"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Affaires risquées en Irak, par Naomi Klein
Conquête d’Halliburton : après l’Irak, la Lune ?
Naomi Klein, 5 janvier 2004

Origine : http://paxhumana.info/article.php3?id_article=384

Il est 8h40 et la salle de réception du Sheraton Hotel résonne du son des bombes explosant contre du métal. Non, ce n’est pas le Sheraton à Bagdad, c’est celui d’Arlington, Virginia. Et ce n’est pas une attaque terroriste réelle, mais une simulation. L’écran sur le devant de la salle montre une publicité pour des « poubelles résistant aux explosifs » : Le réceptacle est si solide, nous apprend-on, qu’il peut contenir une charge d’explosif C4. Et son fabricant est persuadé que si on lui en donnait l’opportunité, ces petites choses-là se vendraient comme des petits pains à Bagdad, dans les stations de bus, les casernes et oui, dans les grands hôtels. Disponible en vert sapin, rouge framboise et beige cuivré.

Nous sommes à Reconstruction de l’Irak 2 (Rebuilding Iraq 2), une rencontre de 400 entrepreneurs, qui brûlent d’obtenir leur part dans la reconstruction de l’Irak. Ils sont là pour rencontrer les personnes qui distribuent l’argent, en particulier les 18,6 milliards de dollars de contrats qui doivent être attribués au cours des deux prochains mois à des sociétés des pays « partenaires de la coalition ». Les personnes à rencontrer appartiennent à l’Autorité provisoire de la coalition (CPA), à son nouveau Bureau de la Direction des Programmes, aux ingénieurs du corps d’armée, à l’Agence américaine pour le Développement International, à Halliburton, Bechtel et au Conseil intérimaire du gouvernement irakien. Tous les délégués ont eu la promesse qu’ils auront une chance de les retrouver lors « d’ateliers rencontres » prévus à intervals réguliers.

Jusqu’à présent, des douzaines de shows similaires, vantant les perspectives commerciales ouvertes par la destruction de l’Irak, ont eu lieu dans les salles de réception des grands hôtels de Londres en passant par Amman. Au dire de tout le monde, il flottait, lors des premières conférences, un parfum d’euphorie et d’ivresse que l’on n’avait plus senti depuis les fiévreuses journées précédant le crash des start-up. Mais très vite, il est apparu clairement que quelque chose ne tournait pas rond à Reconstruction de l’Irak 2 (ReBuilding Iraq 2). Certes, les organisateurs se répandent en éloges de rigueur au sujet « des coûts de la reconstruction non militaire qui pourraient approcher les 500 millions de dollars » et que ceci est « le plus grand effort de reconstruction du gouvernement des USA depuis que les Américains ont aidé à reconstruire l’Allemagne et le Japon après la Deuxième Guerre Mondiale. »

Mais pour la foule encore mal réveillée qui fixe avec inquiétude les poubelles qui explosent, l’humeur est moins celle d’une ruée vers l’or que celle d’une farouche détermination. La frivolité des conversations sur les possibilités d’exploiter des marchés « en friche » a fait place au sérieux des discussions sur l’assurance contre la mort subite ; l’excitation face à l’argent facile du gouvernement a laissé place à la controverse sur l’exclusion des firmes étrangères du processus d’appel d’offres ; l’enthousiasme à propos des lois d’investissement ultralibérales du chef du CPA (Autorité provisoire de la coalition), Paul Bremer, a été tempéré par la crainte que ces lois ne soient réduites à néant par un gouvernement irakien élu au suffrage universel.

Lors du Reconstruction de l’Irak 2 du 3 et 4 décembre, le groupe des investisseurs a commencé à comprendre que l’Irak n’est pas uniquement un « excitant marché émergent », mais aussi un pays au bord de la guerre civile. Depuis que les Irakiens contestent les licenciements dans les administrations publiques et réclament, de façon de plus en plus audible, des élections générales, il devient évident que la conviction de la Maison Blanche avant la guerre selon laquelle les Irakiens applaudiront à la transformation de leur pays en un eldorado du libre-échange, était aussi éloignée de la réalité que la prédiction que les soldats américains seraient accueillis avec fleurs et sucreries.

