"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
ÉTATS-UNIS - PRÉSIDENTIELLE La moissonneuse militaro- industrielle de George W. Bush
Michel Muller Octobre 2004

Origine http://www.humanite.fr/journal/2004-10-26/2004-10-26-448649

On caractérisait naguère l’économie états-unienne par son appareil militaro-industriel dont Boeing et McDonell Douglas étaient les plus beaux fleurons. Cet appareil était alors - dans le contexte de la guerre froide - le groupe de pression le plus puissant sur le système politique. Il l’est resté à bien des égards. Mais avec l’accession au pouvoir de Ronald Reagan en 1980 et la mise en route d’une course aux armements sans précédent (préparation de « la guerre des étoiles », installation de missiles en Europe notamment), une nouvelle ère s’est ouverte parallèlement au lancement du processus néolibéral de déréglementation. Le mandat de George Bush père (1988-1992) porte cette mutation à maturité avec la première guerre du Golfe. Le système militaro-industriel connaît alors un nouvel envol en même temps que la mise en coupe réglée de l’État par le capital financier devenu le premier bénéficiaire des « reaganomics ». L’internationalisation de la circulation des capitaux, la marchandisation de toute chose, y compris de l’État social, la privatisation des services y compris du service militaire, ont alors profondément transformé le paysage économique des États-Unis.

Le système de gouvernement a lui aussi subi une formidable mutation dont la prise de pouvoir de l’équipe Bush en janvier 2001 à l’issue d’un coup d’État juridique, est une forme d’aboutissement. Ce que Bush père n’est pas parvenu à accomplir, le fils est en train de le réaliser (1). Bush junior et ses affidés sont parvenus à transformer l’appareil d’État en moissonneuse de fonds au service d’un capital financier à l’appétit décuplé. À cette fin, il a rassemblé au fil des ans, avec le carnet d’adresses de son père et des fonds saoudiens (dont ceux de la famille Ben Laden) une équipe qui fonctionne avec ses réseaux, ses ramifications et ses fidélités. Les attentats du 11 septembre 2001 ont constitué un formidable prétexte pour développer cette emprise, grâce à une gigantesque propagande de la peur et sous couvert du « destin manifeste » des États-Unis.

La bande à Bush a mis en coupe réglée l’État le plus riche et le plus puissant du monde. L’industrie et, surtout, le commerce spéculatif du pétrole, la fourniture d’armements et de services militaires sont des domaines de prédilection. Avec la guerre d’Irak - dont Bush et ses amis rêvaient dès la fin des années quatre-vingt-dix, les possibilités de pillages, capables de satisfaire les nouveaux besoins de rentabilité financière du système, ont pris des dimensions inespérées.

Le groupe pétrolier Halliburton, dont le vice-président Dick Cheney, l’ex-secrétaire à la Défense de Bush père, était le PDG jusqu’à son « élection », a le monopole de la logistique de l’armée d’occupation en Irak, allant jusqu’à la fourniture d’eau en bouteille. Des filiales de cette multinationale - en vue de stipendier des politiciens de Washington - bénéficient d’un contrat illimité de fourniture de bases militaires. Halliburton finance également, pour le compte de l’État, des « compagnies privées de combat », employant sans doute près de 20 000 mercenaires en Irak.

Quant à la conseillère présidentielle à la Sécurité, Condoleezza Rice, elle a été l’un des fleurons du groupe Chevron. Un pétrolier géant fut baptisé de son prénom avant qu’elle ne rejoigne la Maison-Blanche. L’intervention US en Afghanistan fut l’occasion de l’arrivée de Chevron notamment au Kazakhstan où il a investi 20 milliards de dollars.

