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Origine http://www.humanite.fr/journal/2004-10-26/2004-10-26-448649
On caractérisait naguère l’économie
états-unienne par son appareil militaro-industriel dont Boeing
et McDonell Douglas étaient les plus beaux fleurons. Cet
appareil était alors - dans le contexte de la guerre froide
- le groupe de pression le plus puissant sur le système politique.
Il l’est resté à bien des égards. Mais
avec l’accession au pouvoir de Ronald Reagan en 1980 et la
mise en route d’une course aux armements sans précédent
(préparation de « la guerre des étoiles »,
installation de missiles en Europe notamment), une nouvelle ère
s’est ouverte parallèlement au lancement du processus
néolibéral de déréglementation. Le mandat
de George Bush père (1988-1992) porte cette mutation à
maturité avec la première guerre du Golfe. Le système
militaro-industriel connaît alors un nouvel envol en même
temps que la mise en coupe réglée de l’État
par le capital financier devenu le premier bénéficiaire
des « reaganomics ». L’internationalisation de
la circulation des capitaux, la marchandisation de toute chose,
y compris de l’État social, la privatisation des services
y compris du service militaire, ont alors profondément transformé
le paysage économique des États-Unis.
Le système de gouvernement a lui aussi subi une formidable
mutation dont la prise de pouvoir de l’équipe Bush
en janvier 2001 à l’issue d’un coup d’État
juridique, est une forme d’aboutissement. Ce que Bush père
n’est pas parvenu à accomplir, le fils est en train
de le réaliser (1). Bush junior et ses affidés sont
parvenus à transformer l’appareil d’État
en moissonneuse de fonds au service d’un capital financier
à l’appétit décuplé. À
cette fin, il a rassemblé au fil des ans, avec le carnet
d’adresses de son père et des fonds saoudiens (dont
ceux de la famille Ben Laden) une équipe qui fonctionne avec
ses réseaux, ses ramifications et ses fidélités.
Les attentats du 11 septembre 2001 ont constitué un formidable
prétexte pour développer cette emprise, grâce
à une gigantesque propagande de la peur et sous couvert du
« destin manifeste » des États-Unis.
La bande à Bush a mis en coupe réglée l’État
le plus riche et le plus puissant du monde. L’industrie et,
surtout, le commerce spéculatif du pétrole, la fourniture
d’armements et de services militaires sont des domaines de
prédilection. Avec la guerre d’Irak - dont Bush et
ses amis rêvaient dès la fin des années quatre-vingt-dix,
les possibilités de pillages, capables de satisfaire les
nouveaux besoins de rentabilité financière du système,
ont pris des dimensions inespérées.
Le groupe pétrolier Halliburton, dont le vice-président
Dick Cheney, l’ex-secrétaire à la Défense
de Bush père, était le PDG jusqu’à son
« élection », a le monopole de la logistique
de l’armée d’occupation en Irak, allant jusqu’à
la fourniture d’eau en bouteille. Des filiales de cette multinationale
- en vue de stipendier des politiciens de Washington - bénéficient
d’un contrat illimité de fourniture de bases militaires.
Halliburton finance également, pour le compte de l’État,
des « compagnies privées de combat », employant
sans doute près de 20 000 mercenaires en Irak.
Quant à la conseillère présidentielle à
la Sécurité, Condoleezza Rice, elle a été
l’un des fleurons du groupe Chevron. Un pétrolier géant
fut baptisé de son prénom avant qu’elle ne rejoigne
la Maison-Blanche. L’intervention US en Afghanistan fut l’occasion
de l’arrivée de Chevron notamment au Kazakhstan où
il a investi 20 milliards de dollars.