Je dis à un participant que la peur semble refroidir les ardeurs de l’esprit capitaliste. « Le meilleur moment pour investir, c’est quand il y a encore du sang par terre » m’assure-t-il. « Irez-vous en Irak ? » je lui demande. « Moi ? Non, je ne peux pas faire ça à ma famille. »

Encore tout secoué, semblait-il, par la présentation dans l’après-midi d’un ex-membre de la CIA, John MacGaffin, haranguant les foules, tel un sergent tout droit sorti d’Hollywood. « Nous sommes des cibles faciles, hurlait-il. Nous sommes droits dans le viseur. Vous devez mettre la sécurité au centre de votre activité ! » Heureusement pour nous, la propre compagnie de MacGaffin, KE Group, offre des solutions complètes de contre-terrorisme, qui vont de la protection rapprochée aux évacuations d’urgence.

Youssef Sleiman, directeur général des « Initiatives irakiennes » de la société Harris Corporation, a lui aussi une approche commerciale de la violence. Oui, des hélicoptères sont abattus, mais « chaque hélicoptère qui tombe, devra être remplacé ».

Je commence à remarquer que tous les délégués de Reconstruction de l’Irak 2 arborent le même look : coupe de cheveux militaire et complet sombre d’hommes d’affaires. Le gourou de ce gang est le général de division à la retraite, Robert Dees, qui vient de quitter son poste à l’armée pour diriger la division « Stratégies de la Défense » de Microsoft. Dees explique à la foule que reconstruire l’Irak a un sens particulier pour lui, parce que, oui, il a été un de ceux qui ont détruit ce pays. « Mon cœur et mon âme sont impliqués là-dedans, parce que j’ai été un des principaux stratèges de cette invasion », dit-il avec fierté. Microsoft contribue à développer « l’e-gouvernement » (« le gouvernement virtuel ») en Irak, ce qui est un peu prématuré, avoue Dees, puisqu’il n’y a pas de gouvernement tout court (« g-gouvernement ») en Irak, sans parler de lignes téléphoniques en état de marche.

Peu importe. Microsoft est déterminé à s’y installer dès le départ. En fait, la compagnie est si proche du Conseil du gouvernement irakien, qu’un des responsables, Haythum Auda, a servi de traducteur officiel au ministre du travail et des affaires sociales du Conseil, Sami Azara al-Ma’jun, durant la conférence. « Il n’y a absolument pas de haine envers les forces de la Coalition », dit al-Maj’un, via Auda. « Les forces de destruction sont très minoritaires et cela prendra bientôt fin... Soyez confiants dans la reconstruction de l’Irak ! ».

Les intervenants d’un groupe d’experts sur « la gestion du risque » ont un message différent : Soyez inquiets à propos de la reconstruction, très inquiets. A la différence des autres intervenants, leur souci ne concerne pas les risques physiques évidents, mais les risques économiques potentiels. Ce sont les courtiers d’assurance, les sinistres profiteurs de la ruée vers l’or irakien.

Il s’avère qu’il y a un sérieux hic dans l’audacieux plan de Paul Bremer de vendre l’Irak aux enchères tant que le pays est encore sous occupation : les compagnies d’assurances ne suivent pas. Jusqu’à récemment, la question de savoir qui assurera les multinationales en Irak n’a pas été pressante. Les principaux entrepreneurs de la reconstruction, tels que Bechtel, sont couverts par l’USAID pour des « risques anormalement élevés » rencontrés sur le terrain. Et les travaux de Halliburton sur les pipelines sont couverts par une loi passée par Bush le 22 mai qui protège l’ensemble de l’industrie pétrolière contre « tout arrêt, jugement, décret, droit de rétention, procédure et ordonnance de saisie ou tout autre mesure judiciaire ».

Mais avec le début des appels d’offres sur les entreprises publiques irakiennes et la volonté des banques étrangères d’ouvrir des filiales à Bagdad, la question des assurances devient soudain urgente. Beaucoup d’intervenants admettent que les risques économiques pris pour aller en Irak sans couverture sont énormes : Des entreprises privatisées pourraient être re-nationalisées, les lois concernant la propriété étrangère pourraient être rétablies et les contrats signés avec le CPA pourraient être déchirés.