Plus généralement, l’administration d’occupation US en Irak a, en quelque sorte, privatisé le pays tout entier afin de se partager les dépouilles entre amis. Mais ce ne sont là, en fin de compte, que des trafics d’influence et des conflits d’intérêts « classiques » même si les marchés en jeu sont de lde dizaines de milliards de dollars. Une société d’investissement et de courtage d’armement au fonctionnement particulièrement opaque est sur le point de mettre la main à une sorte d’accomplissement du système de pillage. La société Carlyle - du nom d’un hôtel de New York où elle fut fondée par une bande de jeunes loups de la finance - dirigée par l’ancien secrétaire adjoint à la Défense de Reagan, Frank Carlucci, a rassemblé la plus belle brochette de politiciens affairistes que les États-Unis aient connu (2). C’est Bush père qui servit de rampe de lancement à ce groupe protéiforme. Carlyle a été de tous les mauvais coups, dont par exemple le montage financier de l’Irangate, le financement des fanatiques afghans et saoudiens lors de la guerre d’Afghanistan. Et la « Texas Saudi connection », dont les Bush ont été les maîtres d’oeuvre, s’est concrétisée par la participation de la famille Ben Laden à Carlyle. On sait, par exemple, qu’au matin du 11 septembre un membre de la famille Ben Laden participait à une réunion de Carlyle à son siège à Washington. Le groupe a aussi trempé dans la faillite frauduleuse de la banque internationale BCCI. Parmi ses cadres dirigeants actuels ou en congé temporaire, on compte outre George Bush père, le financier Georges Soros, Colin Powell, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, qui en 1983, déjà, avait négocié des contrats d’armements (notamment chimiques) avec Saddam Hussein, ainsi que des politiciens européens comme, par exemple, l’ancien premier ministre britannique John Major.

Dans sa prochaine édition datée du 1er novembre le périodique états-unien The Nation révèle un nouveau scandale, encore plus énorme, dont Carlyle est la cheville ouvrière. L’ancien secrétaire d’État, James Baker - qui s’illustra en novembre 2000 par son efficace campagne contre le recomptage des bulletins de vote en Floride - détient une participation de 180 millions de dollars dans Carlyle. Le 5 décembre 2003, écrit Naomi Klein, il a été chargé d’une « noble mission » par le président Bush consistant à rechercher un allégement de la dette irakienne, notamment envers le Koweit, dont la créance s’élève à 57 milliards de dollars dont 27 milliards de réparation. Dans le même temps, Carlyle a fondé un consortium avec le groupe Albright (dirigé par l’ancienne secrétaire d’État du président démocrate Bill Clinton) avec la participation notamment

de l’ex-représentante états-unienne auprès de l’ONU du temps de Reagan, Jane Kirkpatrick, de banques dont Fidelity Investments, de BNP Paribas et d’une société d’ingénierie financière à participation gouvernementale française, Nexgen Financial Solutions.

L’objectif de ce consortium, dont James Baker et Madeleine Albright sont les fleurons, est le rachat de la dette irakienne en vue de son règlement au niveau le plus élevé possible. Un projet dans ce sens a été présenté au gouvernement koweïtien le jour même de la première visite de James Baker, l’envoyé spécial de Bush. Le projet prévoit notamment un investissement koweïtien à hauteur d’un milliard de dollars - la somme déjà récupérée par le Koweit dans le cadre des réparations - dans un fonds de « restauration de l’environnement » créé par le consortium et un autre investissement d’un montant de 2 milliards de dollars dans un fonds d’actions privé du Moyen-Orient dont la moitié serait placée dans le fonds d’investissement Carlyle qui touchera 5 % sur toutes les transactions.

Si ce projet se réalise, l’argent du pétrole irakien servira à enrichir des fonds financiers US tandis que le contribuable américain continuera à financer la guerre et ses conséquences.


(1) Voir l’Amérique dérape, de Paul Krugman, Éditions Flammarion 2004, 21 euros.

(2) Le Réseau Carlyle, de François Misson, Flammarion « Enquête », 2004, 20 euros.

Article paru dans l'édition du 26 octobre 2004.