Plus généralement, l’administration d’occupation
US en Irak a, en quelque sorte, privatisé le pays tout entier
afin de se partager les dépouilles entre amis. Mais ce ne
sont là, en fin de compte, que des trafics d’influence
et des conflits d’intérêts « classiques
» même si les marchés en jeu sont de lde dizaines
de milliards de dollars. Une société d’investissement
et de courtage d’armement au fonctionnement particulièrement
opaque est sur le point de mettre la main à une sorte d’accomplissement
du système de pillage. La société Carlyle -
du nom d’un hôtel de New York où elle fut fondée
par une bande de jeunes loups de la finance - dirigée par
l’ancien secrétaire adjoint à la Défense
de Reagan, Frank Carlucci, a rassemblé la plus belle brochette
de politiciens affairistes que les États-Unis aient connu
(2). C’est Bush père qui servit de rampe de lancement
à ce groupe protéiforme. Carlyle a été
de tous les mauvais coups, dont par exemple le montage financier
de l’Irangate, le financement des fanatiques afghans et saoudiens
lors de la guerre d’Afghanistan. Et la « Texas Saudi
connection », dont les Bush ont été les maîtres
d’oeuvre, s’est concrétisée par la participation
de la famille Ben Laden à Carlyle. On sait, par exemple,
qu’au matin du 11 septembre un membre de la famille Ben Laden
participait à une réunion de Carlyle à son
siège à Washington. Le groupe a aussi trempé
dans la faillite frauduleuse de la banque internationale BCCI. Parmi
ses cadres dirigeants actuels ou en congé temporaire, on
compte outre George Bush père, le financier Georges Soros,
Colin Powell, le secrétaire à la Défense Donald
Rumsfeld, qui en 1983, déjà, avait négocié
des contrats d’armements (notamment chimiques) avec Saddam
Hussein, ainsi que des politiciens européens comme, par exemple,
l’ancien premier ministre britannique John Major.
Dans sa prochaine édition datée du 1er novembre le
périodique états-unien The Nation révèle
un nouveau scandale, encore plus énorme, dont Carlyle est
la cheville ouvrière. L’ancien secrétaire d’État,
James Baker - qui s’illustra en novembre 2000 par son efficace
campagne contre le recomptage des bulletins de vote en Floride -
détient une participation de 180 millions de dollars dans
Carlyle. Le 5 décembre 2003, écrit Naomi Klein, il
a été chargé d’une « noble mission
» par le président Bush consistant à rechercher
un allégement de la dette irakienne, notamment envers le
Koweit, dont la créance s’élève à
57 milliards de dollars dont 27 milliards de réparation.
Dans le même temps, Carlyle a fondé un consortium avec
le groupe Albright (dirigé par l’ancienne secrétaire
d’État du président démocrate Bill Clinton)
avec la participation notamment
de l’ex-représentante états-unienne auprès
de l’ONU du temps de Reagan, Jane Kirkpatrick, de banques
dont Fidelity Investments, de BNP Paribas et d’une société
d’ingénierie financière à participation
gouvernementale française, Nexgen Financial Solutions.
L’objectif de ce consortium, dont James Baker et Madeleine
Albright sont les fleurons, est le rachat de la dette irakienne
en vue de son règlement au niveau le plus élevé
possible. Un projet dans ce sens a été présenté
au gouvernement koweïtien le jour même de la première
visite de James Baker, l’envoyé spécial de Bush.
Le projet prévoit notamment un investissement koweïtien
à hauteur d’un milliard de dollars - la somme déjà
récupérée par le Koweit dans le cadre des réparations
- dans un fonds de « restauration de l’environnement
» créé par le consortium et un autre investissement
d’un montant de 2 milliards de dollars dans un fonds d’actions
privé du Moyen-Orient dont la moitié serait placée
dans le fonds d’investissement Carlyle qui touchera 5 % sur
toutes les transactions.
Si ce projet se réalise, l’argent du pétrole
irakien servira à enrichir des fonds financiers US tandis
que le contribuable américain continuera à financer
la guerre et ses conséquences.
(1) Voir l’Amérique dérape, de Paul Krugman,
Éditions Flammarion 2004, 21 euros.
(2) Le Réseau Carlyle, de François Misson, Flammarion
« Enquête », 2004, 20 euros.
Article paru dans l'édition du 26 octobre 2004.
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