Normalement, les multinationales se protègent contre ce type de choses en souscrivant à une assurance « risques politiques ». Avant qu’il ne soit nommé en Irak, c’était le job de Bremer - vendre des assurances contre le risque politique, l’expropriation et le terrorisme chez Marsh & McLennan Companies, la plus grande compagnie de courtiers d’assurance au monde. Mais une fois en Irak, Bremer a laissé s’installer un climat tellement instable pour les affaires, que les assureurs privés, y compris ses anciens collègues de Marsh & McLennan, ne sont pas prêts à prendre le risque. L’Irak de Bremer est, au dire de tous, inassurable.

« L’industrie de l’assurance n’a jamais été confrontée à une telle situation », annonce en s’excusant R. Taylor Hoskins, vice-président de la compagnie d’assurance Rutherford International auprès des délégués. Steven Sadler, directeur général et président de Marsh Industries Practices, un département de l’ex-compagnie de Bremer, est encore plus pessimiste. « Ne regardez pas vers l’Irak pour trouver des solutions d’assurance. L’intérêt est très, très limité. Il y a des rendements et un intérêt très limités dans la région. »

Il est évident que Bremer savait que l’Irak n’était pas prêt pour être assuré. Quand il a signé l’Arrêté 39, ouvrant la majorité de l’économie irakienne aux capitaux à 100% étrangers, l’industrie de l’assurance a été expressément exclue. Je demande à Sadler, un clone de Bremer, cheveux rabattus en arrière et cravate rouge vif, s’il pense que c’est étrange qu’un ancien responsable de Marsh & McLennan ait pu à ce point négliger le besoin en assurances des investisseurs avant qu’ils n’entrent dans une zone de guerre ? « Et bien, répond-il, c’est qu’il a du pain sur la planche ». Ou peut-être est-il juste mieux informé.

Juste au moment où l’humeur à Reconstruction de l’Irak 2 Rebuilding Iraq 2 ne pouvait tomber plus bas, Michael Lempres, vice-président des assurances auprès du Overseas Private Investment Corporation (OPIC) s’avance vers la tribune. Avec un calme assuré, qui a jusqu’à présent manqué à la psychose des débats, il annonce que les investisseurs peuvent être rassurés : Oncle Sam va les protéger.

Un organisme gouvernemental américain, l’OPIC, fournit prêts et assurances aux compagnies américaines investissant à l’étranger. Et, tout en partageant l’avis des précédents intervenants selon lesquels les risques en Irak sont « exceptionnels et hors du commun », Lempres prétend, par ailleurs, que « l’OPIC, c’est différent. Notre principale raison d’être n’est pas de faire du bénéfice. » Au lieu de cela, l’OPIC existe « pour soutenir la politique étrangère des USA. » Et étant donné que la transformation de l’Irak en zone de libre échange est le but essentiel de la politique de Bush, l’OPIC sera là pour l’aider à s’en sortir. Plus tôt ce même jour, le président Bush a autorisé une loi qui donnera « plus de moyens à l’agence pour son programme d’assurance contre les risques politiques » selon un communiqué de presse de l’OPIC.

Armé de ce mandat politique clair, Lempres annonce que l’agence est désormais « ouverte pour faire du business » en Irak, et qu’elle offre financement et assurances - y compris l’assurance qui couvre le risque majeur : le risque politique. « C’est une priorité pour nous » déclare Lempres. « Nous voulons faire tout notre possible pour encourager l’investissement américain en Irak. »

Cette nouvelle, pas encore rendue publique, semble être une entière surprise même pour les délégués les plus haut placés. Après sa présentation, Lempres est abordé par Julie Martin, spécialiste du risque politique chez Marsh & McLennan.

« C’est vrai ? » demande t-elle.

