables.

Maintenant avec le nouveau programme de rachat de titres, Paulson a pris le modèle discrédité de Fannie et Freddie et l’a appliqué à une vaste part de l’industrie bancaire. Et une fois de plus, il n’y a pas de raison de se détourner des paris les plus risqués – et ce d’autant moins que le Trésor n’a pas demandé aux banques de réduire leurs prises de risques. (Le Trésor apparemment se refuse à « micro manager ».) Pour renforcer encore la confiance du marché, le gouvernement fédéral a aussi annoncé publiquement des garanties illimitées pour nombre de dépôts bancaires. Et comme si cela ne suffisait pas, le Trésor a aussi encouragé les banques à fusionner frénétiquement les unes avec les autres, s’assurant que seules subsistent des institutions « trop grosses pour faire faillite », qui bénéficieront ainsi automatiquement d’un plan de sauvetage en cas de besoin. De trois façons différentes, le gouvernement dit franchement au marché que Washington ne va pas laisser les institutions financières du pays supporter seules les conséquences de leur propre comportement, aussi irresponsable qu’il ait pu être. Cela pourrait bien être l’invention la plus créative de Bush : le capitalisme sans risque.

Il y a cependant une lueur d’espoir. La réponse du Trésor à la question du sénateur Corker suggère en effet que le Trésor connaît des difficultés à disperser les fonds du plan de sauvetage. Jusqu’à présent il a demandé environ 350 des 700 milliards de dollars du plan, mais la plupart de l’argent n’a pas encore été dépensé. Pendant ce temps, il est chaque jour de plus en plus évident que le plan a été vendu au public sous de faux prétextes. Il est clair qu’il ne visait pas à permettre aux activités de prêt de redécoller. Le plan visait à faire ce qu’il fait aujourd’hui : transformer l’État en une compagnie d’assurance géante pour Wall-Street – un filet de sécurité pour ceux qui en ont le moins besoin, subventionné par les gens qui auront le plus besoin de la protection de l’État pour traverser la tempête économique qui s’annonce.

Cette duplicité présente néanmoins une occasion politique. Quelque soit le vainqueur des élections le 4 novembre, il aura une immense autorité morale. Il devra s’en servir pour obtenir un gel de la dispersion des fonds de renflouement – non pas après la passation officielle du pouvoir (en janvier) mais tout de suite après l’élection. Tous les accords devraient être renégociés, cette fois en s’assurant que le public obtienne des garanties.

Il est risqué bien sûr d’interrompre le processus de sauvetage. Le marché ne va pas aimer ça. Rien ne serait plus risqué cependant que de laisser le gang de Bush donner un gros cadeau de départ au grand patronat – ce cadeau qui se répéterait à l’infini.