Lempres acquiesce. « Nos avocats sont prêts. »

« Je suis sciée » déclare Julie Martin. « Vous êtes prêts ? Quel que soit le gouvernement ? »

« Nous sommes prêts » répond Lempres. « S’il y a expropriation le 3 janvier, nous sommes prêts... Je ne sais pas ce que nous ferons si quelqu’un engloutit 1 milliard de dollars dans un pipeline et qu’il y a expropriation. »

Lempres ne semble pas être trop inquiet à propos de ces « possibles expropriations » mais c’est une question sérieuse. Selon son mandat officiel, l’OPIC fonctionne « sur une base d’autarcie qui ne coûte rien aux contribuables. » Mais Lempres admet que les risques politiques en Irak sont « exceptionnels. » Si un nouveau gouvernement irakien procède à des expropriations et réorganise tout de fond en comble, l’OPIC pourrait être obligée de dédommager des douzaines de sociétés américaines pour les milliards de dollars perdus en investissements et revenus, probablement des dizaines de milliards. Que se passera-t-il alors ?

Lors de la réception sponsorisée par Microsoft dans la salle de bal du Galaxy le soir même, Robert Dees nous encourage à « travailler ensemble dans l’intérêt du peuple irakien. » J’obéis et demande alors à Lempres ce qui se passerait si « les gens en Irak » décidaient de retirer leur argent des sociétés américaines, sociétés qu’il a si généreusement assurées. Qui va sauver l’OPIC ? « En théorie, » dit-il, « le Ministère de l’Économie et des Finances américain nous soutient. » Cela veut dire le contribuable américain. Oui, encore eux : les mêmes qui ont déjà payé pour qu’Halliburton, Bechtel et les autres puissent faire d’énormes bénéfices sur la reconstruction de l’Irak, devront payer à nouveau, mais cette fois-ci pour compenser les pertes de ces mêmes sociétés. Alors que les énormes bénéfices réalisés en Irak ne profitent qu’au secteur privé, il s’avère que l’ensemble des risques est endossé par le secteur public.

Pour les sociétés non américaines présentes dans la salle, l’annonce faite par l’OPIC est tout sauf rassurante : dans la mesure où seules les compagnies américaines peuvent bénéficier de l’assurance proposée par OPIC, et que les assureurs privés restent en dehors du jeu, comment peuvent-elles rivaliser ? La réponse est qu’elles ne le peuvent sans doute pas. Quelques pays pourront décider de s’aligner sur les conditions offertes par l’OPIC pour l’Irak. Mais dans l’immédiat, non seulement le gouvernement américain a interdit aux sociétés ne faisant pas partie des « partenaires de la coalition » d’entrer en concurrence avec des sociétés américaines pour l’obtention de contrats, mais il s’est assuré que les sociétés étrangères autorisées à le faire, le feront en étant sérieusement désavantagées.

La reconstruction de l’Irak apparaît comme un vaste racket protectionniste, un New Deal version néoconservateur qui transfère sans limites les fonds publics - sous forme de contrats, de prêts et d’assurances - dans des sociétés privées, et qui, par-dessus le marché, se débarrasse même de la concurrence étrangère, sous le couvert « de la sécurité nationale. » Ironiquement, on donne cette aide publique à ces sociétés pour qu’elles profitent pleinement des lois imposées par l’Autorité provisoire de la coalition (CPA), qui dépouillent systématiquement l’industrie irakienne de toutes ses protections, des taxes à l’importation aux restrictions sur la propriété étrangère. Michael Fleisher, à la tête du développement du secteur privé pour le CPA, a récemment expliqué à un groupe d’hommes d’affaires irakiens pourquoi ces protections ont dû être levées. « Les entreprises protégées ne deviennent jamais, jamais concurrentielles. » a-t-il ajouté. Allez, il faut vite le dire à OPIC et à Paul Wolfowitz.

La question des deux poids deux mesures américains est une nouvelle fois soulevée pendant la conférence quand un représentant du CPA intervient à l’estrade. Une conseillère juridique de Bremer, Carole Basri a un message simple : La reconstruction est en train d’être sabotée par la corruption irakienne. « Ma crainte c’est que la corruption entraîne l’effondrement, » ajoute-t-elle d’un air sinistre, rejetant les causes du problème sur « une coupure de trente-cinq ans dans le domaine des connaissances » en Irak, ce qui a fait que les Irakiens ne sont pas « au courant des normes courantes de comptabilité et des idées pour lutter contre la corruption. » Les investisseurs étrangers, a-t-elle ajouté, doivent s’engager « à éduquer les gens, à les amener au niveau mondial des normes. »

Il est difficile d’imaginer à quel niveau mondial de normes elle se réfère ou qui exactement s’occupera de cette éducation. Halliburton, avec ses scandales financiers aux États-Unis et sa scandaleuse surfacturation de l’essence en Irak ? Le CPA, avec ses deux agents mis en examen pour corruption et fausses factures ? Le dernier jour des débats de Reconstruction de l’Irak 2, le titre à la Une de nos exemplaires gratuits du Financial Times (un des sponsors de la conférence) est : « La société Boeing est liée au fonds d’investissement de Perle. » Peut-être Richard Perle - qui a soutenu Boeing dans l’affaire des 18 milliards de dollars demandés pour le réapprovisionnement des stocks d’essence et qui a soutiré 20 millions de dollars à Boeing pour son fonds d’investissement - pourrait-il apprendre aux politiciens irakiens à arrêter de solliciter des « commissions » en échange de contrats.

Pour les expatriés irakiens présents à la conférence, le discours de Carole Basri a du mal à passer. « Pour être honnête, » dit Ed Kubba, conseiller et membre du conseil de la Chambre de commerce irakienne aux Etats-Unis, « je ne sais pas où se situe la frontière entre les affaires et la corruption. » Il pointe du doigt les compagnies américaines qui n’utilisent qu’une partie des énormes sommes versées par les contribuables pour payer la sous-traitance des travaux de reconstruction, et qui ensuite empochent la différence. « Si vous prenez 10 millions de dollars au gouvernement américain pour faire un travail et que vous le sous-traitez auprès d’entreprises irakiennes que vous payez 250 000 dollars, est-ce qu’il s’agit d’affaires ou de corruption ? »

C’étaient le genre de questions inconfortables devant lesquelles se retrouvait George Sigalos, directeur des relations du gouvernement pour Halliburton KBR (Kellogg, Brown and Root). Dans la hiérarchie des sociétés en charge de la reconstruction irakienne, Halliburton est le roi, et M. Sigalos se tient sur l’estrade, jouant son rôle, lourdement paré d’une bague précieuse et de boutons de manchette en or. Mais les serfs s’agitent, et la salle se transforme rapidement en un groupe de soutien en faveur des prétendants à la sous-traitance éconduits.

« M. Sigalos, que nous faudra-t-il faire pour obtenir quelques contrats de sous-traitance ? »

« M. Sigalos, quand allez-vous embaucher quelques Irakiens aux postes de management et à la direction ? »

« J’ai une question pour M. Sigalos. Je voudrais demander ce que vous allez proposer si l’armée dit, allez voir chez Halliburton, et qu’Halliburton ne répond pas ? »

Patiemment, M. Sigalos les invite tous calmement à enregistrer leurs sociétés sur le site web d’Halliburton. Quand ceux qui ont posé les questions répondent que c’est ce qu’ils ont déjà fait, M. Sigalos les invite à « venir le voir après ».

La suite est moitié séance d’autographes, moitié émeute. M. Sigalos est assailli par au moins cinquante hommes, qui jouent des coudes pour déverser CD-Roms, projets d’affaires et C.V. sur le vice président d’Halliburton. Quand M. Sigalos repère un insigne Volvo, il semble soulagé. « Volvo ! Je connais Volvo. Envoyez-moi quelque chose sur ce que vous pouvez réaliser dans la région. » Mais aux petits, aux sans nom, ceux qui ont payé leurs 985 dollars de droit d’entrée, qui sont ici pour la diffusion de générateurs portatifs et de panneaux de commande électrique, il leur est répondu une fois de plus « de s’inscrire à notre bureau d’obtention des contrats. » Des fortunes se font en Irak, mais il semble qu’elles soient hors de portée de tous ceux qui ne font pas partie des quelques rares élus.

La conférence suivante débute et M. Sigalos doit se dépêcher. Les serfs errent au loin au milieu d’étalages pour du verre incassable et des containers d’ordure résistant aux bombes, caressant la carte de visite rouge et blanche de M. Sigalos d’un air inquiet.

Naomi Klein

Naomi Klein est l’auteure de : « No Logo, La tyrannie des marques » et plus récemment : « Journal d’une combattante : Nouvelles du front de la mondialisation »